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Lecornu: gouverner, c’est tergiverser

Le billet politique de Philippe Bilger


Lecornu: gouverner, c’est tergiverser
M. Lecornu devant l'hotel de Matignon lors de la passation de pouvoirs avec M. Bayrou, 10 septembre 2025, Paris © J.E.E/SIPA

Nos politiques toujours au bord de l’action. Nommé à Matignon depuis 23 jours, le Premier ministre n’a pas encore formé son gouvernement…


On dirait que la politique n’est plus qu’un discours de la méthode, un art du dialogue, une aptitude au compromis, une sainte horreur de l’autorité et une peur panique de la décision.

Les responsables politiques, les Premiers ministres successifs, semblent de plus en plus demeurer au bord de l’action. Comme s’ils hésitaient à sortir du flou et à entrer dans le dur, comme s’ils répugnaient à quitter les virtualités et les espérances pour s’engager sur le terrain des choix – donc des exclusions – et des actes.

François Bayrou comme Sébastien Lecornu ne sauraient être considérés comme des personnalités médiocres, bien au contraire. Ils n’ont pas eu le même parcours, ne se ressemblent pas et leur psychologie n’est pas la même.

Pourtant, à les écouter et à les lire, je ne peux m’empêcher de les trouver fidèles à une même conception de la politique d’aujourd’hui : on retarde plutôt qu’on avance, on tente d’inconcevables ententes au lieu de débroussailler avec vigueur le maquis du réel, quitte à faire mal, à faire de la peine à certaines causes et à en privilégier clairement d’autres. On ne peut plus, en politique, piétiner en attendant le moment favorable : il ne viendra pas, il ne viendra plus.

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L’entretien éclairant qu’a donné le Premier ministre au Parisien était très révélateur de cet état d’esprit actuel. S’il contenait quelques pépites de refus sans équivoque et d’orientations assurées, l’essentiel tenait cependant à une maîtrise subtile du non-dit, de l’implicite délicat et de l’explicite prudent. Comme si l’on avait tellement vanté la technique supérieure du Premier ministre pour les arrangements, qu’il ne parvenait plus à s’en détacher ou qu’il pressentait le risque imminent s’il osait s’aventurer dans l’audace.

J’entends bien que, depuis la réélection du président de la République, et plus encore depuis la dissolution, des contraintes impérieuses, notamment parlementaires, pèsent sur la vie gouvernementale et la démocratie au quotidien.

Sans doute, aussi, cette focalisation sur la forme est-elle la conséquence d’un fond de la politique devenu de plus en plus insaisissable, parfois presque illisible et opaque.

Il n’empêche qu’au-delà de cette conjoncture éprouvante, un mouvement profond semble se dessiner : les responsables politiques, les titulaires du pouvoir, semblent préférer demeurer au bord de l’action plutôt que d’entreprendre avec courage et résolution. Le souci du dialogue donne bonne conscience pour ne rien accomplir. Le délai de réflexion masque l’impuissance et fait croire qu’on domine l’avenir, alors qu’on a peur de lui.

Il faudra que la politique, demain, de droite comme de gauche, réapprenne cette vigoureuse et exaltante qualité : accepter de décider, savoir trancher.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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