Le festival de Cannes s’est ouvert hier soir et, dès son coup d’envoi, cette 77e édition s’est présentée sous le signe de la balance : des listes de noms d’acteurs-prédateurs circulent sous le manteau et seront exposées à la vindicte de la Croisette. Dans le cinéma comme ailleurs, l’homme blanc est coupable, forcément coupable.
Les castrateurs bien-pensants ont donc hier déclaré ouverte la soixante-dix-septième édition du Festival de Cannes – respectueux de la grammaire, je laisse le sujet au masculin. Triste cérémonie ! Le défilé du tapis rouge a été relégué au second plan (la presse est édifiante) ; l’actualité du soir, c’était une nouvelle exécution publique – celle d’Alain Sarde –, le « virus d’une rumeur » – dixit Raphaël Quenard –, Godrèche moquant Lindon, enfin Camille Cottin soutenant courageusement la loi contre les violences sexuelles, proposée par cent cinquante personnalités dans une récente tribune. Au fait, le Code pénal, depuis des temps immémoriaux, incrimine déjà ce genre d’agression, plutôt fort sévèrement, d’ailleurs ; encore faudrait-il vouloir le faire appliquer ; mais peut-être appelle-t-on carrément une loi pénalisant la virilité ?
Témoignages non contradictoires
On dit le public de Cannes particulièrement difficile ; comment ne le serait-il pas, lorsque l’on suspend au plafond du Palais mille épées de Damoclès par-dessus ses têtes mâles ! La guillotine aura de la besogne, le cinéma tremble : on parle moins cette année du septième art que de rumeurs de listes qui font frémir. Les acteurs, les réalisateurs, les producteurs les plus en vue (le contraire eût été étonnant, n’est-ce pas ?), nommés dans les « enquêtes » impitoyablement, violeurs systémiques, représentants du patriarcat oppressif, devront parait-il répondre de leurs agressions désordonnées – car décidément, à écouter les témoignages non-contradictoires, ils agressent passionnément, ces hommes blancs hétérosexuels ! La présidence a d’ores et déjà annoncé qu’elle traitera les affaires au cas par cas, et veillera à ne pas confondre les œuvres et les accusés dans une même infamie : vœu pieux ! L’odeur du stupre fait palpiter les narines carnassières des accusateurs publics ; ils se lèchent les babines. Vraiment, on se croirait en 1794, quand le Tribunal révolutionnaire jugeait à deux extrêmes, la mort ou l’innocence ; quand Robespierre à la Convention dressait des listes d’ennemis de la Révolution, le sang sur la bouche, et promettait de les révéler au moment opportun – on sait comment tout cela finit : tremblez donc, calomniateur.ices, votre tour viendra !
A ne pas manquer, le grand récit de Didier Desrimais: Révolution MeToo: tout le monde va y passer
La religion des femmes
La parole des femmes est sacrée, disent-ils. C’est fort galant, de placer les femmes sur un tel piédestal, qu’elles deviennent l’incarnation de la Vérité ; c’est aussi fort ignorant des mécanismes profonds de la nature humaine – et à ce titre l’on ne recommandera jamais assez aux électeurs de gauche la lecture de nos grands moralistes plutôt que de Rousseau (Jean-Jacques), particulièrement La Bruyère et La Rochefoucauld. Là ils apprendront, on l’espère, que l’homme (ou la femme) est ainsi fait, qu’une dénonciation peut être moins un acte de bravoure, qu’une manière intéressante de faire tomber un rival – d’où l’importance de la présomption d’innocence. Hélas ! En dépit de toute intelligence, on veut maintenant « élargir » la notion de consentement, et même on évoque des présomptions de culpabilité. Pourtant, les disculpations s’enchaînent : Norman Thavaud, Luc Besson, Kevin Spacey, Ary Abittan, Nicolas Hulot, Gérald Darmanin, Johnny Depp, et j’en passe[1] !
La tarte à la crème de la « culture du viol »
Bien sûr, les petits rapporteurs, qui courent au tribunal au moindre prétexte, éreintent commodément la justice dès qu’elle ne marche pas dans leur sens. Un tel est-il déclaré innocent ? La magistrature fait partie du système, elle est complice de la culture du viol. Tel autre a-t-il bénéficié de la prescription ? C’est un agresseur dangereux relâché dans la nature. J’en profite ici pour rappeler aux disciples de Saint-Just que la prescription n’est pas une faveur accordée aux coupables, mais un délai au-delà duquel s’applique le droit à l’oubli. La prescription n’empêche pas la peine : elle empêche le procès. Donc, celui qui en jouit est toujours présumé innocent, et rien, surtout pas les réseaux sociaux, ne permet de le déclarer auteur des faits qui lui sont reprochés. Je rappellerai aussi aux enfants de la Révolution que la présomption d’innocence est un droit sacré qui distingue une société servile d’une société libre, et qui ne doit souffrir aucune exception. À ce titre, acclamer les larmes aux yeux les sycophantes qui dénoncent les réalisateurs, producteurs et autres hommes de pouvoir, pour des raisons dont on se demande si elles ne sont pas économiques plutôt que victimaires, c’est terrible, pour une nation qui depuis le triomphe des Jacobins a le mot de « Liberté » inscrit aux frontons de toutes ses mairies. À ce titre aussi, Jacques Doillon, Gérard Depardieu, Alain Sarde sont innocents ; les déprogrammer, c’est les condamner au mépris des droits de la défense, et c’est piétiner barbarement ces libertés fondamentales, dont l’école de la République nous rebat pourtant les oreilles ; les priver des fruits de leur travail, même à titre de « précaution », c’est faire le jeu des idéologies totalitaires, où l’intérêt personnel prime toujours la justice. Où étiez-vous donc hier soir, zélateurs habituels du Progrès ? C’eût été pour le coup vraiment rebelle, de défendre sur le tapis rouge la présomption d’innocence !
Le monde du cinéma est devenu affligeant. Au nom de la lutte féministe, on organise le triomphe des intérêts personnels sur le respect des libertés fondamentales ; mais les bonnes intentions des renversements de la vieille époque ne doivent pas masquer leur cynisme, et leur culte en retard de la Vertu, leurs vices humains, trop humains.
Roman Polanski relaxé hier: la terreur MeToo se fracasse contre le roc Polanski. Le commentaire d’Elisabeth Lévy sur Sud Radio
[1] On pourra relire à ce sujet l’article de Jean-Baptiste Roques.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !