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Willy Ronis : le vif dans la peau


Willy Ronis : le vif dans la peau
Le photographe Willy Ronis s'est éteint le 12 septembre à l'âge de 99 ans.
Le photographe Willy Ronis s'est éteint le 12 septembre à l'âge de 99 ans.
Le photographe Willy Ronis s'est éteint le 12 septembre à l'âge de 99 ans.

« L’œil n’est pas la question. L’organe photographe, c’est la jambe : courir, sauter, franchir des obstacles, traverser une rue, grimper à un lampadaire, monter sur une caisse pour fixer une scène sous une lumière particulière. » Quand, dans les années 1990, ses jambes le lâchèrent et que les honneurs rétrospectifs se mirent à pleuvoir sur lui, Willy Ronis raccrocha pour de bon son appareil photo et se mit à classer. La vocation archiviste n’épargne personne.

Dans une armoire métallique de son appartement du XXe arrondissement, il conservait la mémoire de tout un siècle, vous extirpait les négatifs d’une manif de 1934, retrouvait ceux d’un reportage consacré, en 1947, à l’industrie textile mulhousienne : « Une commande de Jacques-Henri Gros, un grand patron de l’époque. Je ne sais pas ce qui lui avait pris de faire appel à un photographe membre du parti communiste[1. En ce temps-là, la gauche n’était pas moderne. Même à Mulhouse.]. »

Willy Ronis n’était pas entré dans le monde de la photographie par la grande porte. Né un violon entre les mains comme tout petit juif immigré ukrainien qui se respecte, il voulait devenir compositeur. La photo, il l’avait découverte dans l’atelier de son père, un photographe de quartier qui vivait essentiellement de mariages et de communions, de portraits de grand-pères ou de petits derniers. Et tout cela – développement, tirage, ça vous fera cinq francs, Madame Leduc – ne lui plaisait pas.

La mort de son père, la fermeture de l’atelier, la nécessité de gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille le conduisirent à devenir reporter. À contrecœur. Pourtant, très vite, ses photos parurent dans Life ou Time, à côté de celles de Capa ou de Seymour. C’est que chacune de ses photos, prises sur le vif, n’était pas l’œuvre d’un poseur : il ne photographiait pas des scènes ou des personnages, mais leur lumière. S’il y a du Rubens et du Bruegel dans chaque photo de Ronis, il y a surtout un art de la composition non-factice, une vérité de l’instant.

Ronis nous laisse une œuvre incomparable, les images d’une France disparue, des nus aussi bien que des chats. Il nous laisse également une théorie de la photographie, où la reproductibilité du tirage (lui qui avait lu Benjamin détestait les tirages limités) est une réponse à l’ »irreproductibilité » de chaque photo : quand bien même on la tirerait à des millions d’exemplaires, on ne pourrait pas fixer sur la pellicule deux fois la même image. Un clic et s’en va.

Il avait ainsi développé une philosophie modeste de la photographie, un art où l’ordonnateur n’est pas l’artiste ni la technique, mais le temps lui-même. Pas le « temps mort » à la Depardon, mais le temps qui vit et va[2. Lorsqu’on lui demandait ce qu’il pensait du travail photographique de Raymond Depardon, Willy Ronis répondait : « C’est un bon réalisateur à ce qu’il paraît, non ? »].

La technique, Willy Ronis, qui n’était passé ni au moteur ni encore moins au numérique, ne s’en souciait guère. Un jour, un jeune photographe lui demandait quel était son appareil de prédilection. Voyant que son interlocuteur maniait un Leïca, Ronis lui répondit : « Moi aussi, à votre âge, j’avais un Leïca. Mais j’avais aussi une Harley Davidson. Y’a pas mieux pour épater les filles. »

Jeunes photographes qui attendez la gloire, méditez donc la leçon de Willy Ronis : pas de Leïca sans Harley ! Et si c’est après la photographie que vous courez, procurez-vous simplement des jambes. Le reste vous sera donné par surcroît.

PARIS, ETERNELLEMENT

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