Du droit inaliénable de ne pas croire


Du droit inaliénable de ne pas croire

hesiode religion blaspheme

– Sais-tu pourquoi le Ciel est au-dessus de la Terre ? me demande un jour mon ami Philippe, qui est Grec à n’en plus pouvoir.
– Ben, il n’est pas au-dessus de la terre, il est tout autour d’elle…
– Tu n’y connais rien : le Ciel est au-dessus de la Terre parce qu’il la baise constamment.
– Heu… Oui… Si tu veux, dis-je sottement.
Surtout, ne pas contrarier les délires.
– La Terre a enfanté l’Océan aux gouffres immenses, continue mon ami grec. Et les Monstres et les Cyclopes. Et Mnémosyne, la mère des Muses qui ont enseigné au prophète…
– Heu… Quel prophète ? Nous en avons pléthore, ces temps-ci…
– Il n’y en a qu’un de véridique, Hésiode — sur lui la bénédiction et la sagesse. C’est lui qui dans la Théogonie nous enseigne qu’Ouranos, le Ciel, dévorait ses enfants, mais que Gaïa, la Terre, après avoir enfin enfanté Saturne, qui joue à bousculer les roses, conspira contre son terrible époux et fabriqua une grande faux, dont s’arma Saturne, qui saisit son père Ouranos de la main gauche et de la droite, agitant la faux énorme, s’empressa de couper l’organe viril de son père et le rejeta derrière lui. Et des gouttes du sang céleste qui tombaient sur le sol naquirent les Géants et les Furies, tandis que de celles qui touchaient la mer naquit Aphrodite aux cheveux d’or, que le flot porta jusque sur l’île de Cythère.
– Si tu veux. Mais es-tu sûr…
– C’est écrit dans le Livre ! s’emporte-t-il en brandissant la Théogonie, reliée de cuir rouge. Je t’interdis d’en douter.
– C’est qu’il existe de nos jours deux ou trois versions alternatives…
– Des mécréants auxquels on donnera la ciguë, après les avoir convaincus d’impiété !

Ai-je rêvé ce dialogue ? Ou mon Moi ancien, celui qui vécut vers le VIIIème siècle avant J.C., l’a-t-il recomposé à partir de souvenirs enfouis ?
Le fait est que chaque époque, en fonction de ses connaissances, fournit son explication du monde. Du temps où j’étais homme de Tautavel, nous pensions que chaque brin d’herbe, chaque arbre, chaque volcan, était la manifestation d’une force incompréhensible. Puis vinrent les Dieux immortels (et je mets au défi les sectateurs de Moïse, Jésus et Mahomet de me prouver qu’ils sont morts), qui se partagèrent des secteurs entiers du vivant. C’est ainsi que Zeus eut le Ciel, Poséidon la Terre et la Mer et Hadès le sous-sol et le noir Erèbe. Quelques siècles encore, et d’aucuns, copiant un ancien pharaon, ramassèrent toutes ces divinités en une seule. Attendez un millénaire et des poussières, et Spinoza, Voltaire, Diderot, Feuerbach, Darwin et Nietzsche ont assassiné ce dieu unique — et j’attends que l’on me prouve qu’il n’est pas mort. Tout cela est question d’opinion, et mon ami Philippe le Macédonien, quoiqu’il soit parfaitement fou, n’est pas assez intolérant pour administrer la ciguë, comme il dit, aux sectateurs du dieu unique, reliquat de temps anciens de superstition : toutes les folies sont de ce monde.

Alors qu’on cesse de me les briser menu avec des raisonnements du genre « Dieu le veut » ! Dieu ne veut rien, et Zeus ne veut rien non plus : il se contente de brandir la foudre, et de l’envoyer sur les imbéciles qui contestent le droit inaliénable de l’être humain à ne pas croire. Mais voilà, avec l’âge, il ne vise pas toujours très bien.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Ranson : Le nouvel alibi des terroristes
Article suivant Quand Paris adorait les Khmers rouges
Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération