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Délit de réel


Délit de réel
Statue de Voltaire nu, vue de dos.
Statue de Voltaire nu, vue de dos
Statue de Voltaire nu, vue de dos.

Ce qu’on ne peut penser, il faut le nier. Telle est la maxime du Tribunal de la pensée et de ses sbires. Tout ce qu’ils ne comprennent pas parce qu’ils ont peur de le comprendre, ils déploient une énergie considérable à le cacher. Et quand un doigt leur montre la lune, ils s’en prennent avec rage au doigt, puis au détenteur du doigt, réclamant avec force trépignements et criailleries qu’on le fasse taire – ce qui est évidemment un progrès par rapport au bûcher d’antan.

Tout cela, il faut en convenir, n’est pas très neuf : les maîtres-censeurs ont de beaux jours derrière eux. Certains, à l’image de Daeninckx, dont Jérôme Leroy analyse le cas, ont plus de vingt ans de délation dans les pattes. Le retournement qui a vu les gardiens de l’orthodoxie se parer non plus de l’autorité du pouvoir mais de l’aura de la résistance ne date pas non plus d’hier, même si on n’en a pas encore mesuré toutes les effroyables conséquences, en particulier sur l’orwellisation des mots. Après tout, Zemmour – puisque c’est de lui qu’il s’agit − n’est que le dernier en date dans la longue liste de ceux que les détenteurs de la néo-vérité accusent des crimes les plus effroyables. Et contrairement à beaucoup d’autres, il a fait reculer la meute. Notre confrère et ami n’est pas Dreyfus. Mais défendre sa liberté, c’est défendre la nôtre.

[access capability= »lire_inedits »]Contrairement à son ancêtre chrétienne, l’Inquisition d’aujourd’hui est marrante ou prétend l’être – encore que les amuseurs d’aujourd’hui n’amusent guère Luc Rosenzweig, et on le comprend. De plus, il s’agit d’une Inquisition spontanée. Elle n’obéit à aucune consigne – et à aucune règle. C’est par pure soumission à un air du temps qui ne lui remonte aux narines qu’à travers le filtre médiatique que le Garde des sceaux câline les ennemis de Zemmour et fait sermonner l’avocat général Philippe Bilger pour avoir confirmé les affirmations criminelles de ce dernier. Personne n’a demandé aux chasseurs d’hérétiques de faire du chiffre et pourtant, depuis quelques mois, ils s’en donnent à cœur joie, pistant les déviants, traquant les écarts par rapport au dogme, déjouant les mauvaises pensées avant qu’elles ne s’expriment. Je leur conseillerais volontiers de ralentir un peu le rythme pour ménager leurs effets car, à ce train d’enfer, le bon peuple en est encore à se demander si Brice Hortefeux est raciste qu’ils sont déjà occupés à cracher sur Robert Ménard − dont il faut rappeler, pour ceux qui ont raté cet épisode, qu’il préfèrerait que sa fille ait une sexualité hétérosexuelle et qu’il ne se mobiliserait pas pour épargner la peine capitale à Dutroux.

Le procès fait à Zemmour, dont Radu Stoenescu expose les rouages, est stalinien mais en version kitsch. Il n’en est pas moins symptomatique d’un durcissement du climat. Comme l’explique Alain Finkielkraut, Zemmour n’est pas attaqué parce qu’il défend des opinions, contestables par nature, mais parce qu’il énonce des vérités. Et celles-ci déplaisent parce qu’elles ne collent pas avec le récit autorisé. Basile de Koch nous menace d’une loi sur la Vérité. On n’en est pas si loin.

Mais les procureurs ne se contentent pas de traiter le coupable de crypto-lepéniste, raciste et facho – invectives qui, malgré leur gravité, finissent par s’user : ils réclament sa tête, et même pas en loucedé, comme ils l’ont toujours fait quand quelqu’un leur déplaisait. Ils demandent son renvoi urbi et orbi. Ils en sont fiers, comme les auxiliaires du maccarthysme devaient être fiers d’avoir poussé à l’exil Chaplin ou Losey. Il est vrai que la perspective de la mort sociale peut donner à réfléchir. À bon entendeur…

Reste à comprendre pourquoi les propos de Zemmour sont à ce point inaudibles. Comme me le fait remarquer Philippe Cohen, ils sont parfaitement illustrés par le film Le Prophète qui n’a pas, à ma connaissance, été taxé de racisme. À en croire Patrick Lozès, le président du CRAN, qui doit être remercié pour avoir accepté de tenir dans ces pages le rôle de l’accusation, Zemmour développerait une monomanie à l’encontre des « Noirs » et des « Arabes ». On pourrait lui rétorquer que, comme porte-parole d’une association qui se revendique noire dans son appellation, lui-même doit bien développer une certaine monomanie, positive en l’occurrence. Ce serait un argument un peu facile. Rappelons cependant que Zemmour n’a pas justifié les « contrôles au faciès » : il les a expliqués − nuance. À cela, on nous répond que, si la police n’était pas raciste, elle contrôlerait les Blancs en costard-cravate pour réprimer la délinquance financière. Le seul problème, dans ce raisonnement, c’est qu’on n’attrape pas les abuseurs de bien social en les contrôlant dans le métro ou sur la voie publique : les dealers de shit, oui.

En l’absence – soudain bien commode – de statistiques ethniques, il est impossible, nous dit-on encore, de savoir si Zemmour dit vrai. En somme, on a le droit de déplorer que les uns ou les autres soient sous-représentés dans tel ou tel secteur, de réclamer plus d’imams dans les prisons, de déclarer sur tous les tons que l’islam est la deuxième religion de France, et cela sans la moindre statistique chiffrée. Et il serait interdit d’affirmer ce que voient non seulement les policiers et les magistrats, mais aussi tous les enfants de bourgeois qui savent bien à qui ils achètent leur shit ? Surtout, ces dénégations répétées reviennent à dire aux Français de toutes origines qui partagent la perception d’Eric Zemmour qu’ils ne vivent pas ce qu’ils vivent. Et ça, ça rend fou. Comment peut-on espérer résoudre un problème en niant son existence ? Verra-t-on bientôt nos belles âmes défiler dans les rues en criant : « Le réel ne passera pas ! » ?

Il faut aller plus loin et se demander pourquoi ce sont des propos sur l’immigration ou plutôt sur l’intégration des enfants d’immigrés qui, dans l’énorme majorité des cas, valent à leurs auteurs l’excommunication. Alain Finkielkraut a raison : nous avons peur du racisme et nous avons raison d’avoir peur. Résultat, comme le montre très bien Michelle Tribalat dans son dernier livre, le seul discours autorisé sur l’immigration est un enthousiaste, voire irénique. L’immigration est une chance pour la France, il n’y a rien d’autre à dire. Or, on ne voit pas pourquoi et comment un phénomène social d’une telle ampleur serait entièrement positif ou entièrement négatif. Il se trouve que beaucoup de Français, y compris arabes ou noirs, ne se réjouissent pas de voir certains de leurs concitoyens importer en France une conception des relations sociales dans laquelle une fille en jupe est une pute et un caïd de cité un héros – surtout s’il a fait un peu de prison. Sont-ils racistes ? Va-t-on les priver de leur droit de vote ? Faudra-t-il leur faire suivre des stages rééducation parrainés par Canal+ ?

L’ennui, c’est qu’à occulter le réel, on s’interdit de poser la seule question qui vaille : celle du modèle français. À Causeur, nous sommes beaucoup à penser, comme Zemmour, que c’est le renoncement à l’assimilation au profit du multiculturalisme qui explique la panade dans laquelle nous sommes. Nos coupeurs de têtes refusent avec la dernière énergie de voir que nous ne savons plus « faire France ». S’ils voulaient s’assurer que nous n’y parviendrons plus jamais, ils ne s’y prendraient pas autrement.[/access]

Avril 2010 · N° 22

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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