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Bourse : surtout, ne vendez pas !


Bourse : surtout, ne vendez pas !

Clémence Fugain, une jeune et jolie consoeur spécialiste de la Bourse au Journal des Finances va sûrement finir par regretter que l’interview donnée par elle le 16 septembre dernier à Ruth Elkrief de BFM sur le thème : « Faut-il acheter ou faut-il vendre ? », soit encore en ligne sur le site du JdF, de BFM et même du Figaro. Sur un ton qui n’appelle pas vraiment la contradiction, elle y explique qu’il ne faut pas céder à la panique, que la purge est faite après la faillite de Lehmann Brothers, bref qu’il faudrait être bien bête pour vendre.

Bien sûr, ce sont les épargnants qui ont été assez bêtes pour ne pas écouter ses conseils qui s’en sont bien tirés : depuis le 16 septembre, le CAC a perdu plus de 22 %. Mais soyons cléments avec Clémence. Ce sont les hasards de Google qui m’ont guidé vers elle, j’aurais pu taquiner de même des milliers de ses confrères qui ont tous répété exactement la même chose, et sur tous les tons, et depuis des mois, et dans le monde entier.

« Ne cédez pas à la panique ! » C’est, en dernière analyse, le seul mot d’ordre des donneurs d’avis depuis le début de la crise des subprimes. Et comme il ne saurait y avoir deux vérités en science économique, ni même une et demie, ce mantra dépaniqueur des rubriques financières est aussi celui qu’ânonnent en boucle la quasi-totalité des experts. Un exemple parmi des flopées d’autres : le 17 juillet dernier, interrogé par Thierry Philippon du Nouvel Obs, Michel Cicurel, président de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, mettait vigoureusement en garde les petits actionnaires sujets à la krachophobie : il est, nous prévient-il, beaucoup trop tard pour vendre ! Et pour les indécrottables trouillards, il ajoutait même : « La question n’est plus : « faut-il vendre ? » mais plutôt : « faut-il recommencer à acheter ? ». » Certains investisseurs le font. Ils sont en tout cas plus raisonnables que ceux qui continuent à céder leurs titres dans la dégringolade. Depuis le 17 juillet 2008, le CAC 40 a perdu 25 %. Si la famille a écouté ses conseils, bientôt on dira « pauvre comme Rothschild ».

On n’aura pas le mauvais goût de penser que l’expertise de Michel Cicurel (et de tous ses collègues) risque d’être biaisée parce qu’il est à la fois juge (il donne dans la presse des conseils d’achat ou de vente) et partie (il donne, à la Bourse, des ordres d’achat ou de vente). D’ailleurs, on retrouve la même fougue anti-paniquards chez des « acteurs du marché » (j’adore l’expression), censés être au-dessus de la mêlée, tel le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer qui martelait, le 30 septembre au micro de RTL : « Il faut qu’on arrête de se faire peur collectivement, qu’on regarde les choses. Il y a des difficultés que chacun connaît, mais il n’y a pas de raisons du tout d’avoir peur et de céder à la panique. » Pas mal, non ? Je vous laisse, vous-même calculer combien la Bourse a perdu depuis les conseils avisés du gouverneur. On notera cependant que par rapport aux précédentes citations, une nouvelle nuance sémantique apparaît en loucedé quand il dit : « Il faut qu’on arrête de se faire peur collectivement. » Pour Christian Noyer, la vraie racine de la peur, ce n’est pas l’état du Marché, mais bel et bien la peur elle-même. Ça ne vous rappelle rien ? Mais si, bien sûr ! C’est une variation sur le thème du fameux « sentiment d’insécurité », sentiment qui, lui seul, pourrit la vie des banlieusards.

Puisqu’on est dans la sémantique, une remarque s’impose. Avez-vous déjà entendu quelqu’un dire : « Il faut immédiatement céder à la panique » ? Dès que l’idée de panique est actée, c’est-à-dire dès que le mot est lancé, la réponse est faite avant qu’arrive le point d’interrogation censé ouvrir le débat en même temps qu’il clôt la phrase. Dire « panique », c’est comme dire « anorexie », « hooliganisme » ou « xénophobie » : on n’en débattra que pour savoir quelle est la meilleure façon de l’éradiquer. Une idée en appelant une autre, je remarque que j’aurai pu ajouter, sans risque de hiatus, le mot « protectionnisme » à cette liste d’infamie. En fait, j’ai l’intime conviction, sans en avoir les preuves, que la pensée financière dominante (« Ne vendez surtout pas ! ») est une sorte de produit dérivé de la pensée économique dominante (« Plus jamais de protectionnisme ! »). Pensée qui, elle-même – et là j’en suis sûr – est une filiale à 100 % de la pensée dominante tout court, celle de la-mondialisation-forcément-bénéfique-pour-tous.

On pourra bien sûr m’objecter que si tout le monde vendait ses actions, la situation ne ferait qu’empirer. Sûrement. Et c’est d’ailleurs un peu ce qui se passe sous nos yeux. Mais ceux qui ont eu la bonne idée liquider leurs positions avant tout le monde, ceux qui ont haussé les épaules quand la presse et les experts se moquaient de leur trouille irraisonnée, stigmatisaient leur irrationalité ou essayaient de les culpabiliser, ceux-là ont fait une vraie bonne affaire. Si tout le monde les avait imités, c’eût été la cata, mais eux, égoïstement, ils ont gagné de l’argent. Et si ça se trouve, c’est aussi pour ça qu’on fait des placements…

Quant à mes amis experts, je ne sais trop que leur conseiller : la peste ou le choléra ? Dire qu’il faut vendre pousse à une chute irraisonnée des cours, donc des placements. Dire qu’il faut conserver, voire acheter risque de ruiner les épargnants qui vous ont fait confiance. Par déduction, il ne reste qu’une seule solution, toute simple : dire qu’on n’en sait fichtre rien. Ou encore mieux, se taire.



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