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Claire Nouvian, lobbyiste en eau trouble

L'écolo à la mode est-elle inspirée par son seul amour des poissons?


Claire Nouvian, lobbyiste en eau trouble
®Claire Nouvian Jean-Marc HAEDRICH / SIPA

La fondatrice de l’ONG Bloom, Claire Nouvian, réalise un parcours exemplaire dans la gauche écolo-associative. Fruit d’une détermination sans failles, sa croisade contre la pêche industrielle bénéficie du soutien de puissants groupes d’intérêts.


Il y a l’histoire officielle, récitée d’interviews en interviews. Claire Nouvian, journaliste polyglotte, a un « choc esthétique » en visitant l’aquarium de Monterey (Californie) en 2001. Alors âgée de 27 ans, elle décide de dédier sa vie à la défense des océans. Trois ans plus tard, nouveau choc, nouvelle révélation. « Elle était sur l’île thaïlandaise de Kophiphi, elle a réussi à porter son neveu sur ses épaules pour échapper au tsunami, raconte Libération. Depuis, elle sait que l’épouvante est à nos portes et que la vie n’est rien. » [tooltips content= »Portrait de dernière page de Claire Nouvian intitulé Profonde inspiration, 20/08/09, signé par Isabelle Autissier, présidente du WWF France. »](1)[/tooltips]

Virginie Lagarde, biologiste: « La surpêche massive en Europe, c’est fini depuis les années 1980! »

Quelque mois plus tard, en avril 2005, elle fonde Bloom. La suite ressemble au long combat du David associatif contre le Goliath de la pêche industrielle. La minuscule équipe centrée sur la fondatrice – le trésorier est son père, Denis Berger – se bat avec acharnement pour obtenir l’interdiction de la pêche en eau profonde. Au delà de 800 mètres de fond, plaide Bloom, vivent des espèces qui se reproduisent si lentement que leur exploitation est une folie. Fin 2016, le Parlement européen lui donne gain de cause. Début 2019, nouvelle victoire. Bloom obtient l’interdiction au niveau de l’UE des engins de pêche à impulsion électrique, technique présumée destructrice pour la faune marine, employée par les hollandais en mer du Nord.

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Auréolée de ce succès, Claire Nouvian quitte la présidence de Bloom pour cofonder le mouvement Place Publique, avec Raphaël Glucksmann et Thomas Porcher. Aux européennes, elle se place délibérément en position inéligible, afin de conserver sa liberté. Impressionnée par sa force de conviction, Anne Hidalgo lui tend perche sur perche. « Elle pense à Claire comme tête de liste dans le 6e arrondissement pour les prochaines municipales », explique un membre de la direction de Place Publique, qui ajoute que « Claire n’acceptera pas forcément, car elle se projette déjà plus loin, vers la présidentielle 2022 ».

Pourquoi pas ? Jusqu’à présent, ses avancées ont été fulgurantes. Le secteur des associations de défense de l’environnement est très concurrentiel. Des dizaines d’ONG se battent pour capter des dons et l’attention des décideurs. Bloom les a toutes coiffées au poteau, en quelques années seulement. « C’est grâce à la rigueur que nous nous imposons, commente Sabine Rosset, directrice de l’association. Nous sommes soutenus par des citoyens qui croient en nous et nous permettent de gagner nos combats ».

Mise sur orbite par de généreux mécènes

Rigueur et soutien populaire ? À voir. Dans les informations que Bloom a déposées au registre de transparence de l’Union européenne, il apparaît que l’association comptait seulement 164 adhérents en 2017 ! Leurs cotisations représentaient 0,7% des 653.391 € de budget annuel… En 2018, le budget (719.118€) provient à 64% de petits dons de particuliers et de gros dons de généreux mécènes, en proportions non précisées, plus 28% de dons de fondations.

Au cours des années précédentes, pendant la phase de décollage, les dons des fondations ont parfois dépassé 50% des ressources. Les plus généreuses sont américaines. Elles ont littéralement propulsé Bloom en orbite et veillent encore sur Claire Nouvian. 75.000 dollars en 2010 du J.M. Kaplan Fund, 150 000 dollars en 2012 du richissime Pew Charitable Trusts (133.000€ au cours actuel), plus de 70.000 dollars d’autres dons du Pew Charitable Trusts entre 2014 et 2016 (62,5 millions d’euros), ainsi qu’une bourse de 200.000 dollars accordée en 2018 à titre personnel à Claire Nouvian par la fondation californienne Goldman.

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Il faudrait y ajouter les moyens mutualisés mis à disposition au niveau européen par Pew, le soutien du WWF, de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), de Greenpeace, ainsi que le coaching intensif dont Claire Nouvian a bénéficié de la part du réseau Ashoka. Peu connue en France, cette structure américaine vise à former des activistes, partout dans le monde, dans le social, l’éducation et l’environnement. « Ashoka a offert un accompagnement formidable dans la structuration de Bloom, admet Sabine Rosset. Nous avons été encadrés par des professionnels. ».

Difficile de savoir ce qui a motivé cette sollicitude. « Je serais surprise que ce soit l’expertise technique », commente Virginie Lagarde, biologiste en charge des questions d’environnement au comité des pêches du Finistère. « Quand j’écoute Claire Nouvian, je me demande de quoi elle parle. Elle donne l’impression que les pêcheurs sont en train de racler jusqu’au dernier poisson. La surpêche massive en Europe, c’est fini depuis les années 1980 ! Les ressources sont correctement gérées. Le système n’est pas parfait, mais il fonctionne. Il suffit de lire les rapports de l’Ifremer pour le vérifier. »

Des argumentaires contestés par des chercheurs de lfremer

À l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, précisément, Alain Biseau, coordinateur des expertises halieutiques, a refusé de condamner le chalutage profond. Claire Nouvian l’a publiquement dénoncé comme vendu au lobby de la pêche. « C’était du dénigrement pour disqualifier une position différente », déplore le chercheur, qui pointe la tendance de Bloom à « asséner comme des vérités des arguments soigneusement choisis au milieu d’autres », occultant tout ce qui ne va pas dans le sens souhaité. « Claire Nouvian dénonce à longueur de temps les lobbies, mais c’est une lobbyiste, constate le président du comité des pêches de Bretagne, Olivier Le Nezet. J’ai eu moi-même un badge de lobbyiste accrédité au parlement européen, je peux vous dire que les représentants des ONG sont beaucoup plus nombreux que ceux des pêcheurs autour des eurodéputés, et sans doute plus efficaces. Claire Nouvian est d’ailleurs redoutable, dans ce registre. J’aimerais simplement comprendre comment elle choisit ses priorités. Lutter contre ce qu’elle estime être de la surpêche, c’est son droit, mais pourquoi le chalut profond ? C’est une technique hyper-réglementée. »

De mauvais esprits se demandent si l’activiste de luxe est inspirée par son seul amour des poissons. « Tout le milieu sait qu’elle a longtemps été en couple avec le directeur général de la Scapêche (groupe Intermarché, ndlr), numéro un européen du chalut profond, commente un professionnel lorientais. Ils se séparent, et la voilà qui part en guerre précisément contre la pêche dans les grands fonds. Les professionnels se demandent s’ils font les frais d’un litige personnel, forcément. »

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Un député PS va plus loin : « Est-ce qu’elle n’aurait pas été repérée, financée et formée pour porter des combats qui lui tiennent à coeur, mais qui la dépassent ? Les liens entre les grandes fondations américaines comme Pew et le monde des affaires sont avérés [tooltips content= »Le Pew Charitable trusts est une émanation de la famille Pew, fondatrice de la compagnie pétrolière Sunoco. Le président actuel du conseil d’administration, Robert Campbell, est l’ancien PDG de Sunoco. »](2)[/tooltips]. La campagne contre le chalut profond est montée en puissance quand les études ont montré que la zone de pêche (ouest-Ecosse et Féroé, ndlr) était potentiellement riche en hydrocarbures. » Des accusations que l’intéressée qualifie dans un SMS de « thèse complotiste ». Elle a refusé de s’exprimer davantage, considérant, au vu des questions transmises, que « les prérequis fondamentaux de neutralité et de confiance » n’étaient pas réunis.

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Octobre 2019 - Causeur #72

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste

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