Trop d’églises, pas assez de mosquées?


Trop d’églises, pas assez de mosquées?

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La récente polémique concernant la transformation d’églises en mosquées a fait couler beaucoup d’encre. Comme d’habitude, les promoteurs des mosquées ont ressorti l’argument mainte fois rebattu sur les effectifs de mosquées et d’églises en France. L’idée se veut imparable : il existerait près de 2 500 mosquées pour environ 3 millions de pratiquants (soit un ratio de 1 mosquée pour 1 200 fidèles) alors que 11 millions de catholiques pratiquants disposeraient de 40 000 églises (soit un ratio de 1 église pour 275 fidèles). S’appuyant sur cette comparaison arithmétique, chacun propose sa solution pour réparer cette injustice faite aux musulmans, les uns en soutenant la transformation d’églises en mosquées, les autres en réclamant un financement public de la construction de mosquées au mépris du principe de laïcité. Dans Libération, Laurent Joffrin estime que « la cession d’églises à l’islam serait un beau symbole de concorde et de fraternité » quand dans Le Monde Pierre Daum soutient ni plus ni moins que « transformer des églises en mosquées va dans le sens de la laïcité républicaine ». La République au service d’une religion, voilà un projet auquel même Pie X n’aurait osé croire dans ses rêves les plus fous !

Cette façon simpliste d’aborder des questions complexes nous oblige à nous interroger sur la pertinence du décompte des églises catholiques. Dans une France sécularisée, celles-ci sont abandonnées et les paroisses peinent à mobiliser les fidèles. D’ailleurs, certains édifices sont vendus à des particuliers, souvent des architectes désireux d’en faire un habitat pittoresque, ou des entrepreneurs soucieux d’en tirer un commerce lucratif. D’autres ne sont conservées que pour leur aspect architectural et leur entretien est devenu un fardeau aussi bien pour les paroisses que pour les collectivités territoriales. Toute église n’est donc pas un lieu de culte, en dépit de sa destination initiale.

Dans une démarche prétendument plus objective, les inénarrables Décodeurs du Monde rapportent le nombre de diocèses (16 550) au nombre de catholiques allant au moins une fois par mois à la messe (4 millions) et parviennent à un ratio d’1 église pour 241 fidèles. La conclusion est alors la même : il n’y a pas assez de mosquées en France. Or, la population catholique est beaucoup plus dispersée que la population musulmane, qui vit essentiellement dans des zones urbaines. Dès lors, certains diocèses n’accueillent que de rares fidèles et présentent des taux de remplissage proches de zéro. Considérer le nombre de diocèses ne permet donc pas d’appréhender la sous-utilisation des espaces de prière catholiques. Certes, il y a en France bien plus d’espaces de prière qu’il n’en faudrait pour les fidèles catholiques. Mais une surabondance de ces espaces, héritée de l’Histoire, justifie-t-elle une surproduction de mosquées ?

En fait, il est simplement absurde de comparer la situation de l’islam à celle du catholicisme et d’exiger une convergence immédiate des deux en s’exonérant de 1 500 ans d’histoire. L’Europe a connu des siècles d’intolérance religieuse. Puis la modernité a ébranlé les dogmes du christianisme et la Révolution française a organisé un processus de déchristianisation en confisquant les biens de l’Église et en fermant les yeux sur la destruction de lieux de culte, livrés à la vindicte populaire. En 1792, les membres du clergé refusant de prêter serment à la Constitution civile du clergé étaient immédiatement exilés, quand ils n’étaient pas massacrés. Il y a fort à parier que dans pareille circonstance nombre d’imams connaîtraient le même sort. Est-ce vraiment ce que souhaitent les membres de la communauté musulmane ? Faut-il, par souci d’égalité avec le catholicisme, entamer un processus de « désislamisation » ? On pourrait aussi évoquer l’anticléricalisme de la IIIe République et la laïcité de combat qui ont définitivement relégué le catholicisme à la place qu’il occupe aujourd’hui, c’est-à-dire la sphère privée, et permis la liberté de blasphémer et de caricaturer les religions. Quand allons-nous également exiger de l’islam le respect rigoureux de ce principe ? La République confère des droits mais elle impose aussi des devoirs et surtout un esprit.

En réalité, la question du déficit de mosquées est un faux problème. Alors que de nombreux élus locaux s’affairent à faciliter les constructions de mosquées, il semble urgent de s’arrêter un instant et de se poser quelques questions de fond. Est-il judicieux de bâtir des mosquées  pour une population mal assimilée et souvent mal intégrée ? Ne serait-il pas plus raisonnable de consacrer tant d’argent et d’efforts à l’éducation et à la culture, afin de donner aux enfants et petits enfants d’immigrés les clés de la réussite scolaire et sociale ? En dépit des bonnes intentions, investir dans des mosquées plutôt que dans l’éducation est un cadeau empoisonné fait aux musulmans français. Cela revient à les enfermer dans leur croyance et à leur refuser l’accès à un savoir émancipateur. Après tout, la mission de la République n’est-elle pas de former des citoyens éclairés, capables de raisonner et de dépasser les déterminismes sociaux ? Le destin d’un enfant né dans une famille musulmane n’est pas nécessairement de devenir musulman. La République doit lui donner les moyens de s’interroger sur le monde et de décider par lui-même d’épouser ou d’abandonner la religion de ses parents.

L’idée de construire des mosquées dans le but de favoriser l’intégration des musulmans repose sur une vision essentialiste, voire raciste, des religions. Or, les choix religieux, tout comme les opinions politiques ou idéologiques, constituent des options qui doivent pouvoir être interrogées par la raison, y compris par celle des croyants.

*Photo : Wikimedia Commons



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