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Verdict Sarkozy: non, Vincent Trémolet de Villers, il n’y a pas de « malaise dans la démocratie »!

Philippe Bilger livre ses impressions sur la condamnation de Nicolas Sarkozy


Verdict Sarkozy: non, Vincent Trémolet de Villers, il n’y a pas de « malaise dans la démocratie »!
Septembre 2020 © ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage : 00983542_000028

Depuis que le jugement a été rendu le 1er mars et les condamnations prononcées contre Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert, une multitude de réactions et de dénonciations extrêmes qui vitupèrent une décision qu’elles n’ont pas lue, mettent ensemble des politiques inconditionnels – jusqu’au ministre de l’Intérieur, le respect d’un côté, le pouvoir de l’autre ! -, des avocats naturellement critiques et beaucoup de médias prenant pour un « coup de tonnerre » ce qui devrait être perçu comme une administration normale de la Justice (CNews, Sud Radio).

Et, bien sûr, les grands mots : malaise dans la démocratie pour Vincent Trémolet de Villers dans le Figaro, crise politique, déclin de la République, qui n’ont que le tort de se tromper de cible et d’oublier que nous n’avons qu’un seul devoir : appréhender l’acte judiciaire dans sa spécificité, faire respecter l’état de droit, prendre acte de l’appel et si, le moment venu, il aboutissait à la relaxe des prévenus, l’accepter comme la preuve de l’importance des voies de recours et du regard pluraliste et parfois contradictoire qu’elles permettent.

On ne peut pas en même temps décrier, salir, souvent avec une totale ignorance et mauvaise foi, la décision du 1er mars et se féliciter que les prévenus aient pu relever appel : il faudrait choisir. L’opprobre ou la sérénité ?

Les juges sont saisis sur le plan judiciaire, mais c’est leur prêter un immense pouvoir qui serait exclusif et qu’ils n’ont pas que de les prétendre créateurs ou destructeurs des destins politiques.

Ce qui a suscité cette effervescence majoritairement insultante contre le tribunal correctionnel, les magistrats et le PNF tient au fait que les mêmes, nombreux, reprochant en l’occurrence à la justice d’être partisane et politisée, portent sur ce jugement une appréciation elle-même partisane et politisée.

Exception : je tiens à saluer la parfaite dignité des avocats des trois prévenus. Ils fourbissent d’autres armes pour le futur et c’est normal, car ils ont sans doute conscience que leur stratégie de dénégations systématiques n’a pas été la bonne.

Il faut noter le honteux silence du garde des Sceaux et donc son aval tacite à l’égard des attaques scandaleuses à l’encontre d’un univers dont pour faire un coup politique on lui a pourtant confié la responsabilité et la défense!

En effet, si on avait l’honnêteté de s’arrêter au seul plan judiciaire, que pourrait-on dire ?

Des écoutes recueillies dans le cadre d’une autre procédure – grâce à un filet dérivant, je l’admets bien volontiers – ont révélé des échanges entre un avocat et son client, usant l’un et l’autre d’une fausse identité, dont la plupart se rapportaient à la préparation d’infractions susceptibles d’incriminer le trio plus tard condamné.

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Corruption, trafic d’influence, violation du secret professionnel et recel pouvaient qualifier ces agissements programmés. Le fait que le pacte conclu dans les conversations n’ait pas eu de traduction effective n’a rigoureusement aucune importance en droit sur la nature des délits principaux.

Les débats devant le tribunal correctionnel ont été intenses, nourris et exemplaires. J’ai pourtant noté d’emblée, de la part de certains chroniqueurs judiciaires, une sorte de parti pris qui ne laissait pas d’inquiéter sur leur compétence technique et judiciaire, en tout cas sur leur intuition.

D’ailleurs, sans paradoxe, j’ai compris que la condamnation de Nicolas Sarkozy était pressentie et crainte quand une offensive violente contre le PNF a été mise en branle, quelques jours avant le jugement, par Le Point, aux sympathies pro-sarkozystes connues.

Jugement qui a été légèrement inférieur aux convaincantes réquisitions du parquet puisque la peine d’un an ferme accompagnant le sursis pour Nicolas Sarkozy, permet un aménagement, ne prévoit pas l’inéligibilité et n’interdit pas le principe d’une éventuelle nouvelle candidature.

Les motivations de cette décision (257 pages) mêlent une argumentation technique précise et pointue à des considérations morales et démocratiques quand il s’agit d’expliquer la nature de la sanction. Ce qui est on ne peut plus normal.

Pas de preuves, paraît-il? Lesquelles auraient persuadé les soutiens politiques de Nicolas Sarkozy ?

Il ne me semble pas que l’ire brillante d’Élisabeth Lévy soit pertinente sur ce plan pas davantage que la globalité approximative d’Éric Zemmour évoquant une décision sous la dictée de Mediapart et faisant passer pour des certitudes ce qui relève de sa constante détestation des juges.

Par conséquent, à bien considérer le processus judiciaire dans son ensemble – et j’y inclus la discutable périphérie procédurale des fadettes – il n’y a rien qui, le jugement rendu, permette de le frapper d’illégalité ou même d’illégitimité. Sauf à tenir une ligne affichant un Nicolas Sarkozy innocent par principe et virginal malgré une dizaine de procédures, au fil du temps, à ses basques, certaines l’ayant d’ailleurs exonéré.

Ce qui réduit à rien l’accusation d’acharnement judiciaire et montre que depuis la honteuse insulte sur les « petits pois » ou le Mur des cons, de l’eau judiciaire a coulé sous les ponts. Si Nicolas Sarkozy est relaxé en appel, je parie qu’on le verra alors vanter l’état de droit et ces magistrats qui auront eu raison de lui donner raison.

Le PNF qui, sous l’égide d’une configuration de gauche, a matraqué judiciairement François Fillon – celui-ci y a mis du sien ensuite ! – n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui, dirigé par Jean-François Bohnert, un magistrat impartial et mesuré qui a rappelé le très faible pourcentage d’affaires politiques (un peu plus d’une dizaine) dans le vivier du PNF, la majorité tenant à du droit pénal financier ayant rapporté des milliards.

Alors procès politique ? Banalement oui. Il n’est pas indifférent qu’un ancien président de la République soit renvoyé devant un tribunal correctionnel et condamné à une peine partiellement ferme. Mais procès non politique si on entend par là qu’une juridiction aurait voulu « se payer » Nicolas Sarkozy, son excellent avocat sous influence et un magistrat discutable et discuté.

J’aurais rêvé qu’on prît tout simplement ce procès et cette décision pour la preuve d’une démocratie devenant de plus en plus exemplaire. Non pas malaise dans celle-ci mais exactement le contraire.

En effet, que la prévention pénale ait été infime, voire dérisoire aux yeux de certains ne me paraît pas un argument décisif. Rien n’est négligeable de ce qui est imputé à l’homme qui a ou a eu le pouvoir suprême. Il a des devoirs, des obligations, une exigence d’éthique et de rectitude. Il se doit d’être irréprochable.

C’est la fonction dévoyée qui justifie la gravité de la peine, pas les infractions. Même si je ne suis pas de ceux qui ont une vision hémiplégique de la délinquance, impitoyable pour celle du commun et emplie d’indulgence relativiste, voire cynique pour celle des puissants dans quelque domaine que ce soit.

Il y a en ce moment une responsabilité délétère de nos « élites », qui devraient inspirer, modérer, faire comprendre, faire réfléchir sur ce qui devrait pourtant être perçu comme une avancée de la République, une bienfaisante égalité entre les citoyens à partir de leur statut et de leur mission.

Je remercie amèrement le Figaro et TF1 d’avoir offert la démonstration inverse puisque Nicolas Sarkozy a pu développer, en vertu d’un privilège indu rompant tous les principes d’une justice équitable, « un complotisme anti-juges » et une affirmation répétée de son innocence, démentie le 1er mars et qui le sera peut-être encore en appel. Un abus, une complaisance que je juge choquants.

Derrière une aspiration formelle à l’égalité, les Français au fond révèrent les supériorités de type régalien. Même sanctionné, Nicolas Sarkozy est un parfait exemple de cette tendance.

Il me semble intéressant de relever que Nicolas Sarkozy a fondé ses protestations renouvelées sur le fait que journalistes et avocats, lors des débats, avaient considéré qu’il n’y avait aucune preuve contre lui. Ce serait comique si nous n’étions pas confrontés à une affaire désastreuse pour la République et qui bizarrement a conduit gauche, droite et les extrêmes à une sorte de connivence et de prudence lâches. On ne sait jamais, cela pourrait nous arriver !

Si je comprends bien le fil du temps, on a longtemps reproché à la magistrature d’être trop soumise. Maintenant, d’être trop indépendante. Qu’importe ! Les chiens aboient, la caravane doit passer.

Je conclus donc. Aucun malaise dans la démocratie.

Ou alors d’une autre sorte.

En effet, le seul vrai, authentique, désastreux malaise est qu’on puisse sans honte, légitimement, sereinement, poursuivre ou condamner un ancien président de la République pour des agissements que la Justice non seulement n’a pas inventés, mais qu’elle a le devoir et l’honneur de prendre en charge.

 

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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