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Une Bastille dure à avaler


Je n’ai pas boudé mon plaisir ni ma curiosité : devinez ce qui l’a emporté sur l’autre hier ? J’ai pris le métro à 22h 30 et je suis allée vers Bastille. Sans rose à la main, mais bon, de bon cœur, d’autant qu’il faisait bon.

Evidemment, dès la station Gare de l’Est j’aurai du m’en douter, les manifs : surtout à l’occasion de la présidentielle, c’est pas pour moi. En 2007, j’étais allée à la Concorde voir les dedroite saluer le nouveau président Sarkozy, j’avais trouvé ça ridicule. Des gens en mocassins et loden vert bouteille (et parfois même bleu foncé) qui chantent avec Mireille Mathieu et dansent avec David Guetta : Beurk, beurk, beurk, comme disait Sophie Daumier. En 2002, j’avais vu passer sous mes fenêtres les foules anti Le Pen, avec beaucoup d’amusement (chez moi, pas chez eux). Genre je joue à me faire peur et j’expie mon vote Taubira. Pas pour moi non plus. Avant, je ne m’en souviens pas.
Mais ce dimanche soir-là, c’est le changement et le maintenant, allons voir comment un candidat normal est salué par la foule de ses électeurs, des Français.

Donc le métro : des bobos. Jeunes, garçons barbus à grosses lunettes, filles ongles vernis en rouge, frange, boots, jeans slim. L’air cool, de ceux qui travaillent plus dans la com’ qu’au Franprix. Je promets, je ne fais pas de racisme anti bobo, je m’habille pareil, la barbe en moins. Et après tout c’est normal qu’on les trouve sur la ligne de métro qui longe leur paradis, le canal Saint Martin. Et avec eux, des jeunes dits de quartiers sensibles. Qui chantent, tapent dans les mains et invitent les sarkozystes à dégager des rames de métro.

Autant dire une France cool et métissée, qui va au même endroit, mais pas pour les mêmes raisons. Les uns pour se défouler en écoutant Yannick Noah, l’autre pour montrer que son adhésion aux valeurs de gauche a survécu à dix années de quasi-dictature de la droite.

Une gauche réunie par le vote des étrangers aux élections locales, et sans doute le mariage entre personnes de même sexe, comme en témoignaient dès les premières images en direct de la rue de Solférino, la floraison de nombreux drapeaux arc-en-ciel gay friendly. Ça y est, je la vois en vrai, la gauche Terra Nova. Souviens-toi, ami lecteur, le think thank proche du PS, drivé par Olivier Ferrand, qui militait pour une inflexion de la gauche vers ces deux électorats par des politiques d’essence sociétale. Une guerre fratricide l’oppose à la Gauche Populaire qui, elle, milite pour que le candidat du PS, pardon le Président Hollande parle aux classes populaires. Jusqu’ici, les amis de la GP avaient eu l’impression de prendre la main, en parlant nation, justice, insécurité culturelle et industrie aussi. Notamment dans certains discours de François Hollande ou même lors du débat d’entre-deux-tours. Hier, la gauche Terra Nova les a éclipsés à la Bastille.

France métisse, France cool, France qui n’a de problèmes que mineurs (parlons-en, ça ira mieux) et ne voit pas de problèmes à la profusion de drapeaux algériens, marocains, ou palestiniens hier soir (je ne vais pas m’étendre, mais j’y étais, je les ai vus, et en face les drapeaux tricolores façon Ségolène Royal ne faisaient pas le poids).

Hier soir tout le monde était beau, et jeune. Pas trop de vieux (à part Pierre Bergé, Lionel Jospin ou Clémentine Célarié), pas de prolétaires. Ils devaient être devant leur télé, dans la mesure ou ils devaient reprendre le boulot tôt lundi, sans trop d’aménagement politique possible avec la pointeuse. Les communistes du Front de Gauche avaient l’air de martiens avec leurs pancartes demandant le « smic à 1700 euros vite. »

Je caricature sans doute, mais on sifflait aussi beaucoup Sarkozy (« Dégage ! », gros succès d’audimat, quoique volant un peu au secours de la victoire…) sans pour autant voir d’élan d’espoir délirant du côté gauche. On a chanté tard la Marseillaise, mais franchement j’ai eu des angoisses. Si Hollande gouverne d’abord pour cette gauche-là, ça promet des lendemains difficiles dans la vraie France rurale, celle qui a voté blanc hier pour sanctionner Sarkozy. Qui n’espère pas grand-chose, mais pourrait être vraiment encore en colère en 2017. Et cette fois-ci, il n’y aura pas d’épouvantail Sarkozy pour faire une campagne confortable…



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