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Allez les Beurs !


Allez les Beurs !

Pour continuer dans la ligne chveikienne dont les lecteurs de Causeur sont désormais familiers, je vais utiliser une autre forme de l’herméneutique du héros de Jaroslav Hasek : la transformation d’une nouvelle angoissante en une bonne occasion de se vautrer dans un optimisme béat. Il s’agit, pour Chveik, de déjouer les manœuvres de la police secrète impériale dont les mouchards traquent dans les bistrots les propos subversifs des buveurs de bière, en les provoquant par des allusions aux mesures impopulaires du régime. L’augmentation des impôts, l’allongement de la durée du service militaire, la raréfaction des denrées comestibles, sujets sur lesquels Chveik est invité à se prononcer devant le zinc par des personnages chafouins, sont salués par lui comme « d’excellentes nouvelles ». À l’entendre, ces mesures sont de nature à éviter des dépenses inutiles aux contribuables, à entretenir la forme physique de la jeunesse appelée sous les drapeaux, et à prévenir le développement de ce fléau moderne qu’est l’obésité.

Je déclare donc solennellement que la mobilisation, samedi 3 décembre, à Paris et dans les grandes villes de France, de dizaines de milliers de manifestants braillant « Israël assassin ! Hamas vaincra ! Moubarak, Sarkozy complices ! » est une excellente nouvelle.

Je ne partage aucune des convictions, des analyses et des émotions qui ont poussé les manifestants à braver le froid glacial pour aller conspuer l’Etat juif et porter les barbus égorgeurs au pinacle.

Mais, en regardant sur Youtube les images réalisées par des sympathisants du mouvement, on est obligé de constater que ces défilés étaient composés quasi-exclusivement de gens appartenant, comment dire… à cette France de la diversité. Autrement dit, ces cortèges n’avaient mobilisé, pour l’essentiel, que ceux qui éprouvent une solidarité ethnique avec les habitants de Gaza, si l’on excepte les apparatchiks habituels de la LCR, du PCF et des Verts, dont on avait bien du mal à discerner les troupes dans la foule rassemblée.

Cette caractéristique n’a d’ailleurs pas échappé à Leïla Shahid, qui rendait hommage, dimanche soir sur France 3, aux « 22 millions d’Arabes résidents en Europe » qui ont manifesté, dans diverses capitales du continent, leur condamnation des opérations de Tsahal à Gaza. Nous sommes donc bien dans un schéma « bonifacien » dans lequel chacun peut se compter – et vérifier que le poids électoral des franco-musulmans est désormais supérieur à celui des juifs de France…

Au vu des manifs du week-end, il n’y a pas photo : plusieurs dizaines de milliers de pro-palestiniens dans les rues des grandes cités françaises, contre, allez, 6000 juifs ayant répondu à l’appel du CRIF pour soutenir Israël, cela devrait donner à réfléchir à nos stratèges politiques.

Toutefois, la politique ne saurait se réduire à l’arithmétique niveau CE1. Les défilés – presque – pacifiques de ce week-end fournissent des raisons de se réjouir. La dernière manifestation de musulmans en France avait eu lieu le 17 octobre 1961, quand les Algériens de France étaient descendus dans le rue de Paris à l’appel du FLN. Tragédie, ratonnades, noyades dans la Seine, black-out médiatique, honte nationale. Aujourd’hui, leurs enfants et petits-enfants manifestent pacifiquement, et se font même, en fin de manif, déborder par des casseurs, comme de vulgaires lycéens bourgeois protestant contre le CPE. C’est donc une excellente nouvelle. Souvenons-nous : entre 2000 et 2002, au plus chaud de la seconde intifada, les défilés anti-israéliens étaient majoritairement composés de gauchistes, qui laissaient quelques groupuscules pro-hezbollah crier « Mort aux juifs ! ». Mais on vandalisait les synagogues, on tapait les feujs dans les rues du 9-3, et José Bové accusait le Mossad d’être derrière tout ça.

Depuis, José Bové a vaguement fait amende honorable et le pro-palestinisme des franco-musulmans a enfin trouvé une voie classique, normalisée, d’expression publique, dont on espère qu’elle se substituera complètement aux bouffées de violence raciste.

Bien entendu, nos grands médias voient dans ces manifs la preuve de « la révolte croissante des opinions publiques » contre l’opération militaire israélienne à Gaza. La confusion entre la mobilisation, bien réelle, des franco-musulmans, et une prétendue mise en branle de la réprobation générale d’Israël dans l’opinion française est courante chez certains de mes confrères et consœurs à la bonne conscience d’airain. Je n’ai pourtant entendu parler d’aucun sondage sur l’opinion du public français sur les événements de ces derniers jours. Sur quoi se fondent donc nos « analystes » du fond de l’air hexagonal pour nous asséner leurs certitudes ? Doigt mouillé ? Brèves de comptoir ? Sondage express à la cafét’ de Radio-France ou coup de téléphone à l’oracle Charles Enderlin de France 2 ?

Les sondages du printemps 2008, effectués à l’occasion du soixantième anniversaire de l’Etat d’Israël, montrent une situation plus confuse. La grande majorité du public renvoie dos à dos protagonistes. À la question « qui porte la responsabilité de la perpétuation de ce conflit ? », 64 % des personnes interrogées répondent « les deux ! ». Rien n’indique un revirement spectaculaire de l’opinion au cours de ces derniers jours. Mais puisqu’on vous dit que vous pensez autrement, il va bien falloir que vous vous mettiez au pli. Sinon, à quoi serviraient les journalistes ?

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