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Le rôle de sa vie

Un portrait de Volodymyr Zelensky


Le rôle de sa vie
Le président de l'Ukraine Volodymyr Zelenskyy à Kiev, 9 avril 2022 © Evgeniy Maloletka/AP/SIPA

Un comique sans expérience politique probante et un agent secret aux manettes du pouvoir russe depuis deux décennies, forcément, ça ne fait pas bon ménage.


L’histoire de cette guerre, c’est un peu lui qui l’écrit. Avec les moyens que l’ère moderne lui offre. Tantôt en se baladant dans les rues de Kiev affreusement vides, tantôt dans son palais présidentiel plongé dans la pénombre, il se filme, il parle à sa population, le visage marqué par la fatigue, avec la caméra embarquée sur son téléphone portable. Il est un chef d’Etat devenu le symbole planétaire du courage et de la résistance, face à un mal auquel la civilisation judéo-chrétienne se croyait désormais à l’abri, la guerre. Sa détermination est telle qu’on le compare à Churchill. Et pour certains, l’analogie est encore trop faible.

Un comique contre un espion

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky était jadis l’acteur et le producteur le plus populaire dans son pays. L’humour a longtemps été son arme principale. Depuis ses années de lycée, se servir de son visage, de son regard et de sa voix est son quotidien. Avant lui, un autre comique a défié l’homme qui avait déclenché une guerre en Europe, Charlie Chaplin. Celui du « Dictateur ». Vladimir Poutine n’est certes pas Hitler – l’invasion brutale par la Russie d’un pays-voisin, si proche historiquement et géographiquement, n’a rien à voir avec le drame que l’humanité a connu il y a 80 ans – mais dans cette guerre, comme dans tous les grands conflits militaires, les personnalités des leaders nationaux deviennent des repères pour des millions de personnes affectées par le conflit.

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Un comique contre un espion. L’un qui a appris à faire rire et émouvoir, l’autre à qui on a appris comment éliminer les ennemis de sa patrie.

Dans son très populaire télé-show « Vetcherny kvartal », le 17 mai 2014, deux mois seulement après l’annexion de la Crimée par la Russie, Zelensky jouait un sketch dans lequel il incarnait la supposée compagne du chef du Kremlin Alina Kabaeva. Dans cette mise en scène, un acolyte jouait Poutine qui rentre à la maison et s’attire les foudres de son amoureuse. « Vladimir, pourquoi tu as pris la Crimée? »  – demande Kabaeva/Zelensly assis(e) sur le canapé. Poutine, surpris, lui répond : « Mais chérie, c’est toi qui me l’a demandé ! » « – Moi ? Mais je t’avais demandé d’apporter « L’île de Crimée », le livre de l’écrivain Vassili Axionov » (un énorme best-seller dans les pays de l’ex-URSS) ! Le public dans la salle éclate de rire, comblé.

Fini de rigoler

Cinq ans plus tard, Volodymyr Zelensky est devenu le président de l’Ukraine. Il a été élu sur la promesse de mettre fin au conflit avec la Russie. « Je suis capable de faire rire Poutine » confie-t-il à Bernard –Henri Levy quelques moins avant son élection. Deux ans et demi plus tard, alors que les troupes russes se sont massées sur la frontière ukrainienne, le Washington Post publie un article « Six raisons sur lesquelles la Russie est en désaccord avec l’Ukrainien Zelensky »[1]. Non, le président Zelensky ne fait pas rire le président Poutine, pas du tout même.

L’article reprend une par une les décisions du nouveau leader ukrainien qui ont accentué la colère du Kremlin. Outre le changement d’avis sur les accords de Minsk et les demandes répétées d’adhésion à l’OTAN, il y a aussi eu des moqueries de l’ancien humoriste à l’égard du président russe, pas franchement réputé pour son sens de l’humour. Zelensky a notamment ironisé au sujet du long texte que Vladimir Poutine a publié l’été dernier sur le site du Kremlin et intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». « Si nos peuples sont frères, ça doit être Caïn et Abel » avait alors commenté Zelensky, amusé. Ou encore : « Je comprends maintenant pourquoi Poutine n’a pas de temps pour me rencontrer, vu la taille des articles qu’il publie ». Un comique sans expérience en politique et un agent secret aux manettes du pouvoir depuis 20 ans, ça ne fait pas bon ménage.

Biden, Merkel, l’OTAN et lui

Les débuts du jeune président ukrainien sur la scène politique internationale ont d’ailleurs été confus. Il a d’abord été le témoin malheureux de la crise de tremblements d’Angela Merkel, lors d’une cérémonie d’accueil en son honneur, à l’aéroport de Berlin. C’est tout comme si la chancelière allemande avait été frappée par les visions prémonitoires pour la région qu’elle connait si bien ! Ensuite, Zelensky a été la raison principale et involontaire de la procédure de destitution engagée contre celui qui est alors président des Etats-Unis, Donald Trump. Lequel aurait cherché, selon ses détracteurs, à convaincre Zelensky d’ouvrir une enquête sur les activités en Ukraine de Hunter, le fils de son rival-démocrate Joe Biden. Vice-président de Barack Obama, Joe Biden s’est rendu pas moins de six fois en Ukraine entre 2014 et 2016. Pauvre Zelensky ! il a fait de son mieux pour ne pas accabler davantage le président Trump, acquitté finalement par le Sénat américain, mais le développement tragique et récent des évènements en Ukraine prouve à quel point ce pays a été au cœur des intérêts géopolitiques des Etats-Unis depuis longtemps.

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L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche en janvier 2021 a rapidement confirmé l’importance que la

nouvelle administration américaine voulait donner au partenariat avec l’Ukraine. Sept mois plus tard Volodymyr Zelensky est reçu dans le Bureau ovale de son prestigieux hôte. Devenant seulement deuxième leader européen, après l’inévitable Merkel, à avoir droit à un tel honneur. Un homme a sans doute scruté chaque mot prononcé ce soir à Washington : l’auteur de l’ouvrage sur l’unité des peuples russes et ukrainiens, Vladimir Poutine… On le devine bouillir de l’intérieur, tel un volcan avant une éruption. Devant les journalistes, Zelensky parle alors avec Biden de l’OTAN, de l’appui attendu de la part des États Unis pour la sécurité de la Crimée, du Donbass, de la mer Noire et de celle d’Azov. La valeur que les mots ont pour un acteur est-elle la même que pour un chef d’État ?

Pour le moment ces flash-backs géopolitiques s’éclipsent devant le drame que subit une nation européenne de 44 millions habitants. Et dont le président a endossé le rôle du chef de guerre et de symbole de la résistance face à l’une des plus puissantes armées du monde. Un rôle qu’il n’a probablement jamais imaginé jouer, mais qui lui vaut déjà la reconnaissance de son peuple et de tous ceux qui souffrent avec les Ukrainiens. Ce rôle, aussi énorme soit-il, ne pourra durer éternellement. Un jour, l’Ukraine devra bien retrouver la paix avec son grand voisin russe.


[1] https://www.washingtonpost.com/world/2022/02/05/russia-putin-ukraine-zelensky/




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est directeur marketing chez Orange. Son livre « L'Homo Globalis Numericus » est paru au début de l’année aux Editions du Panthéon.

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