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Commissariat au plan : la France réinvente l’eau tiède

Une tribune du président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales


Commissariat au plan : la France réinvente l’eau tiède
François Bayrou, pressenti pour devenir Haut commissaire au Plan. Auteurs : QUENTIN TOP/SIPA; Numéro de reportage : 00958193_000004

Le gouvernement entend créer un Haut-commissariat au Plan. Une initiative d’un autre âge tant la planification est liée à cette idée désormais trop souvent admise que l’homme peut construire la société selon le dessein qu’il établit.


 

Décidément, la France ne sait pas se débarrasser de ses vieux démons. Elle veut réinventer le Plan qui n’a jamais prouvé son utilité. Crée en mai 2016, l’agence gouvernementale Santé Publique France avait précisément pour objet de planifier les risques épidémiologiques et elle n’a rien vu venir du coronavirus. Pour sa part, France Stratégie, a passé ces dernières années à formuler des propositions pour collectiviser la France plutôt qu’à s’occuper, selon les objectifs qui lui étaient fixés par le gouvernement,  de concourir à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental, ainsi qu’à la préparation des réformes. Au point qu’il a fallu qu’elle soit recadrée par le Premier ministre. Le commissariat général au Plan, prédécesseur de France Stratégie, avait fait en 1997 des prévisions sur la consommation d’énergie et la production de CO2 en 2020. Un des pilotes de cette étude, François Moisan, a démontré que malgré la réunion d’une soixantaine d’experts pour travailler sur ce sujet, le commissariat au plan s’était trompé sur tout : prix du pétrole, population, croissance, émissions de CO2…

L’idée de la planification est liée à cette idée désormais trop souvent admise que l’homme peut construire la société selon le dessein qu’il établit. Cette attitude constructiviste a toujours existé chez les utopistes, de Platon à Thomas More, qui rêvaient de bâtir des cités parfaites. Elle a prospéré avec la philosophie de Descartes qui a conçu l’homme mécanique et celle de Hobbes, de Rousseau et d’autres qui ont imaginé, même si ça n’était qu’à titre d’hypothèse, que les hommes auraient décidé de leur association en concluant un contrat social alors que la société s’est plus vraisemblablement constituée naturellement par l’action des générations humaines et leurs efforts pour améliorer leur sort. Aujourd’hui les progrès des sciences et l’envahissement des mathématiques en économie ont renforcé encore cette tendance à croire que l’humanité est calculable, ce qui justifierait la planification. Pourtant l’homme déjoue toujours la poursuite des courbes, ce qui explique les erreurs de Malthus au début du XIXème siècle ou celles du Club de Rome dans les années 1970 qui annonçaient que l’humanité mourrait de faim sous peu. Ils ignoraient l’homme et son immense capacité à répondre à des défis, mêmes inattendus.

Certes, le Plan à la française n’a jamais été établi sur le modèle du Gosplan soviétique qui régentait non seulement les politiques publiques, mais aussi leur exécution, jusqu’au détail. Il reste que la planification est vouée par principe à l’échec parce que la vie réelle, heureusement, ne dépend pas que de l’action de l’Etat, mais d’abord et surtout de celle des hommes. L’économie et plus généralement la vie sociale sont le résultat de milliards de décisions plus ou moins importantes prises chaque jour par chacun d’entre nous. Bien sûr les mesures politiques jouent un rôle dans les choix des individus, mais leur effet reste incertain. Il y a des contre effets. Les individus adaptent en permanence leur comportement en fonction des changements externes et des informations qu’ils reçoivent, et de manière imprévisible. Ils sont capables d’innovation, de réactivité, de ruse pour contourner les obstacles des législations ou des événements. Mais l’action des individus est elle-même indéterminée, tâtonnant par essais et erreurs.

Certes, il existe des lois de la nature humaine qui permettent de prévoir, d’anticiper certaines réactions mais pas de manière planifiée. On sait ainsi par exemple, selon Laffer, que au-delà d’un certain seuil, trop d’impôt crée un rejet de l’impôt et détourne certaines personnes de l’activité productive, et qu’alors une augmentation des impôts réduit le produit de l’impôt et vice-versa. Mais le seuil de l’effet Laffer est différent selon les pays et les époques car la psychologie des individus est elle-même variable selon l’environnement et la situation du moment. Aucune équation mathématique de donnera le résultat sur les fiances publiques de la baisse de tel ou tel impôt. Mais une politique de baisse des prélèvements obligatoires dans les pays où ils sont excessifs est généralement favorable.

Il ne s’agit pas pour autant de considérer que nous pourrions nous passer de règles. Bien au contraire, il est évident qu’il faut des règles de droit claires pour indiquer à chacun quelle est la sphère de ses libertés. Car pour mener leurs actions, qui font avancer le monde, les hommes ont besoin de connaître  leurs frontières par rapport à autrui et de pouvoir faire respecter leurs droits. Ainsi, le rôle de l’Etat est plus de faire respecter ces limites et de veiller à ce que tous bénéficient des mêmes droits plutôt que de diriger, planifier l’action des uns ou des autres, voire de faire à leur place en ouvrant la porte au despotisme.

Nous n’avons donc pas besoin d’un plan, mais d’une politique, ce qui suppose moins des experts que des hommes politiques avisés, visionnaires. Les dizaines d’économistes, fonctionnaires pour la plupart, au service des agences publiques comme France Stratégie ou l’OFCE peuvent être utiles pour évaluer les projets politiques, pas pour les concevoir.  La politique devrait être recentrée sur sa principale mission d’assurer à tous une sécurité juridique et pratique, de permettre à chacun de faire ses choix et d’en assumer la responsabilité, ce qui favoriserait des vocations innombrables pour faire face aux défis du monde au plan économique comme au plan politique. Ca n’est pas en créant un Haut Commissariat au Plan que le gouvernement y parviendra et redonnera aux jeunes gens talentueux l’envie de faire de la politique ou de créer des entreprises en France. Si, comme on peut le craindre, une telle décision n’avait comme seul motif inavoué que de satisfaire aux ambitions politiques attardées d’un cacique et aux équilibres politiques d’un gouvernement en mal de projets, elle contribuerait encore un peu plus à ternir la politique et à la faire suspecter de toutes les compromissions possibles.

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Avocat fiscaliste, essayiste et président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF.

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