Accueil Édition Abonné Avril 2020 J’ai bien connu Jean Daniel

J’ai bien connu Jean Daniel

Le moi de Basile


J’ai bien connu Jean Daniel
Jean Daniel (à gauche sur la photo), Vatican, 1985 © Michele Bancilhon/ AFP

Coup sur coup, la mort de Jean Daniel et le coronavirus ! Un mois difficile à traverser pour l’humanité. En ce qui me concerne, je vous parlerai surtout de Jean, parce que je l’ai mieux connu que le Covid-19, du moins à l’heure où j’écris ces lignes.


Éloge funèbre de la gauche non-sectaire

vendredi 28 février

Hommage national à Jean Daniel aux Invalides. Pour Macron, c’est déjà le neuvième. Du coup, rompu à l’exercice, le chef de l’État sait trouver les mots d’emblée : « C’était une grande conscience de la gauche. »

Je n’aurais pas dit mieux, sauf à ajouter une phrase de lui qui me l’a toujours rendu sympathique : « La vérité me paraît être le plus souvent dans le complexe, dans le contradictoire. » Jean Daniel manifeste là une absence de sectarisme, j’allais dire une ouverture d’esprit, rare chez les siens, au point qu’on l’y a souvent pris pour un tiède, voire un traître.

« Penser contre soi-même », chacun sait comme l’exercice est difficile. Mais combien plus encore lorsqu’on est persuadé d’incarner le Progrès ! Quand on est dans le camp du Bien, on ne transige pas avec le Mal.

Il y a toujours dans la gauche un peu de Terreur qui sommeille. Pas chez Jean Daniel. Bien que structurellement progressiste, il avait compris depuis longtemps où mènent les « avenirs radieux ». Dès lors, il n’eut plus qu’un seul but, éviter le pire, et une seule méthode : le compromis.

Hélas ! Un demi-siècle durant, toutes ses belles constructions éditoriales ont été systématiquement balayées par un vent mauvais, mais pas vraiment nouveau : la volonté de puissance soufflant dans les rapports de force (Allégorie).

Sauf erreur, aucune des grandes suggestions daniélesques ne s’est jamais concrétisée, ni en politique intérieure ni a fortiori en politique étrangère. Ça ne l’a pas empêché de continuer à plaider jusqu’au bout, avec un enthousiasme intact, pour ses solutions de bon sens – à condition bien sûr de changer la nature humaine.

Un monde parfait

vendredi 6 mars

Samedi dernier, double page « Idées » dans Le Monde : « Les années 1970-1980, âge d’or de la pédophilie. » Un dossier accablant pour toute l’élite intello-médiatique de l’époque – sauf Le Monde, figure-toi.

En 15 000 signes denses, le quotidien ne trouve pas de mots assez durs pour condamner cette perversion criminelle qui passait alors, s’indigne-t-il, pour une pratique sexuelle « alternative » ».

Dans un étonnant exercice de name dropping, il livre à la vindicte mondaine des listes d’apologistes de la pédophilie, mais pas n’importe lesquels : essentiellement des personnalités disparues, ainsi que deux ou trois publications marginales de l’époque (Recherches, la revue introuvable de Félix Guattari, ou l’improbable journal maoïste Tout !…)

Ainsi Le Monde se croit-il dispensé de mettre en cause les autres pédophilophiles de l’époque : ceux qui sont toujours vivants et en activité, à commencer par lui-même. Un seul exemple, mais qui vaut son pesant de faux-culterie : évoquant une fameuse pétition de 1977 pour la libération de pédophiles emprisonnés, le journaliste livre complaisamment les passages les plus croustillants du texte, ainsi que 20 signataires. Il oublie juste de mentionner où cet appel douteux est paru : à sa une !

Apparemment, le texte incriminé serait de la plume de Gabriel Matzneff. Il faut dire qu’à l’époque, M le Maudit était dans les petits papiers du Monde, par Sollers et Josyane Savigneau interposés – jusqu’à ce que le journal lui ouvre directement ses colonnes, de 1977 à 1982.

Quarante ans plus tard, le même Monde découvre soudain avec horreur que son poulain a « soutenu l’insoutenable », voire « célébré l’incélébrable »… Que dire de ce « quotidien-de-référence » qui condamne aujourd’hui des crimes et délits dont il fut naguère complice, juste parce que c’était tendance ? Qu’il devrait être définitivement déconsidéré. Il ne l’est pas. C’est toute une époque, comme disait ma grand-mère.

Pour la prochaine fois, je propose au Monde un dossier accablant sur le thème « 1972-1977 : les zélateurs français des criminels khmers rouges ». Et si jamais ils manquent d’illustrations, je leur suggère leur propre une du 18 avril 1975 : « Atmosphère de liesse dans Phnom Penh libérée ».

« Poubel Obs » : Histoire secrète d’une parodie mort-née

samedi 14 mars

Pour en revenir à Jean Daniel, sa mort à 99 ans et demi m’a fait irrésistiblement penser à ma propre nécro, parue dans le mensuel Jalons il y a trente ans : « […] La nouvelle de sa disparition a bouleversé ses amis, qui le croyaient mort depuis longtemps. »

Du coup, ça m’a rappelé que mon unique contact avec l’ami Jean, hélas peu concluant, concernait précisément Jalons. L’anecdote, qui date de 1987, était restée inédite ; mais maintenant qu’il est mouru, il y a prescription.

Jean Daniel était alors – comme depuis toujours, me semblait-il déjà à l’époque – patron du Nouvel Obs. Plus étonnant, il avait pour directeur de la rédaction Franz-Olivier Giesbert, qui devait peu après occuper les mêmes fonctions au Figaro.

C’est ce FOG qui eut l’audace de recruter notre bande de pasticheurs déjà sulfureux, pour parodier l’hebdo officiel de l’intelligentsia dans ses propres colonnes. Sans me vanter, c’était couillu de sa part ; et le mieux, c’est que ça a failli marcher !

Notre mission, si nous l’acceptions : concocter un supplément de huit pages (textes et dessins) à encarter au milieu du journal, à l’occasion de je-ne-sais-plus-quel-anniversaire. Côté Jalons, pas de problème éthique majeur ! Être payé pour caricaturer les travers de l’idéologie dominante à travers un de ses canaux historiques, et à sa demande, c’est une offre qui ne se refuse pas. On s’en est donc donné à cœur joie, dans les limites de la common decency jalonienne bien sûr.

Le jour où j’ai soumis notre PoubelObs à l’ami FOG, en présence notamment des camarades Pierre Bénichou et Guy Sitbon, l’ambiance n’était pas à la morosité. Les éclats de rire fusaient, on lisait des passages à haute voix, et je rosissais de bonheur…

Las ! Un de nos plus grands succès, « L’éditorial de Jack Daniels », fut la cause de notre perte. Apparemment, Jean n’a pas apprécié son vrai-faux papier, au point de faire une colère. Même pas question de corriger : tout à la poubelle, ou je démissionne !

FOG m’a appelé pour m’expliquer le drame : « Désolé, l’opération est annulée. Mais ne t’inquiète pas, vous serez payés comme convenu. À condition évidemment de ne pas publier ça ailleurs… » On a été payés, on n’a pas utilisé la copie – et depuis, de toute façon, Barjot a rangé.

Confinement et conséquences

Dimanche 29 mars

OK, j’ai fini par lire le Goncourt 2019.

Que celui qui, en quinze jours de confinement, n’a fait aucune connerie me jette le premier pavé !

Avril 2020 - Causeur #78

Article extrait du Magazine Causeur




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