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Cassius Clay, un roman vrai


Cassius Clay, un roman vrai

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« Vole comme un papillon ! Pique comme une abeille ! Vos poings ne  peuvent pas frapper ce que vos yeux ne peuvent pas voir ! » 25 février 1964, Convention Hall, Miami Beach, 11 heures. La scène est entrée dans la légende, et aurait même dû, selon le mot de Jim Murray, « être peinte par Hogarth ». Un parterre frétillant et bondé de journalistes sportifs se languit d’attendre l’enfant terrible de la boxe, le champion du monde des poids lourds en titre Sonny Liston, et son challenger Cassius Clay, pour la traditionnelle pesée qui précède le combat.
Soudain ce dernier fait son apparition, au bord de l’hystérie, habillé d’une veste en jean au dos de laquelle on peut lire « Chasse à l’ours » et entouré, ainsi qu’à son habitude, de sa garde rapprochée : son entraîneur Angelo Dundee, Sugar Ray Robinson l’ex-champion du monde et son inénarrable assistant Drew Bundini, « taulard, matelot, joueur professionnel, ami intime de Dieu et fantastique ivrogne ».
Cassius, presque dingue, au bord de l’attaque, et jusqu’à ce que Liston arrive, ne cesse de frapper comme un dément le sol de sa canne de sorcier africain, et, entre deux incantations vaudoues, retenu par quatre ou cinq personnes, continue de hurler. En vérité, Cassius crève de peur : peu avant le combat, il avait parlé de « guerre psychologique », il gesticule au rythme d’un pouls qui bat à 110 pulsations minute au lieu de 54 en temps normal.
Pourtant, quelques heures plus tard, Cassius Clay, le futur Mohammed Ali, remporte un combat qu’aux yeux de tous il était censé perdre. Il revêt sa première ceinture de champion du monde et commence à forger sa légende, sans doute la plus grande et la plus tortueuse de l’histoire du sport.
Autant dire que revenir sur cette légende n’est pas chose facile, tant celle-ci s’enchevêtre dans les méandres de la lutte contre la discrimination raciale des années 70 aux Etats-Unis, et épouse les roulements de la contestation gauchiste contre la guerre du Vietnam .
C’est pourtant le beau pari que vient de réussir Frédéric Roux dans son roman Alias Ali, qui prend le parti de retracer le destin du champion à travers un monumental collage de citations sans qu’il intervienne lui-même, sinon à la façon d’un monteur de cinéma : déclarations des proches de Mohamed Ali et des témoins des moments décisifs de son parcours. Il y a les sportifs, des champions aux seconds couteaux mais aussi les  politiques comme Malcom X et Elijah Muhammad, défenseurs radicaux de la cause noire.
Ce roman, à travers la vie du « Champ’ », n’est rien moins que celui de l’Amérique des années 60 et 70 où l’on navigue de la rencontre avec les Beatles aux théories délirantes de la Nation of Islam et l’on découvre soudain, entre deux révélations du journaliste David Remnick, une citation de Francis Picabia, de Patti Smith, ou de Don De Lillo, souvent anachronique mais toujours parfaitement appropriée à son objet.
Surtout, ce que nous montre si bien Frédéric Roux, c’est qu’Ali incarne plus qu’un autre un véritable tournant dans le monde de la boxe, du sport et de la presse, puisqu’il est sinon le premier, en tous les cas celui qui réussira au mieux à exploiter son image médiatique : « J’ai bien peur que Clay soit le boxeur qui incarne le mieux les failles de la première moitié des années 60. Il a gagné une fortune avant de savoir parfaitement maîtriser son art, en revanche il est peut-être le premier boxeur à maîtriser parfaitement les techniques de la publicité » (Bud Shulberg).
Mais Frédéric Roux nous fait également découvrir les recoins et dessous de ce monde quasi-mafieux et parfois désespéré qu’est la boxe, à travers une galerie de personnages secondaires tous plus déglingués et attachants les uns que les autres, chacun dépositaires d’anecdotes invraisemblables et de parcours souvent tragiques: de « Big » Tony Esperti, mafieux notoire qui, après sa carrière fit les délices de la rubrique faits-divers du Miami Herald, à Lamar Clark, le « Marteau Pilon de l’Utah », qui décida d’arrêter de boxer juste après son combat avec Ali, en passant par l’ex-taulard alcoolique Herb Siler, qui, selon ses propres mots, « n’aimait pas vraiment la boxe ».

Alias Ali, Frédéric Roux (Fayard)

*Photo : State library and archives of Florida.



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collabore au blog Zone-Critique.com

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