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Ukraine : les territoires symboliques de leur MOI…

L’Europe, dernier rempart pour Kiev ?


Ukraine : les territoires symboliques de leur MOI…
Donald Trump, Volodymyr Zelensky et ses alliés européens à la Maison Blanche, 18 août 2025 © Ukrainian Presidency/SIPA

Alors que les négociations sur l’Ukraine s’exposent au grand jour, notre chroniqueur se désole que chacun se mue en stratège diplomatique derrière son écran. Le billet de Philippe Bilger.


Comme lors du Covid où chaque Français s’est cru médecin, les négociations autour de l’Ukraine, qui impliquent les présidents Zelensky, Trump, Poutine et l’Union européenne (qualifiée de « nain politique » par un conseiller de Poutine), avec notamment le président Emmanuel Macron et le chancelier allemand Merz, se déroulent quasiment à ciel ouvert. De sorte que la politique étrangère n’est plus hermétique à nos concitoyens et que ceux-ci, sur un mode totalement antagoniste, se prennent tous pour des Talleyrand au petit pied.

Le rouleau compresseur russo-américain

En effet, la grossièreté des réseaux sociaux est hallucinante, qui ici crachent sur les adversaires de Donald Trump et de Poutine, là sur les rares défenseurs de Zelensky et, surtout, méprisent les efforts de l’Union européenne (UE) pour favoriser un cessez-le-feu. Et ce, pour s’immiscer dans la négociation entre Russes et Américains afin d’éviter que ces derniers, sous Trump, ne cèdent tout à Poutine, dans la précipitation. Celui-ci, imperturbable, continue de mener son jeu, caractérisé par l’aplomb de se dire victime quand il est l’instigateur et le coupable.

J’entends bien que, conscient de mes limites, je n’ai pas à juger une situation internationale tragique qui me dépasse, mais je demanderais alors à tous ceux qui insultent les derniers partisans de l’équilibre, de la mesure et de l’équité de ne pas se camper, comme s’ils en savaient long, en inconditionnels de Trump et de Poutine et en pourfendeurs compulsifs de l’UE.

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Comme si l’UE, pour une fois active, devenait méprisable pour vouloir si peu que ce soit atténuer l’écrasement du rouleau compresseur russo-américain. Poutine a d’ailleurs parfaitement compris le changement de la donne internationale puisque ses consignes sont dorénavant d’accabler l’UE et de favoriser « l’ami américain » qui désire un traité de paix comme lui. Quelle aubaine que cette aspiration qui permet à la Russie de continuer à tuer sur une grande échelle !

Mes observations n’ont rien d’original et me paraissent refléter la surface des événements, des rencontres et des projets de ces derniers jours.

L’importance de l’UE

Il est capital d’avoir l’honnêteté de reconnaître que, dans cet intense maelström international et pour éviter que le principal intéressé, Zelensky, soit emporté comme un fétu de paille en étant contraint de céder une part importante de l’Ukraine contre rien, l’UE, et le président Macron en particulier, constituent le seul rempart objectif. L’unique terreau à partir duquel on peut envisager un règlement international digne de ce nom. Qui ne soit pas gangrené par le cynisme, la dictature, l’imprévisibilité et l’incertitude.

Je n’ai jamais hésité, pour dénoncer une forme de narcissisme présidentiel dans la conduite des affaires intérieures et dans la sauvegarde de son pouvoir, à mettre en cause Emmanuel Macron. Mais je ressens l’obligation de nuancer, d’amender, de relativiser quand je considère à quel point, pour l’Ukraine, il se tient à sa place alors que Trump et Poutine sont les seuls à saturer l’espace avec leur MOI. L’un et l’autre l’affichant sur un mode radicalement différent.

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Donald Trump a beau rêver du Nobel de la paix et répéter qu’il a facilité la signature de six accords de paix, on doit tout de même considérer que son talent diplomatique, pour l’Ukraine, connaît des ratés. Inconstant, imprévisible, incertain même pour ses alliés (s’il en a encore), changeant de ton comme de chemise, dur ce soir, doux demain, oscillant entre menaces, chantage et hyperboles, fixant des délais dont lui-même ne respecte pas l’échéance, à peine au début et déjà pressé d’en finir, prenant chaque retard pour une offense personnelle et ne fondant jamais les négociations dont il prétend être le protagoniste sur la justice, l’équilibre des forces et la morale internationale mais sur sa seule vision de l’intérêt américain et de sa propre gloire, vraiment narcissique et dépendant, pour le pire, de la stratégie d’un Poutine qui a tout compris de lui, il n’hésitera pas, si on le laisse faire, à lâcher le faible Zelensky pour une union plus facile à réaliser : celle d’un président américain exhibitionniste et manipulable et d’un Poutine froid, sec et sans scrupule.

Quel contraste en effet entre Donald Trump d’un côté et les représentants de l’UE de l’autre, face à un Poutine dictateur, parfois tueur, sans la moindre éthique, suffisamment intelligent pour feindre de s’abaisser, ayant fait le tour de Trump dans une visite guidée par ses ambitions, sa stratégie et ses buts, persuadé que la Grande Russie n’attendait que lui, continuant à poser des conditions, à formuler des ukases, à mépriser sa victime, à se permettre de traiter de haut les porteurs de paix avec toute l’arrogance d’un créateur de guerre injuste, poussant les feux d’un combat où il multiplie les morts à proportion de son prétendu désir d’apaisement.

Que Trump et Poutine conservent ces territoires symboliques que leur MOI a envahis et occupent, si ceux de l’Ukraine sont sauvés grâce à l’entremise d’une UE qui n’a pour elle que la justesse de la cause qu’elle défend !



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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