Accueil Politique Adoption pour les homosexuels : « Sortir d’un système bancal et hypocrite »

Adoption pour les homosexuels : « Sortir d’un système bancal et hypocrite »


Adoption pour les homosexuels : « Sortir d’un système bancal et hypocrite »

Jerome Guedj defend l'homoparentalite au PS

Député et président du Conseil général de l’Essonne, étoile montante de la gauche du PS, le jeune président du Conseil général de l’Essonne a lancé en 2011, dans son département, une campagne pour le droit à l’homoparentalité. Pour lui, la loi doit interdire toutes les discriminations contre les couples gays.

Causeur. Êtes-vous sûr et certain que le fait d’être élevé par des parents du même sexe n’entraîne aucune répercussion sur l’épanouissement de l’enfant ?
Jérôme Guedj. Cette idée selon laquelle l’épanouissement de l’enfant exigerait obligatoirement un papa et une maman reflète une conception très traditionnelle de la famille. Vous n’êtes pas très loin de la messe du 15 août de Mgr Barbarin ! Plus largement, vous insinuez que l’adoption par les couples homosexuels menacerait les fondements de notre culture, voire de notre civilisation. Il n’y a pas si longtemps que cela, on utilisait les mêmes arguments « civilisationnels » contre le divorce, la contraception ou l’union des couples homosexuels.[access capability= »lire_inedits »] Or, ces réformes n’ont pas remis en question les fondements de la société.

Plus que vous ne le dites, même si dans les cas que vous citez, on peut estimer qu’il s’agissait de remises en causes positives… En tout cas, elles concernaient des adultes consentants. La filiation, c’est tout autre chose. Dès lors qu’on ne sait pas quelles seront les conséquences de l’homo-adoption pour les enfants, ne faudrait-il pas appliquer le principe de précaution et attendre d’avoir des certitudes ?
Je ne vois pas comment on aura des certitudes si on n’essaie pas ! Du reste, on n’en sait pas plus sur les conditions de développement d’enfants élevés dans des familles monoparentales ou recomposées. Ma responsabilité d’élu et de militant pour l’égalité des droits est de mettre la question à l’ordre du jour, pas d’avoir des certitudes. C’est pourquoi, le 6 avril, j’ai organisé à Évry des « Rencontres nationales adoption-homoparentalité ». Pour la première fois, des anthropologues, des juristes, des politiques, des sociologues, des pédopsychiatres et des cliniciens ont pu confronter leurs points de vue sur le sujet. Ces experts m’ont confirmé qu’aucune étude − il est vrai qu’il n’en existe pas beaucoup − ne permettait de conclure à l’existence de divergences dans le développement affectif ou psycho-social chez les enfants élevés dans un tel cadre.

Bref, on n’en sait rien, ce qui revient à dire qu’on fait de l’expérimentation sur le vivant. Qu’en dit la loi aujourd’hui ?
Depuis 1966, il n’est plus obligatoire d’être marié, donc hétérosexuel, pour pouvoir adopter. Un homme ou une femme peuvent adopter seuls, quelle que soit leur orientation sexuelle. Ce qui est interdit, c’est l’adoption à deux hommes ou à deux femmes.
Par ailleurs, à l’heure actuelle, le conjoint homosexuel d’un parent adoptif n’a aucun droit sur l’enfant qu’il élève, ne serait-ce que pour l’inscrire à l’École ou signer une décharge auprès d’un médecin en cas d’urgence. Dans notre pays, plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’enfants grandissent déjà avec des couples homosexuels. Pour obtenir l’agrément d’adoption, les conjoints homosexuels ont menti sur leur orientation sexuelle ou l’ont tue. Je vous rappelle que 10% des agréments d’adoption sont accordés à des personnes seules, dont certaines ne le sont pas vraiment. Dans les faits, la nouvelle majorité ne va pas créer des droits nouveaux mais simplement mettre en conformité la pratique sociale avec le droit pour sortir du système bancal et hypocrite qui ne permet l’adoption qu’à un seul des deux membres du couple homosexuel. Dès que le mariage sera ouvert à tous, conformément aux engagements de François Hollande, la question de l’adoption ne se posera plus puisque le Conseil constitutionnel a estimé que l’un entraînait mécaniquement l’autre.

Sur d’autres questions de société, comme la prostitution ou la drogue, l’écart entre la pratique et la norme n’incite pas forcément à changer la loi…
En l’occurrence, ce décalage pose la question de l’égalité des droits et de la lutte contre les discriminations. Je ne suis ni un militant de la cause homosexuelle ni un partisan de la « discrimination positive ». Lorsque, pendant treize ans, j’ai été vice-président de Conseil général, notamment chargé des personnes handicapées, j’expliquais à mes collègues que les dispositifs d’accessibilité des bâtiments publics pour les personnes à mobilité réduite bénéficient à tout un chacun. De la même façon, quand on pose la question de l’égalité des droits et de l’adoption pour les homosexuels, on tire le fil de toute une série de débats qui posent problème dans la société, comme le statut du coparent ou les modalités de l’adoption.

Au-delà du principe d’égalité et de non-discrimination, pensez-vous qu’il existe un « droit à l’enfant » ?
Il n’y a absolument pas de « droit à l’enfant » ! Mais la loi interdit de discriminer. Ainsi, le Conseil général du Jura a été condamné pour avoir refusé de délivrer un agrément d’adoption à une personne parce qu’elle vivait dans un couple homosexuel. Lorsqu’on examine une demande d’agrément d’adoption, on ne parle pas de « droit à l’enfant », on essaie de savoir si, indépendamment de son orientation sexuelle, la personne présente les garanties nécessaires pour adopter un enfant.

Pensez-vous que la société puisse défendre un ordre symbolique, quitte à empiéter sur les libertés individuelles d’adultes libres et consentants ?
Sans jouer les Lévi-Strauss, je reconnais qu’il existe des tabous fondateurs civilisationnels, comme l’interdit de l’inceste, que je ne remets pas en question. Mais l’ordre symbolique ne peut pas être invoqué à tout bout de champ pour empêcher tout changement social ! De plus, je sais comment on instaure des droits individuels, pas comment on établit un ordre symbolique. Le droit individuel résulte d’un rapport de force politique validé par le suffrage universel. Il est donc au service de l’intérêt général. L’ordre symbolique, je ne sais pas qui le définit. Il peut se nourrir de la morale, de la religion ou de l’Histoire, mais reste toujours subjectif.

Dans ce cas, pourquoi ne pas remettre en cause l’interdit de l’inceste ? C’est un tabou arbitraire qui n’a pas été tranché par le suffrage universel et qui, dans les faits, n’est hélas pas toujours respecté…
Soyons sérieux : l’inceste est une abjection, une forme absolue de domination et un délit pénal. Et je n’ai pas besoin d’études pour en mesurer les conséquences désastreuses sur le développement de l’enfant…

Vous allez voter contre le Pacte budgétaire européen. Ne croyez-vous pas que le gouvernement se livre à une surenchère sociétale pour faire oublier que, sur le front économique, il n’a pas grand-chose de nouveau à proposer ?
Pourquoi faudrait-il opposer questions sociales et débats de société ? Vous ne pouvez traiter qu’un seul sujet, vous ? Je peux, dans la même journée, débattre des emplois d’avenir à l’Assemblée nationale et discuter de l’homoparentalité. L’un n’exclut pas l’autre. Alors, de grâce, pas de faux procès à François Hollande.[/access]

*Photo : Hannah Assouline.

Septembre 2012 . N°51

Article extrait du Magazine Causeur



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