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Ukraine: Et si l’Europe finissait par se retourner vers la Russie?


Ukraine: Et si l’Europe finissait par se retourner vers la Russie?
Région de Luhansk, est de l'Ukraine, 1 février 2022 © Vadim Ghirda/AP/SIPA

Plus de 30 ans après la fin de la Guerre froide, alors que la Russie réaffirme sa position au cœur des affaires mondiales, l’Europe et la France ont intérêt, elles aussi, à réévaluer leur grande stratégie pour ne pas devenir simples spectatrices d’un monde qui se bâtit autour et malgré d’eux. Cela pourrait impliquer de percevoir la puissance russe comme un partenaire et non plus comme un ennemi.

Intérêts géopolitiques communs

Si ceci peut sembler contradictoire au moment où le Kremlin menace un pays dont certains souhaitent l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN, un réalignement sous la forme d’un partenariat entre la Russie et l’Europe, mené par la France et l’Allemagne, notamment, pourrait révéler leurs intérêts communs ainsi que les avantages géopolitiques significatifs que chacun pourrait en tirer.

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Nul doute qu’un tel partenariat imposerait aux puissances européennes d’acquiescer aux demandes russes de mettre fin à l’expansion de l’Alliance atlantique au sein des pays de l’ex-URSS que la Russie considère comme étant sa sphère d’influence. En échange, l’Europe pourrait demander à la Russie de respecter la souveraineté des pays de l’Est et de mettre fin à ses activités clandestines et subversives dans cette région. L’Europe pourrait ainsi devenir l’interlocuteur privilégié de Moscou à propos des questions de sécurité européenne et cesser d’être un « simple intermédiaire » entre Washington et Moscou.

La France n’est pas tombée dans la russophobie primaire

La France pourrait d’ailleurs jouer un rôle déterminant dans la création d’un dialogue nouveau du fait de sa relation privilégiée avec la Russie. Vladimir Poutine lui-même aurait « dit au président de la République qu’il était le seul avec qui il pouvait avoir des discussions aussi approfondies, et donc qu’il tenait à ce dialogue » dans le cadre des tensions en Ukraine, d’après l’entourage du président Emmanuel Macron[1], confirmant l’influence diplomatique d’une France qui évite de tomber dans la « russophobie » primaire trop souvent exhibée par les États-Unis et le Royaume-Uni.

Ce tournant vers l’Eurasie permettrait également de parachever une inflexion géostratégique résultant du Brexit, c’est-à-dire de créer une cohésion continentale qui se distingue des intérêts du bloc anglo-américain pour lequel le Royaume-Uni sert trop souvent de Cheval de Troie pour les intérêts économiques et militaires américains. Au sein d’un tel partenariat Europe-Russie, contrairement au rôle de subordonnée aux États-Unis auquel elles sont confinées au sein de l’OTAN, la France et les puissances européennes pourraient négocier d’égal à égal avec la Russie et même utiliser leur supériorité économique pour influencer la Russie dans la mesure du possible.

L’Europe n’est plus une priorité de l’oncle Sam

Si un rapprochement de la Russie implique une remise en question de l’OTAN, il est pertinent de rappeler que même les États-Unis semblent s’en éloigner, et ce au détriment de l’Europe. Le théâtre des opérations se déplaçant vers l’océan Pacifique, l’Oncle Sam s’aligne avec ses alliés anglo-saxons que sont l’Australie et l’Angleterre pour contrer l’expansion de l’influence chinoise dans cette région, quitte à devoir torpiller un contrat majeur de plus de 30 milliards d’Euros pour la vente de sous-marins français à l’Australie. 

Pour qu’un tel réalignement avec la Russie soit possible, il faudra accepter que ce pays n’ait pas nécessairement vocation à devenir une démocratie libérale calquée sur le modèle occidental et que les intérêts stratégiques profonds et la realpolitik supplantent une vision teintée d’idéalisme que l’Europe n’a pas les moyens d’appliquer de toute façon.

Finalement, tirer les conclusions que cette réflexion géostratégique impose mène inexorablement à un réinvestissement significatif des nations européennes dans leur propre défense pour mettre fin à leur dépendance envers la puissance militaire américaine.

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La France, qui reste une des puissances militaires dignes de ce nom sur le continent, devra tout de même assumer sa part des coûts qu’un tel réinvestissement implique, mais c’est surtout l’Allemagne qui se doit d’accepter des responsabilités proportionnelles à sa taille économique au sein d’une politique étrangère commune axée sur la puissance, la seule viable alors qu’un monde multipolaire reprend forme, multipliant les menaces. L’Europe peut choisir de façonner l’histoire au XXIe siècle, une réévaluation de sa relation avec la Russie n’étant que le début d’un tel engagement, ou elle peut entériner un déclin que certains disent inexorable et ainsi subir cette même histoire.


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/28/face-a-macron-poutine-regrette-le-rejet-de-ses-demandes-par-les-etats-unis-mais-ne-claque-pas-la-porte-des-negociations_6111445_3210.html




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Auteur, Comprendre le conservatisme en 14 entretiens, Liber.

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