Dans une France qui s’archipélise, l’apparition d’une horde de pèlerins néo-chrétienne sur les réseaux sociaux est réjouissante. Mais elle a aussi de mauvais côtés.
Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, le constat est là : la religion semble sortie de la sphère privée et du domaine de l’intime. La mode est à la foi qu’on revendique et qu’on affiche, de manière ostensible voire ostentatoire, en particulier chez les jeunes générations. Le catholicisme ne fait pas exception : c’est ce que j’ai découvert récemment, au fil de mon parcours de catéchumène débuté il y a 16 mois. Déjà en hausse de + 30% en 2024 et de + 45% en 2025, le nombre d’adultes demandant le baptême catholique ne cesse d’augmenter en France. En Belgique, le chiffre a même triplé en dix ans. Parmi ces aspirants catholiques, la part des 18-25 ans affiche une croissance particulièrement spectaculaire, dépassant aujourd’hui celle des 26-40 ans qui représentait jusqu’ici le cœur de cible historique du catéchuménat.
Besoin d’appartenance
Durant ces deux années de préparation au baptême, les catéchumènes d’une même paroisse sont invités à se regrouper lors de journées de rites et de partage. Du haut de mes 37 ans, je me suis vite sentie doyenne de ce groupe constitué en majorité d’étudiants et de jeunes actifs, particulièrement exaltés. Considérant l’excessivité en toute chose comme l’apanage de la jeunesse, je ne me suis d’abord offusquée ni de leur désir commun d’une pratique religieuse plus stricte, ni de leur volonté d’afficher et d’assumer leur religion, qui parfois frôle le prosélytisme. La discrétion ne semble clairement plus être un critère déterminant lorsqu’il s’agit de choisir une croix ou une médaille de baptême. Dans la note de présentation des chiffres du catéchuménat 2025[1], le père Jean-Baptiste Siboulet, du diocèse de Nantes, constate ainsi le nombre croissant de jeunes gens désireux de « faire le Carême ». Il insiste également sur leur « besoin d’appartenance à un groupe ».
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Leurs histoires personnelles se ressemblent : le premier contact avec la foi catholique n’a souvent pas lieu au sein de la cellule familiale ou amicale mais sur les réseaux sociaux par le biais d’influenceurs, qu’ils ne cessent de m’exhorter à suivre. Je découvre ainsi sur Instagram et TikTok un nombre impressionnant d’influenceurs catholiques, majoritairement de moins de 30 ans, essentiellement masculins, parfois prêtres consacrés, mais le plus souvent simples croyants. Ces jeunes hommes, suivis pas des communautés de plusieurs dizaines de milliers de personnes, exposent leur foi, leur quotidien de jeunes chrétiens, commentent l’actualité mais, de manière plus surprenante, prodiguent des conseils de musculation et de morale. Beaucoup se fantasment missionnaires et entendent vulgariser et propager la parole de Jésus-Christ, en alternant paroles d’Amour universel et vocabulaire guerrier sur fond de culturisme.
Un phénomène qui n’est plus marginal
Comment l’Église catholique réagit-elle à ce phénomène qu’elle ne peut ignorer ? Les 28 et 29 juillet dernier se tenait la première édition du jubilé des « missionnaires digitaux » organisé par le pape Léon XIV, durant lequel celui-ci a appelé les créateurs de contenu à « nourrir d’espérance chrétienne les réseaux sociaux ». Les influenceurs catholiques les plus suivis en Europe sont d’ailleurs des prêtres italiens. Parmi ceux-ci, Giuseppe Fusari, prêtre influenceur aux 66 000 abonnés, surnommé « le prêtre culturiste », n’hésite pas à mettre en avant ses biceps volumineux et tatoués dans ses vidéos. Le curé Don Cosimo Schena, belle gueule et physique de mannequin, est suivi quant à lui par 480 000 personnes. Nous sommes loin de la caricature du curé replet et dégarni façon Don Camillo ou du chrétien souffreteux des romans de Bernanos. Clairement, l’esprit ne semble pas dominer ou, plutôt, la domination de l’esprit semble indissociable de celle du corps.



Sans le savoir, ces néo-chrétiens renouent avec un mouvement religieux né en Angleterre au milieu du xixe siècle appelé « Muscular Christianity », ou « Christianisme musclé », défini par Charles Kingsley, chanoine anglican, comme l’association de la force physique et de la certitude religieuse[2]. La participation à un sport permet d’acquérir et d’assimiler la morale chrétienne, tout en définissant la virilité. Il est intéressant de constater que l’émergence du christianisme musclé a lieu pendant des périodes d’instabilité politique dans le monde anglo-saxon. Ainsi, Thomas Arnold, directeur d’un collège universitaire, théorise à l’époque ce mouvement en expliquant chercher à forger chez les jeunes gens le caractère « dur, moral et chrétien dont ont besoin les futurs dirigeants de la Grande-Bretagne ». Il est question de foi, de devoir patriotique, de discipline, de virilité mais également de beauté morale et physique via des pratiques athlétiques.
Répondre à l’expansionnisme islamique
Sur les réseaux sociaux en 2025, si la question de la morale religieuse est toujours d’actualité, d’autres grandes thématiques peinent à trouver écho dans le cœur des néo-catholiques, en particulier celle du Pardon que ceux-ci associent aisément à de la faiblesse. Il n’est pas plus question de pardonner que de tendre l’autre joue, mais bien de défendre une culture chrétienne française sur fond de patriotisme exacerbé. L’influenceur catho.costaud, simple laïc aux 20 000 followers, nous parle de l’époque des Croisades et enchaîne les prêches : « Nous sommes la lumière, par la Sainte Vierge, par le chapelet, par la prière […] La France ne renaîtra par dans les urnes mais dans les églises ». La défense du patrimoine culturel français, matériel ou immatériel, est un thème récurrent de ces publications. Dans une France qu’ils considèrent en danger, ces jeunes gens ressentent un réel besoin de répondre à l’expansionnisme islamique par un communautarisme chrétien. Dans cette quête identitaire face à un danger ressenti comme existentiel, certains vont jusqu’à se proclamer royalistes et questionnent la séparation de l’Église et de l’État ou la loi de 1905 sur la laïcité.
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Quel mal pourrait-il y avoir à ce que des jeunes gens en quête de discipline et de sens remplissent à nouveau nos églises, les défendent, exhibent chapelets, bérets et bretelles, fassent de la musculation ou encore se passionnent pour l’histoire de France ? Il m’a fallu plusieurs échanges avec ces jeunes catéchumènes et néo-catholiques pour comprendre ce qui me chiffonnait dans toute cette exaltation patriotique et religieuse. Ce mouvement, essentiellement porté par des jeunes hommes, se teinte aisément de sexisme, voire de masculinisme. L’avortement y est décrié, la « reconquête » de la France devant également se faire par la natalité. Si la moralité des jeunes hommes transparait dans leur musculature et leur force physique, c’est sur le terrain de la vertu que les femmes sont attendues, même si leur apparence se doit également d’être soignée. La figure traditionnelle de la femme, douce, maternelle, élégante et patriote, est ainsi glorifiée. L’historien George L. Mosse, dans son ouvrage sur la construction de la virilité[3] exposait ainsi que « l’homme, pour prendre conscience de sa virilité, a besoin de la femme, à condition que celle-ci reste vraiment féminine ». Exclues de ce néo-christianisme musclé, les femmes n’en sont pas moins présentes sur les réseaux. Tandis que de nombreux internautes les qualifient en commentaire de « bonnes à marier », le compte Instagram lesfranceries, sur fond de chanson de Charles Aznavour, détaille ainsi la journée dominicale telle qu’elle devrait se dérouler partout en France : messe, balade, chasse, sieste et poulet rôti. Et devinez qui doit préparer ce dernier dans la douce chaleur du foyer ? En ce qui me concerne, je ne m’attendais clairement pas, en retrouvant le chemin de l’église, à ce qu’on me désigne celui du foyer et de la cuisine.
[1] Dossier de presse de l’enquête « Catéchuménat 2025 » : https://eglise.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/2/2025/04/Catechumenes_2025_chiffres_Dossier-de-presse-2.pdf
[2] Donald E. Hall, « Muscular Christianity » : Reading and Writing the Male Social Body, Cambridge University Press 1994.
[3] George L. Mosse « L’image de l’homme – L’invention de la virilité moderne » – Editions Abbeville 1997
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