«Il faut pousser au départ ceux qui nous empoisonnent la vie»


«Il faut pousser au départ ceux qui nous empoisonnent la vie»

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Aymeric Chauprade est député européen FN et conseiller aux affaires internationales de Marine Le Pen.

Propos recueillis par Élisabeth Lévy et Gil Mihaely

Causeur. Ne tournons pas autour du pot : vous traînez une réputation d’antisémite et/ou d’admirateur des dictateurs arabes. Et voilà que, le 11 août, vous avez publié sur votre site realpolitik.tv un texte intitulé « La France face à la question islamique : les choix crédibles pour un avenir français », dans lequel vous prenez parti pour Israël contre le Hamas et dénoncez l’antisémitisme en France. Ce texte très commenté dans votre parti a été interprété comme une rupture doctrinale et politique. Expliquez-vous.

Aymeric Chauprade. Rien, ni dans mes écrits ni dans ma vie personnelle, ne permet d’affirmer à quiconque que je puisse être antisémite, ni aujourd’hui, ni hier. La publication de ce texte ne change pas ce que j’ai été et ce que je suis, je veux dire un amoureux de la France qui n’a de haine pour personne. Par ailleurs, je n’ai jamais fait preuve non plus de complaisance à l’égard de régimes totalitaires. Être réaliste et discuter avec des régimes autoritaires ne signifie pas que l’on en soit partisan ! En 2009, j’ai publié un atlas de géopolitique dont un chapitre était consacré aux attentats du 11 septembre 2001 comme point de départ d’une nouvelle géopolitique mondiale. Une polémique est née de cet ouvrage qui a donné prétexte à mon éviction brutale par le ministre de la Défense de l’époque de mon poste d’enseignant à l’École de guerre. En réalité, j’exposais les thèses alternatives à la thèse officielle des autorités américaines dans le but de montrer que le choc des civilisations commence par un choc des représentations et des narrations.

À vrai dire, le complotisme ne nous est pas plus sympathique quand il n’est pas antisémite. Quelles sont les « théories alternatives » auxquelles vous vous référez ?

J’ai beaucoup travaillé sur le rôle de ce l’on appelle les « États profonds », et qui n’a rien à voir avec le complotisme. Il s’agit des jeux occultes menés par certaines parties du renseignement et de l’armée qui échappent à l’autorité supérieure de l’État. C’est aussi vrai aux États-Unis qu’en Algérie ou en Arabie saoudite ! Je n’ai jamais rien affirmé. Un scientifique n’affirme qu’avec des preuves. J’ai simplement constaté ce qu’une multitude d’analystes crédibles ont affirmé aux États-Unis et dans de nombreux pays d’Europe. D’une part la faiblesse de la version officielle des attentats du 11-Septembre donnée par les autorités américaines, d’autre part le jeu trouble joué par une partie du renseignement américain avec le renseignement saoudien depuis des décennies, et ce bien avant le 11-Septembre. A-t-on le droit de se poser ces questions en France ?[access capability= »lire_inedits »] Quant à la raison réelle de mon éviction, elle est simple : j’étais en désaccord avec le Livre blanc de l’époque et la politique atlantiste de rapprochement avec l’OTAN poursuivie par M. Sarkozy ; cette polémique a servi de prétexte à la décision du ministre, laquelle fut d’ailleurs annulée par le tribunal administratif.

À ce moment-là, vous déclariez : « Ceux qui m’attaquent et veulent me faire taire tiennent à ce que la bombe nucléaire au Moyen-Orient reste une exclusivité israélienne, ils ne jurent que par cela. Après avoir placé des va-t-en-guerre à tous les postes-clés du gouvernement, ils s’emploient maintenant à épurer les autres institutions (médias, armée, etc.) de tous les éléments dérangeants, de tous les esprits critiques, afin d’être prêts à l’éventualité de cette guerre. Ma mise à l’écart doit se comprendre dans ce contexte. » Avouez que cela résonne un peu comme du Soral… 

J’ai toujours cru, et je crois encore, à une ligne axée sur l’indépendance de la France en matière de politique étrangère. Et j’ai toujours considéré que suivre les politiques américaines de diabolisation de l’Iran et de la Syrie était une erreur qui ne mènerait à rien d’autre qu’à renforcer la première de toutes les menaces : le fondamentalisme sunnite. Ce n’est pas pour rien que l’on me classe dans la catégorie des néoréalistes et que le site que j’ai fondé il y a cinq ans s’appelle « realpolitik » ! Je suis le contraire d’un idéologue.

Par ailleurs, j’ai une histoire personnelle avec le monde arabe. Il se trouve que j’ai été marié à une libanaise sunnite très occidentalisée, appartenant à cette génération de musulmanes du centre-ville de Beyrouth qui se promenaient en jupe et sans voile. À l’époque, j’avais une sensibilité particulière pour la cause palestinienne, car je ne connaissais pas Israël. En vieillissant, j’ai découvert la mauvaise foi d’un certain nombre de militants de la cause palestinienne qui sont davantage attachés à l’éradication d’Israël qu’à la création d’un État palestinien. Ma position actuelle est équilibrée : Israël n’aura la paix que s’il arrive à trouver une solution viable pour les Palestiniens. Je ne fais pas partie du « camp de la morale », car ce n’est pas aux Français de dire à Israël ce qu’il doit faire avec les Palestiniens.

Quoi qu’il en soit, vous soulignez qu’il ne faut pas se tromper d’ennemi. « À moins donc qu’il ne soit gouverné par un antisémitisme obsessionnel, un patriote français ne peut chercher à former, contre Israël, et avec l’extrême gauche pro-palestinienne, la racaille de banlieue et les islamistes une alliance à la fois contre-nature et sans issue politique », écrivez-vous. Traduction pour certains : le FN et Chauprade « jouent » désormais les Juifs contre les Arabes….

Pas du tout. Il ne s’agit pas de jouer les uns contre les autres. Je dis simplement que l’intérêt de la France n’est pas le combat contre le sionisme, mais la défense de sa civilisation et le maintien de son rang sur la scène internationale. Récemment, lors des universités d’été de Fréjus, j’ai été applaudi sur un discours qui, pour l’essentiel, reprenait mon manifeste. Mis à part une toute petite minorité, je n’ai pas du tout senti dans ce public une adhésion aux idées de Soral. C’est l’imposture de Soral de faire croire qu’il est « l’idéologue du FN ».

On dirait cependant que son cas divise toujours votre parti. Et vous-même, il y a à peine deux ans, vous écriviez : « Alain Soral [est] quelqu’un qui a tout compris des forces profondes de l’histoire, celles que ne veut pas voir notre bon “bourgeois occidental”. (…) Donc écoutez-le et lisez-le. Nous n’utilisons pas forcément les mêmes mots (et tant mieux), mais nos pensées sont en convergence. » Soit il a changé, soit vous avez changé

Oui, j’ai écrit cela parce qu’il y a eu des convergences d’analyses dans le refus de suivre les États-Unis dans la diabolisation de l’Iran comme dans la diabolisation de la Russie. Mais nos moteurs ne sont pas les mêmes, d’où notre incompatibilité totale. Lui, c’est l’antisionisme qui le gouverne, et c’est la raison pour laquelle son public est très majoritairement issu de l’immigration musulmane. Moi, c’est le patriotisme français et le réalisme en politique internationale. Maintenant, il y a un fait simple qui établit une ligne de séparation étanche et incontestable entre Soral et moi, et pas depuis mon texte, mais depuis toujours. En dos de couverture de mon pavé de référence, Géopolitique, constantes et changements dans l’histoire, publié dans sa première édition il y a treize ans déjà, il est écrit que je fonde ma géopolitique sur la multi-causalité, sur les causes multiples ! Mais Soral, c’est l’inverse, c’est l’idéologue de la cause unique. Tout est toujours de la faute des Juifs et seulement des Juifs ! C’est pathologique chez lui !

Quoi qu’il en soit, l’antisémitisme existait au FN avant Soral, non ?

À l’extrême droite oui, mais pas particulièrement au Front national. Oui, cela a pu exister dans le passé, et de manière minoritaire, mais c’est vraiment extérieur à ce qu’est devenu le FN. Aujourd’hui, l’antisémitisme est le fait d’une part croissante de la population d’origine arabo-musulmane qui considère que les juifs sont l’ennemi. Le nouvel antisémitisme est aujourd’hui massivement répandu dans les banlieues. En Seine-Saint-Denis, cela ne doit pas être évident tous les jours pour les enfants de porter la kippa pour aller à l’école… Voilà la réalité, moi je suis au Front national et je ne croise jamais d’antisémite, donc il va falloir arrêter de fantasmer avec cette histoire d’antisémitisme au Front national !

C’est étonnant d’entendre un membre du FN défendre le port de la kippa !

Attention, le FN est contre le communautarisme. Mais nous voyons bien qu’en France il y en a un seul qui pose problème : le communautarisme musulman. En pleine expansion démographique, ce communautarisme est dans une logique de revendication croissante pour changer la société. Et pendant que le monde musulman se « réislamise » fortement, l’immigration musulmane extra-européenne, elle, s’assimile mal. La combinaison de ces deux phénomènes fait qu’une partie de la population s’identifie à l’oumma (nation islamique) plutôt qu’à la France. C’est le problème majeur de la France aujourd’hui.

Seriez-vous en train de dire que les musulmans ne sont pas assimilables ? Et n’est-ce pas dangereux de désigner ainsi une catégorie de la population ?

Des musulmans sont assimilables, mais l’islam ne l’est pas. L’islam s’est répandu très rapidement au détriment de toutes les vieilles civilisations, davantage par la terreur que par les victoires militaires. D’ailleurs, je ne connais pas d’islamologue qui distingue l’islam de l’islam politique (c’est-à-dire de l’islamisme !), car l’islam est politique par essence. D’un point de vue islamique, le califat de Mossoul est légitime. Je dirais même que l’État islamique, c’est l’islam sans la taqiya (« stratégie de dissimulation ») !

Gengis Khan aussi s’est déployé par la terreur. Surtout, vous ne voyez pas la grande masse des trains qui arrivent à l’heure. Une très grande proportion des 10 % de Français issus de l’immigration arabo-musulmane sont des citoyens pleinement intégrés. N’exagérez-vous pas le danger islamiste ?

Ce sont d’abord les minorités actives idéologisées qui font l’histoire. Le prêt-à-penser des Merah et Nemmouche est fait pour les frustrés et les ratés, qui sont assez nombreux et peuvent se dire : « C’est magnifique, je réécris l’histoire comme dans les premiers siècles de l’expansion de l’islamisme. » Il faut être aveugle pour ne pas voir que l’Europe occidentale est en danger d’islamisation par la conjonction d’une immigration massive (phénomène quantitatif) et d’un réveil virulent de l’islam (phénomène qualitatif).[/access]

à suivre…

*Photo : Hannah.

Octobre 2014 #17

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est journaliste et écrivain. Gil Mihaely est historien.

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