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Plantu, comique-troupier


Plantu, comique-troupier
Plantu.
Plantu
Plantu.

Quelle étrange époque que la nôtre : c’est à qui – parmi les trublions les moins étanches à l’air du temps – nous présentera les meilleurs états de service de résistant au politiquement correct. Ces fonctionnaires de l’ironie facile – mais lucrative – prennent sans doute leur art pour une forme de guérilla médiatique menée face au totalitarisme vaticano-militaro-industriel. Ils viennent lancer à la figure des puissants, l’expression de la colère des humbles et des sondages d’opinion. Et c’est avec le costume du bouffon – bien pratique pour travestir l’époux de la ménagère de moins de 50 ans en homme d’esprit insolent – qu’ils s’en vont ferrailler avec les ennemis du genre humain.

Ils semblent ignorer ce qu’est le politiquement correct : le versant lexical de l’affirmative action qui, dès les années 1980, ambitionnait de rendre les minorités américaines plus égales que les WASP, en faisant par décret de leurs membres des premiers de la classe. Le politically correct consistait, lui, à ménager les susceptibilités en remplaçant les substantifs par des phrases longues comme le bras. Plus dur à pratiquer que le « ni oui ni non », ce dialecte est devenu, au fur et à mesure, la novlangue des bien-pensants de tous pays : toute erreur de vocabulaire est assimilée à un crime contre l’humanité et dénoncée à qui de droit, en vertu de la loi Gayssot. Mais contre l’ennemi de l’intérieur, tout est permis. Si l’éthique de nos saltimbanques leur interdit de se gausser des drag queens, toute latitude leur est donnée pour vomir sur le Pape et sa sinistre clique, dont les activités notoirement hostiles au Progrès et au Planning Familial doivent être sabotées coûte que coûte.

Ils manient l’humour moins comme l’épée du mousquetaire que comme le gant de caoutchouc dont se sert un vétérinaire pour inséminer une vache. Le sourire en coin, ils assènent les poncifs les plus grossiers, au prétexte de choquer le bourgeois et ses éternels alliés – le curé et l’agent de police. Aucun raccourci ne sera de trop pour montrer le visage hideux de la Réaction. Et ils n’auront de cesse de la débusquer, jusques et y compris quand elle aura commencé à contaminer les rangs de la Gauche – dont Doriot et Déat furent, ne l’oublions pas. Car Godwin est leur ami : ils s’embarrassent rarement des nuances herméneutiques auxquelles l’universitaire est astreint. Eux font dans la métaphore et pas la plus fine, de préférence. Toutefois, à leur âge avancé, il devient préoccupant de les voir si satisfaits d’eux-mêmes, emplis de cette jouissance sournoise du gamin qui, venant de cracher dans un bénitier, se prend soudain pour un homme. La fréquentation de quelques bons livres d’histoire pourrait leur montrer à quel point l’anticléricalisme « rad-soc » d’il y a un siècle était plus violent et plus révolutionnaire que le leur. Si la IIIème République vit s’opposer farouchement deux camps réellement hostiles l’un à l’autre, notre époque est celle du monopole d’une bêtise triomphante qui prend son arrogance chronique pour de l’héroïsme.

La réductio ad hitlerum, une arme éprouvée

Les camelots de l’insolence sont pourtant loin d’être stupides : ils savent pertinemment jusqu’où ils peuvent aller trop loin, n’ayant comme frontière ni le bon goût ni l’honnêteté mais juste le seuil à partir duquel l’instinct de conservation incite à ménager l’adversaire. Elles sont révolues, ces heures sombres durant lesquelles étaient frappés d’ostracisme les chansonniers qui avaient osé brocarder le Pouvoir : désormais le Pouvoir, c’est eux. Un régime hypnopédique qui donne à quelques millions de Français leur prêt-à-penser quotidien afin qu’ils aillent ensuite voter correctement. Depuis plus de vingt ans, Canal + diffuse les Guignols de l’Info, une parodie de journal télé. Des millions de Français apprécient ce soupçon de populisme qui persuade le quidam que la France d’en haut est truffée de vendus et d’affairistes. Peu enclins à faire dans la dentelle, les auteurs du show excellent dans l’art de faire passer leurs cibles pour des imbéciles, ou mieux : des nazis. Benoît XVI a ainsi été surnommé « Adolf II » pour faire rire le bon peuple qui a déserté depuis belle lurette l’office dominical. Dans la même veine, l’humoriste radiophonique Stéphane Guillon, lorsqu’il est en manque d’inspiration, est obligé de se servir de ces petits trucs de professionnel, dont fait partie la reductio ad hitlerum[1. L’expression est d’Alain Finkielkraut.]. Toujours prompt à débusquer le fasciste caché, il ne dédaigne pas, néanmoins, de scruter le faciès de ses victimes afin d’y déceler – par la forme de tel menton ou de tel nez – quelque trait psychologique. Comme quoi, dans ce que fut l’Occupation, il a su faire le tri…

On trouve chez Plantu le même élan épurateur : une tendance obsessionnelle à voir des fascistes partout. Des fascistes ou, désormais, des pédophiles. Le dessinateur vedette du Monde a produit il y a quelques jours, en produisant une caricature montrant le Pape en train de sodomiser un enfant. Heureux sommes-nous, en France, d’avoir des esprits si frondeurs ! J’avoue avoir du mal à croire qu’il se serait permis cette liberté avec d’autres.

Nos pamphlétaires hexagonaux sont tout sauf des têtes brûlées : ils ont un métier et le font avec sérieux. Loin d’eux l’envie de se retrouver avec des emmerdes parce qu’ils se seraient adressés à la mauvaise personne de la mauvaise manière. Ces bons pères de famille connaissent les us et coutumes de la controverse médiatique : on s’adapte à la cible en fonction de sa largeur d’épaules. Le Pape est un bon client : il ne poursuit pas en justice et ne plastique pas votre résidence secondaire en représailles. C’est pour cela qu’on voit se multiplier les faits d’armes contre l’évêque de Rome et ses ouailles. Comme il n’existe pas d’examen pour atteindre le grade tant convoité de « comique politiquement incorrect », c’est « au feu » qu’il faut gagner ses galons. L’ennui, c’est que les gesticulations évoquées ci-dessus ne choquent plus grand monde depuis quelques décennies déjà. Ça commence à sentir le comique-troupier ou la fin de banquet. Cet humour n’est pas subversif. Il est gras.



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Nicolas Huchet est toujours en quête : tantôt de Dieu, tantôt d'un emploi, tantôt d'une chemise repassée. Quand il n'est pas en train de <a href="http://oldfashioned.fr">bloguer</a>, on peut le croiser régulièrement devant son poste de télé, à des heures pas très catholiques.

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