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Emmanuel Macron ne peut pas changer


Emmanuel Macron ne peut pas changer
Le président Macron au Touquet, 19 juin 2022 © Maxime Le Pihif/SIPA

La détestation singulière que suscite Emmanuel Macron semble le distinguer de ses prédécesseurs. Le président de la République ne peut briser ce nœud gordien: il s’emmène toujours avec lui… Analyse.


Encore Emmanuel Macron, me dira-t-on ! N’est-il pas assez présent pour qu’on éprouve le besoin d’en rajouter ? J’ose pourtant répondre qu’on le peut. Je ne serai jamais de ceux qui, pour contester un projet flou et des actions dont on sent de moins en moins la ligne directrice, l’élan réfléchi et structuré que le futur devrait inspirer, s’installent confortablement dans une posture d’hostilité et même de mépris : j’en connais. Je continue à penser qu’Emmanuel Macron a et est une personnalité intelligente (plus que cultivée), riche, ambiguë, contradictoire, avec des embardées successives, subtiles ou ostentatoires, et qu’il mérite qu’on s’attache à lui pour tenter au moins de dissiper certains mystères.

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Et d’abord celui-ci, fondamental : pourquoi ce président, même s’il a des soutiens – fidèles ou intéressés – suscite-t-il chez certains cette haine dont je persiste à récuser le caractère exclusivement politique ? Je ne méconnais pas ce que sa pratique peut avoir d’insupportable, tant dans sa manière d’être, dans le choix des personnes appelées à le servir, de ses ministres, des bénéficiaires parfois surprenants de son bon plaisir, que du fond de ses orientations marquées à la fois par un entêtement rigide et une souplesse tactique prête à tout.

Parce que c’est lui, parce que c’est nous

Il serait évidemment absurde, pour à tout prix le distinguer de ses prédécesseurs, de nier la part partisane et idéologique qui explique beaucoup des réactions de ses adversaires mais, à faire le compte, elle est bien moindre, dans la colère et le ressentiment qu’il engendre, que le poids d’impressions intimes, personnelles, indissociables de sa nature et de son être, détachées de ses comportements présidentiels. Comme si, avec lui, il convenait d’aller plus loin, plus profond dans l’analyse, en franchissant le mur séparant le privé et le public.

On a eu certes des présidents, et pas seulement Nicolas Sarkozy, chez lesquels le caractère, ses excès, ses imprévisibilités et ses équilibres, offraient une grille de lecture de leur politique. Mais il me semble que l’irritation que leurs actes pouvaient faire naître conservait, de justesse en certains cas, une ligne politique, une approche civique d’adhésion ou de détestation. Je songe à telle ou telle couverture médiatique, par exemple sur François Hollande ou toujours sur Nicolas Sarkozy : ce dernier, se questionnait la publication, est-il « un voyou » ? Aussi désobligeante et provocatrice que soit cette interpellation, elle faisait référence, largement entendue, à sa posture présidentielle.

Couverture de l’hebdomadaire Marianne, août 2010 D.R.

Pourquoi Emmanuel Macron sort-il de ce cadre, au point que je ne cesse de sonder tous ceux qui m’entourent pour qu’ils m’offrent une explication ? La plupart du temps ils demeurent coincés dans une sorte d’évidence : « Parce que c’est lui, parce que c’est nous ». Cette approche un peu courte démontre bien qu’avec lui, on est passé de la contradiction, de l’hostilité en quelque sorte ordinaire à une détestation extrême d’un tout autre registre et que ce sentiment d’exécration est posé tel un constat indiscutable mais jamais explicité.

La psychologie de notre président

Tentons une intrusion psychologique dans cet être dont je suis persuadé que rien ne lui déplaît davantage, au même titre que les considérations, critiques ou non, sur son couple. Il a pour vocation, lui seul, lui avec elle, de demeurer un bloc, une forteresse choisissant ce qui leur agrée, rejetant « la bave des crapauds ». Efforçons-nous d’ouvrir les verrous et de s’aventurer en territoire inconnu. S’il lisait ce billet – nulle présomption de ma part, je sais qu’il a tant à faire ! – il aurait en horreur ce que sa situation personnelle et politique m’inspire. De l’apitoiement non condescendant mais sincère. On lui demande de changer de politique : ce serait facile s’il y consentait. On exige de lui qu’il métamorphose sa nature : accepterait-il cette obligation qu’il ne pourrait pas la satisfaire. C’est le grand mystère à déchiffrer : il y a quelque chose en Emmanuel Macron qui empêche de le créditer de ses attitudes positives, de sa proximité recherchée comme une preuve permanente de sa simplicité, et des manifestations agréables, bienveillantes, d’écoute, de son caractère. Et c’est Emmanuel Macron lui-même !

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Même s’il feint de s’en désintéresser, je suis sûr qu’il est blessé par ce paradoxe. Plus il souhaite se rapprocher, plus on l’éloigne. Plus il prétend se comporter comme nous – au point de tomber parfois dans une familiarité surjouée -, plus il agrandit le hiatus, le gouffre entre lui et nous. Plus le contact est proche, plus la distance s’allonge. C’est profondément injuste et j’explique ainsi mon apologie. Il y a quelque chose de fatal et de pathétique dans cette impression que, cherchant à se défaire de lui, Emmanuel Macron pourtant ne s’oublie jamais. Que, tentant de se mettre à notre niveau, il ne parvient cependant pas à nous faire ignorer l’opinion qu’il a de lui-même, le crédit qu’il s’accorde et la certitude de sa supériorité éclatante à proportion qu’il s’efforce de la masquer. Trop présent à lui-même, il échoue à faire illusion sur la sortie de soi qu’une forme de populisme soyeux lui intime d’adopter. Toutes les entreprises de communication, toutes les tactiques du monde sont impuissantes à briser ce nœud gordien : il s’emmène toujours avec lui. Et la rançon est la suspicion ou, pire parfois, des envies abjectes d’insultes et de violence. Il y a dans ce processus vital qui l’accable quand au contraire il vise à nous détromper sur lui, une iniquité profonde qui ne pourrait pas être supprimée. Sauf à s’abolir soi-même. C’est le drame de ces personnalités tellement fortes qu’elles sont victimes d’une répudiation contre lesquelles elles ne peuvent rien. La charge négative qu’on leur oppose et qui ne tient qu’à elles est consubstantielle à leurs tréfonds. Elle est la clé de leurs victoires comme de leurs défaites.

L’homme Macron n’a cessé d’insupporter une majorité de citoyens, en même temps que l’homme politique avait ses ombres et ses lumières, ses partisans, ses inconditionnels et ses adversaires résolus. Ce dédoublement a donné une place infinie au premier et sans doute minimisé les résultats du second. Mais je pose cette question et c’est la raison pour laquelle je le défends : que pourrait-il donc faire contre lui-même ? Il ne changera pas et on ne le changera pas. Il y a des causes impossibles à gagner. On n’est plus dans la politique…




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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