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Inquisitio : pas de quoi fouetter un Cuche


Qu’il est difficile de renoncer à la douce amertume que procure le sentiment d’être offensé ! Avant même sa diffusion, Inquisitio, la série de France 2 qui met en scène un inquisiteur du XIVe siècle au moment du grand schisme d’Occident, a provoqué une avalanche d’articles moqueurs et outragés chez mes amis cathos qui condamnent, unanimes ou presque, l’antichristianisme virulent de la série, son propos caricatural et bêtement manichéen, digne disent-ils, des heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire anticléricale. Les blogueurs cathos ont en chœur crié haro sur le baudet du service public qui, paraît-il, nous vole notre argent pour nous insulter. De tous les camps retranchés de la blogosphère papiste une clameur a priori bien légitime montait : « sus à la cathophobie d’Etat ! ».

Je n’avais pas regardé les deux premiers épisodes mais j’étais remonté à bloc par la mobilisation des bouffeurs de bouffeurs de curés, prêt moi-même à tous les sarcasmes et à découvrir de nouveaux clichés ridicules à pourfendre. Bien calé dans les starting-blocks de l’indignation, quoique vautré dans mon canapé, je frissonnais déjà de plaisir à l’idée de toutes les horreurs que j’allais entendre. Eh bien, j’ai été très déçu. Enfin, je veux dire, agréablement surpris. La série est loin d’être aussi caricaturale que ce que l’on m’avait promis et j’ai même pris du plaisir à certaines scènes. Si l’on peut regretter l’abus d’une brume furieusement moyenâgeuse, d’une manière générale, les décors et la lumière sont soignés, et le scénario prenant. Plus encore, l’intrigue me semble porteuse de possibilités intéressantes. On attend des bouleversements de la psyché de certains personnages dans les prochains épisodes. A mille lieues de ces séries américaines partout célébrées, où rien ne bouge jamais car les personnages y sont toujours sempiternellement fidèles à eux-mêmes et à leurs personnalités grossièrement dépeintes, en deux traits de caractère maximum. On reproche en outre à la série de ne pas être fidèle à la vérité historique. Mais est-ce le rôle d’une fiction que de l’être ? Franchement, que nous importe que Fanfan, pour la Madame de Pompadour historique, n’avait pas la tête de Gérard Philipe, mais celle d’Alexandrine, sa fille ?

Alors, pourquoi tant de hargne à l’encontre de la série ? N’y a-t-il pas ici un léger effet de meute qui s’est emparé de la blogosphère catholique ? Il m’est arrivé assez souvent de dénoncer ce genre de phénomène chez les critiques du Pape pour ne pas hésiter à le souligner quand je crois le percevoir chez mes amis. Avant de condamner Inquisitio aux ténèbres extérieures de la cathophobie, peut-être aurait-il fallu tourner notre index vengeur sept fois au-dessus du clavier avant d’appuyer sur la touche envoi. Etre fidèles, en prenant notre temps, à l’Inquisition dans ce qu’elle a de meilleur, lorsqu’elle substitue au lynchage immédiat une longue procédure de recherche de la vérité. En outre, avant de condamner, un peu d’introspection ne fait jamais de mal. Avouons-le sans détour, sans même avoir à subir pour de vrai les foudres des Torquemada contemporains, nous éprouvons nous autres cathos une légère jouissance à nous imaginer le centre de la haine, l’objet des préjugés les plus bêtes, de la doxa contemporaine.

Bon, pour être tout à fait honnête, je dois avouer qu’il m’est arrivé d’être décontenancé par certaines scènes, et même horrifié par d’autres. Il y a d’abord les scènes gore qui semblent être devenues obligatoires dans la fiction contemporaine et qui pourtant n’apportent rien, sinon le plaisir contestable de jouir de la violence exercée par procuration. Ensuite, entendre quelqu’un défendre son droit à « faire des recherches » librement ou un autre pourfendre certaines « théories du complot » donne plus l’impression que l’on est en train de consulter un forum citoyen sur internet que de regarder une série consacrée à des querelles religieuses du XIVe siècle. Un autre passage dans lequel on torture un homme pour obtenir les aveux d’un autre me semble bien peu fidèle à l’Inquisition elle-même (malgré toutes ses dérives bien réelles reconnues par l’Eglise) et plutôt emprunté à une mauvaise série américaine. J’avoue enfin que, comme beaucoup, j’ai eu de la peine pour la merveilleuse Catherine de Sienne transformée en sorcière fanatique inoculant la peste à ses ennemis. Mais il faut entendre l’auteur de la série, Nicolas Cuche, lorsqu’il déclare faire amende honorable et regretter profondément avoir heurté des croyants en baptisant ainsi ce personnage atroce, qui n’a bien sûr rien à voir avec Catherine, sainte et docteur de l’Eglise. Pardonnons-lui, puisqu’il nous dit qu’il ne savait pas ce qu’il faisait.

A ces gros bémols près, la série est intéressante et se situe à mille lieues du brûlot anticatho annoncé. Contrairement à ce qu’a pu affirmer l’excellente Frigide Barjot, les cathos ne sont pas les seuls dans cette série à être présentés comme des fanatiques. On y trouve par exemple un chef de communauté juif complètement borné qui refuse d’envisager qu’un enfant chrétien puisse devenir juif. En outre, la figure centrale de la série, le grand inquisiteur Barnal, est beaucoup moins caricaturale que celle de l’inquisiteur atroce du Nom de la Rose. Barnal est aimanté par la recherche de la vérité et semble s’humaniser progressivement, sous l’effet de ce qu’il découvre. Un peu comme si Barnal avait fusionné dans sa personne deux figures, celle du mauvais inquisiteur Bernardo Gui et celle du bon enquêteur Guillaume de Baskerville du Nom de la Rose. Cela rend le personnage de Barnal diablement complexe. Plus fidèle en tous cas à la réalité de la complexité du cœur des hommes que ce que nous ont montré Jean-Jacques Annaud ou Umberto Eco. Ceux-ci ne se sont pourtant jamais attiré autant de hargne de la part des catholiques; leur Nom de la Rose bénéficiant d’une réputation artistique parfaitement usurpée.

Certaines scènes d’Inquisitio sont même d’une beauté indéniable. Je pense notamment à ce moment où l’inquisiteur, débarrassé devant Dieu de son bandeau de borgne, agenouillé seul face à un vaste chœur de pierre froide et lumineuse, demande pardon pour son incapacité à remplir pleinement sa mission de bon chrétien. Reconnaissant ses péchés, seul face à Dieu, il semble soudainement lucide, grâce à la prière, sur lui-même et ses emportements. Nul ne peut douter que le pardon viendra. Voilà de quoi méditer sur cette merveilleuse phrase de l’épitre de saint Jacques selon laquelle la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu. C’était vrai pour l’Inquisition hier, c’est vrai encore aujourd’hui pour nous autres cathos sans aucun pouvoir temporel.



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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