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Vieilles badernes contre jeunes crétins

Savoir vivre avec son temps


Vieilles badernes contre jeunes crétins
Chantal Ladesou © Jacques BENAROCH/SIPA Numéro de reportage : 00835577_000092

Les progrès de la société vont bon train. Mais est-ce à dire que nous devons gober aveuglement toutes les « avancées » essentielles qu’on nous propose ? Chronique sur le mieux vivre avec son temps, entre vrais progrès et fausse amélioration. 


 

Il paraît que les quinquas seraient des obsédés du c’était mieux avant. Les sextats des envoûtés du recul passéiste. C’est-à-dire, d’après le Larousse, des personnes centrées «sur une attitude de repli sur les valeurs du passé». Des rétrogrades, attardés, fossilisés sur un sentiment excessif de nostalgie. Des régressistes en somme. Ça ne doit pas être loin de la réalité. Il faut savoir accepter la critique. Et se rendre aussi à l’évidence. Il est assez clair qu’on trouve plus souvent ce genre d’attitude chez nous, les vieilles badernes, que chez vous, les jeunes crétins. Cependant, il faut aussi apporter à cette cascade de critiques, un léger bémol. On peut être quasiment rangé des voitures – évidemment V8 essence – et mis dans la case senior, au rebut de notre société, en étant donc un suppôt du conservatisme (cette philosophie politique évidemment odieuse), tout en acceptant de vivre avec son temps. 

Concessions à la modernité, mais pas à la data

La preuve, je suis un utilisateur convaincu de toutes les avancées modernes essentielles et décisives. Le grille tout pain Seb par exemple, le seul capable de dorer toutes les mies – même les Carêmes – et évidemment celle de la baguette ; l’ouvre-boîte électrique aussi. Engin qui a beaucoup fait pour la libération des thons. Trêve de plaisanterie, sans être des maniaques du posting Instagrameux, des érotomanes du tweet clasheur ou des névropathes (cycliques) de Facebook, les vieux savent aussi vivre avec leur temps. La preuve, j’écris cette chronique sur mon iPhone. Je l’enverrai quand elle sera terminée à mon rédacteur en chef par e-mail et il me répondra sans doute par WhatsApp. C’est pas de la modernité ça ? 

J’utilise la Wi-Fi partout où je passe, je commande mon chauffage à distance, je regarde la télé sur ma Freebox, mes séries sur iPad et la météo sur une appli. Comme ça je peux témoigner du réchauffement climatique en direct live en comptant les tempêtes. Et je garde surtout les mains propres. Mais il faut quand même bien reconnaître qu’il y a des trucs modernes qui m’épuisent. De l’avant-gardisme qui m’exténue. La data par exemple. On n’a que ça à la bouche. En a-t-on vraiment besoin de la data? Les compteurs Linky qui connaissent mieux que vous la consommation de votre rasoir électrique ou de votre four micro-ondes, à quoi ça sert? A mieux analyser vos besoins ? Foutaise. C’est surtout utile pour nous coller encore plus de pubs ciblées oui. 

Aussi sûr que les vérandas Athéna auront achevé de défigurer les dernières jolies maisons françaises avant dix ans, en enrichissant au passage les animateurs des Grosses Têtes. Et la 5G

On n’est pas obligé de tout prendre

Le paracétamol produit à 90 % en Chine, les Renault fabriquées au Maroc, à 300 euros le SMIC local, et la PMA? Qu’est-ce que ça change? D’aller plus vite? De dépenser moins? D’être plus libre ? Tu parles. Accentuer les profits oui. Ça c’est certain. C’est ça qui est le plus fatigant d’ailleurs. Qu’on essaye de nous faire croire que le progrès est destiné à améliorer nos vies. Que le Canard WC est une révolution qui va libérer la ménagère d’un coup de bec et faire rendre l’âme aux fabricants de balais chiottes. Que le sweat-shirt à capuche n’a pas encouragé les vocations chez les dealeurs. Et que le couscous de quinoa vegan est meilleur pour l’estomac que la blanquette. Alors qu’en réalité, toutes ces nouveautés, ces avancées majeures, aussi grandes ou petites soient-elles, qui nous encouragent soi-disant à vivre avec notre époque, ne sont là que pour accélérer notre consommation. Et donc accentuer les profits. Faites le compte autour de vous. Et vous réaliserez que le moindre de nos conforts dits modernes, n’a été pensé en fait que pour faire davantage de fric. 

C’est pourquoi, plus le temps passe, plus j’ai tendance à n’avoir plus qu’un seul but : la liberté. Mais attention, Pas celle qui s’arrête où commence celle des autres. Non, la liberté, la vraie. Celle de penser autrement. Celle de vivre comme je l’entends. Celle qui inclut le droit de s’exprimer, de publiern d’informer et de débattre. Celle qui m’autorise aussi à me déplacer sans entrave. Celle qui me garantit enfin la préservation des biens et des personnes. Et surtout le droit de choisir. Et si c’est ça d’être un vieux con, alors j’accepte avec plaisir l’appellation. D’abord parce que j’aime la Funky Music et le requiem de Fauré. Someone like you d’Adèle et le Stabat Mater de Rossini. Le persillé de bœuf de chez Sébastien Ruffier et le paiement PayPal. Je prends ce qui est bon dans le progrès. Et je dégage le reste. Je le méprise même. Et pourtant j’ai assisté aux débuts de Mireille Mathieu au Jeu de la chance. Je ne regrette donc pas les cabines téléphoniques et le VHS Pathé Marconi. Parce que les SMS marchent mieux que le télégraphe à bras. J’aime bien aussi rouler décontracté au cruise control avec l’appli Waze doublée par mon Coyote. Ceinture et bretelles. 

Et j’attends même le moment, pas si lointain, où je pourrai aller au boulot en drone pneumatique. Rien que pour avoir le plaisir de voir les choses encore de plus haut. Et passer en rigolant au-dessus de l’Hôtel de Ville. C’est ça le vrai progrès. Continuer de rêver et d’évoluer. Sans détruire ni déclasser tous nos bonheurs passés. 



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Francois Tauriac est journaliste et éditeur

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