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Gérard de Villiers : Je ne fais pas de littérature, et alors ?


Gérard de Villiers : Je ne fais pas de littérature, et alors ?

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Gérard de Villiers est la preuve vivante qu’on peut connaître un succès aussi silencieux que phénoménal. Né en 1929, il publie encore aujourd’hui cinq volumes annuels racontant les aventures de Malko Linge, espion contractuel de la CIA. Tirage estimé de chaque volume : 200 000 exemplaires. De quoi faire rêver les éditeurs qui s’épuisent à la promotion d’une littérature chic, jeune, branchée et progressiste. Mais il y a longtemps que Gérard de Villiers, homme d’affaires avisé, est devenu son propre éditeur.

Les raisons de sa longévité et de celle de son héros, que sa vision du monde classe légèrement à droite d’Attila, sont d’abord à chercher dans la qualité du texte. Un SAS, qu’on n’aime ou qu’on n’aime pas, c’est écrit avec un souci de lisibilité qui ne sacrifie jamais la correction de la langue. À croire que Gérard de Villiers a lu Le Degré zéro de l’écriture de Barthes. Même s’il est peu probable qu’elle accepte, nous pourrions même recommander des extraits de SAS à l’Éducation nationale pour renouveler les auteurs de dictée. Il suffirait que les inspecteurs, pour les manuels, choisissent judicieusement les passages en évitant les scènes de torture ou, car c’est encore plus traumatisant pour les enfants, les scènes de sexe car la sodomie y a toujours un rôle prépondérant.

Gérard de Villiers est un prophète. À ceci près qu’il n’a pas de visions, mais de très bons amis dans le renseignement. Les SAS, non seulement rendent compte de l’actualité internationale en direct mais, parfois même, la devancent. Les épisodes racontant l’assassinat du premier ministre libanais, les prodromes de la guerre civile en Syrie ou l’intervention française au Mali ainsi que les conséquences désastreuses de la chute de Kadhafi, ont surpris dans les chancelleries où, d’habitude, on préfère se fier aux télégrammes diplomatiques qu’à un auteur de « contes de fées modernes », comme disait Marcel Jullian à propos du père de Son Altesse Sérénissime.

 Jérôme Leroy. Vous avez créé le personnage de Malko Linge en 1965, âge d’or du roman d’espionnage. Si on le compare au Smiley de John le Carré ou à James Bond, qu’est-ce qui explique son succès rapide ?

Gérard de Villiers. C’est une question de style : le mien était très différent de tout ce que l’on écrivait à l’époque et qui restait très sage, très convenu, notamment en matière de sexe. James Bond ou Smiley sont de très bons personnages, mais ils restent ce que l’on appelle des civil servant, des fonctionnaires. Ils n’ont pas de vie en dehors de leur vie professionnelle. Malko, lui, est un contractuel, un samouraï. Et les samouraïs n’ont jamais de maître, ils se louent.

Élisabeth Lévy. Une question de midinette : l’avez-vous rencontré ou est-il totalement inventé ?

Malko est le résultat d’un collage entre trois personnes : un chef de mission du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ancêtre de la DGSE), un baron allemand qui avait un château en Souabe, et un marchand d’armes autrichien nommé Ottenbach.

JL. Vous êtes bien conscient que la sexualité de Malko est absolument scandaleuse ?

Pas du tout, elle est épanouie.

ÉL. Votre héros coche toutes les cases du machisme ancestral. Votre public est-il un ramassis de réacs ?

N’oubliez pas que beaucoup de femmes lisent SAS. Vous seriez étonnée de voir à quel point le spectre de mes lecteurs est large : cela va de Chirac à BHL !

ÉL. Les gens de gauche doivent s’étrangler, non ?

En effet, je ne m’inscris pas dans la pensée dominante, et la majorité de mon public non plus. Mon héros est officiellement décrié par la gauche, qui a fait un hold-up culturel sur la France depuis cinquante ans ! La gauche est par nature hypocrite, prônant un Bien qu’elle n’incarne pas.

JL. Et Malko, incarne-t-il le Bien selon vous ?

Non, il incarne une forme de liberté, de libéralisme, de lutte pour la liberté, pour le droit de faire ce que l’on veut.

JL. Vous avez façonné Malko à votre image : il semble plus atlantiste que gaulliste. Que reprochez-vous au gaullisme ?

Le gaullisme relève de cette névrose typiquement française qui consiste à se dresser contre le monde entier, au motif qu’il est libéral. Quand Hollande arrive avec ses petits poings serrés aux réunions des « 27 », il y a 26 libéraux et lui. Il a donc très peu de chances de les faire basculer.

JL. Malgré votre anticommunisme, dans L’Ordre règne à Santiago (1975), vous êtes aussi extrêmement critique envers la dictature de Pinochet…

Les dictatures, quand bien même elles ne sont pas communistes, restent indésirables.

JL. La vision de Malko Linge a-t-elle changé après la chute du mur de Berlin ?

Non, car la guerre froide continue. [access capability= »lire_inedits »]Il reste deux blocs, même si l’ennemi n’est plus le communisme − qui n’existe plus qu’à Cuba, en Corée du Nord et en France. L’opposition entre Russie et États-Unis est néanmoins toujours aussi forte. C’est un fait culturel : les Russes détestent les Américains.

JL. Snowden a pu révéler le scandale des écoutes américaines grâce aux nouvelles technologies de l’information. Le progrès technologique ne vous a-t-il pas obligé à repenser certaines intrigues romanesques ?

Bien sûr, la technologie a une incidence, mais elle demeure marginale. Il reste des lieux, des situations, où elle ne résout rien du tout. Cela a été l’une des grandes erreurs des États-Unis de croire au « tout-technologique ». Ils en sont revenus. Au fond, rien n’a changé : il y a toujours deux grandes agences de renseignements, la CIA et celle des Russes, qui a changé de nom − le KGB, le SVR ou le FSB. Les autres sont des acteurs secondaires, pour des raisons financières. Les Anglais sont très bons, par exemple, mais n’ont pas le budget nécessaire.

ÉL. Quid des Israéliens ?

Personne ne les connaît. Ce sont des menteurs. Ils sont bons, mais ils mentent. Ils mentent connement, d’ailleurs. Leur dernier truc, c’est de débouler tous les mois en annonçant que ça y est, les Iraniens attaquent. Tout le monde sait que c’est totalement bidon.

ÉL. Et nos « services », sont-ils bons ?

Nous savons travailler. Mais il n’y a plus de politique française. Si aucun SAS ne se déroule en France, c’est d’ailleurs parce que nos services ne mènent pas de grands projets. Il n’y a rien à raconter avec des objectifs aussi limités que les nôtres !

JL. Aussi limités soient-ils, quels sont-ils ?

L’Afrique, notre zone réservée ! À une certaine époque, j’insinuais au patron de la DGSE qu’il faudrait peut-être ouvrir un poste à Istanbul ou je ne sais où. Il m’a répondu : « À chaque fois qu’un feu rouge tombe en panne à Dubrovnik, on me demande de savoir pourquoi, et je n’aurai jamais l’argent pour faire autre chose. » Les services français ont donné la priorité à l’Afrique au détriment de l’Amérique latine, de l’Asie, ou même de l’Europe. En revanche, sur l’islam je peux vous dire que nous ne sommes pas mauvais, même en Afghanistan !

ÉL. Croyez-vous à un « choc des civilisations » ?

Ah oui ! Il y a un choc entre l’islam et la civilisation chrétienne. Il n’y a que la gauche qui le nie. On oublie que l’islam est une religion de combat, financée par l’Arabie saoudite et maintenant le Qatar.

ÉL. Au quotidien, nous assistons pourtant moins à des guerres entre civilisations qu’à des affrontements économiques. L’espionnage ne s’est-il pas déplacé sur le terrain de l’économie ?

Bien entendu. Mais il n’y a pas de SAS traitant de ce sujet parce que cela n’intéresse personne, que c’est trop technique et trop ardu. Je préfère rester dans la politique.

ÉL. Vous inspirez-vous toujours de faits réels ?

Bien sûr ! J’imagine peu, vous savez, il est fatigant d‘imaginer. Je vais vous donner un exemple, à propos de la Libye, dont j’ai parlé dans Les Fous de Benghazi. J’étais au Liban l’année dernière, où je retrouvais un ami ancien patron des forces de sécurité locales, un type très francophile, et francophone, bien entendu. Il me demandait ce que Bachar Al-Assad avait fait à la France  pour qu’elle lui tombe dessus aujourd’hui alors qu’en 2008, c’était quand même lui qui présidait le défilé du 14-Juillet. Je lui ai expliqué que rien n’avait changé : simplement, avec la Lybie, Sarkozy avait eu un accès de droits de l’homme.

JL. À ce propos, que pensez-vous de l’intervention française en Libye ?

C’est des conneries, Kadhafi n’était pas méchant, il n’a fait de mal à personne. Que nous a apporté cette intervention ? Rien. Lorsque vous dirigez un pays, il faut penser à ses intérêts d’abord.

JL. Mais Kadhafi n’était pas un personnage très recommandable ! Désapprouvez-vous également notre intervention au Mali ?

François Hollande n’avait tout simplement pas envie de se retrouver avec 5000 otages à Bamako. Voilà la vraie raison de l’opération « Serval ». Il a bien fait, cela n’a pas coûté très cher, c’est bon pour nous et tout le monde s’est bien amusé.

JL. Sur un autre front, en Afghanistan, pensez-vous que le président Karzaï finira assassiné, comme vous le laissez entendre dans le dernier SAS ?

C’est la question que tout le monde se pose. Karzaï est extraordinairement corrompu, mais il veut aussi représenter l’Afghanistan moderne. Comme il ne peut plus être président, il essaye de, garder le pouvoir par personnes interposées. Il sera pendu un jour ou l’autre, comme les autres chefs d’État afghans.

JL. Depuis tout à l’heure, nous parlons géopolitique. Etes-vous un romancier qui se passionne pour la géopolitique ou un géopoliticien qui utilise le roman comme un moyen d’expression ?

Plutôt un géopoliticien qui écrit. J’ai toujours été plus proche du journalisme que de la littérature. Aussi, cela ne me gêne pas du tout qu’on me dise que je ne fais pas de la littérature.

JL. En tout cas, la critique vous ignore, ne voyant en SAS qu’un simple phénomène d’édition. Ne souffrez-vous pas tout de même d’être exclu des rubriques littéraires ?

L’Histoire jugera. Ce que l’on nomme « littérature » en France n’est que du nombrilisme. Les livres français ne se vendent pas, ne quittent pas l’Hexagone parce qu’ils racontent toujours les mêmes histoires, comme le cinéma d’ailleurs. Il n’y a pas de grands auteurs français. Il n’y a que des Anglais, des Américains, et quelques Allemands.

JL. Je vous laisse la responsabilité de vos propos. Que pensez-vous du polar français actuel ?

Je ne le lis pas beaucoup.

JL. Votre style comportementaliste me rappelle celui de Jean-Patrick Manchette, l’un des fondateurs du néo-polar français, pourtant très à gauche…

J’aimais bien Manchette. Pour la psychologie, c’est au lecteur de la déduire. Nous n’écrivons pas des essais de psychologie. Quiconque écrit beaucoup de livres peut revendiquer un style, mais ce n’est pas forcément ce que l’on appelle de la littérature : je ne suis pas sûr d’être un écrivain. Et je m’en fous ![/access]

 

*Photo: Ce soir ou jamais

Septembre 2013 #5

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est rédactrice en chef de Causeur. Jérôme Leroy est écrivain.

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