D’Aymeric Caron au CRAN, tous indignés!


D’Aymeric Caron au CRAN, tous indignés!

taddei caron ruquier

En France, on n’a toujours pas de pétrole mais comme on est aussi à court d’idées, on produit de l’indignation. Dans ce domaine, on peut même dire que notre pays excelle. Depuis bientôt trente ans que les artistes de la repentance et les grossistes en culpabilisation ont profité de l’engouement pour le charity business et le développement associatif pour peaufiner leurs boniments, ils ont eu le temps d’acquérir une véritable expertise professionnelle en la matière. SOS Racisme, CRIF, CRAN, MRAP et consorts ont compris rapidement que la compassion était une valeur médiatique et ont pris leur part dans l’édification d’un grand marché des changes de la revendication communautaire. Avec le complaisant soutien des pouvoirs publics, il est devenu tout à fait naturel de transformer le devoir de mémoire en stratégie de communication, l’antiracisme en religion d’Etat et l’antifascisme en concept fourre-tout et principale arme contre à employer contre tous ceux qui s’aviseraient de dénoncer l’inflation constante des revendications victimaires. Le sociologue Paul Yonnet a su, avec beaucoup de courage, dénoncer dans les années quatre-vingt-dix, dans son ouvrage Voyage au centre du malaise français, cette forme de racialisme inversé dont SOS Racisme a été le premier instigateur et dont le CRAN ou le MRAP sont les parfaits continuateurs. La logique a cependant été poussée si loin que les chefs de file des mutins de Panurge s’autorisent aujourd’hui toutes les absurdités, allant parfois jusqu’à indisposer leurs propres coreligionnaires. C’est le cas du CRAN et c’est celui d’Aymeric Caron.

Commençons par le CRAN. Le Conseil Représentatif des Associations Noires, dont l’acronyme seul est la démonstration éclatante de ce que Paul Yonnet avait payé si cher de vouloir expliquer avec trop de lucidité, va très loin dans le ressentiment identitaire et l’instrumentalisation victimaire. Si loin, que, par la voix de son représentant, M. Louis-Georges Tin, on apprend que le CRAN a décidé, à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, de réclamer aux institutions et aux descendants des familles impliquées dans la traite négrière une compensation financière pour les crimes de leurs aïeux.

On se doute que la démarche ressemble plus à un appel discret à la réévaluation des subversions versées par les collectivités territoriales qu’à une entreprise réellement susceptible d’aboutir, bien que Louis-Georges Tin ait tout de même la menace débonnaire. «Nous les invitons à rentrer en contact avec des associations ou des municipalités pour voir comment elles pourraient contribuer d’une manière ou d’une autre à des réparations», explique Louis-George Tin. «En fonction, nous verrons si nous donnons des suites judiciaires». Grand prince le Louis-Georges tout de même…

Le ridicule de la démarche peut faire sourire. Il conserve pourtant quelques aspects inquiétants. Quelles mesures serait prêt à réclamer le CRAN pour que les descendants des « responsables » soient identifiés et que la culpabilité de leurs aïeux soit établie ? Cela signifie-t-il que Nantais et Bordelais doivent dès à présent se ruer dans les archives départementales pour éplucher nerveusement leurs arbres généalogiques et tâcher de démontrer qu’il n’y avait pas d’esclavagistes dans leur lignée ? Dans le cas contraire, est-il possible de démontrer à Louis-Georges Tin qu’il n’existe pas de gène de l’esclavagisme encore scientifiquement reconnu qui puisse permettre de réclamer une quelconque réparation à d’hypothétiques descendants quelque trois cent ans après les événements incriminés ? La proposition est non seulement affolante de bêtise mais elle en devient réellement inquiétante quand on se rend compte qu’elle revient tout simplement à justifier la spoliation au nom d’une instrumentalisation de l’histoire et d’une forme nouvelle du droit du sang. Les heures les plus sombres, disiez-vous ?

Passons à Aymeric Caron. Tous les combats se valent, toutes les horreurs se ressemblent et toutes les indignations sont bonnes à prendre, semble-t-il, pour le chroniqueur de Laurent Ruquier. Le message passé par Aymeric Caron au cours de la fameuse séquence coupée par France 2 est limpide. Nos ancêtres, ces ringards, n’avaient pour eux que des indignations locales et des colères de villages ; nous qui sommes de vrais citoyens du village planétaire, nous pouvons mettre désormais les pieds dans le plat où ça nous chante, voler au secours des enfants du monde entier et courageusement souffleter les dictateurs et les salauds derrière notre écran. À l’heure de la mondialisation et de la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication, il y a cependant trop de causes à défendre, de tendres orphelins et de veuves éplorées. On ne peut pas contenter tout le monde alors il faut bien choisir. Avec ses petites fiches, Aymeric Caron a donc investi dans une valeur sûre : la cause palestinienne.

Les malheureux Palestiniens servent surtout de prétexte à toutes les causes. Les gouvernements des pays arabes se servent d’eux dès qu’ils ont besoin de s’appuyer sur la naïveté de la rue pour faire oublier leur incurie politique tandis qu’en France la cause palestinienne aura trouvé les avocats les plus improbables :de ceux qui, à droite, se rêvent en nouveaux croisés de l’anti-impérialisme et font mine de verser dans un tiers-mondisme bienveillant, jusqu’aux éternels donneurs de leçon qui, à gauche, produisent de l’indignation mondialisée à l’hectolitre. Aymeric Caron qui s’était fait un métier de traquer l’Infâme, le fasciste et le réactionnaire à longueur de chroniques rejoint soudain, par la magie de ses rapprochements vaseux, le camp d’un certain humoriste judéocentré dont il avait pourtant, la main sur le cœur, dénoncé avec force les dérapages. Comment le conflit israélo-palestinien réussit-il à s’inviter dans une discussion qui a pour sujet un fait divers sordide, qui s’est déroulé en France et dont les ressorts ne sont que la cupidité et la bêtise ? L’ouvrage de Morgan Sportès, Tout, tout de suite, qui avait évoqué, avant le film d’Arcady, l’assassinat d’Ilan Halimi, propose un constat glaçant : dans une société rongée par un matérialisme débilitant, qui fait hypocritement de la victimisation une quasi-religion d’Etat, les victimes ne comptent pour rien. Elles sont réifiées, elles ne sont qu’une monnaie d’échange, qui peut être idéologique, comme l’a démontré Aymeric Caron en élaborant ce rapprochement affligeant entre le meurtre d’Ilan Halimi, la montée des actes islamophobes et les crimes supposés ou réels de l’armée israélienne. Ce faisant, Aymeric Caron sacrifie à un culte toujours en vogue parmi politiques, politologues, chroniqueurs ou journalistes : la religion du chiffre. Ce n’est pas vrai, tenez, vous voyez bien que vous dites n’importe quoi ! J’ai les CHIFFRES moi ! Le souci c’est que tout le monde a des chiffres à se balancer au visage dès qu’il s’agit de défendre son clocher, son pré carré et les moutons qui vont avec. Le problème c’est aussi qu’on ne brandit pas soudain les chiffres d’une ONG témoin des agissements de l’armée d’un pays en guerre pour faire semblant d’excuser les actes d’un pauvre type qui a assassiné des enfants de sang-froid dans la cour de leur école, alors même que l’on évoque un film sur Ilan Halimi, et tout ceci au nom de la montée des actes islamophobes. Bien sûr, Aymeric Caron s’est récrié, il a  accusé ses accusateurs d’avoir outrageusement simplifié ses simplifications, amputé ses demi-vérités et déformé ses raccourcis.

Il faut d’ailleurs rendre justice à Aymeric Caron et écarter l’accusation d’antisémitisme dont il a pu faire les frais. Aymeric Caron n’est pas antisémite, il n’est rien. Il existe d’authentiques antisémites qui camouflent derrière leur prétendu intérêt pour la cause palestinienne leur philosophie d’esclaves consistant à ne pouvoir se définir qu’en fantasmant un ennemi idéal et à nommer cela une pensée. Aymeric Caron n’en est pas là. Lui symbolise une autre dérive, assez semblable cependant à la précédente, celle d’une gauche paillettes qui n’a plus d’autres outils de pensée qu’un manichéisme opportuniste qui a assuré sa domination médiatique mais la condamne aujourd’hui à une triste sclérose. Les représentants de la pensée unique ont pratiqué avec tellement de bonne conscience la politique de la terre brûlée qu’ils ont calciné tout ce qui pouvait leur tenir lieu de doctrine et de discours. Ils ne sont plus rien et ressemblent à ces personnages de Beckett réduits à ressasser inlassablement des anathèmes qui ne signifient plus rien. Le politiquement correct va, semble-t-il, peiner de plus en plus à étendre les incendies provoqués par ses propres pyromanes, qu’ils soient devenus complètement incontrôlables comme Dieudonné ou qu’ils se prennent simplement les pieds dans le tapis comme Aymeric Caron.

L’atmosphère de ce pays devient chaque jour un peu plus irrespirable, et ce n’est pas seulement dû aux micro-particules. Il convient donc de désigner quelques responsables de la dangereuse dégradation du climat social et politique avant que nos amis du désastre ne se drapent dans leur dignité offusquée pour proclamer qu’ils avaient bien pronostiqué un retour de la haine dont ils auront finalement été les principaux artisans. En attendant, il est déjà utile de rappeler aux indignés à la carte ce qui est sans doute trop choquant à reconnaître pour eux : c’est que les victimes de Fofana et de Merah étaient françaises et qu’en vertu d’une forme de solidarité nationale qui semble sans doute aujourd’hui surannée, on pleure d’abord les victimes de la haine et de la violence parmi ses concitoyens et dans son pays avant d’aller chercher chez les conflits des autres les raisons d’excuser leurs meurtriers.

De l’idée malsaine d’instaurer une sorte de dîme rétro-historique très sélective à la tentation de vouloir faire passer les assassins pour des martyrs au nom de la solidarité palestinienne, l’hygiène de l’indignation commence à faire tache.



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