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Les HLM au fond de l’impasse


Les HLM au fond de l’impasse
Gérard-François Dumont est professeur à la Sorbonne, président de la revue "Population & Avenir", auteur notamment de "Populations et Territoires de France en 2030"(éditions de L'Harmattan).
Gérard-François Dumont HLM Politique de la ville
Gérard-François Dumont est professeur à la Sorbonne, président de la revue "Population & Avenir", auteur notamment de "Populations et Territoires de France en 2030"(éditions de L'Harmattan).

Propos recueillis par Gil Mihaely

Causeur. Comment jugez-vous la politique française en matière de logement social ?

Gérard-François Dumont. Sur cette question, deux idéologies opposées structurent le débat : « Tous propriétaires ! » ou « Tous en HLM ! » En France, c’est le « Tous en HLM ! » qui a dominé : tous nos gouvernements ont considéré par principe qu’il fallait construire le plus de logements sociaux possibles. En conséquence, le logement social n’est pas conçu comme une réponse aux problèmes de logement de personnes en difficulté, mais une solution pour toutes les catégories ne disposant pas de revenus élevés, dont les classes moyennes. D’ailleurs, selon les critères donnant accès à une demande d’un logement social, les deux tiers de la population peuvent y prétendre. Cela supposerait des financements publics considérables, bien au-delà de ceux, déjà très élevés, consentis aujourd’hui.

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Mais la HLM à la française ce n’est pas uniquement un choix socio-économique, c’est aussi « une certaine idée de l’urbanisme, de la ville »…

En effet, l’histoire du logement social en France ne peut être dissocié d’une idéologie urbanistique qui explique son coût colossal : aux investissements publics de départ, s’ajoutent les coûts de gestion, puis les dépenses visant à tenter de réparer les erreurs passées, ce que l’on appelle désormais la « rénovation urbaine » – au total ces coûts directs se montent à au moins 90 milliards depuis vingt-cinq ans ; il faudrait aussi compter les coûts indirects liés au fait que, dans nombre de quartiers, la géographie du logement social ne contribue guère à la réussite des habitants ni à la concorde sociale.

Vous parliez d’idéologie…

J’y viens. En effet, les principes guidant cette politique sont issus de la charte d’Athènes dans laquelle, en 1932, un certain nombre d’urbanistes, sous la houlette de Le Corbusier, déclarent qu’il est temps de construire des villes nouvelles et hygiéniques faites de barres et de tours. Il s’agit bien de faire table rase des villes du passé. L’application de ces principes, qui n’a d’équivalent que dans les pays communistes, s’est traduite par trois choix dont la France subit toujours les conséquences. D’abord, la France a exclu[access capability= »lire_inedits »] la réalisation de logements sociaux dans des maisons de ville, qui offrent pourtant une densité de population équivalente aux quartiers de barres et de tours. Oui, cela vous étonne, mais dans ces quartiers, il y a beaucoup d’espace entre les barres. Ensuite, au moins jusqu’aux années 1970, la primauté d’une logique comptable de court terme – il faut construire pas cher – qui engendre aussitôt des frais de fonctionnement élevés, puis des dépenses considérables de rénovation. Nombre de logements sociaux ont été initialement construits sans volets, d’où des coûts de chauffage élevé, ou sans ascenseur pour ceux comptant au plus cinq étages. Lorsque la décision est enfin prise de poser des volets ou d’installer un ascenseur, elle est beaucoup plus coûteuse que si elle avait été initialement prévue. Enfin, l’idéologie fonctionnaliste décrète que les nouveaux quartiers de logement social doivent s’installer dans des territoires éloignés des villes anciennes auxquelles il faut tourner le dos. Donc, au lieu d’étendre peu à peu les villes anciennes sans rompre le lien social et en s’appuyant sur les services et les infrastructures existants, on construit des quartiers-champignons complètement en dehors de la ville. Cela donne le Val Fourré à Mantes-la-Jolie, la cité des Musiciens aux Mureaux, le Haut-du-Lièvre à Nancy, ou Valdegour à Nîmes, des quartiers séparés de la ville ancienne par un no man’s land et souvent mal desservis par les transports publics. Ce n’est pas un hasard si les émeutes urbaines de l’automne 2005 ont commencé à Clichy-sous-Bois dans un quartier totalement enclavé.

Cependant, il y a aussi des logements sociaux dans les villes, comme les immeubles en briques rouges de la petite ceinture parisienne.

Oui, même si ce parc, hérité de l’entre-deux guerres ou issu de choix plus récents, est plus réduit en nombre. Le résultat est, qu’à l’intérieur du logement social, il y a des inégalités très importantes : les personnes logées en centre-ville sont favorisées par rapport aux habitants de quartiers éloignés et enclavés, avec une offre bien moindre en commerces, services publics, accès à l’emploi, à l’éducation ou à la culture.

Peut-on vraiment faire bénéficier sept Français sur dix d’un logement social ou plutôt, pour suivre votre définition, « d’un logement non soumis au marché » ?

À la fin des années 1990, environ 14 % de la population bénéficie d’un logement social. La loi SRU (relative à la solidarité et au renouvellement urbains), votée en 2000, impose alors un minimum de 20 % dans chaque commune de plus de 3 500 habitants. En 2012, la France métropolitaine compte environ 4,5 millions de logements locatifs sociaux soumis à un loyer réglementé, soit 16 % des 28 millions de résidences principales. Puis la loi ALUR du 18 janvier 2013 fixe comme objectif 25 % ! Les effets pervers sont importants. D’abord parce qu’on oblige certaines communes à construire des logements sociaux alors qu’elles n’ont pas de terrains disponibles. Ensuite, à partir du moment où on augmente la proportion de logement social à 25 %, le promoteur qui réalise un ensemble est obligé d’augmenter ses marges sur les logements vendus ou loués sur le marché. En troisième lieu, avec une même enveloppe budgétaire, on construit moins de logements quand on construit dans les zones les plus tendues, là où il revient le plus cher. Enfin, qui dit logement social dit procédures d’attribution dont les règles sont, selon la Cour des comptes, « inadaptées », tout comme la gestion. La Cour des comptes ajoute qu’il faudrait « renforcer la transparence des procédures d’attribution ». C’est un bel euphémisme.

Il y a un autre phénomène, peut-être très français, qui est qu’on sort peu du logement social.

C’est un problème majeur. Le logement social devrait être une solution temporaire en attendant une meilleure fortune. Or, depuis la fin des Trente Glorieuses, il y a de plus en plus de gens pour qui cette amélioration n’arrive pas. Résultat, en l’absence de sorties du système, donc de roulement, beaucoup de gens ne se retrouvent pas seulement captifs du logement social, mais aussi de l’appartement qui leur a été attribué.

Certains maires préfèrent cependant que les familles qui progressent économiquement et socialement restent dans leur immeuble, même quand elles ont dépassé les seuils de revenus, car elles constituent un élément de stabilité qui améliore la cohésion et empêche l’effet sas pour migrants de jouer à plein.

Justement, il faudrait laisser les maires plus libres de leur politique du logement. La gestion actuelle du logement social reste trop jacobine. L’État décide trop souvent des règles uniformes sans tenir compte de la diversité des cas et multiplie les normes, ce qui augmente les coûts. Souvent le maire, qui a une longue liste d’attente parmi ses administrés, voit le préfet lui affecter des personnes qui viennent d’ailleurs. Il faut faire confiance aux élus qui sont généralement les meilleurs connaisseurs des problèmes de leur territoire.

Cette gestion centralisée et rigide est-elle responsable du fait que malgré toutes les excellentes intentions, tant de cités HLM sont aujourd’hui des ghettos d’immigrés, de délinquance et de chômage ?

C’est le résultat à la fois de la politique urbanistique des années 1950 à 1970, de la mutation de l’immigration passée d’une immigration de noria du temps des Trente Glorieuses à une immigration de peuplement, de certains errements de l’école et de politiques économiques peu favorables à l’entrepreneuriat. En Île-de-France, un phénomène supplémentaire est en œuvre : la région souffre d’une perte d’attractivité puisque son solde migratoire est négatif de 50 000 personnes par an. Or ce solde est doublement négatif : quantitativement et qualitativement. D’une part, quittent l’Île-de-France des ménages qui n’en peuvent plus de la mauvaise qualité de vie – notamment avec l’aggravation des transports publics. En moyenne, ce sont des gens qualifiés et disposant de revenus suffisants. En revanche, ceux qui viennent s’installer en Île-de-France sont le plus souvent des immigrés venant de pays moins développés, pourvus de qualifications moindres.

À ce propos, peut-on parler d’une utilisation clientéliste et électoraliste du logement social ? Qu’en est-il à Paris ?

Nul ne peut nier que le clientélisme électoral existe. À Paris, se pose une question majeure de gouvernance. La majorité actuelle considère que Paris est une ville normale alors que c’est une ville « globale ». Il est inévitable que le marché du logement y soit cher, parce que la demande est non seulement parisienne, non seulement française, mais mondiale !

D’une façon générale, il n’y a pas de « marché du logement français », seulement des marchés territoriaux ou locaux. Paris intra-muros, ce n’est pas l’équivalent de New York et Londres, mais de Manhattan et d’Inner London, comment voulez-vous qu’elle compte un quart de logements HLM ? Faire du logement social à Paris coûte très cher, parce que le prix du foncier y est très élevé, et engendre mécaniquement des rentes significatives. Il arrive à la municipalité d’acheter des immeubles anciens dans des rues prestigieuses, pour les transformer en HLM. Tant mieux pour ceux qui obtiennent ces logements ! Reste que ce n’est pas la stratégie d’une ville internationale, mais celle d’un système politique qui veut se maintenir au pouvoir…

Mais si on laisse faire le marché à Paris, où habiteront les policiers, les professeurs des écoles, les infirmières, les employés ? La mairie n’a-t-elle pas le droit d’utiliser l’outil HLM pour créer de la mixité sociale ?

Oui, les professeurs des écoles parisiennes comme les policiers devraient pouvoir loger à Paris. Pendant des décennies, les communes françaises logeaient leurs instituteurs. Mais la loi permet désormais le versement d’une indemnité. Quant aux policiers, on voit bien au passage ce qui les distingue des gendarmes : vivant dans l’endroit où ils travaillent, ces derniers connaissent bien le territoire. Beaucoup de policiers parisiens vivent loin de la capitale. Mais rien n’empêche de modifier la réglementation pour que les agents investis d’une mission de service public puissent disposer d’un logement dont la localisation soit utile au bien commun.

Au-delà de cette suggestion, que faut-il faire pour changer la donne en matière de HLM ?

D’abord établir un diagnostic : la politique française du logement social poursuivie depuis plusieurs décennies n’aboutit pas à des résultats satisfaisants. Il convient donc de la repenser. Le logement social doit être social, c’est-à-dire destiné à des personnes qui sont véritablement en difficulté, soit environ 8 % de la population. Il faut simplifier les réglementations qui pèsent sur le prix de l’immobilier et favoriser le développement d’un parc locatif privé en incitant les entreprises et l’épargne des Français à s’investir largement dans le logement. Aujourd’hui, tout est fait – en termes de fiscalité ou de réglementation – pour les dissuader. En effet, l’État prélève une très grande partie de l’épargne, notamment via l’assurance-vie, pour financer l’énorme dette publique ! En rendant l’investissement dans l’immobilier rentable et facile, et en encourageant les Français à investir dans le logement, pour leur usage ou pour d’autres, la France pourra satisfaire ses besoins de logements. 

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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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