Monsieur Nostalgie poursuit sa galerie de portraits d’écrivains hors des guildes. Il s’arrête aujourd’hui sur Arnaud Le Guern, pré-quinqua d’origine bretonne, éditeur et romancier, qui rend la mélancolie de la fin des étés enfin supportable…
Je suis un homme de tradition. Je suis sensible aux bornes temporelles. C’est pourquoi, comme jadis Alexandre Vialatte ou Jules Renard, les almanachs rythment mes saisons. Il y a plusieurs sortes d’écrivains pour chaque météo du temps présent, les plumes d’hiver molletonnées, duveteuses, presque spongieuses, on s’engouffre dans leur livre aux premiers flocons, on recouvre nos nuits de leur épaisse couette d’oie sauvage, on part pour longtemps en leur compagnie, on traversera l’Atlantique ou le Pôle Nord dans leur silence et leur lenteur ; au printemps, je préfère plutôt les essais acides, les accélérations nerveuses, les novellas mal foutues sur le fond et aguicheuses sur la forme, les déclarations éphémères, ces souvenirs de godelureaux comprimés en une centaine de pages, quand tout renaît dans la nature, quand tout bat plus vite, je veux sentir la gifle du renouveau, une mauvaise foi rieuse ou un amour tempétueux, je veux que ces auteurs-là me sortent de l’hibernation. Et puis, plus rare, plus délicat, plus snob aussi, ne supportant pas les fortes chaleurs ou les froidures intenses, il y a l’écrivain de la fin de l’été. Quand les garçons de plage plient les transats, quand les amoureux se quittent sur un non-dit et que les flirts laissent ces petites meurtrissures qui sont nos palmes académiques de la rentrée. Durant le mois de septembre, dans la cour du lycée ou dans les cafés embués, on les porte en étendard et puis on les oublie car ainsi va la vie.
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Arnaud Le Guern, encore dans la quarantaine rugissante, la barbe fleurie et le cheveu en pétard, éternel visage d’étudiant qui aurait beaucoup vécu, fait partie de ces hommes en proie à une mélancolie abrasive. Des fantômes dansent dans son regard, je les ai vus. Il travaille sur le fil, en apnée douce, sur de la matière friable, il écrit à l’unilatéral, cuisson rapide et chair à vif, c’est terriblement casse-gueule de ne pas tirer à la ligne, de refuser les longs tunnels de la narration, tant d’autres romanciers bavards se laissent emporter par leur prose brouillonne ; Le Guern, en phrases perlantes, attentif à la mélodie du ruissellement, tente de retenir le suc de l’existence. Il foule les sous-ensembles flous avec une pudeur élitiste et nous parle de ses chagrins en bandoulière, c’est encore le meilleur moyen de passer le temps.
Cette année encore, j’attendrai son roman de fin août où les filles aux longues jambes cherchent l’amour défendu et les enfants tristes se consolent à l’ombre des pins parasols. Car Arnaud Le Guern a quelque peu délaissé le roman d’atmosphère pour se consacrer à sa carrière d’éditeur notamment au Rocher. Il fait aujourd’hui briller les mots des autres mais je n’oublierai pas ses bouteilles à la mer. Il nous les lançait avec autant de désinvolture que d’amour propre. Il n’avait pas peur de ses sentiments ; avec lui, je visitais la pointe du Finistère, les lacs de Savoie, le souffle au cœur et les corps moites. J’espère qu’il reviendra en librairie car mes étés n’ont plus le même éclat ébréché, la même lumière poudrée. Il était ce copain d’école, mystérieux et rêveur, qui avait choisi les mots dans un monde perclus de chiffres.
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Avant, je savais que les vacances scolaires étaient encadrées par deux faits majeurs, la percée de la Patrouille de France au-dessus de Paris lors des cérémonies du 14 juillet et la lecture d’un court roman d’Arnaud, après le 15 août. Je me souviens de son Adieu aux espadrilles qui figura sur les listes de Prix, l’un des plus beaux titres de ces vingt dernières années et d’Une Jeunesse en fuite. J’attendais ses textes qui nous sortaient d’une littérature linéaire. Ils manquent à mes rêveries d’automne. Le Guern a la nostalgie des choses non vécues, ce qui nous fait un point commun, on fantasme, on extrapole, on presse le passé pour ne pas l’oublier. Le Guern aime les séducteurs en équilibre très instable, il a écrit sur Roger Vadim, Jean-Edern Hallier et Paul Gégauff, sur les chanteurs de variété et les femmes fatales. Il aime les figures étranges et iconoclastes ce qui est le plus sûr moyen de devenir un écrivain classique. De loin en loin, il suit les traces de Toulet. Et j’attends sa prochaine carte postale à la manière de Levet.
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