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Orphelins d’un empire

Réduction des visas, rappel de l'ambassadeur, interdiction du survol du pays aux avions militaires: le torchon brûle entre Alger et Paris


Orphelins d’un empire
Ramtane Lamamra (notre photo), le ministre algérien des Affaires étrangères, a annoncé la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc le 24 août, et fudtigé une soi-disant "faillite mémorielle" de la France depuis le Mali le 5 octobre © Fateh Guidoum/PPAgency/SIPA Numéro de reportage : 01035045_000003

La dégradation des relations entre la France et l’Algérie suite aux propos d’Emmanuel Macron sur le «système politico-militaire» -accusé d’entretenir une «rente mémorielle»– doit s’appréhender dans un contexte plus global. Les difficultés actuelles que nous donnent des gouvernements du Maghreb ou d’Afrique ne sont possibles que parce que leurs peuples ne sont plus séduits par la France.


La querelle entre l’Algérie et le Maroc montre que le Maghreb n’existe pas. L’Afrique du Nord est la terre de trois peuples : les Algériens, les Marocains et les Tunisiens. Ils se jalousent, ils s’ignorent, ils s’invectivent parfois.

Il n’y a qu’en France que le Maghreb et les Maghrébins existent pour de vrai. Le génie français, totalement déréglé depuis Mai 1968, a réussi un miracle : fusionner Marocains, Algériens et Tunisiens autour d’une même hostilité à l’encontre de la France. Chapeau l’artiste ! Il s’est passé la même chose pour les Africains qui n’existent qu’en France, car au sud de la Méditerranée il n’y a que des Sénégalais, des Guinéens, des Peuls, des Bambaras, des Sérères, etc. 

L’inconscient des peuples est le plus fort

L’histoire est tragi-comique. L’Algérie et le Maroc, qui se disputent aujourd’hui, sont de belles réussites françaises. L’Algérie doit son existence à la colonisation française qui lui a donné un État, une Nation et un territoire (jamais le désert du Sahara n’a été algérien, rarement la Kabylie a obéi aux Arabes). Le Maroc a été sauvé de la désintégration par le Protectorat français (1912-1956) qui lui a évité de perdre son État, sa Nation et son territoire. Le futur Maréchal Lyautey a opéré le Maroc à cœur ouvert et l’a remis sur pied, admirablement. Les Marocains éclairés et honnêtes lui en savent gré, le Sultan Mohammed V en personne lui a exprimé sa gratitude.

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D’ailleurs, la France a colonisé le Maroc en évitant soigneusement de refaire les mêmes erreurs qu’en Algérie. Lyautey cultivait une profonde répulsion pour ce que la Troisième République avait fait de l’Algérie : des pieds noirs qui se croient en France alors qu’ils sont en Afrique, des indigènes spoliés de leurs terres, une administration autiste aux besoins des musulmans. Une bombe à retardement en somme.  Ayant tiré les enseignements du fiasco algérien, Lyautey a soumis le Maroc à une chimiothérapie, dure mais nécessaire, tandis que l’Algérie, elle, avait été percutée par un train. 

La colonisation française n’a pas effacé l’inconscient des peuples. Algériens et Marocains sont restés eux-mêmes, avec leurs défauts et leurs qualités.  Parmi leurs défauts, le manque collaboration, corollaire de l’absence de confiance entre les personnes. En Afrique du Nord, on domine ou on est dominé. En France, on collabore et on participe ensemble du Bien Commun (je décris la France véritable, celle qui s’est éteinte au seuil des années 2000, et non le coupe-gorge dirigé actuellement par E.Macron).  Ces traits de la personnalité nord-africaine expliquent tout ou presque : il n’y a pas de place pour l’amitié entre les voisins, la paix n’étant obtenue que par la domination de l’un et la subjugation de l’autre.  La seule paix possible est celle qui règne au sein d’un Empire, c’est-à-dire une paix entre inégaux. La concorde s’obtient par la contrainte, non par l’adhésion. Ne vous attendez pas à une réconciliation un jour entre Algériens et Marocains, ils vivront toujours à couteaux tirés, même si l’Algérie cesse d’interférer dans les affaires du Sahara marocain.

L’aggiornamento de l’Algérie, c’est pour bientôt ?

Il y a déjà eu des empires en Afrique du Nord.  Ils avaient pour capitale Fez, Marrakech ou encore Istanbul.  Le grand Abdelkader, apôtre de la souveraineté algérienne, se faisait appeler Emir (prince) et non Sultan (roi) pour une raison très simple : à ses yeux, il y avait déjà un Sultan, le Sultan de Fez dont il était un vassal.  Abdelkader n’a jamais songé à se fâcher avec le Maroc.

Les empires ont disparu, mais les mentalités sont restées. L’on peut monter les structures de coopération régionale les plus élaborées, elles demeureront des constructions en papier mâché. A la première pluie, elles se dilueront dans le torrent des passions tristes.

Le jour où les peuples feront leur aggiornamento moral, la paix véritable aura peut-être une chance.

Avec la France, un dialogue rompu

À court-terme, il ne faut pas craindre une guerre, les régimes n’y ont aucun intérêt. Chacun de son côté est parvenu à tirer ses marrons du feu sur le plan interne et s’apprête à vivre des années de relative tranquillité. Le régime marocain « marche sur l’eau », lui qui a passé le test de la pandémie avec les « félicitations du jury » : confinements stricts avec l’appui des blindés et des forces anti-émeute, couvre-feux interminables, vaccination de masse, presse et intellectuels convertis au tout-Covid. Le Maroc, encore une fois, impressionne par sa capacité à anticiper l’air du temps et les priorités de la communauté internationale. Le peuple a été repris en main, dix ans après le (mal nommé) Printemps Arabe où la rue a pris l’initiative et imposé son agenda. Désormais, la rue est dûment masquée et vaccinée, elle vote même comme il faut : elle a mis dehors les islamistes du PJD lors des élections du mois de septembre dernier. De son côté, l’Algérie ne va pas si mal que ça. Elle a son gaz dont le prix est en train d’exploser. Elle n’a plus grand-chose à craindre des islamistes, ils sont « pacifiés », cooptés et pourris de l’intérieur eux-aussi. Sa jeunesse est irrévérencieuse, mais ne fait rien, son impuissance est palpable. Elle rêve plus de mettre les voiles que de faire la peau aux généraux.

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Des deux côtés de la frontière, il y a des professionnels de la politique et du gouvernement qui savent ce qu’ils font. Difficile de dire la même chose de la caste au pouvoir en France qui organise l’affaiblissement du pays et son déclassement. Est-ce que la France sera encore audible demain en Afrique du Nord ? Est-ce qu’elle saura se défendre face à une crise bilatérale avec le Maroc ou l’Algérie ? J’en doute de plus en plus. Gouvernée par des nains et des eunuques arrogants, elle occupe un trône devenu trop grand pour elle. A chaque fois que nous voyons les nouvelles télévisées en provenance de votre pays, nous achevons de nous convaincre que les Français d’aujourd’hui n’ont rien des Français de jadis qui nous avaient soumis et séduits, en même temps.

En plus d’être orphelins d’un empire, nous sommes désormais orphelins d’un ami sérieux qui nous enseigne les secrets de sa réussite et qui veuille bien écouter nos bons conseils à son tour.  




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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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