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Causeur à l’Index ?


Causeur à l’Index ?
Goya, <em>Tribunal de l'Inquisition,</em> 1812-1814.
Goya, Tribunal de l'Inquisition, 1812-1814.

Chef d’inculpation : rien à signaler. Ça, chef, c’est suspect. Même Staline ne l’avait pas inventé. Dans le rapport de police rédigé par le MRAP et intitulé « Internet, enjeu de la lutte contre le racisme », Causeur figure à la rubrique « À droite de la droite » et a le droit à une sous-rubrique pour lui tout seul (ce qui permet de le repérer dans la table des matières). Seulement, ils sont un peu vexants, les copains. Tout ce qu’ils ont trouvé à dire, c’est ça : « Le contenu de ce site n’appelle pas d’observations. Sa ligne éditoriale est très à droite, proche des thèses néo-conservatrices. » Un peu court, jeunes gens – seule la jeunesse peut excuser les individus qui ont pondu cet annuaire des nouveaux ennemis du peuple. Chef d’œuvre de bêtise bureaucratique, ce listing Clearstream du pauvre qui figurera dans les annales de la dénonciation.

Que nos sympathiques défenseurs de la démocratie n’aient pas compris tout ce qu’ils lisaient sur Causeur, il serait malséant de le leur reprocher. Que rien, dans leur propre expérience, ne les ait préparés à comprendre le joyeux foutoir que l’on nomme pluralité et qui est le charme de notre chaudron de sorcière, on ne peut que s’en désoler pour eux. Accessoirement, nous avons bien rigolé en les imaginant, se grattant la tête pour savoir à quelle catégorie nous assigner, puis jetant l’éponge et décidant d’en créer une, fourre-tout, pour les enquiquineurs à qui on ne pouvait pas accrocher un grelot antisémite ou raciste. C’est vrai, quoi, qui sont ces gens capables de polémiquer ouvertement entre eux sans s’excommunier ? D’émettre les avis les plus contradictoires sur des sujets aussi secondaires que le Proche Orient, l’économie de marché, le féminisme ou l’identité nationale ? Le plus agaçant, c’est que, du coup, on ne sait pas s’ils sont de droite ou de gauche. Il paraîtrait même que certains, parmi eux, votent Sarkozy et d’autres Mélenchon. Dites-moi, chef, c’est quoi ce bordel ?

Il est vrai que les objectifs du MRAP sont eux-mêmes plutôt fumeux à en juger par le patchwork d’appels qui s’affiche sur la page d’accueil de son site : la lutte contre le racisme qui est sa raison sociale officielle passe donc par le boycott des produits de l’oppression (israéliens, vous avez compris), la régularisation globale et immédiate de tous les sans-papiers et l’adhésion à toutes les bonnes causes du moment. Il n’y manque que l’ours blanc supposé nous arracher des larmes qu’on voyait sur toutes les « unes » pendant le sommet de Copenhague. C’est pas antiraciste, l’écologie ?

Certes, la confusion mentale n’est pas un crime. Allez, aidons un peu le MRAP. Il y a bien un point commun entre les contributeurs de Causeurs qui doivent représenter à peu près toute l’offre électorale, y compris ceux qui ne votent pas, d’ailleurs. Nous pensons avoir tous lu Philippe Muray avant de nous être rencontrés et nous détestons rigoureusement les maccarthysmes de gauche, de droite, du centre qui s’exercent aujourd’hui dans les milieux les plus divers et les plus inattendus, comme par exemple chez les auteurs de polars, les éditorialistes économiques (professions qui se ressemblent par ailleurs par les temps qui courent) et les professionnels de l’antiracisme.

Avec ça, les amateurs de classification ne sont guère avancés. Le MRAP a donc fait le boulot. Avec 5-yearslater, Amiral Woland, la Droite strasbourgeoise, Europe maxima, Polemia, Causeur est donc à droite de la droite (ce qui si on n’y prend pas garde, va finir par nous ramener à gauche – le MRAP qui utilise les méthodes les plus classiques de l’extrême droite pour répandre les bons sentiments de gauche connaît le chemin). Amusant.

On ne vous cachera pas, cependant, qu’on est un peu vexés par le laconisme de notre notice : comment ça, le contenu « n’appelle pas d’observations » ? Rien ? Pas un seul texte qui vous ait fait vous étrangler d’indignation ? Là, franchement, c’est désobligeant.

Pour comprendre tout le sel de l’affaire, il faut lire l’avertissement rédigé par les avocats de l’association :

« Il est très important de préciser en préambule et tout au cours de cette étude, que la méthode de travail retenue, de recherche de sites ouvertement racistes et de recensement des connexions et liens à partir de et vers ces sites a conduit à identifier aussi des sites contre lesquelles aucune accusation de racisme ne peut être lancée. Lorsque le MRAP estime qu’un site enfreint la loi française, il le dit explicitement. Les sites pour lesquels il ne le dit pas ne sont pas qualifiés de racistes par le MRAP. »

Nous ne sommes donc pas accusés mais identifiés. Comme quoi, on ne sait pas très bien. Remarquez, on est flattés d’être identifiés, c’est quand même mieux que d’être noyés dans la masse des gens à qui on n’a rien à reprocher, sinon d’exister. C’est à ce genre de petites précisions juridico-méthodologiques qu’on reconnaît la rigueur. Au MRAP, on doit connaître le fameux modèle mathématique des poignées de main. Vous savez, on n’est jamais, sur Terre, à plus de cinq poignées de mains de quelqu’un. Prenons un exemple simple, plus simple en tout cas que la classification taxinomique de ce rapport qui établit des distinguos talmudiques entre les chapelles de l’infâme (racistes, racialistes, ethnodifférentialistes) mais n’hésite pas à amalgamer, par exemple, fascistes et royalistes, ce qui va ne faire plaisir ni aux uns ni aux autres, qui ne furent jamais du même côté de la barricade ou de l’autel.

Mais comment expliquer à nos Sylla électroniques de sous-préfectures numériques que les gens qui aiment célébrer le solstice d’été en dansant tout nus autour d’un menhir n’ont absolument rien de commun avec ceux qui se mortifient après avoir raté leur commando anti-avortement, n’ayant pu attacher leurs menottes aux radiateurs avant l’arrivée des forces de l’ordre. Si on les jetait dans un cirque façon gladiateurs dans la Rome antique, ils préfèreraient encore s’entrelarder le croupion plutôt que de faire face ensemble aux fauves.

Enfin… Mais revenons à notre exemple des cinq poignées de mains. Imaginons qu’il y ait un communiste à Causeur, imaginons que ce communiste lors d’une joyeuse réunion de rédaction serre la main à un atlantiste qui lui même aurait serré la main d’Alexandre Adler, qui lui même a serré la main de George W. Bush. Eh bien, voilà notre communiste devenu un proche de l’ancien président américain. Ses camarades, s’ils suivent la logique mrapienne, n’auront rien à lui reprocher, mais seront bien obligés de signaler qu’il est l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu Bush. Il fut un temps où on se retrouvait agent de l’impérialisme pour moins que ça. On ne sait jamais, avec les ennemis du peuple. Ils sont partout.

En l’espèce, pour bien comprendre l’imparable démonstration du MRAP, il suffit de remplacer les poignées de mains par des clics, comme on dit.

Et nous, de réprimer l’envie de donner des claques.

Mars 2010 · N° 21

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est rédactrice en chef de Causeur. Jérôme Leroy est écrivain.

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