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Qui est in, qui est off ?


Qui est in, qui est off ?

C’est sans doute le plus grand drame qu’ait connu notre profession depuis les chiens mitterrandiens aux obsèques de Bérégovoy : ainsi donc, le président aurait traité des journalistes de « pédophiles ».

C’est grave, c’est même très grave. Sauf que ce n’est pas tout à fait vrai. Tout d’abord, un bref rappel des faits, comme on dit dans le poste : Vendredi soir, en marge du sommet de l’Otan à Lisbonne, un journaliste reprend, en off, les accusations de rétro-commissions lancées par DDV contre Nicolas Sarkozy. Lequel lui répond, aussi sec : « Et vous, j’ai rien du tout contre vous. Il semblerait que vous soyez pédophile… Qui me l’a dit ? J’en ai l’intime conviction. Pouvez-vous vous justifier ? ». Après avoir poursuivi sa démonstration devant un petit groupe de confrères, il a conclu l’entretien en lançant à la cantonade « Amis pédophiles, à demain ! ». La scène enregistrée par des techniciens portugais est aujourd’hui mise en ligne sur le site de nombreux journaux. Sans nous dire si c’est la version enregistrée par les techniciens zélotes de l’Otan qui défile ou si c’est un journaliste offusqué mais prévoyant l’a enregistré sur son iphone qui a balancé le fichier… Bref. Quoiqu’on en dise la conférence de presse off mérite quelques remarques.

Le « off », c’est notre secret de la confession à nous : gardons-le !

Primo : on est off, et le off a vocation à rester secret, tous comme les services du même nom (On verra plus tard que pour une fois, ma comparaison n’est pas gratuite). On accuse suffisamment –et à juste titre- les politiques de parler mieux la langue de bois que l’anglais, voire le français pour ne pas tarir cette source-là. C’est notre secret de la confession à nous, par pitié gardons-le, ou alors faudra se contenter pour écrire nos papiers des pensums des attachées de presse ou des communiqués poétiques de Claude Guéant. Et ce faisant, il va falloir que nous autres, journalistes, on arrête aussi rapidement les blagues, les bourdes, les propos de comptoir et les rumeurs au bistrot ou dans les avions officiels avec ceux que l’on fréquente. L’outing de notre mauvais esprit risquerait aussi de faire des dégâts. Et d’atteindre notre crédibilité… Je sais de quoi je parle, j’aime les blagues. Surtout si elles sont mauvaises.

Secundo : on n’est pas dans le registre de l’injure ou de la dénonciation calomnieuse mais dans celui du cynisme ou de la métaphore un rien crispée et sans doute mal choisie. Mais dans la série Sarkozy est brutal-et-vulgaire, on a eu l’occasion de s’habituer je le crains depuis trois ans.

Tertio: s’il est raisonnable de penser que le président a chargé la barque pour être sûr de bien se faire comprendre, voire pour intimider un brin ses amis de la presse, on peut aussi estimer qu’il les a délibérément baladés. Il arrive que le journaliste soit parfois prévisible (si vous ne me croyez pas, ouvrez un canard au hasard) et il n’est pas exclu qu’en trente ans de vie politique, Nicolas Sarkozy ait eu le temps de s’en apercevoir. En leur servant cette provoc pur sucre, et en anticipant les réactions en chaîne qui allaient suivre, il a carrément dicté aux éditorialistes et à leurs supplétifs humoristes leurs copies du lendemain. Un peu, un peu beaucoup, même, comme il l’avait déjà fait au moment où il avait reçu les députés UMP début novembre, expliquant sa baisse de popularité par cette tirade : « j’ai un super job, une super femme, alors forcément les Français me le font payer », largement commentée dans les gazettes, sur le thème ce président se fout de nous (les journalistes surtout). Ce qui est sans doute vrai.

Mais là, les enjeux sont autrement importants. A côté des 11 victimes françaises de l’attentat de Karachi, toutes les affaires que ce quinquennat a connues jusque là sont infinitésimales. Il n’est absolument pas certain que le roman-feuilleton des rétro-commissions pakistanaises et putativement balladuriennes ait comme uniques méchants les ex-balladuriens et comme chevaliers blancs, les ci-devant chiraquiens. Tout d’abord, parce que c’est avec les chiraquiens d’hier qu’on fait certains des meilleurs sarkozystes du jour (on pense à Juppé, mais Fillon a aussi quelques chromosomes chiraquiens). Et ensuite, il n’est pas dit que les supposés chevaliers blancs se retrouvent un jour au pilori, à force de coups tordus (Clearstream, vous vous souvenez ?).

Si rien n’atteste donc pour l’instant la culpabilité par raccroc des Balladur boys dans cette affaire, il est patent, en revanche, que le plus illustre d’entre eux est décidé à utiliser tout son pouvoir – qui n’est pas négligeable- pour la faire enterrer. Sinon comment comprendre son refus de déclassification de pièces classées secret défense, celui du président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer de prolonger la vie de la mission d’information parlementaire consacrée à l’attentat de Karachi, sans oublier le rejet de la demande du juge d’instruction Marc Trédivic de se voir confier les PV d’audition de ladite mission et la phrase du président de la République qualifiant les soupçons sur Karachi de « fables »… Les manœuvres et autres contrefeux n’ont pas manqué ces derniers temps.

Mais à la force, le président sait adjoindre la ruse. Un peu à la façon d’Alfred Hitchcock, qui commentant la scène du champ de maïs dans La mort aux trousses, concluait goulûment « Jusque-là les réalisateurs ont fait de la direction d’acteurs, moi je fais de la direction de spectateurs », le président s’est malicieusement imposé comme directeur de rédaction, de toutes les rédactions.

Il suffisait pour ça d’attirer les médias dans la direction voulue avec un énorme pot de confiture. Les journalistes ne sont pas des pédophiles, ce sont de grands enfants …



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est journaliste

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