Chiang ChingKuo: un destin paradoxal


Chiang ChingKuo: un destin paradoxal
(Photo : Jack Birns / Time Life - Wikimedia commons - cc)
(Photo : Jack Birns / Time Life - Wikimedia commons - cc)

CCK est né en 1910. Lorsqu’il a 16ans, son père Chiang KaiShek [蔣介石], le successeur du père de la République Sun YatSen [孫逸仙], lance « l’expédition vers le Nord » [北伐 BěiFá]  pour la reconquête de la Chine depuis Canton. Les autres provinces sont alors aux mains des « seigneurs de la guerre » [軍閥 JunFá], des généraux qui ont trahi la République de 1911 et ont établi des mini-royaumes.

cck
CKS est alors l’allié des soviétiques. Le PCC et le KMT sont associés. Cette reconquête de la Chine par les républicains est donc animée par des conseillers du Komintern, dont Michael Borodine, et des nationalistes issus de l’anarchisme français, en particulier Wu ZhiHui (qui avec Li YuYing [李煜瀛 alias 李石曾] publiait en 1905 à Paris une revue en chinois au titre en esperanto Tempo Novaj [新世紀 XīnShìJì Le siècle nouveau] à la gloire de Ravachol).

Li YuYing
Wu ZhiHui
Le jeune CCK est comme un filleul pour Wu ZhiHui [吳稚暉] et il décide d’étudier à Moscou où il a comme condisciple Deng XiaoPing [鄧小平] qui arrive de Montargis — où Li YuYing a implanté les très nombreux étudiants chinois du programme « travail & études ».

Deng XiaoPing à droite
Dans cette pimpante ville du Loiret les travailleurs turcs ont aujourd’hui remplacé les Chinois qui vers 1920 fabriquaient des galoches dans l’usine Hutchison ; mais l’office du tourisme et une enseignante de chinois très motivée, Wang PeiWen [王培文], ont balisé la ville avec des panneaux explicatifs bilingues pour les pèlerinages des nombreux officiels chinois qui s’y rendent.

Le 19 septembre 2014, la vice-premier ministre chinoise Liu YanDong 劉延東 dévoile la plaque de la place Deng XiaoPing de Montargis.

L’alliance entre le KMT et le PCC ne dure que jusqu’en 1927. Les communistes, sur ordre de Staline, tentent de prendre le contrôle et d’éliminer Chiang — qui les massacre à ShangHai. C’est le sujet du roman de Malraux La Condition humaine ; mais c’est plus intéressant à lire dans La tragédie de la révolution chinoise de Harold Isaacs (traduction française chez Gallimard en 1967).

L’ancien anarchiste parfaitement francophone, Li YuYing, deviendra le chef de file de la droite du KMT face à ses anciens étudiants en France devenus les fondateurs du PCC, d’abord alliés du KMT, puis ses ennemis lors de deux longues guerres civiles.

CCK, trotskiste, ce qui n’arrange rien, est « retenu » en URSS par Staline. Ce n’est pas le goulag 古拉格 pour lui mais une vie de prolétaire sans privilèges dans une usine de l’Oural. Il s’y marrie avec une jeune Russe qui restera son épouse jusqu’à sa mort.

Il faudra attendre « l’incident de XiAn » [西安事變] lorsque CKS est kidnappé par le « jeune maréchal » Chang HsuehLiang [張學良] pour que le KMT et le PCC reprennent leur collaboration contre l’envahisseur japonais avec la bénédiction de Moscou. CCK revient alors en Chine où son père lui confie la gestion d’une préfecture de la province du JiangXi [江西省].

Ce que je résume ici ce sont seulement les premières pages d’une biographie qui en compte plus de six cents, passionnantes, et permet de comprendre sous un éclairage inédit en France l’histoire de la Chine et de Taïwan au XXe siècle.

Pour simplement résumer la suite il me faudrait un n° complet de Causeur. Je préfère donc recommander d’emblée la lecture de cet excellent livre que j’ai parcouru en français et lu en chinois.

La traduction en caractères simplifiés de cette bio vient de paraître à Pékin [蒋经国传 陶 涵 / 林添贵 / 华文出版社, 2016, 48元]. En caractères non-simplifiés, par le même traducteur, elle avait déjà été publiée à Taïwan, puis rééditée en 2009 [蔣經國傳 (2009新版) 陶涵 / 林添貴 / 時報出版, NT$390]. Je n’ai pas encore eu le temps de comparer les deux éditions et savoir ce que l’éditeur chinois continental aura occulté ou édulcoré.

 
 
Chiang ChingKuo, le fils du Generalissimo (ISBN : 978-2-84983-026-0, traduction de Pierre Mallet, Editions René Viénet, mars 2016), a été écrit par Jay Taylor, l’un des fonctionnaires américains les mieux informés sur le dossier Taïwan à Washington.Ce livre a été publié initialement par Harvard University Press, en 2000, The Generalissimo’s Son : Chiang Ching-kuo and the Revolutions in China and Taïwan. Quatre exemplaires seulement de l’édition américaine originale figurent dans les bibliothèques françaises, selon l’indiscret catalogue SUDOC (qui donnera peut-être bientôt le nombre de lecteurs de chacun des ouvrages des bibliothèques, semant ainsi une certaine panique chez les universitaires…).

L’auteur, Jay Taylor, après quelques années dans l’armée de l’air, a été jeune diplomate à Taipei, puis chargé des affaires politiques de l’ambassade de Washington à Pékin, etc., avant de terminer sa carrière de fonctionnaire à la Maison blanche, comme membre du National Security Council, puis responsable du renseignement au State Department.

Il a également rédigé une biographie de Chiang KaiShek, le Generalissimo, i.e. le père de CCK, encore inédite en français et dont le catalogue SUDOC indique qu’elle se trouve dans moins de dix bibliothèques universitaires en France !

Ce qui manque dans ce gros livre sur Chiang Ching-kuo, le fils du généralissime Chiang KaiShek, c’est le détail des massacres de 1947 et de la terreur blanche qui va durer plus de dix années.

CCK n’est pour rien dans les massacres de 1947 mais il est le chef des services de sécurité pendant la terreur blanche, ses cinq mille morts et dix fois plus de prisonniers politiques.

Jay Taylor n’élude pas la question mais il la traite avec une excessive retenue. Cette carence est d’emblée corrigée par l’éditeur et le traducteur qui, ensemble, ont précédemment publié les deux ouvrages de base sur ces crimes historiques aux conséquences qui perdurent aujourd’hui encore :

Formose trahie, de George Kerr, le fonctionnaire américain qui assiste à la reddition des Japonais à Taipei en 1945 et qui sera sur place lors des massacres orchestrés par le général Chen Yi [陳儀] en 1947, fusillé par CCK deux ans plus tard (à ne pas confondre avec son homonyme Chen Yi [陳毅] le général communiste qui deviendra maire de ShangHai et finira persécuté par les gardes rouges de Mme Mao).

Le Goût de la liberté, de Peng MingMin [彭明敏], la sympathique auto-biographie du patriarche de la démocratie à Taïwan, qui a passé sa thèse à la Sorbonne, après avoir perdu un bras sous les bombardements américains au Japon.

Je reviendrai dans ma prochaine tranche de blog sur ces deux titres fondamentaux pour comprendre Taïwan (et le discours de Tsai YingWen du 20 mai prochain).

En attendant quelques lignes de plus sur CCK et sa biographie : le paradoxe de Taïwan. i.e. comment une succession de malheurs a produit en moins de cinquante ans le pays le plus sympathique à vivre en Asie, le plus démocratique avec le Japon, et le premier des petits dragons qui ont modernisé l’Asie (ou le deuxième après Singapour).

Cette île était si peu chinoise il y a trois siècles que les cartes impériales n’en montraient que la cote Ouest (l’autre était terre inconnue). Cf. la carte du FuJian et de Taïwan dressée par les jésuites pour l’empereur KangXi [康熙] au XVIIIe siècle. Cette zone inconnue de la partie orientale de Formose se retrouve sur une carte occidentale un peu plus tardive.


Formose sera reprise au XVIIe siècle aux Hollandais par un pirate sino-japonais (Koxinga), et peuplée initialement par les Hoklos ( 福佬 les gens du FuJian 福建省, en face) et les exclus de la société chinoise, les Hakkas [客家人 KèJiāRén, les «hôtes», c’est tout dire]. Ces immigrés chinois assimilant progressivement une partie des Aborigènes, ceux du littoral. Formose sera ensuite annexée par le Japon en 1895, martyrisée par le KMT lors de la «rétrocession» de 1945, soumise pendant de longues années au régime policier du KMT, défait par les communistes sur le continent.Le paradoxe c’est qu’en sus des luttes courageuses des Taïwanais pour leur libertés, il est indéniable que CCK est une partie de l’explication de cette évolution remarquable vers la démocratie et le succès économique.

Pour une Taïwanaise, la chronique du pouvoir de CCK dans l’île comme dans ses relations avec Washington (qui jusqu’à la guerre de Corée était disposé à laisser CKS et le KMT partir au fil de l’eau), l’épisode du general Sun LiJen [孫立人] qui fut sollicité de remplacer le Generalissimo et finira ses jours en résidence surveillée, est passionnant à lire.

Sun LiJen avec le général Mac Arthur
De même, la relation plus qu’étroite de CCK avec Ray Cline le haut-fonctionnaire du renseignement américain qui, après avoir dirigé la CIA dans l’île de 1957 à 1961, jusqu’à la fin de l’ère Reagan restera le principal décideur en coulisses du coté américain des relations bilatérales Taïwan-USA.

En particulier c’est lui et les fonctionnaires de sa tendance, ou qu’il a formés, qui vont initier efficacement la loi, le Taïwan Relations Act, qui garantit la sécurité de la République de Chine par Washington (en échange d’une diminution réelle des fournitures militaires et de la reconnaissance diplomatique de Pékin comme seul gouvernement chinois).

Ce sont les mêmes qui, dès la fin de la présidence Carter trois années après, suggéreront fermement au Président Mitterrand, via l’ambassadeur à Paris Galbraith, de vendre frégates furtives et Mirages français à Taïwan, puisque Washington est gêné aux entournures par l’engagement pris par Carter en 1978 de réduire à zéro sur dix ans les ventes d’armes américaines. En fait, une fois les cinq douzaines de Mirages livrés par la France, le double de F16, dix douzaines, seront fournis par Washington à Taipei.

Je laisse à d’autres, plus compétents que moi, développer – au delà du gros livre de Jay Taylor – dans leurs propres compte-rendus – l’histoire paradoxale (et parfois étonnante) des relations entre Paris et Taipei.

Les quelques discussions que j’ai eues avec des journalistes et quelques universitaires me laisse penser qu’il y a une grande méconnaissance en France de l’histoire et de la société de Taïwan, de sa culture et de sa littérature. Une association s’efforce de compenser ce déficit : l’AFET.

Le livre de Jay Taylor devrait donc intéresser les historiens et les journalistes. Souhaitons à cet ouvrage bonne chance, en rappelant que le premier best-seller sur Formose, que certains jugent encore emblématique des idées fausses sur Taïwan, fut publié en 1705 en français (en anglais et aussi en allemand) : La description de l’île Formose en Asie fut rédigée par un jeune méridional français qui – sous le pseudonyme biblique de George Psalmanazar – se fit passer auprès de l’évêque anglican de Londres pour un Formosan kidnappé par les jésuites.

Sur le point de devenir professeur de formosan à Oxford, piloté par un pasteur batave qui l’avait recueilli sur un champ de bataille, il inventa une langue et un alphabet imaginaires, pour traduire le catéchisme protestant. Il faudra attendre ses mémoires, édités après sa mort en 1763, par Samuel Johnson, pour lire ses aveux. Ses livres sont avidement collectionnés par les amateurs des faux célèbres.

Les méchants (car j’en connais quelques-uns aussi) disent, en ricanant, que George est le saint-patron des sinologues français ayant fait carrière grâce à leur maoisme …Je ne peux résister au plaisir de montrer ci-après la divinité formosane à laquelle, selon George Psalmanazar, les Formosans sacrifiaient ; pendant que leur roi, entouré de girafes et d’éléphants, égorgeait, chaque année, quelques milliers de vierges.

Une importante précision pratique : un ouvrage de poids, comme celui de Jay Taylor, ne peut se trouver facilement dans toutes les librairies ; mais toutes les libraires peuvent sur demande le recevoir rapidement du distributeur, le Comptoir du livre. On peut également le commander auprès de l’AFET, l’association française d’études taïwanaises : diffusion@etudes-taiwanaises.fr.



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est une photographe taïwanaise installée en France.

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