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De Bolivar à Mélenchon, une surprenante récupération


De Bolivar à Mélenchon, une surprenante récupération
Hugo Chavez avec, en fond, deux portraits de Simon Bolivar (Photo : SIPA.AP21310246_000009)
Hugo Chavez avec, en fond, deux portraits de Simon Bolivar (Photo : SIPA.AP21310246_000009)

Si Mélenchon a bien une qualité, c’est celle d’être un monsieur très cultivé. Du moins c’est ce qui se dit. Il détiendrait d’ailleurs 12 000 livres. Enfin c’est ce qu’il prétend. On lui fait confiance. Sans doute de ses fastes et agréables lectures tient-il cette liste d’idoles dont il nous pioche des noms de temps en temps, notamment lors de ses tirades enflammées gargarisant sympathisants du Front de gauche mais aussi simples curieux.

Parmi ces idoles, Napoléon, Robespierre, Victor Hugo, Jean Jaurès, Che Guevara, Simon Bolivar, et j’en oublie certainement beaucoup, il me pardonnera, mais au moins ainsi je n’irai pas le calomnier (puisse le paranoïaque « Observatoire de la propagande et des inepties anti-Mélenchon » me faire grâce). Le premier on le comprend. Napoléon, quoiqu’on pense de sa conception du pouvoir, c’est la France du temps de sa grandeur, sans doute ce pourquoi la francophonie existe encore. A l’autre bout du monde, certains francophiles connaissent par cœur l’année de naissance de Bonaparte. Che Guevara, que voulez-vous, si on se prétend de la vraie gauche on passe difficilement outre, ou bien Mélenchon n’a plus qu’à retourner au Sénat sous des cieux moins rouges. Mais le dernier, Simon Bolivar, si on sait vaguement qu’il fut un important « Libertador » d’Amérique du Sud, et s’il a sa statue à Paris, on le connaît moins[1. Cet article s’appuie notamment sur les ouvrages suivants : Bolivar y Ponte, Karl Marx ; Bolivar, la conscience de l’Amérique, Simon Bolivar ; Le général dans son labyrinthe, Gabriel Garcia Marquez.].

Le libérateur d’une Amérique

Aussi quand j’ai commencé à l’évoquer en Colombie comme un grand démocrate épris de liberté, un justicier, un vrai homme de gauche comme on dirait aussi, on m’a gentiment fait comprendre que j’étais un peu à côté de la plaque, que c’était un peu plus compliqué que ça. Quelle ne fut pas ma déception, moi alors sur la terre du « Libertador », de comprendre que ce monsieur mince aux longs bras et très élégamment vêtu que j’avais vu sur son cheval non loin du pont Alexandre III à Paris ne correspondait peut-être pas au grand démocrate dont Monsieur Mélenchon, en août 2012 sur son blog à travers un billet intitulé « Carte postale de retour », célébrait sans doute de bonne foi la lecture d’« une bonne grosse biographie » lors de ses vacances ensoleillées au Venezuela, contrée qui fut jadis le paradis terrestre de tout humaniste de la vraie gauche.

Simon Bolivar fut un « libertador ». Incontestablement. Suite à un voyage en Europe  en 1801, le jeune aristocrate vénézuélien, admirateur de la Révolution française, décide qu’il libérera lui-même l’Amérique du joug du colonialisme. En à peine vingt ans, il boutera alors les Espagnols et leur empire hors du Venezuela, de Colombie, d’Equateur puis du Pérou ; et sera même à la base de la création d’un autre pays auquel il léguera son nom, la Bolivie. S’il échappa de peu à la mort à plusieurs reprises, il enchaîna les batailles victorieuses sur son cheval, il fut un militaire héroïque, et très logiquement également, un « napoléonophile » de premier cru.

Rien de curieux à ce que dans chaque métropole, commune ou bourg de Colombie par exemple, ce grand orateur ait sa rue, son avenue, sa place, son parc, son square. Par ailleurs, bien avant que la Jamaïque devînt la terre sacrée du rastafarisme et de son reggae cannabinoïde, il œuvra à l’indépendance de l’île. En somme, il fut un personnage peu commun.

Fut aussi un libéral

Si Bolivar en termina victorieusement avec l’impérialisme espagnol, il ne voyait pas pour autant d’un mauvais œil la domination économique britannique, et était très séduit par le modèle… des Etats-Unis.

Le premier point car tenant en aversion l’économie monopolistique de l’empire espagnol, sa lutte fut aussi en faveur de la liberté de commerce. Le second puisqu’il souhaita copier le modèle des Etats-Unis, rêvant d’une fédération des Etats d’Amérique latine, qui donnerait gloire et puissance au nouveau continent émergent. Et s’il se rattacha à la souveraineté nationale, celle-ci était essentiellement dirigée contre l’Empire espagnol, mais pas contre la domination économique britannique. Au contraire, dans un souci de développement de la liberté de marché, commercer avec la première puissance économique mondiale devenait un but en soi. Pas forcément en harmonie avec les désirs souverainistes d’émiettement de l’Europe de Jean-Luc Mélenchon, ni avec ses diatribes anticapitalistes.

Si le général fut un adversaire du pouvoir absolu, s’il défendit toute sa vie le pouvoir des lois, « plus puissant que celui des tyrans », et que les quelques historiens ou détracteurs qui dépeignent son pouvoir comme autoritariste voire dictatorial semblent trop durs à son égard pour être objectifs, il fut toujours très méfiant envers la démocratie directe, au contraire de Monsieur Mélenchon. Pis, dans son Manifeste de Carthagène, publié en 1812, il exprimera ouvertement son mépris des agriculteurs, ces « rustiques des campagnes […]  si ignorants qu’ils votent machinalement » argue-t-il. Au niveau social également, il n’a jamais souhaité la fin des classes dominantes, et n’a jamais aboli la propriété privée. Au contraire, après avoir libéré le Venezuela, la concentration des terres fut encore plus forte que du temps des Espagnols.

Le mythe et les récupérations

Le grand Karl Marx, aussi admiré par Jean-Luc Mélenchon, ayant sans doute compris que le général n’était pas de la vraie gauche, ne le portait pas franchement dans son cœur, allant même jusqu’à le considérer comme « le gredin le plus lâche, le plus vulgaire et le plus misérable» (dans Bolivar y Ponte), pas moins, et soutint dans une lettre adressée à son collègue Engel, que « Bolivar était le vrai Soulouque » (Soulouque fut un tyran haïtien).

Il se peut que Marx se soit trompé. Mais Jean-Luc Mélenchon, ayant lu « une bonne grosse biographie » (et sans doute d’autres) du « Libertador », a dû le lire, tout ça. Et il ne nous a rien dit. Rien de rien. De fait, jusqu’à l’avènement de Chavez et de sa révolution supposée bolivarienne, le général a longtemps été sanctifié par la droite. Bolivar, chacun y prend ce qui l’intéresse et en fait ce qu’il en veut. Karl Marx (encore lui) a écrit que « la capacité de l’imagination populaire à construire des mythes s’est révélée à toutes les époques dans la découverte de grands hommes ». Sur ce point en revanche, sans doute ne s’était-il pas trompé. De Bolivar à Mélenchon, il y a donc un grand fossé, et là Monsieur Mélenchon, vous nous avez bien bluffés.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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