Le bras de fer diplomatique se poursuit ! Condamné à cinq ans de prison, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal n’a pas bénéficié d’une grâce présidentielle à l’occasion du 63e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Le régime préfère le maintenir dans l’ombre, loin des micros et des tribunes, et voici pourquoi.
Boualem Sansal n’a jamais versé une goutte de sang. Il n’a jamais levé la main sur personne. Pourtant, il est censuré, banni, effacé de l’espace public algérien. Pendant ce temps, les islamistes qui ont semé la terreur dans les années 1990 ont été amnistiés, réintégrés, parfois même promus. Ce paradoxe glaçant révèle la vérité d’un régime qui pardonne les armes mais redoute les idées. Car la plume libre, lorsqu’elle nomme les mensonges, devient un acte de rébellion. Et Sansal, lui, ne tremble pas.
Le paradoxe d’un régime : amnistier les tueurs, embastiller l’écrivain
Entre 1991 et 2002, l’Algérie a connu l’un des conflits civils les plus sanglants de son histoire moderne. Une guerre fratricide opposant un pouvoir militaire autoritaire à des groupes islamistes radicalisés, dont les plus violents, comme le GIA, ont massacré sans distinction : enfants, femmes, intellectuels, journalistes. Le tout sur fond de terreur religieuse et de haine anti-occidentale.
L’État algérien, incapable de se réformer ou de convaincre, a répondu par une répression aveugle, multipliant les disparitions forcées, les exécutions sommaires, les tortures. Le bilan humain se chiffre entre 150 000 et 250 000 morts. Plus de morts en 10 ans que le conflit israélo palestinien en 77 ans !
Et pourtant, à partir de 1999, le régime choisit d’offrir une amnistie quasi générale aux islamistes. En échange du silence et de l’allégeance, on leur pardonne. La concorde passe avant la justice. On efface les crimes pour préserver la paix sociale.
Mais dans ce même pays, Boualem Sansal, écrivain, laïc, francophone, ancien haut fonctionnaire, est effacé. Non pas pour avoir combattu le régime les armes à la main. Mais pour avoir combattu les mythes. Pour avoir pensé autrement. Pour avoir écrit.
Ce que Sansal dit — et que le régime ne supporte pas
Boualem Sansal ne brandit pas le Coran, ne crie pas « Allahou akbar », ne réclame pas la charia. Il brandit des livres, cite Nietzsche, relit Camus, et appelle à une Algérie rationnelle, post-religieuse, débarrassée de ses fantasmes héroïques.
Son crime ? Avoir osé écrire que l’Algérie ne s’est jamais guérie de ses démons.
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Qu’elle vit sous le joug d’un régime double : un pouvoir autoritaire militaire maquillé en république populaire, et une religion d’État infiltrée dans chaque sphère sociale.
Sansal n’attaque pas l’Algérie. Il refuse simplement de l’aimer les yeux fermés.
Et cela, pour le FLN, c’est inacceptable.
FLN et islamistes : ennemis apparents, frères idéologiques
Ce que Sansal dévoile, c’est la collusion tacite entre le pouvoir en place et les islamistes.
Car malgré leurs oppositions sanglantes, ils partagent un socle profond :
• une haine structurelle de la France, transformée en pilier identitaire ;
• un rejet viscéral de la modernité occidentale, perçue comme corruptrice ;
• et une vision collective, sacralisée, de l’histoire, où l’individu n’a pas sa place.
Le FLN a bâti l’identité algérienne sur l’antagonisme fondamental avec la France, devenue l’ennemi ontologique. Les islamistes, eux, poursuivent ce rejet en l’élargissant à tout l’Occident, vu comme dépravé et impie.
Ils ne sont pas des ennemis naturels. Ils sont des concurrents sur un même terrain : celui du monopole de la vérité sacrée. L’un au nom de la révolution islamique, l’autre au nom de Dieu. Mais tous deux hostiles à l’esprit critique.
Ce que le régime redoute vraiment : un homme seul qui pense librement
En vérité, le régime n’a pas peur des armes. Il sait les gérer, les acheter, les retourner. Ce qu’il redoute, c’est une voix libre. Une voix qui ne pactise pas. Une voix comme celle de Boualem Sansal. Car il est seul, et il parle quand tous se taisent.
Il ne déchaîne pas la violence : il déchaîne la pensée. Il n’incarne pas l’opposition : il incarne la possibilité d’une autre Algérie. Une Algérie qui ne serait plus définie par son ressentiment, mais par sa lucidité. Une Algérie qui regarderait son passé sans filtre, ses élites sans complaisance, et ses dogmes sans peur.
Le vrai blasphème : dire la vérité
Sansal est un homme dangereux, oui. Mais dangereux pour l’oubli, pour les tabous, pour les équilibres mensongers.
Il n’a jamais versé de sang — et c’est précisément pour cela qu’il est irrécupérable. Car il ne demande pas à se faire pardonner. Il demande à comprendre. À dire. À nommer. Et dans un pays qui a accordé l’amnistie aux tueurs, c’est encore plus impardonnable.
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