Youtube aurait-il encore besoin de l’écrit?


Youtube aurait-il encore besoin de l’écrit?

Enjoyphoenix Marie Lopez livre Enjoymarie

Le hashtag qui enflamme Twitter et Instagram ces temps-ci n’a aucun rapport avec le nouveau nom de l’UMP, le scandale de la FIFA ou les matches de Roland-Garros, mais avec un livre.  #Enjoymarie  est le titre de l’ouvrage publié il y a deux semaines par Marie Lopez, alias EnjoyPhoenix, une lyonnaise de vingt ans devenue superstar grâce aux conseils mode et maquillage qu’elle poste chaque semaine sur sa chaîne Youtube

A elle seule, elle fédère une communauté ultra-fidèle et soudée de plus d’un million d’abonnés, pour la grande majorité des adolescentes de 11 à 15 ans. Grâce à sa notoriété aussi fulgurante qu’inattendue, on la voit désormais à Cannes aux côtés de l’égérie de L’Oréal Eva Longoria, aux Etats-Unis pour faire la promotion de grandes marques de cosmétiques, et même récemment placardée dans le métro parisien lors d’une grande campagne d’affichage destinée à promouvoir les jeunes talents de la plateforme de vidéos qui a fêté ses dix ans ce mois-ci. Bref, on est très loin de la littérature. Marie Lopez, à l’instar de ses consœurs américaines et britanniques Bethany Mota ou Zoe Zugg, évolue dans un monde de paillettes et d’apparences.

Pourtant, c’est avec des trémolos dans la voix qu’elle a annoncé il y a peu à ses fans la parution prochaine d’un livre-témoignage sur son adolescence, truffé de conseils pour se sentir mieux dans sa peau « avec un appareil dentaire, des cheveux gras ou de l’acné ». Tout un programme.

Le plus étonnant n’est pas qu’une jeune femme douée pour la communication se lance dans cette aventure en surfant sur son succès auprès de ses petites sœurs. Non, c’est plutôt qu’une fois l’annonce postée sur les réseaux sociaux, une frange de la communauté encline à la critique l’a aussitôt accusée de « copier » d’autres Youtubeuses, de céder à un « effet de mode ». Un effet de mode, écrire un livre ? Vraiment ? Il faut croire que oui. Zoe Zugg, en particulier, est l’auteur d’un roman qui bat des records de vente au Royaume-Uni. Le livre de Marie Lopez, édité par Anne Carrière à 100 000 exemplaires, vient d’être tiré à nouveau à 80 000, et son auteur effectue actuellement une tournée de signatures rassemblant à chaque fois plusieurs milliers de lecteurs et lectrices.

Lorsqu’on s’aventure à lire les commentaires à l’orthographe hautement fantaisiste de ces jeunes personnes au sujet de l’objet qu’elles se sont fait offrir par leurs parents, il saute aux yeux que c’est sans doute là le premier et peut-être le dernier livre qu’elles dévoreront passionnément du début à la fin. Et on comprend vite pourquoi. Le style est oral et maladroit, le contenu fade, plein de bons sentiments, et n’intéressera effectivement que son cœur de cible, les adolescentes complexées.

Mais est-ce là le problème ? Les fans de Marie Lopez boivent ses paroles positives, sages, destinées à leur donner confiance en elles – et à surconsommer, naturellement. Comme l’ont été les héroïnes Disney aux Etats-Unis ou les chanteuses pour lolitas telles que Lorie ou Jenifer en France, Marie est un modèle que les parents approuvent, qui encourage les collégiennes à s’organiser pour les examens, à ne pas se maquiller outre mesure et à s’entourer de leur famille. Cerise sur le gâteau, grâce à elle et/ou à ses collègues, elles se mettent à lire.

Les Inrocks se sont fendus d’un « best of » moqueur un peu facile bien qu’édifiant, mais lire de la soupe est-il pire que ne rien lire du tout ? Des voix s’élèvent un peu partout sur la toile pour dénoncer la « facilité » avec laquelle Marie Lopez a accédé à l’édition alors que « certains rament toute une vie pour ça » ; mais mettre massivement un livre entre les mains d’ados qui ne jurent que par les écrans est-il vraiment regrettable ? Peut-on désapprouver qu’en 2015, être l’auteur d’un livre (du moins sur sa couverture) soit porteur d’une charge symbolique aussi forte pour des post-ados nées avec Internet ?

A ce stade du désamour de la jeunesse pour la littérature et le papier, est-il bien raisonnable de cracher dans la soupe populaire ? De l’argent pour les maisons d’édition qui en manquent cruellement, un modèle adoubé par les parents pour des millions de jeunes filles, un livre de deux cent pages écrit dans un français correct, voilà le bilan de l’opération. Mais la réaction aura sans doute besoin de pinailler sur les détails.

#Enjoymarie de Marie Lopez (Anne Carrière)

#EnjoyMarie

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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