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Ron Sexsmith, miracle pop


image : Ron Eldon Sexsmith

Dans un monde qui aurait miraculeusement cessé de marcher sur la tête – où les philosophes écriraient des livres avec de vrais morceaux de pensée au lieu d’amidonner leur chemise puis de dicter leur politique étrangère aux vieilles nations fatiguées ; où les gouvernants, ayant renoncé à débattre interminablement de la nécessité de débattre, auraient enfin assez de temps et de volonté pour gouverner ; où l’on ne pourrait pas se payer deux ou trois tableaux de Poussin pour le prix d’un homard gonflable ; dans un monde idéal, donc, Ron Sexsmith trônerait au firmament de la pop. Il serait aussi numéro un des ventes, comme à l’époque dorée des sixties où le bon goût et l’excellence musicale suffisaient à obtenir la faveur du public[1. Du public anglo-saxon au moins].

À la très basse époque où nous sommes condamnés à vivre, Ron Eldon Sexsmith sort ses disques dans l’indifférence générale. Ce silence fait de lui l’un des secrets les mieux gardés de la pop. Il a beau avoir été adoubé par ses pairs Paul McCartney, Elvis (Costello, pas le bellâtre bouffi permanenté à paillettes) et Bob Dylan, rien n’y fait. Les albums s’enchaînent, distillant la même pop délicate et inspirée avec une constance qui brave fièrement le désespoir. De disque en disque, les mêmes sentiments en demi-teinte exprimés par la même écriture subtilement mélancolique et charmeuse reviennent.[access capability= »lire_inedits »]

Cette fois[2. Long Player Late Bloomer, de Ron Sexsmith, un CD Cooking Vinyl], Ron paraît s’être lassé de l’anonymat et avoir décidé de mettre toutes les chances de son côté sans réduire son niveau d’exigence. Un son moins fragile, plus ample, parfois légèrement gonflé au service de chansons qui ne reculent pas devant le lyrisme (le refrain de My Love Shines) ou l’élan conquérant (le single Believe When I See It qui devrait caracoler en tête des hit-parades), se trouve discrètement boosté par une production musclée signée Bob Rock[3. Surtout connu pour avoir signé l’enveloppe sonore de plusieurs disques de Metallica, à l’opposé de l’univers de Sexsmith]. Tranchant avec l’habituelle ambiance automnale de ses disques, la pochette s’orne de teintes chaudes et bariolées, au milieu desquelles trône notre compère. Malgré ses 45 ans passés, ce dernier affiche toujours le même visage poupon avec un sourire triste en signe de timidité.

En bon popiste, Sexsmith préfère toujours véhiculer sa mélancolie par le biais de l’ironie (« Si tu vises à me rabaisser, si tu prétends me courber sous le poids de la culpabilité, tu ferais bien de prendre un ticket et de faire la queue », chante-t-il dans le très poétique Get In Line). La légèreté est ainsi le maître mot d’une œuvre qui ne prétend pas voir la vie en rose. Ron n’ignore rien de la duplicité des rapports humains et de la dureté du monde. Il ne cherche pas à les masquer (« Et pour ce qui est de la paix et de l’amour, j’y croirai quand je les verrai », entend-on dans Believe When I See It).

Sexsmith ne veut pas non plus abandonner sa capacité d’émerveillement là où d’autres renonceraient à la mission première de la musique. Celle-ci vise à réenchanter un monde désespéré par le sarcasme de la modernité. All You Need Is Love : la devise des Beatles ferait un parfait exergue pour l’œuvre de Ron Sexsmith tant elle nous donne le remords poignant de ne pas aimer davantage.[/access]

Long Player Late Bloomer

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Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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Laurent Dandrieu est rédacteur en chef adjoint à Valeurs actuelles, où il suit notamment les questions religieuses. Il vient de publier “La Compagnie des anges. Petite Vie de Fra Angelico” (éditions du Cerf).

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