Paris, Copenhague, Tunis… et c’est pas fini!


Paris, Copenhague, Tunis… et c’est pas fini!

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Coup plus génial que le massacre de Tunis, on ne connaît pas. Vous sacrifiez deux hommes, vous foutez un pays par terre. Vous ruinez le tourisme, les investissements. Vous multipliez le chômage. Vous recrutez une flopée de nouveaux kamikazes. Et vous ouvrez la voie à une interminable spirale de boums badaboums. Prochaine sortie : le califat. Du cousu main. Bravo l’artiste !

Vous auriez mis les plus futés experts en terrorisme sur le coup pour choisir une cible à la place du bureau politique de Daech, aucun d’eux n’aurait eu une idée aussi futée que le musée du Bardo, un mercredi midi.

Tous les mercredis, les croisières font escale à Tunis. Quelques centaines de touristes en profitent pour faire un tour à Sidi Bou Saïd, dans les souks et au musée du Bardo, pour contempler la plus belle collection de mosaïques romaines in the world (les premières déterrées sous la colonisation, par des Français). Les commerçants endimanchent leurs boutiques dans l’espoir de récolter quelques dinars. Visite du musée, incontournable. À deux pas, le Parlement tient séance. Coup double. Les députés s’affolent, on bousille 20 touristes, nos deux martyrs filent direction les 72 vierges, pas une de moins, dans une éternité de pédophilie assurée. Et le tour est joué.[access capability= »lire_inedits »]

Écartons-nous un instant de la stratégie globale pour décrire le plaisir qui leur est réservé là-haut. Le Coran ne précise pas le nombre de vierges, appelées « houris ». Selon les versets 12 à 39 de la sourate 56 : « Ils habiteront le jardin des délices/ Se reposant sur des sièges ornés d’or et de pierreries,/ Accoudés à leur aise et se regardant face à face./ Ils seront servis par des enfants doués d’une jeunesse éternelle,/ Qui leur présenteront des gobelets, des aiguières et des coupes, remplis de vin exquis./ Sa vapeur ne leur montera pas à la tête et n’obscurcira pas leur raison./ Ils auront à souhait les fruits qu’ils désireront,/ Et la chair des oiseaux les plus rares./ Près d’eux seront les houris aux beaux yeux noirs, pareilles aux perles dans leur nacre./ Telle sera la récompense de leurs œuvres./ Nous créâmes des vierges du paradis par une création à part./ Nous avons conservé leur virginité./ Chéries de leurs époux et d’un âge égal au leur,/ Elles seront destinées aux hommes de la droite. » [Traduction de Kasimirski, GF Flammarion, 1970].

D’autres commentateurs coraniques, dont Ibn Kathir (mort en 1373), fournissent plus de détails. « La plus petite récompense qui attend ceux qui ont droit au royaume des cieux est une résidence où se trouvent 80 000 serviteurs et 72 épouses, sur laquelle s’élève un dôme décoré de perles, d’aigues-marines et de rubis, aussi vaste que s’il s’étendait d’Al Jabiyah[1. Banlieue de Damas.] à Sanaa[2. Capitale du Yémen.]. »

Al-Suyuti (mort en 1505) laisse entrevoir une sensualité prometteuse. Selon lui, « à chaque fois qu’un homme touche une houri, il la trouve vierge. Le pénis des élus ne faiblit jamais ; l’érection est éternelle. La sensation ressentie en faisant l’amour est à chaque fois absolument délicieuse et extraordinaire, et quiconque la ressentirait en ce monde s’évanouirait. Chaque élu épousera 70 houris, en plus des femmes qu’il a épousées en ce monde, et elles auront toutes des vagins appétissants. » An offer you can’t refuse.

On s’abuserait si on en déduisait que les djihadistes ne sont mus que par leur ça. L’exaltation du sacrifice pour une cause transcendantale suffit largement à faire affluer la jeunesse désœuvrée ou parfaitement intégrée dans la société. Le mécanisme est bien huilé. Seuls les vieux staliniens de retour sont à même de le reconstituer fidèlement.

Promenez-vous dans une ville arabe. Vous aurez de fortes chances de croiser un jeune homme tenant un livre à la main. Neuf fois sur dix, c’est un ouvrage religieux. Pas le Coran. Ce peut être, c’est souvent, Fi Zilal al Quran (« À l’ombre du Coran »), du philosophe-agitateur égyptien, Sayyid Qutb, pendu en 1966 par Nasser. Une sorte de Manifeste du Parti communiste de 1848. En quelques dizaines de pages, Marx et Engels démontraient aux jeunes gens que leur monde était invivable, qu’il fallait consacrer sa vie à la destruction de la société injuste et à l’édification d’une société de justice. Une autre brochure d’Engels, La Violence dans l’histoire, démontrait qu’on ne progressait qu’en trucidant les ennemis. Sayyid Qutb et ses pareils ne procèdent pas autrement. La lecture du texte vous bouleverse. Vous comprenez enfin que vous êtes cernés par l’ignorance des mécréants. Que l’islam traditionnel ainsi que l’Occident sont à exterminer au plus vite sous l’autorité du calife. Vous avez identifié les méchants et les bons. Vous savez ce que vous avez à faire. Vous brûlez du désir de sacrifier votre existence éphémère qui ne pèse rien à côté du bonheur offert à l’humanité de demain.

Et, désormais, vous avez réponse à toutes les objections : ce ne sont que propagande guerrière des méchants. On peut vous raconter n’importe quoi de raisonnable, d’émouvant, d’irréfutable, vous n’entendrez rien. Vous savez. Les autres sont dans l’obscurité de l’ignorance. L’utopie islamiste non moins que la communiste instaurera la justice, la félicité et le bien-être universels. Une justice infiniment supérieure à la justice humaine de Staline (25 millions de victimes). Cette fois, c’est la justice divine. Perfection garantie pour l’éternité.

En se proclamant calife, le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi a changé la donne. Désormais, Mahomet est représenté par son successeur sur terre. C’est à lui qu’il faut se soumettre. Il détient la parole divine. Qui n’obéit pas s’insurge contre le Dieu tout puissant. L’une après l’autre, les organisations islamistes de tous les continents s’inclinent devant le nouveau calife envoyé par le ciel.

À l’échelle de Baghdadi, Ben Laden est un enfant de chœur. Le terrorisme d’aujourd’hui est le premier à correspondre précisément à l’étymologie du mot. Une seule stratégie : l’effroi, l’horreur, l’épouvante. Massacrez-les en masse, les survivants se coucheront. Qu’ont-ils de sacré ? La Joconde ? Éventrez-la. Les bébés ? Brisez-leur le crâne. Leurs récoltes ? Incendiez-les. Nous n’avons peur de rien, nous avons déjà tout sacrifié. Eux, non. Ils plieront. Nous étendrons notre empire d’un pôle à l’autre, et la justice de Dieu régnera enfin parmi les hommes.

Le califat a déjà établi son autorité impitoyable sur trois territoires : au Nigéria, au Sahara, au Levant. Avec lui, le chaos prend fin, le peuple file droit, un État de type nouveau s’instaure. L’Occident, les laïcs musulmans sont contre, et alors ? Le califat grignote et nul n’égale sa détermination.

L’histoire offre plus d’un précédent. Parties de zéro, les dynasties Almoravides, Almohades, Fatimides ont édifié des empires. Au xe siècle, juché sur son bourricot, Abou Yazid a fait trembler l’Orient. On l’appelait « l’homme à l’âne ». Dans l’islam, cette musique, on la connaît par cœur.

Ben Laden était un artisan des souks, Baghdadi est un entrepreneur 2.0. Il est entouré de généraux chevronnés, d’ingénieurs, d’agrégés. Il ne le cache pas : la moitié de ses divisions sont vouées à la communication. Une guerre d’images. Ainsi il terrorisera. Ainsi il recrutera. Le camp adverse tremble, les nôtres se multiplient. Économie de moyens. Face aux porte-avions, il immole deux hommes à Paris, deux autres à Tunis, avec des bénéfices inespérés en termes de com. Tout est dans le choix des cibles et dans la manière de les traiter. Vous auriez pensé à Charlie vous ? Pas moi. Regardez la couverture média. Publicis n’aurait pas mieux fait. Des génies, je vous dis, des génies. Pendant ce temps, notre aviation, à grands frais, bombarde à l’aveuglette. Les Américains, les Britanniques, les Saoudiens tâtonnent. Une guerre asymétrique. En intelligence. On est nuls. Ils sont trop forts.

Le califat vient à peine de naître. Il se donne bien trente, cinquante ans pour arriver à ses fins. Bonne année.[/access]

*Photo : AP/SIPA. AP21711534_000001.

Avril 2015 #23

Article extrait du Magazine Causeur



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Guy Sitbon, ex-journaliste au Nouvel Obs, est chroniqueur à Marianne.

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