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L’homme est un virus pour l’homme

Le journal de Nidra Poller


L’homme est un virus pour l’homme
A Cannes, projection d'ET l'extra terrestre en "ciné drive" sur la Croisette, le 20 mai 2020 © SYSPEO/SIPA Numéro de reportage: 00963258_000042

 


Episode 11: pas de danse sur un terrain miné


22 mai 2020

Rappel

L’allègement du confinement vient avec un grincement de cœur pour la famille éloignée. Qu’ils soient à distance de 10, 800 ou 10 000 kilomètres, on ne peut pas se toucher, pas se fréquenter sans respecter la distance, pas se rendre visite sans braver le confinement dans un train ou un avion bourré des gens qui parlent. « Ne pleure pas grand-mère ». Mettons les sentiments dans la poche et les yeux en face des trous, histoire de tester la réalité. Où en sommes-nous ?

Tests, vérifications, examens

À cette époque-là, on attendait une bonne semaine le résultat du test de grossesse, qui passait par un lapin. Je vais googler en temps réel pour savoir comment ça marchait. [pause]. Deux chercheurs « allemands », Selmar Aschheim et Bernhard Zondek, ont conçu le test de grossesse basé sur l’injection dans les ovaires d’une lapine de l’urine de la femme qui pose la question. Si l’intervention déclenche la formation du corpus luteum chez la lapine, la réponse est positive. 

Scientifiques « allemands » ? Poussant plus loin, j’en vérifie l’identité et le parcours. Il s’agit en fait de deux gynécologues juifs ayant fui l’Allemagne nazie pour mener des carrières brillantes ; Aschheim au CNRS, mort à Paris en 1965. Zondek, en Palestine [mandataire, aujourd’hui Israël] au Hebrew University, mort à Jérusalem en 1966.

Avec ou sans lapin, je ne me suis jamais trompée côté grossesse. Ceux qui pensent que la mort par Covid-19 des personnes âgées est sans intérêt se foutent également des bibliothèques qui brûlent. Ils n’ont pas besoin d’apprendre, ils ont le smartphone. À peine libérés d’un confinement pour certains inutiles – on n’avait qu’à renfermer les vieux – les salariés détachés de la réalité lorgnent les vacances, comme d’habitude. 

Le test de grossesse est, aujourd’hui, simple comme 1 + 1 = 3 ; le dépistage de Covid-19 par PCR n’est fiable qu’à 75% ; l’examen sérologique devrait au moins permettre de savoir qui a rencontré le Covid-19… sans mourir. Or, les résultats de nous-deux sont carrément décevants. Radicalement en-dessous des 1,40 requis pour être reçu, sans pour autant être certifié « immunisés », nous sommes respectivement à 0,05 et 0,03. Avec la mention : « absence d’anticorps ». Et quoi encore !  

>>> Relire les épisodes précédents <<<

Je passe en replay mon état de santé entre le 7 et le  17 mars. Agueusie, toux sèche, fièvre, fatigue inouïe. Pas hypocondriaque pour un sou, dernière incidence de fièvre notée à la fin du 20e siècle, je n’avais pas de raison d’inventer l’agueusie parce que ce n’était pas encore connu du grand public comme symptôme du Covid-19. Tout cela pour rien. Pas d’anticorps, pas de certification, pas de confirmation du bien-fondé de mes observations… ce virus est encore plus retors que je ne le pensais. Les asymptomatiques, par définition sans symptômes, poursuivent leur petit chemin jusqu’à ce qu’un test dévoile une cache d’anticorps à faire pâlir un vaccin. Est-ce juste ?

Pour qui sonne le glas?

« Alors, ne cherche pas à savoir / Pour qui sonne le glas / Il sonne pour toi ». [John Donne] Le clocher de l’église au coin de notre rue sonne la tristesse à midi et de nouveau à 20 heures pour nous convier à l’applaudissement des soignants.  Au premier weekend d’allègement, le quartier était animé, les Parisiens fonçaient à pas rapides comme d’habitude. Les chaises et tables alignées sur le trottoir devant le café du coin s’aéraient, nostalgiques. Quelques clients sortaient des boutiques avec le sac à logo, tellement heureux de dépenser, enfin, un peu de l’argent bloqué avec eux entre quatre murs.  Comment ne pas apprécier ces heures frivoles tirées du désastre comptabilisé de jour en jour par des chiffres morts comme les victimes anonymes ? Les citadins, résilients, font vibrer la ville, malgré les cafés fermés, les restaurants en carry-out, les touristes absents et les habitants masqués. Comment croire à ce qu’on vient de vivre ? Comment savoir ce qui nous attend ? 

Premier samedi de liberté, des centaines de Gilets Jaunes ont repris du service à Montpellier, empêchant les gens de circuler. Comme d’habitude.

Incertitudes en cascade

Deux scénarios sont offerts : l’épidémie du coronavirus est, tout compte fait, maîtrisée. Pour des raisons géopolitiques, liées aux intérêts divers et variés, l’épisode a été amplifié au-delà du raisonnable, créant une hystérie planétaire. Des lockdowns insensés ont poignardé l’économie mondiale mais, grâce aux voix claires de ceux qui n’ont jamais été dupes, on sauvera la mise. Un baiser sur la joue de la belle au bois dormant, le pays se réveille, l’économie saute d’un bond, le cauchemar est fini. Un professeur archi-connu traite la soi-disant pandémie par-dessus la jambe. On n’avait qu’à faire comme lui : traiter les malades et respecter le calendrier. Le Covid-19 n’a pas de dérogation à la règle des épidémies. Elles entrent, elles frappent, elles sévissent, la courbe monte et, juste au moment où on n’en peut plus, elle descend la pente comme un skieur expérimenté. Maintenant, calmez-vous et laisser les gens mourir de leur belle mort. 

Au lendemain de l’ouverture de l’accès à la mer sur la côte californienne, un surfeur de 26 ans est mort, victime d’un requin aux motivations pas encore élucidées. 

Un président qui tweete comme un oiseau ivre promet à l’économie une courbe en V (V pour victoire en novembre 2020) : au plus bas aujourd’hui elle remontera comme un fusil à Cap Canaveral pour arriver plus haut que son point de départ, la meilleure économie connue depuis le début des temps !!!

À la lumière de cette version des faits, les pas-moi-paranos sont revendiqués. Le retour à la normale est la preuve qu’on n’aurait jamais dû la quitter. Les pays, l’un après l’autre, lèvent les restrictions. Ici à Paris, où parcs et jardins sont encore des no man’s lands, on commence à parler du tourisme. Les compagnies aériennes rongent leur frein, promettent monts et merveilles, vantent une distanciation factice et la circulation d’un air pur. Masque obligatoire et gel hydroalcoolique à l’entrée des magasins, les familles osent à peine se réunir, et on va accueillir des touristes de toutes provenances ? Remettre sur le feu le bouillon de culture par où tout ce malheur nous est tombé dessus ? Le tourisme, secteur essentiel qu’il faudrait absolument ressusciter ? 

Que devient l’autre scénario, celui qu’on a véritablement vécu pendant les semaines de confinement ?  Il est où, le virus, qui a tué nos amis, collègues et compatriotes ? On a cru comprendre que la pire pandémie depuis un siècle nous frappait avec une virulence effrayante. Hautement contagieux, inconnu de nos anticorps comme de nos scientifiques, capable de ravager une communauté en l’espace de quelques mois, au point de démolir la capacité de gestion politique et sanitaire, ce nouveau coronavirus exige une transformation profonde de tout : notre vision du monde, nos pratiques quotidiennes, nos activités professionnelles,  notre rapport à l’autre et la liberté de nous déplacer. Le jeu des chiffres voile la vérité bouleversante. La souffrance des victimes de Covid-19 ne ressemble à aucune maladie connue. Cachés comme des innocents dans un centre commercial assiégé par des jihadistes, on commence à peine à assimiler le témoignage des survivants et des soignants, quand l’histoire du virus s’arrête comme un texte inachevé.

L’allègement égale soulagement ? Le pire est derrière nous ? Ne sommes-nous pas plutôt dans l’œil du cyclone ? 

L’art pour l’art et des miettes pour les artistes

Je n’en veux pas aux agriculteurs qui pleurent sécheresse quand je me régale du beau fixe. Ce n’est pas surprenant que les salariés soient indifférents au sort des artistes qui accumulent les petits boulots, touchent des retraites minables et sont souvent récompensés en proportion inverse à leurs qualités proprement artistiques.  

On dit que les Japonais ont du mal à passer au plan B par honte (hazukashi) d’avouer que le plan A a échoué. Ce qui explique les tergiversations avant l’annonce du report à l’été 2021 des Jeux Olympiques 2020 de Tokyo. La saison d’athlétisme est passée à la trappe. C’est tout un système international de sports et de financement qui se cassera la gueule si le virus persiste à courir plus loin que les champions. Qui, des sportifs ou des photographes, arrivera le mieux à se recycler ? 

L’art, désintéressé, ne joue pas les coudes pour se faire reconnaître. Sans intermédiaires, on reste à l’ombre. On aurait voulu découvrir, à la sortie de la pandémie, un monde meilleur où nous deux, au grand large  sans gilet de sauvetage, pourrions vivre, lui de son œuvre d’art photographique, moi de mes droits d’auteur. [soupir] On avait rêvé d’un monde apaisé, assagi et un peu mieux ordonné mais c’est du pareil au même. Les gens dûment masqués marchent sur des trottoirs cradingues. Partout la polémique enfle. 

Et Mister Trump fait la guerre à la Chine. 

Même masqués, on ne va pas se dérober. Rendez-vous à l’Episode 12 : Chiner en état de pandémie

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