Pharaonique, la philarmonique?


Pharaonique, la philarmonique?

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La pauvre ! Il y a quinze ans, elle nous faisait rêver. Ce serait la plus moderne, la plus belle, la plus grande. Maintenant que ça se précise, pas une semaine sans vitriol. « La Ville de Paris ne paiera pas le surcoût de la Philharmonie » (Le Monde du 5 septembre), « Cacophonie à la Philharmonie de Paris » (Le Figaro du 12).

La Philharmonie, pour qui ferait exprès de ne pas le savoir, remonte avant Napoléon. Quand on a inventé les concerts publics, sous Louis XV, on n’avait rien de mieux à leur offrir qu’une salle sans volume aux Tuileries. Plus tard, mon aïeule déchirait ses tickets dans un énorme amphi néo-byzantin élevé pendant l’expo universelle de 1878 au Trocadéro, qui vous avait « je ne sais quelle vibration indécise et flottante » (Le Figaro de l’époque). Pas de veine. On nous a donc rasé ces tristes murs, remplacés entre-deux-guerres par la Salle Pleyel. Toujours refaite, toujours dénigrée pour son acoustique. À Berlin ils ont leur Philharmonie, à Vienne leur Musikverein, à Amsterdam leur Concertgebouw, en Espagne il en pleut, pendant que nous nous avons Pleyel où il n’y a même pas la place de répéter.

Donc la salle de concert que Paris mérite, voilà une plombe qu’il la lui faut. Sans auditorium optimal, pas d’orchestres au niveau, pas de prestige, pas de plaisir. Le Jean Tiberi d’autrefois nous l’avait promis à la Gaîté Lyrique. Où le Bertrand Delanoë de naguère a préféré mettre une sorte de Paris Plage techno qui fait mousser le Conseil municipal et marrer les ados.[access capability= »lire_inedits »]

Une fois de plus, c’est donc saint Pierre qu’on a écouté. Après s’être fait offrir une « cité de la musique » porte de Pantin et y avoir placé ses anciens capitaines, Pierre Boulez s’est plaint qu’il lui manquait un membre. « La cité unijambiste », il l’appelait. L’autre jambe, ce serait sa grande salle, comme à New York, comme à Rome. Néron d’un jour, Dominique de Villepin a dit : tu la veux, je te la fais. Frédéric Mitterrand a signé. Jean Nouvel a bâti. La voilà. 2400 places en alvéoles, des tas de petites salles autour. Inauguration le 14 janvier prochain. Si vous êtes dans l’alvéole nord-est, souriez : c’est bibi qui vous indiquera votre siège.

Moi je vais vous dire, ces travaux en retard, ces devis à 110 M€ « réévalués» dans les 381 M€, ces architectes furieux qu’on remplace leur amarante par du contreplaqué, je m’en cogne. Tous les chantiers de jadis et de demain passent par là, dans deux ans on n’y pensera plus. Non, ce qui me chagrine, c’est trois fois rien.

Une fois rien : quand en 1995 Mitterrand senior a inauguré la cité de la musique, il nous promettait une vraie ville, lumineuse de l’aube à la nuit. Macache, c’est un auditorium lambda d’où nous autres ouvreuses avons ordre de virer le client cinq minutes après la dernière note. Deux fois rien : les édiles qui ont commandé la Philharmonie au père Noël ont vécu. Leurs héritiers à la Mairie, à l’Elysée, rue de Valois, n’en ont rien à fiche, morne présage. Trois fois rien : l’âge des grands travaux est passé, la diplodoculture institutionnelle n’a plus les moyens de se nourrir et promet d’affamer les petits, les fragiles, les artistes du monde réel, pour payer leur vastitude obsolète. Si ça arrive, vous et moi, on n’a pas fini de pleurer.[/access]

*Photo : wikimedia.

Octobre 2014 #17

Article extrait du Magazine Causeur



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