« Technikart », Boutin et moi


« Technikart », Boutin et moi

christine boutin telephone

Tout a commencé par une vacherie pour Christine Boutin. Et juste en dessous, ma signature. Comme si j’avais pu écrire quoi que ce soit sur cette brave dame, qui récoltait au mieux 0,5% des voix aux élections. En ce tout début avril 2013, je venais d’ouvrir, pour me relire, le nouveau numéro du magazine auquel je collaborais depuis plus de dix ans. Mais ces mots n’étaient pas de moi. J’avais écrit, à propos des « indignés » professionnels du Web, quelques lignes sur Daniel Schneidermann : « Vieux sage de l’indignation sur images, son émission et ses billets pour Rue89 peuvent parfois être pénibles, mais jamais autant qu’une minute du « Petit Journal ». » Or la phrase imprimée que j’avais sous les yeux se terminait par : « jamais autant qu’un tweet de Christine Boutin ». Pourquoi ?

Quelques jours plus tôt, le rédacteur en chef de Technikart, où je traînais encore dans l’espoir d’y récupérer le chèque de pige qu’on me devait depuis des mois, m’avait pris à partie :

« Toi, Pascal, tu es plutôt contre le « mariage pour tous », non ?

– Archi contre, oui !

– Pourquoi ? Qu’est-ce qui te dérange ?

– Parce que je ne vois pas au nom de quoi la loi devrait autoriser qu’on prive volontairement un enfant de la possibilité d’avoir un père ou une mère. »

Le dialogue s’était poursuivi, mon interlocuteur devenant par moments très agressif envers ceux qui, comme moi, jugeaient le projet de loi Taubira stupide et dangereux. J’étais resté courtois, sans rien lâcher de mes positions déjà bien claires sur le sujet. Depuis, j’avais constaté que l’imprimante du bureau servait à imprimer les pancartes des manifs pro « mariage pour tous ». Et je me désolais que Technikart rejoigne ainsi la cohorte des médias soutenant le gouvernement et ce projet incontestablement progressiste. Incontestablement, au sens propre. Dans le genre « contre-pouvoir », on avait connu mieux. D’autant que j’avais toujours défendu ce journal auprès de mes amis en les assurant qu’il s’agissait de « la rédaction la plus libre de Paris ».[access capability= »lire_inedits »]

Bien sûr, dans la presse comme ailleurs, les humiliations sont inévitables. Comme tout le monde, j’avais eu sur d’autres sujets quelques mémorables passes d’armes avec mon estimé rédacteur en chef. Mais cette fois, c’était la goutte d’eau. Me faire signer une énième blague méchante sur la femme la plus insultée de France, alors que je n’en avais jamais rien eu à secouer, c’était une manière de jouer avec mes nerfs. Et ce, en me réduisant de force au rang de porte-plume d’une idéologie dominante qui n’était pas la mienne. J’étais furieux. Quand j’ai coincé le chef pour lui demander les yeux dans les yeux quelle mouche l’avait piqué, il m’a répondu : « Je trouvais juste ça plus drôle comme ça. »

À la fin du mois, le 24 mars, je défilais avec des centaines de milliers de mes concitoyens entre l’Arche de La Défense et l’Arc de triomphe, pour signifier mon opposition au projet de loi Taubira. Cette troisième manifestation en à peine plus de trois mois était historique : les organisateurs revendiquaient 1,4 million de manifestants. Mais trois jours plus tard, fait rarissime, la préfecture de police de Paris publiait un communiqué les mettant directement en cause et estimant à seulement 300 000 le nombre de manifestants. On se payait la tête du monde, et les médias relayaient cette intox à peine croyable.

Sur suggestion de mon frère, qui avait manifesté avec moi, je décide de prendre à la lettre le communiqué du préfet. Celui-ci affirme en effet  tenir « à disposition des journalistes intéressés » « l’intégralité des enregistrements » vidéo du rassemblement. Au terme d’un échange téléphonique que je prends soin d’enregistrer, le verdict tombe : le préfet a menti comme un arracheur de dents. On ne me donnera rien, ni photos ni vidéos : circulez, il n’y a rien à voir !

Fier de mon scoop – du genre de ceux que Mediapart aurait monté en épingle en exigeant immédiatement la démission du préfet, et celle du ministre de l’Intérieur – je me mets en quête d’un média susceptible de le publier. N’obtenant aucune réponse positive de la part du Figaro, de RTL, de BFMTV et de l’AFP, la solution m’apparaît soudain : après tout, Technikart ne me paiera sans doute jamais les quelques centaines d’euros qu’il me doit. Et depuis quelques semaines, je dispose d’un blog sur le site web du journal. Quelques heures plus tard, mon article est rédigé et publié, assorti d’un lien vers l’enregistrement sonore de ma conversation avec le service communication de la préfecture.

Le rédacteur en chef ne tarde pas à réagir. Le soir même, par texto : « Tu nous ramènes tous les vieux fachos avec ton article. Rien à battre de ces fonds de cuve. » Visiblement, les flots de commentaires dithyrambiques qui fleurissent sous mon article ne le réjouissent pas autant que moi. Je lui réponds que « c’est de l’info » et que ce n’est pas lui qui signe l’article. En ajoutant : « En revanche, tu aurais pu signer ta blague sur Boutin. » Il fait l’innocent : « Ma blague sur Boutin ? » Je lui rappelle alors sa « correction » arbitraire et hors-sujet de mon dernier article. Sa réponse a le mérite de la clarté : « Je ne vois plus du tout ce que tu fais chez Technikart. Ça m’attriste. Et je préfère que t’ailles livrer ta bataille ailleurs, pour tout te dire. »

Même si j’ai horreur du conflit, je me marre en lui répondant : « Remettons les choses dans l’ordre : je préfère que tu livres ta bataille autrement qu’avec ma signature. Maintenant, si tu veux me dégager pour délit d’opinion, c’est pathétique mais OK. » Il s’embourbe : « Délit d’opinion ? Non, aie les opinions que tu veux, mais ta nouvelle radicalité de droite ne convient pas à la ligne que je veux dans Technikart » (sic). Et donc, « pas la peine de faire le martyr bâillonné ». Radicalité de droite ? L’expression sonne comme un titre du Nouvel Obs. Et venant d’un homme dont la légende veut qu’il porte un tatouage de fleur de lys à l’épaule, stigmate d’une jeunesse très droitière dans sa province d’origine, elle m’effleure à peine.

Entre-temps, j’ai envoyé le lien vers mon article à Frigide Barjot, via Facebook. Quelques jours plus tard, elle me répond : « Il faut que tu rencontres ma copine Ludo. » C’est dans un café du 15e arrondissement que je fais la connaissance de Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous. Elle m’embauche instantanément comme rédacteur en chef du site de l’organisation et responsable de la communication « tous médias ». L’expérience est brève : dès le divorce consommé entre elle et Barjot, je me retrouve sur le carreau, privé du jour au lendemain d’adresse email et d’accès au réseau. Enfin, une fois la loi votée, je revois le rédacteur en chef de Technikart, qui me gratifie simplement de ces mots : « On vous a bien niqués ! » Tout ça pour ça ?[/access]

*Photo: BEBERT BRUNO/SIPA.00642449_000018

Juin 2014 #14

Article extrait du Magazine Causeur



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