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Mossad: l’histoire secrète des assassinats commandités par Israël

«Face à celui qui vient te tuer, lève-toi et tue le premier»


Mossad: l’histoire secrète des assassinats commandités par Israël
Otages du vol Air France libérés d'Entebbe par le Mossad et accueillis à Tel Aviv, juillet 1976. IPPA / AFP

Dans Lève-toi et tue le premier (Grasset), Ronen Bergman raconte l’histoire secrète des assassinats commandités par Israël.


Lève-toi et tue le premier – le titre du livre de Ronen Bergman sur l’histoire du renseignement du foyer national juif et de l’État d’Israël est déjà tout un programme. Dans leur lutte pour la survie et la renaissance nationale, les sionistes n’ont même pas songé à s’inspirer du célèbre lieutenant de Grenadiers français, le Comte d’Antroche : pas question de crier « Messieurs les Arabes, tirez les premiers ». Dans cette guerre déclenchée dans les années 1920, les Juifs ont toujours suppléé leur faible nombre par les ruses, les stratagèmes et les coups secs rapides et ciblés. Ces derniers, et tout particulièrement les assassinats ciblés, sont au cœur de ce pavé de 759 pages très documenté que lecteur aura du mal à lâcher. Bref, une parfaite lecture de confinement.

Car ce roman vrai se lit d’une traite et on ne le referme qu’à la dernière page. À tout instant, le lecteur se pose la question de la réalité des faits. Est-ce un vrai travail d’enquête ou une opération de manipulation du Mossad ? Pourquoi les agents les plus secrets d’Israël ont-ils parlé ? Pour satisfaire leurs égos ? Pour soulager leurs consciences ? Pour faire peur à leurs ennemis ? Il est important parfois de montrer sa force pour être crédible ; au début des années 1970, la marine française n’a pas hésité à laisser les chalutiers espions soviétiques s’approcher de la rade de Brest pour voir la réalité de ses sous-marins nucléaires…

Deux faits méritent d’être relevés et analysés. 

Tout d’abord, l’auteur  raconte qu’en 2011, M. Gaby Ashkenazi[tooltips content= »Avec Moshe AYALON et Yaïr LAPID, il est aujourd’hui un des « trois mousquetaires » du mouvement de centre-gauche « Kakhol Lavan », « Blanc Bleu », dirigé par Benny GANTZ »](1)[/tooltips], le chef d’état-major de l’armée de défense d’Israël, Tsahal, n’aurait pas hésité à demander aux services de prendre des mesures contre lui. Comment alors expliquer que rien n’ait été fait pour empêcher ces agents actifs ou retraités de parler, de les contraindre à respecter l’obligation de réserve imposée à tout fonctionnaire, qui plus est à toute personne concernée par le « confidentiel défense » ? 

Une dent contre Netanyahou

La réponse se trouve peut-être dans le prologue et la conclusion du livre qui laissent à penser que l’auteur poursuit le combat de Meïr Dagan contre Benjamin Netanyahou. Les deux hommes ne se sont jamais appréciés et ont eu une divergence fondamentale en 2011; le Premier ministre et son ministre de la défense Ehoud Barak considéraient que, dans la guerre contre la nucléarisation de l’Iran, la tactique des assassinats ciblés avait atteint ses limites et qu’il fallait bombarder les installations nucléaires iraniennes. Au-delà de l’inimitié et de l’opposition stratégique vis-à-vis de l’Iran, l’opération contre l’officier de liaison du Hamas auprès de l’Iran Mahmoud Al-Mabhouh assassiné dans sa chambre d’hôtel de l’hôtel Rotana à Dubaï dans la soirée du 19 janvier 2010, est selon Bergman un véritable tournant stratégique. Mabhouh a bien été éliminé mais les hommes du Mossad et leur modus operandi ont été partiellement exposés, ce qui selon l’auteur constitue « une réussite tactique impressionnante, un échec stratégique désastreux ». Selon l’auteur, le bilan négatif de l’opération a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et convaincu les deux anciens commandos de Sayeret Matkal (unité d’élite de l’état-major et l’une des trois principales unités des forces spéciales israéliennes) que le rapport « qualité-prix » des assassinats ciblés les rendaient stratégiquement peu rentables. 

Le Premier ministre n’a pas renouvelé le mandat du chef du Mossad. Ce dernier n’a pas décoléré et a étalé à qui voulait l’entendre sa vérité. Pour se garder d’une telle filiation, l’auteur précise : « depuis une décennie entière, j’avais lancé de sévères critiques contre le Mossad, et en particulier contre Dagan, ce qui l’avait mis très en colère », et n’hésite pas à rapporter un commentaire que lui a adressé Meïr Dagan « vous êtes vraiment une espèce de bandit, vous ». Comme ses objets de recherche, Bergman aussi brouille les pistes… 

Ronen Begrman identifie au moins quatre éléments qui ont permis l’évolution de la pratique du recours à l’assassinat ciblé et de la justifier. Tout d’abord, une phrase du Talmud (traité Sanhédrin, page 73 verset 1) devenue le titre de l’ouvrage et connue par tout Israélien : « Face à celui qui vient te tuer, lève-toi et tue le premier ». Plus qu’une citation, c’est un état d’esprit. Ensuite les pratiques révolutionnaires russes qui ont marqué, dès le début du XXème siècle, nombre d’immigrants influencés par les idées et les pratiques des mouvements socialistes, anarchistes et marxistes. À cela s’ajoute plus tard le traumatisme de la Shoah, un choc collectif mais aussi personnel et enfin, après la création de l’État en 1948, l’équation géostratégique avec l’exiguïté territoriale et le faible nombre d’habitants impose de porter le combat chez l’ennemi et rendre les guerres aussi rares et courtes que possible.

David Ben Gourion rationalise la sécurité du pays

Tout aurait commencé le 29 septembre 1907 dans une pièce donnant sur une orangeraie à Jaffa. Yitshak Ben-Zvi, un jeune Juif originaire de Russie réunit chez lui sept autres personnes également originaires de Russie. Il deviendra le deuxième Président de l’État. En référence à la révolte contre l’Empire romain au IIème siècle, ils créent le groupe d’auto-défense Bar Guiora pour effacer l’image du Juif faible et persécuté, du dhimmi. Leur devise était « dans le sang et le feu la Judée est tombée. Dans le sang et le feu la Judée ressuscitera », faisant référence à la glorieuse défaite contre les Romains 18 siècles auparavant. En 1909, il s’est transformé en Hashomer (« la garde ») qui va défendre les nouvelles colonies agricoles fondées avant la guerre de 14-18 en Terre sainte, et en 1920 en Haganah (« la défense ») qui a été le précurseur de l’armée de défense d’Israël, Tsahal. En 1931, une scission est intervenue ; a été créée « l’organisation militaire nationale », ou Irgoun de Menahem Begin et d’Yitzhak Shamir.

Bergman raconte les attentats contre les personnages clés de la lutte arabe contre la présence juive en terre sainte, comme Tewfik bey, et les Britanniques comme Tom Wilkin ou Lord Moyne au Caire en 1944. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Haganah met en place une unité spéciale dénommée « Gmul », la « récompense » dans le sens de revanche, pour traquer les nazis en cours de reconversion et de dissimulation.

En 1948, avec la renaissance de l’État d’Israël, David Ben Gourion met bon ordre et crée trois agences : la direction du renseignement militaire rattachée à l’état-major de l’armée, AMAN (« département de renseignements »), les services généraux de la sécurité intérieure, le Shin Bet (service de sécurité général, DGSI), et une structure rattachée au ministère des Affaires étrangères, le Mossad, chargé du renseignement et de l’espionnage extérieur.

S’ensuit une succession d’opérations qui démontrent, s’il en était besoin, le nombre d’adversités, au-delà de la dizaine de guerres[tooltips content= »La guerre d’indépendance, la guerre du Sinaï, la guerre d’usure, la guerre du Kippour, l’opération « Litani », la première guerre du Liban, la seconde guerre du Liban, l’opération « plomb durci », sans compter les deux intifadas »](2)[/tooltips], auxquelles Israël a dû faire face en plus de soixante-dix ans. Défilent alors sous vos yeux des événements qui vous permettent de découvrir les méthodes du Mossad, des hommes hors du commun, des circonstances… qui aiguiseront votre curiosité et votre envie d’en savoir plus…

La lutte contre les fédayins (« ceux qui sont prêts au sacrifice ») venant de Gaza dès la signature des armistices de 1949 ; la création en 1953 de l’unité 101 confiée à Ariel Sharon, ses opérations dont celle, controversée au sein même du gouvernement israélien, sur le village de Qibya ; les opérations lancées par les chefs des services de renseignement égyptien, Moustapha Hafez, et jordanien, Salah Moustapha, qui vont être victimes tous les deux du Mossad ; la mort de Roi Rotberg du village de Nahal Oz à la frontière de la bande de Gaza, qui a eu droit à une oraison funèbre de Moshe Dayan dont les habitants parlent encore aujourd’hui…

La description des événements est ponctuée des évolutions politiques en Égypte avec la prise du pouvoir par les militaires, et plus particulièrement Gamal Abdel Nasser, ou en Israël par le remplacement de David Ben Gourion par Moshe Sharett et le retour du « Vieux » … Chaque opération est marquée par des questionnements techniques, comme l’efficacité des enveloppes piégées, ou politiques, comme l’opportunité de tuer un officier supérieur d’un État souverain, le recours aux Juifs des pays arabes ou originaires de ceux-ci, l’embauche de Juifs occupant des postes sensibles dans des pays amis, avec le risque d’alimenter les soupçons de double allégeance.

Le légendaire Elie Cohen

Au détour des descriptions, on apprend que c’est le renseignement israélien qui a récupéré le rapport de Nikita Khrouchtchev au cours du XXème congrès du Parti communiste d’Union soviétique, présentant les crimes staliniens. La figure emblématique d’Isser Harel a eu l’intelligence de le transmettre à la CIA, ce qui a constitué le point de départ de la relation entre les deux agences. On comprend aussi « la stratégie de la périphérie » visant à établir des coopérations fortes avec des pays comme l’Iran ou la Turquie, et la constitution d’une alliance tripartite du renseignement, dénommée « Trident ». 

Le Mossad a acquis ses lettres de noblesse internationales avec l’enlèvement d’Adolf Eichmann, un des principaux architectes et protagonistes de la solution finale. L’opération « Dibbouk » a été supervisée par Isser Harel lui-même et exécutée par une équipe dirigée par Rafi Eitan, également impliqué dans la neutralisation des ingénieurs allemands intervenant dans le développement et la fabrication de missiles égyptiens. 

Mais la maison connait des soubresauts avec le départ d’Isser Harel et son remplacement par Meïr Amit, avant celui de David Ben Gourion qui a eu pour successeur Levi Eshkhol. On découvre l’implication de l’agence israélienne dans l’assassinat de Mehdi Ben Barka et l’intensité de la coopération avec le renseignement marocain ; cela a permis à Israël de poser des micros dans la salle qui a accueilli un sommet du monde arabe dont une des principales conclusions était la non-préparation des armées arabes à une guerre contre Israël. 

1965 a été une année noire pour le Mossad avec la capture d’Élie Cohen, et sa pendaison à Damas. Il a été le seul à se faire prendre. Un agent ne se considère pas être un espion ; il s’estime être un guerrier pour la défense du peuple juif. En Israël, la capture d’un agent est considérée comme un désastre national, et constitue une véritable obsession pour les responsables de l’agence. Ayant réussi à pénétrer les hautes sphères de l’État, à photographier toutes les installations militaires sur le Golan, à transmettre des informations dont les détails et précisions ont permis à Tsahal de conquérir le plateau en moins de 24h le 11 juin 1967, Élie Cohen restera un des plus grands espions de tous les temps.

Cette année constitue un autre repère avec la réapparition des attentats commis par les fédayins du Fatah de Yasser Arafat et d’autres groupes palestiniens. C’est le début du développement des actes terroristes, de par le monde et sur le territoire israélien (la ville de Maalot près de la frontière libanaise en 1974), des détournements d’avions (le vol El AL 426 en 1968, le vol TWA 840, les vols Pan AM Swissair TWA et BOAC vers la Jordanie) [tooltips content= »Le Roi Hussein de Jordanie va lancer son armée contre les Palestiniens sans aucune retenue, ce qui va entrainer la création du mouvement « septembre noir » »](3)[/tooltips], des relations des Palestiniens avec d’autres mouvements révolutionnaires (l’attentat de l’aéroport de Tel Aviv par trois Japonais). 

Les Israéliens vont de catastrophe en catastrophe découvrir la généralisation du mouvement national palestinien, et entrer dans un engrenage sans fin avec des représailles (Karameh, l’assassinat de dirigeants palestiniens dans leur domicile à Beyrouth) qui va contrarier des tentatives de négociations et empêcher l’émergence de toute solution politique.

La lutte sans merci entre Israéliens et Palestiniens atteint son paroxysme avec la mort des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich ; les Israéliens munis des « feuilles rouges » [tooltips content= »Chaque assassinat ciblé est l’objet d’un ordre écrit du Premier ministre qui peut décider seul ou après avoir consulté les membres d’un comité restreint. Les « feuilles rouges » n’ont pas une durée illimitée et doive nt être revalidées à l’occasion d’un changement de Premier ministre. Ce formalisme juridique a failli entrainer la suppression d’une opération au dernier moment parce que le Premier ministre faisait la sieste !« ](4)[/tooltips] du Premier ministre, Mme Golda Meir, vont conduire une traque sans fin pour éliminer un à un tous les auteurs de la prise d’otages.

Islam radical, Iran, intifadas…

Une fois passé l’exploit d’Entebbe qui remonte le moral de l’État juif au plus bas après les carences et les pertes de la guerre du Kippour, le pays retrouve l’engrenage de la lutte contre les Palestiniens. D’action terroriste en représailles, de représailles en vengeance terroriste, Israël va s’engager progressivement, mais inéluctablement, dans le piège libanais. De l’opération Litani à la première guerre du Liban, Israël a emporté une victoire sur les Palestiniens en les contraignant à s’exiler à Tunis. Mais ils vont attiser la résistance des Chiites libanais soutenus par les Gardiens de la Révolution, et les attentats entrainent de telles victimes qu’Israël finit par quitter le pays aux cèdres après avoir essayé de préserver une zone de sécurité avec l’aide d’une milice chrétienne ; un bourbier d’une quinzaine d’années. 

Dans le même temps, Israël doit faire face à l’Intifada qui va trouver une conclusion avec les Accords d’Oslo. Mais le processus de paix va vite dérailler avec la multiplication des attentats, la mort du Premier ministre Yitshak Rabin et la seconde intifada. 

Au cours des vingt dernières années, Israël a été confronté à de nombreux défis : l’islam radical ; la volonté iranienne de se doter de l’arme nucléaire, de propager sa révolution de par le Proche orient et le monde, et surtout de détruire Israël ; le renforcement du Hezbollah malgré une seconde guerre du Liban ; la prise du pouvoir à Gaza par le Hamas qui attaque régulièrement les civils israéliens… Vous découvrez le début de l’utilisation des drones pour réaliser ces attentats ciblés. Une lutte sans fin ? Une guerre de cent ans avec le monde islamique ?




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