Villiers-le-Bel : l’hôpital Charles Richet débaptisé


Villiers-le-Bel : l’hôpital Charles Richet débaptisé

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À l’ombre des débats sur la fin de vie, on déterre certains cadavres. L’hôpital Charles Richet de Villiers-le-Bel a ainsi décidé de ne plus porter son nom. Motif : cet éminent médecin, Prix Nobel de médecine en 1913, vétéran de la Grande Guerre, professait l’eugénisme. Il plaidait pour l’élimination des enfants « tarés » et « anormaux », et les stérilisations forcées. Sa croyance dans l’existence d’une sélection naturelle chez les êtres humains s’accompagnait d’un racisme dont on trouve des perles dans un ouvrage, publié en 1919, au titre fort approprié, L’Homme stupide. Il estimait par exemple que « les écureuils et les singes sont bien au-dessus des nègres, dans la hiérarchie des intelligences. »

Par le passé, des voix s’étaient déjà élevées pour débaptiser l’hôpital de Villiers-le-Bel. Après avoir estimé pendant des décennies que les travaux scientifiques de Charles Richet dépassaient ses considérations eugénistes, et faisant valoir que des descendants du médecin furent membres de la Résistance, la direction de l’hôpital s’est ralliée à cette position, sous pression du directeur de l’AP-HP lui-même, Martin Hirsch. La municipalité lui a emboîté le pas, et un autre nom pour l’établissement est prévu d’ici la fin du mois de mars.

L’eugénisme de Charles Richet nous choque aujourd’hui, mais, comme tout sujet historique, il doit être remis dans son contexte. Il était le produit d’un courant très répandu en Europe du Nord, au début du XXe siècle. Ce sont les sociaux-démocrates scandinaves qui en furent les pionniers : la Suède vota dès 1922 la stérilisation des malades mentaux. Le Danemark fit de même en 1928. Le ministre danois de la Justice Karl Kristian Steincke, social-démocrate, affirmait qu’il s’agissait d’une mesure humaniste envers les « dégénérés », qui ne nuiraient plus à la société, et seraient débarrassés de leur fardeau.

En France, le courant eugéniste fut incarné par Charles Richet, et par un de ses collègues, médecin militaire comme lui, Alexis Carrel. Ce dernier, également Prix Nobel de médecine en 1912, voyait dans l’eugénisme une solution aux  problèmes sociaux, notamment grâce à l’euthanasie des malades mentaux. Il détailla son programme en 1934 dans son ouvrage L’homme, cet inconnu, traduit en près de trente langues, et vendu à des millions d’exemplaires dans le monde. « Pourquoi préservons-nous ces êtres inutiles et nuisibles ? L’anormal empêche le développement du normal », écrivait-il, ajoutant : « En Allemagne, le gouvernement a pris des mesures énergiques contre la multiplication des types inférieurs ». Il est vrai qu’à cette époque, le IIIe Reich planifiait l’extermination systématique des malades mentaux, et l’euthanasie généralisée pour les malades incurables, sous le nom de Gnadentod, « mort miséricordieuse ». Là aussi, les raisons s’affirmaient humanistes : « Il fallait mettre fin à l’existence indigne d’être vécue des malades mentaux », affirma, lors de son procès, Hans Lammers, médecin et chef de la chancellerie de 1933 à 1945.

Alexis Carrel avait déjà été épinglé post-mortem pour ses prises de positions. En 1996, l’université Lyon-I débaptisa la faculté de médecine portant son nom. Là encore, c’est une mobilisation d’associations veillant à la vertu, SOS-Racisme en tête, qui entraîna cette décision. En revanche, un des plus chauds partisans d’Alexis Carrel et de ses propositions eugénistes, le biologiste Jean Rostand, dispose encore de lycées et d’hôpitaux à son nom. Sans doute son militantisme contre l’arme nucléaire et pour l’avortement dans l’après-guerre le rendent-ils plus fréquentable que ses confrères Richet et Carrel.

La prise de conscience de l’histoire eugéniste et raciste des démocraties occidentales est une chose. Elle doit être encouragée et enseignée. Toutefois, la tendance à purger le passé est inquiétante. Outre que l’anachronisme, le jugement a posteriori, selon les critères du présent, est une impasse intellectuelle, on ne voit pas très bien où s’arrêterait la limite de ce tri citoyen. Faudra-t-il débaptiser les lycées aux noms es révolutionnaires Danton et Carnot ? Après tout, le premier ferma les yeux sur les massacres de Septembre 1792, et le second, membre du Comité de Salut Public, joua un grand rôle dans la Terreur et la répression des Vendéens. Faudra-t-il effacer toute trace de Jules Ferry pour son « droit des races supérieures vis-à-vis des races inférieures » ? Si cet éloge de la colonisation est à punir, alors il faut faire de même pour Léon Blum, qui affirmait « le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture. » À ce rythme-là, la liste sera longue. Plutôt que de débaptiser, instruire et éduquer sont de meilleures options. Pour pouvoir assumer sereinement et lucidement le passé, tout le passé. « De Clovis au Comité de salut public, j’assume tout », disait Napoléon. Vous savez, celui qui a rétabli l’esclavage en Haïti, et mis l’Europe à feu et à sang. Citons-le encore, tant qu’il nous l’est permis.

Photo : wikicommons.



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