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La force de la plume

Rendez-vous à la boutique "Plume & Bille" rue de l'Arcade à Paris (8e)


La force de la plume
Magasins de stylos haut de gamme. Stylo plume NAMIKI - Mont Fuji et vague - 540€, fabriqué au Japon, Hiratsuka

L’écriture manuscrite disparaît progressivement face au clavier d’ordinateur. Pour les réfractaires aux touches en plastique, écrire demeure un acte à part qui mérite ce qu’il y a de plus précieux. Chez Plume & Bille, ces résistants trouvent des stylos exceptionnels, tels ceux de la confidentielle manufacture Namiki…



Chacun de nous possède une écriture unique au monde qui est comme l’empreinte digitale et sismique de notre cerveau : barre du t, boucle du l, point du i volant dans les airs ou tracé comme un rond, espace entre les mots, inclinaison des lettres… Quand l’enfant apprend à écrire, en recopiant sur les lignes de son cahier d’écolier les majuscules et les minuscules tracées au tableau par son institutrice, il s’approprie ainsi le langage d’une manière totalement personnelle. En donnant une forme graphique particulière aux lettres et aux mots, il fait l’expérience de la maîtrise de soi, de l’altérité et de la sociabilité. Le fait que nous écrivions de moins en moins à la main et que la calligraphie (qui autrefois était enseignée à l’école primaire) ait cédé la place aux gribouillis préfigure un cataclysme culturel aux conséquences insoupçonnées. La preuve : aux États-Unis, en 2013, 45 États sur 50 ont décidé de supprimer l’écriture cursive (écriture manuscrite qui lie et attache les lettres entre elles) du tronc commun des connaissances obligatoires au profit du clavier d’ordinateur supposé plus démocratique. Conséquences : élèves et étudiants ne savent plus lire les corrections de leurs professeurs…

Dans la foulée, des études menées en Norvège par la neuroscientifique Audrey van der Meer ont montré que le fait d’écrire à la main développe chez l’enfant d’autres parties de son cerveau et accélère ses connexions neuronales. Plus concentré et socialisé, celui-ci regarde les adultes dans les yeux alors que l’écran (de l’ordinateur ou de l’iPhone) est un rempart qui le coupe des autres. Il serait aussi passionnant de demander aux historiens de la littérature si l’écriture sur clavier n’a pas généré, au cours de ces trente dernières années, un style plus neutre et distancé, plus séquencé, moins fluide et moins organique, chez les écrivains contemporains (imagine-t-on Proust écrire La Recherche sur un Mac ?). « Écrire à la main, nager dans l’encre bleue, voir le liquide s’écouler sont des expériences fondamentales », dit superbement Philippe Sollers au début de son autobiographie (Agent secret).

Stylo-plume Namiki, modèle Mont Fuji et Vague. @Hannah Assouline.

Alors que nous expédions en vain, comme des bouteilles à la mer, des e-mails auxquels plus personne ne répond (ce qui en dit long sur l’état d’incommunicabilité de notre société), les tenants de l’écriture manuscrite ont décidé de faire de la résistance ! Pour eux, le stylo-plume (inventé par Léonard de Vinci et perfectionné par l’Américain Waterman en 1883) est le bras armé de l’intelligence sensible, plus qu’un outil : un compagnon de vie. À Paris, leur grande prêtresse est Brigitte Courson. Cette femme élégante et raffinée a créé en 2011 une boutique merveilleuse située rue de l’Arcade, dans le 8e arrondissement, où elle expose les plus belles marques du monde (Montblanc, Caran d’Ache, S.T. Dupont, Graf von Faber-Castell, Diplomat…). « Un stylo-plume, nous dit-elle, c’est d’abord un bel objet qui prolonge la main : ça se regarde, ça se touche, ça se caresse… et ça ne se prête pas ! Il y a un contact très sensuel. Le plus grand plaisir, c’est d’emplir soi-même son stylo à piston muni d’un réservoir en le plongeant dans un flacon d’une encre précieuse… Ici, les clients aiment se confier, ils me racontent leurs souvenirs d’enfance, les odeurs des papeteries d’autrefois. Ce qu’ils veulent, c’est un stylo qui leur permette d’écrire des choses personnelles dans leur journal. D’autres investissent pour écrire des lettres d’amour… »

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Depuis Saint-Exupéry (qui écrivit Vol de nuit et Le Petit Prince avec un gros Montblanc cerclé d’or), le stylo-plume demeure l’ami des écrivains voyageurs, comme Sylvain Tesson qui ne se sépare jamais de son Parker Vector à la plume en acier inoxydable, capable de supporter le froid sibérien et les voyages en avion.

Brigitte Courson est aussi l’ambassadrice en Europe de la très confidentielle manufacture Namiki, créée en 1918 à Hiratsuka, à une heure de train au sud de Tokyo : « Namiki fabrique les plus beaux stylos-plume du monde d’une façon totalement artisanale, dans un bâtiment en briques fermé au public. C’est l’un des secrets les mieux gardés du Japon ! L’artisanat de luxe jouit là-bas d’un prestige dont on n’a pas idée en France. »

Passer des touches du clavier en plastique au stylo Namiki, c’est comme sortir du métro Châtelet-Les Halles aux heures de pointe et se retrouver sous les jasmins de l’Alhambra un soir d’été ! Pour peu que l’on utilise une belle feuille de papier vélin (lisse et sans grains) et une encre Iroshizuku aux couleurs de l’automne, l’acte d’écrire s’accomplit alors avec une remarquable fluidité. Ce qui rend ces stylos uniques au monde, c’est le maki-e, l’art de la laque tel qu’il s’est transmis au Japon depuis des millénaires. Produite à partir de l’urushi (la sève d’un arbre qu’on ne trouve qu’en Asie et qui se récolte de juin à octobre), la laque protège les objets précieux et constitue le support de peintures (figurant des oiseaux, des bambous et des branches de cerisier en fleur) élaborées à base de poudre d’or, de pigments minéraux, de nacre et… de petites brisures d’œuf de caille. Le maki-e nous plonge dans la conception japonaise du beau (magnifiquement célébrée par Tanizaki dans son Éloge de l’Ombre, Verdier) qui privilégie l’ombre, la lumière de la bougie, le murmure, le ruissellement et le rêve.

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« La première marque qui a eu le génie de rendre désirable le stylo-plume comme symbole de réussite sociale, nous explique Brigitte, c’est Montblanc, manufacture allemande fondée à Hambourg en 1906 et qui détient aujourd’hui 60 % du marché mondial. Mais le stylo Namiki, lui, n’est pas un objet statutaire : c’est une marque de niche, connue d’un très petit nombre de personnes sensibles. »

Ainsi, pour le prix d’un banal iPhone (à l’obsolescence programmée passés deux ans et demi), pourrez-vous acquérir ce petit compagnon d’une vie et redécouvrir le plaisir d’écrire à la main…

Plume & Bille
38, rue de l’Arcade, 75008 Paris, tél. :01 42 65 57 92
www.plumeetbille.com

Novembre 2023 – Causeur #117

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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