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Cio-cio San ne sera jamais Américaine

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Alors que l’on célèbre en 2024 le centenaire de la disparition de Giacomo Puccini, l’Opéra Bastille donne « Madame Butterfly » jusqu’au 25 octobre, le Théâtre du Châtelet propose un concert «Viva Puccini ! » le 9 octobre, et le ténor allemand Jonas Kaufmann sort un disque compilant les plus grands duos amoureux du compositeur.


Faut-il encore présenter Madame Butterfly, must absolu de la scène lyrique ? Pinkerton, un vaniteux officier de marine yankee fraîchement débarqué au Pays du Soleil levant, épouse Cio-cio San, une geisha âgée de 15 ans qu’il a levée grâce à l’entremetteur Goro, avant de se réembarquer en jurant de revenir. En poste à Nagasaki, le consul des États-Unis a prévenu Pinkerton : elle croit dur comme fer à cette fausse promesse ! Passent trois ans ; « Mrs Butterfly » attend toujours son Pinkerton. Lequel, au passage, l’a engrossée d’un fils. Convertie au catholicisme, elle est désormais bannie de la société nipponne. Le consul tente d’annoncer à Cio-cio-Sian le retour soudain de Pinkerton, mais flanqué, cette fois, de Kate, sa jeune femme américaine. Lâchement, ce dernier esquive la rencontre avec Cio-cio San. Refusant obstinément les avances du riche prince Yamatori qui l’aurait tirée de la misère, elle choisit d’abandonner son petit enfant au couple occidental, et se suicide.

C’est que, comme l’exprime Pinkerton au seuil du premier tableau de l’opéra : «  partout dans le monde, le Yankee vagabond s’amuse et se débrouille (…) il jette l’ancre à l’aventure (…) La vie ne le satisfait pas s’il ne s’approprie les étoiles de tous les ciels, les fleurs de tous les pays, l’amour de toutes les belles »… L’impérialisme américain ne fera pas pour autant de Cio-cio San la compatriote de son cynique et couard séducteur !   

Puccini a la quarantaine quand, fort des triomphes de Manon Lescaut (1893), La Bohème (1896), et Tosca (1900), le compositeur désormais très en vue sur la scène internationale se lance, avec ses librettistes Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, dans l’adaptation d’une nouvelle de John Luther Long, elle-même tout juste adaptée au théâtre par David Belasco. La création de Madame Butterfly à la Scala, le 17 février 1904, se solde pourtant par un fiasco retentissant. À plus d’un siècle de distance, la suavité cristalline de la partition, les langueurs mélodiques du chant, la luxuriance, le lyrisme teinté d’exotisme de l’orchestration ravissent l’oreille la moins avertie. Immortel chef d’œuvre !

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C’est en 1993, alors au faîte de sa célébrité, que Robert Wilson (1941-…) a monté la production redonnée à présent par l’Opéra-Bastille ; elle y avait été reprise pour la dernière fois en 2019. Autant dire que cette régie porte la marque de son époque : le XXème siècle finissant et ses épures abstraites – jusqu’à la frigidité. De fait, avec « Bob », on sait à quoi s’attendre : toute espèce de couleur locale évacuée, l’austérité formaliste impose aux chanteurs, chorégraphiée au millimètre, une gestuelle lente, hiératique, robotisée, leurs déplacements s’articulant de façon mécanique sur un plateau sciemment vidé de tout accessoire, un immense écran rectangulaire et uni occupant tout le fond de scène, selon une incessante variation chromatique qui accompagnera l’action de part en part. Ce maniérisme glacé eut son heure de gloire ; il apparaît aujourd’hui cruellement daté. Et surtout tellement, tellement américain !

Cela dit, reconnaissons qu’au cœur de cette régie aseptisée l’apparition archangélique du bambin aux boucles dorées, nu sinon vêtu, mais vraiment à peine, d’un minuscule pagne ceignant ses hanches et se mouvant avec une grâce infinie, imprime au deuxième tableau une poésie pleine de délicatesse. (Par les temps qui courent, d’ailleurs, on en vient à se demander quand les ligues de vertu du parti woke s’aviseront – j’en fais le pari –  de proscrire l’exhibition sur scène de la nudité enfantine, insoutenable atteinte aux droits désormais genrés de l’enfant…).

© Chloé Bellemere / Opéra National de Paris

Fort heureusement, la « tragédie japonaise » de Puccini est ici servie par une direction d’orchestre pleine de nuances, sous la baguette de la cheffe transalpine Speranza Scappucci, et par l’excellent ténor Stefan Pop dans le rôle de Pinkerton. Si la mezzo Aude Extrémo campe Suzuki, la fidèle servante de Cio-Cio-San, avec une belle rondeur dans les graves, on découvrait dans le rôle-titre, au soir de la première, la soprano Eleonora Buratto, lestée d’un vibrato un peu large et d’aigus parfois stridents (elle est en alternance avec la Russe Elena Stikhina), tandis que Sharpless, le consul, se voit quant à lui souverainement campé par le baryton Christopher Maltman. Carlo Bosi (Goro), Andres Cascante (Yamadori), Vartan Gabrielian (le bonze) et enfin l’Ukrainienne Sofia Anisimova (Kate Pinkerton) complètent cette distribution d’assez haut vol tout de même.  

Pour les amateurs de comparaisons, on pouvait voir encore, ces tous derniers jours, en accès libre sur Arte-Concert, la Madame Butterfly du festival d’Aix-en-Provence édition 2024, dans la mise-en-scène remarquablement sobre et dégraissée d’Andrea Breth, sous la direction de l’actuel directeur de l’Opéra de Lyon, Daniele Rusconi, avec la soprano albanaise Ermonela Jaho, celle-là même qui incarnait Cio-Cio-San sur la scène de la Bastille en 2015.

Et pour compléter les nouvelles du front, comme on fête cette année le centenaire de la mort du compositeur transalpin, rendez-vous le 9 octobre prochain au Théâtre du Châtelet pour un concert exceptionnel réunissant les voix de l’immense ténor Jonas Kaufmann et de la soprano Valeria Sepe, avec Jochen Rieder au pupitre de l’Orchestre philharmonique de Rhénanie-Palatinat (Deutsche Staatphilharmonie Rheinland-Pfalz) : des extraits du répertoire puccinien (Tosca, La Bohème, Madame Butterfly), emballé sous l’engageant intitulé : Viva Puccini !  

Concert « Viva Puccini ! », mercredi 9 octobre à 20h, au Théâtre du Châtelet à Paris. Jonas Kaufmann, ténor et Valeria Sepe, soprano.

En parallèle, Kaufman sort, ce mois de septembre, un CD réunissant des duos amoureux tirés de Tosca, Manon Lescaut, La Fanciulla del West. Lui donnent la réplique un panel de divas, d’Anna Netrebko à Pretty Yende…

Puccini est au podium.


Madame Butterfly, « tragédie japonaise » en trois actes de Giacomo Puccini (1904). Direction: Speranza Scappucci. Mise en scene: Robert Wilson. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.  Avec Eleonora Buratto/Elena Stikhina (Cio-Cio-San), Stetan Pop (Pinkerton), Christopher Maltman (Sharpless), Aude Extrémo (Suzuki)…
Durée: 2h45
Opéra-Bastille, les 17, 25, 28 septembre, 1, 10, 16, 19, 22, 25 octobre à 19h30; les 22 septembre, 6 et 13 octobre à 14h30.

Et également :

A voir sur Arte Concert, Madame Butterfly, production Festival d’Aix-en-Provence 2024.
Concert «Viva Puccini ! », Théâtre du Châtelet, Paris. Le mercredi 9 octobre, 20h.

CD « Love Affaires », album Puccini, par Jonas Kaufmann. Sony Classical.

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La France est-elle vraiment de droite?

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Sans convaincre, le sociologue Vincent Tiberj réfute la droitisation du pays dans son dernier bouquin. L’opinion du citoyen français moyen est vraisemblablement plus proche d’un Michel Barnier que d’une Lucie Castets, constate la journaliste du Figaro Eugénie Bastié. Nos années Macron, avec leur « en même temps » inopérant, ont paradoxalement contribué à la polarisation du débat et accentué le raidissement de la gauche comme de la droite dans leurs positions, observe notre chroniqueur.


J’emprunte ce titre à Eugénie Bastié qui a écrit un article passionnant et critique sur un livre du sociologue Vincent Tiberj, La droitisation française – Mythe et Réalités dans Le Figaro du 12 septembre. Ce dernier propose le paradoxe, pire, l’incongruité, de soutenir qu’en réalité « les Français seraient secrètement de gauche mais influencés par des discours politiques et médiatiques imposant certains thèmes dans le débat ». On voit bien ceux qu’il vise et incrimine. Mais son outrance, son excès même, nous contraint à une réflexion que nous n’abordons jamais volontiers parce que beaucoup détesteraient retrouver en eux des traces de positions politiques antagonistes, qu’ils récusent dans leurs tréfonds. Parce qu’ils se sentiraient moins nets, moins tout d’une pièce, trop complexes, gangrenés par une déplorable ambiguïté. Cette répugnance concerne également la gauche et même l’extrême gauche alors que de récentes enquêtes d’opinion démontrent qu’une part importante de leur électorat est devenue très sensible par exemple aux exigences de sécurité et de justice dans leur sens conservateur. Ce constat sans doute entrave encore davantage les directions des partis du Nouveau Front populaire, il l’oblige à se cadenasser pour éviter la corruption intellectuelle et politique par l’adversaire ! Il me semble cependant que c’est encore plus vrai à droite une fois qu’on a dépassé le caractère délibérément provocateur d’une analyse plus idéologique que sociologique.

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Peut-être ai-je tort d’induire de mon propre exemple une généralité qui pourra être perçue comme abusive. Pourtant nous sommes nombreux à ne pas nous sentir clivés, radicaux, à être partagés, intermittents, « souples » selon une expression de Ségolène Royal. Pas toujours « vraiment de droite », pas toujours « de droite », parcourus par des élans divers et parfois contrastés.

Pourquoi nous cédons de plus en plus à la radicalisation du débat

Pourquoi éprouve-t-on tant de mal à l’admettre comme s’il y avait le risque d’une trahison capitale ? Parce que d’abord l’acceptation d’une telle plénitude reviendrait pour certains à tomber dans la caricature d’un centrisme qui n’a que trop sévi et qui par opportunisme picorerait à droite comme à gauche. Cependant il est facile de dénoncer cette dérive tout en maintenant la rectitude d’une position politique qui ne s’enferme pas dans un sectarisme militant.

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Ensuite, parce que nous sommes aujourd’hui, à cause des outrances et parfois des délires du camp prétendu progressiste, conduits à nous priver des quelques évidences de ce dernier à cause de ses excès. Nous aurions honte même d’afficher une vague familiarité avec une gauche qui est dénaturée, dégradée par certains députés qui ne cherchent pas à donner d’elle la plus belle impression possible. Nous sommes détournés de la tentation de nous laisser influencer si peu que ce soit parce que nous préférons demeurer dans une droite close sur elle-même plutôt qu’ouverte sur un autre paysage antagoniste.

Un effet pervers de plus du « en même temps »

Enfin, le « en même temps » macroniste a été le fossoyeur, par les catastrophes qu’il a engendrées, d’une volonté apaisée de tenir les deux bouts d’une chaîne. En effet, pour l’action et la réactivité politiques, le « en même temps » a créé de l’échec puisque là où elles imposaient l’urgence, le sacrifice, des choix, des exclusions obligatoires, cette simultanéité apparente a favorisé lenteur, indécision et déception. Alors que, sur le plan intellectuel et civique, la plénitude du « en même temps », signe éclatant d’une intelligence capable d’épouser toutes les facettes d’une réalité, de s’attacher à l’essentiel sans répudier la richesse d’une autre vision, de s’affirmer de droite sans répudier les idées de gauche raisonnables, constituerait une indéniable richesse. Pourquoi l’égalité, qui est la notion centrale de la gauche, serait-elle forcément aux antipodes, sur tous les registres, de la liberté qui est le cœur battant de la droite ?

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Il ne faut pas surtout pas omettre un point capital si j’ose induire de mon exemple personnel une généralité sans doute à discuter. Pour ma part, si je me sens profondément inspiré par une conception de l’humain, de la responsabilité, de la société et de la culture relevant de la droite conservatrice, par des valeurs et des principes me structurant depuis que citoyen je me détermine dans l’existence, cela ne signifie en aucun cas que la conjoncture politique, les aléas partisans, la gestion au jour le jour, les mille difficultés liées à l’affrontement avec un réel qui répugne parfois à ressembler à ce que la droite attendrait de lui, ne puissent jamais faire naître chez l’homme de droite des tentations de gauche. Et réciproquement, je l’espère. Quand l’une et l’autre sont débarrassées de ce qui les constitue comme solutions exclusives, telles des idéologies, au lieu d’être des compléments pour ce qu’on a privilégié prioritairement. Une droite ne se trahit pas quand une gauche honorable vient au moins partiellement la tenter. Une gauche ne devrait pas refuser d’être irriguée par le meilleur de la droite : changer et réformer seulement quand il convient, conserver s’il le faut. Au fond, j’aspire à une France entière.

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Nicolas Baverez: «Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance»

Le diagnostic de l’essayiste est accablant : la France a raté le train de la mondialisation économique, la croissance est à plat, les faillites explosent, et l’État est incapable d’assurer aux Français les services de base de leur vie quotidienne. Pour autant, le pays a suffisamment d’atouts pour sortir de la spirale du déclin.


Voilà au moins trente ans que Nicolas Baverez sonne l’alarme. Qu’il dissèque « l’impuissance publique » (du nom de son premier livre, publié en 1994 avec Denis Olivennes), qu’il déplore « la France qui tombe » (2003), qu’il chronique « le déni français » (2017). À se demander parfois si la noirceur n’est pas son fonds de commerce… Sauf que les faits lui donnent obstinément raison. Aujourd’hui, le pays est à plat, les indicateurs économiques sont au plus bas et la comédie politique tourne à la farce. Pourtant, Baverez pense que nous ne sommes pas fichus. Si, si ! Et il ne dit pas cela par politesse, ni par amour des compositions en deux parties. Pour lui, notre pays, qui a raté dès les années 1980 le train de la mondialisation économique, pourrait bien, à la faveur du nouveau cycle qui s’ouvre, plus multipolaire et géopolitique, renouer avec le dynamisme, l’ambition et même l’innovation. Et si nous étions sortis de l’Histoire tout simplement parce que nous attendions qu’elle redevienne passionnante ?


Causeur. Notre pays est-il à bout de souffle ?

Nicolas Baverez. La France se trouve dans une situation paradoxale. Les JO de Paris 2024 ont été une réussite remarquable, qui a montré le meilleur de notre pays et souligné qu’il est capable de rivaliser avec les meilleurs quand il se rassemble et se mobilise. Mais, simultanément, l’interminable spirale de déclin dans laquelle il s’est enfermé depuis plus de quatre décennies s’emballe. La situation est aujourd’hui critique. La croissance est atone et les faillites explosent. Le chômage remonte. Le carcan du double déficit des comptes publics et de la balance commerciale se resserre. Du fait de la paupérisation de la population – le revenu annuel d’un Français est désormais inférieur de 15 % à celui d’un Allemand – et de l’éclatement de la classe moyenne, la France accumule les mouvements sociaux insurrectionnels : gilets jaunes, manifestations contre les retraites, émeutes urbaines consécutives à la mort du jeune Nahel, jacquerie des agriculteurs, guerre civile de Nouvelle-Calédonie (qui se poursuit dans l’indifférence générale). Quatre changements majeurs sont intervenus qui font que notre pays, nonobstant la fête olympique, approche d’un point de rupture. L’accélération de la crise financière avec une dette de 3,15 milliards d’euros qui est sortie de tout contrôle. Le blocage des institutions qui découle de la dissolution insensée décidée par Emmanuel Macron. La paralysie de l’État, notamment dans ses fonctions régaliennes, illustrée par la plongée de la Nouvelle-Calédonie dans un chaos qui interdit toute reconstruction. Enfin, le changement du regard que le monde porte sur la France. Les images sublimes des JO n’ont qu’un temps. Elles ne peuvent occulter la défiance croissante des marchés financiers, de nos partenaires européens et de nos alliés. Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance.

Le cas de la Nouvelle-Calédonie est toutefois difficile à transposer à la métropole…

Oui bien sûr, la Nouvelle-Calédonie n’est pas la France. Mais la logique de la guerre civile n’est pas le monopole du Caillou. Voyez l’anarchie qui règne à Mayotte. Voyez surtout la montée du niveau et de l’intensité de la violence dans la société, illustrée par la forte hausse de la délinquance et des agressions contre les personnes, mais surtout par la multiplication des attentats et des actes antisémites, avec pour dernière illustration la tentative d’incendie de la synagogue de La Grande-Motte. L’État, qui absorbe 58 % du PIB, a répondu aux défis de la sécurité et des transports durant les Jeux olympiques. Mais il se montre incapable d’assurer aux Français dans leur vie quotidienne les services de base : éducation, santé, transports, logement, police, justice. L’impasse politique actuelle ne va pas contribuer à améliorer la situation, au moment où le gouvernement de Gabriel Attal vient de battre le record de durée d’un gouvernement démissionnaire depuis 1945. Un comble pour la Ve République qui a été conçue par le général de Gaulle pour assurer en toute circonstance la liberté d’action du pouvoir exécutif et restaurer le pouvoir de l’État. La corruption de nos institutions par celui qui est censé être leur garant est illustrée par l’usage irresponsable de la dissolution : elle est devenue le détonateur d’une crise politique qu’elle a été prévue pour désarmer. Il est grand temps de cesser de déconstruire nos institutions et l’État.

Emmanuel Macron remercie les professionnels mobilisés pour des Jeux olympiques de Paris lors d’une cérémonie dans le jardin de l’Élysée, 12 août 2024. Eric Tschaen/SIPA

Emmanuel Macron n’a-t-il pas cependant pris certaines bonnes mesures, notamment en matière de travail ?

Emmanuel Macron a incontestablement réalisé des réformes utiles en direction des entreprises : la flexibilité du marché du travail ; la stabilisation de la fiscalité sur le capital ; l’investissement en direction des start-up ; l’amélioration de l’attractivité de notre pays – avant la dissolution. Mais il a échoué dans la modernisation du modèle économique et social, qui constituait le cœur du mandat que lui ont confié les Français en 2017. Il a même fait pire. Il a poussé à ses limites, jusqu’à le faire exploser, le mode de croissance à crédit (devenue dans les faits une décroissance à crédit), en accumulant 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires, qu’il a dilapidés en subventionnant la consommation au lieu d’investir. L’absence de toute stratégie de long terme indissociable du « en même temps » a mis le pays à l’arrêt. La concentration extrême du pouvoir, la destruction du système politique et le mépris envers les citoyens ont ouvert un vaste espace aux extrémistes qui sont désormais majoritaires. Enfin, sur le plan stratégique, la France s’est fourvoyée en manquant le tournant de la grande confrontation lancée par les empires autoritaires aux démocraties, tout en offrant ensuite à l’Ukraine, à la Grèce ou à la Moldavie des garanties de sécurité qu’elle ne peut honorer faute d’avoir réarmé.

La France continue pourtant d’attirer les capitaux étrangers, n’est-ce pas ?

Malgré un niveau très élevé de normes et de taxes, qui représentent un véritable handicap pour l’économie, notre pays a vu ces dernières années affluer les investisseurs étrangers, séduits par la partie de sa main-d’œuvre hautement qualifiée, sa situation géographique exceptionnelle, la qualité de ses infrastructures. À quoi se sont ajoutés deux autres points forts qui sont à mettre au crédit d’Emmanuel Macron : d’une part, l’ambition affichée de relancer l’industrie, à travers une politique de l’offre ; d’autre part, une relative stabilité normative et fiscale. La dissolution a remis en cause ces deux acquis et débouche sur une fuite des investissements et des entreprises, des talents et des capitaux. Déjà, la City, forte du renouveau d’une social-démocratie responsable avec l’arrivée au pouvoir de Keir Starmer, est repassée devant la place de Paris. Les programmes du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national, qui dominent l’Assemblée, ont en commun la relance de la consommation par la dépense et la dette publiques, ainsi qu’une hausse de la fiscalité la plus élevée du monde développé. Soit très exactement les conditions qui maximisent le risque d’une crise financière comparable à celle subie par le Royaume-Uni en 2022, en raison du projet de budget insensé de Liz Truss. Désormais, qu’on le veuille ou non, les marchés ont placé la France sous surveillance. Et, à la fin, ce sont toujours eux qui gagnent.

Que faudrait-il faire ?

Mobiliser les Français autour d’un nouveau modèle national, nouant un pacte et répartissant les efforts entre l’État, les entreprises et les citoyens. En s’inspirant des pays développés qui se sont adaptés à la nouvelle donne du XXIe siècle. L’Europe du Nord notamment s’est profondément remise en question pour allier compétitivité et solidarité, innovation et intégration, transition écologique et réarmement. Ce qui prouve bien que l’on nous trompe quand on prétend qu’il faut choisir entre la décroissance ou la catastrophe climatique, les services publics ou le marché, la protection sociale ou l’investissement productif.

Mais nos concitoyens en ont-ils encore l’envie ?

Raymond Aron exposait les termes du même dilemme en juin 1939 quand il affirmait : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent. » Pour ma part, je conserve l’espoir que le redressement de la France est possible. Notre pays dispose de formidables atouts. Surtout, les Français sont humiliés par le déclassement de la France et n’ont pas encore renoncé à la relever. Ils l’ont montré lors des élections législatives de 2024, en s’opposant in extremis à l’arrivée au gouvernement de l’extrême droite – au prix certes de l’ingouvernabilité du pays. Ils ont aussi prouvé lors des JO qu’ils étaient capables de s’unir, de s’enthousiasmer, d’incarner l’actualité des valeurs de la République, de figurer parmi les peuples le plus performants, innovants et ouverts de la planète.

Ce succès ne s’explique-t-il pas aussi par les allègements de contraintes administratives dont ont bénéficié les organisateurs, qui ont pour ainsi dire été exemptés du droit commun ? Le système D à la française ne devrait-il pas être réhabilité ?

Sans doute. Mais le succès a surtout été construit sur le travail dans le temps long et l’alignement des parties prenantes au service d’un objectif commun. Il a rappelé que le fonctionnement efficace de l’État régalien reste la condition première du bien-être des citoyens, de la prospérité des entreprises et de la continuité de la vie nationale. Pendant quinze jours, Paris, par une sorte de miracle, est redevenue une ville agréable, joyeuse, paisible, sûre et presque propre. Il ne faut pas laisser perdre cet héritage. Mais c’est avant tout une question de volonté politique.

La volonté politique ne s’est-elle pas enfuie sitôt la flamme olympique éteinte ?

Peut-être pas. Nous entrons dans une nouvelle ère qui peut nous offrir une chance de remettre la France debout. Tout dépendra des Français.

Comment cela ?

Quand on prend du recul, on constate que notre pays est passé à côté du cycle de la mondialisation. Cela a commencé en 1981, avec la calamiteuse relance dans un seul pays voulue par François Mitterrand, qui mit la France aux portes du FMI en 1983. Puis nous avons ignoré la réunification de l’Europe et de l’Allemagne, refusé les efforts qu’impliquait le passage à l’euro, sous-estimé les conséquences de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, manqué la révolution numérique, puis entrepris la transition climatique par le seul angle des taxes et des normes, laissant la production et l’innovation à la Chine et aux États-Unis. Or ce moment de la mondialisation vient de se refermer définitivement. Ébranlé par le krach de 2008, fissuré par la pandémie de Covid, il s’est clos le 24 février 2022, date de l’entrée des troupes russes en Ukraine. Ce jour-là, nous avons changé de monde. Désormais, la géopolitique prime sur l’économie, l’État sur le marché, la souveraineté sur le libre-échange, la sécurité sur l’optimisation de la chaîne de valeur. Dans ce nouveau contexte, les Français, dont la conscience nationale a, au cours des siècles, été façonnée par l’État, et qui sont jaloux de leur indépendance, ont de sérieux atouts à faire valoir. Mais ils ne doivent pas laisser perdre cette ultime occasion qui se présente à eux.

Qu’est-ce qui pourrait les en empêcher ?

L’enfermement dans le malthusianisme, le défaitisme et l’institutionnalisation des mensonges qui ont ruiné notre pays au cours des dernières décennies. Acceptons de faire la vérité sur nos problèmes et rassemblons-nous pour les traiter. Nous disposons de nombreux atouts pour relever la France. Il ne nous manque que l’essentiel : la volonté, le courage et l’espoir. À nous de renouer avec eux et de les faire vivre !

Dernier ouvrage paru : Démocraties contre empires autoritaires (L’Observatoire, 2023).

Pour notre bonheur, le réalisateur Laurent Firode est sur tous les fronts

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Après avoir aidé à la révélation des manigances de l’industrie cinématographique française dans un livre d’entretiens avec des gens du métier, Laurent Firode a réalisé une merveilleuse comédie poétique.  


Dernièrement, sur le plateau de Quotidien, le député corrézien François Hollande a expliqué comment son actrice de femme, Julie Gayet, lui avait ouvert les yeux sur les inégalités entre les hommes et les femmes dans le cinéma : « Les actrices, c’est comme s’il y avait une limite, notamment à 50 ans. On remarque qu’elles deviennent tout de suite des mères et des grand-mères. » C’est bien triste ! Durant cette émission, la chroniqueuse Ambre Chalumeau a évoqué la « placardisation des actrices de plus de 50 ans ». Sur la radio publique, Julie Gayet s’émouvait déjà, il y a un an, du fait que « les femmes de plus de 50 ans sont sous-représentées sur nos écrans ». Et patati, et patata.

Les fables de la grande famille du cinéma

Pour Main basse sur le cinématographe, livre paru aux éditions de La Mouette de Minerve, l’écrivain Bruno Lafourcade et le réalisateur Laurent Firode ont réuni quatre professionnels du cinéma – une comédienne, un technicien, une scénariste également documentariste et un cinéaste – et ont soumis à leur réflexion les lieux communs, les fables et les histoires qui encombrent le milieu cinématographique ou télévisuel, à partir de déclarations d’acteurs et de producteurs. Entre autres drôleries, celles-ci : « Même si mes parents sont des stars, ils ne m’ont pas aidé à percer ». « Les films ne bénéficient pas d’argent public. » « Le cinéma est une grande famille. » « Les acteurs sont fragiles. » « Les actrices ne trouvent plus de rôle après 40 ans. » Comme les précédentes, cette dernière assertion a beaucoup amusé les invités de Lafourcade et Firode, en particulier le cinéaste Camille D. : « Ça, c’est vraiment hilarant, parce que c’est exactement le contraire. Toutes les vedettes refusent de jouer des femmes de leur âge, et même de leur génération. Elles veulent toutes un rôle où elles paraissent plus jeunes : elles ne veulent pas se voir en femmes âgées, parce que la vieillesse, dans leur esprit bourré de préjugés imbéciles, est une déchéance. La ségrégation par l’âge, c’est elles qui le pratiquent. » Cette hantise de l’âge fait le bonheur des chirurgiens esthétiques et, souvent, le malheur des visages déformés par le Botox et les liftings jusqu’à devenir, au dire d’un réalisateur, « infilmables ». Des actrices de 60 ans refusent de jouer les mères d’actrices de 40, au prétexte qu’elles font « plus jeunes » que ces dernières, ou désirent jouer des rôles de femmes enceintes d’hommes de trente ans. « La vieillesse n’est pas dans mes projets », affirme l’une d’elles. 

A lire aussi: Julie Gayet aurait apprécié qu’on la prépare à… la ménopause!

Main basse sur le cinématographe massacre avec beaucoup d’humour les fables colportées par les professionnels du cinéma industriel. En plus de celles sur ces pauvres actrices soi-disant ostracisées à cause de leur âge, il y a celles sur les « fils de » et les « filles de » – il n’y en a jamais eu autant que ces vingt dernières années – qui se sont soi-disant faits tout seuls. La seule citation de la néantissime Léa Seydoux, fille, petite-fille et petite-nièce de personnes issues de deux des plus grandes familles de la bourgeoisie d’affaires françaises, dont certaines extrêmement influentes dans le cinéma, éclaire sur l’indécence et la bêtise de ces nantis qui aimeraient faire croire qu’ils ont du talent et qu’ils ont dû surmonter les plus grandes difficultés pour en faire profiter les spectateurs : « C’est la rue qui m’a éduquée. D’une certaine manière, je me suis élevée moi-même. J’avais toujours l’impression d’être orpheline. Je n’avais aucune structure. J’étais mal fagotée avec des chaussures trop petites. Et j’avais des poux. » Dans un autre genre, on se souviendra, ou pas, de la réalisatrice de Seize Printemps, navet vu par… 13 000 spectateurs. Comment se nomme la très jeune réalisatrice et actrice principale de cette daube narcissique que même Télérama a éreintée en s’interrogeant sur sa mystérieuse sélection à Cannes, en 2020, en compétition officielle ? Suzanne Lindon, fille de Vincent Lindon et de Sandrine Kiberlain.

Version 1.0.0

J’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir faire le numéro du CNC

De nombreux passages de ce livre sont également consacrés à l’argent public déversé sur l’industrie du cinéma par les départements, les régions, les ministères, la télévision publique et, bien sûr, le CNC et ses… cinquante commissions qui sont autant de robinets à fric – aides à l’écriture de scénarios, aides sélectives à la production, aides à l’écriture du jeu vidéo, aides à l’innovation en documentaire, aides à la fiction et à l’animation, aides “Images de la diversité”, etc. – et qui sont toutes présidées par des écrivains, réalisateurs, acteurs ou journalistes ayant pignon sur rue et favorisant parfois, sans aucune gêne, les projets des propres membres des commissions en question. Au nom de « l’exception culturelle », BHL, Rokhaya Diallo et de nombreux réalisateurs de bides retentissants sur les migrants, les banlieues ou le racisme dans la police, ont ainsi profité des largesses des institutions publiques, du CNC et même d’entreprises privées qui bénéficient alors d’une réduction d’impôts. Camille D. : « On ne cherche pas d’argent pour monter un film, on cherche une idée de film pour obtenir de l’argent. […] Donc, un producteur consulte les aides du CNC, des régions, etc., puis il appelle un cinéaste : “J’ai besoin d’un pitch de dix lignes sur la mixité dans les territoires avec dans le rôle principal une racisée amoureuse d’un djihadiste blanc : j’envoie le projet à la région Nord-Pas-de-Calais, à la fondation Benetton et à la commission Images de la diversité”. » Et peu importe que le film soit nul et ne soit vu par personne, puisque tout le monde a déjà été payé, des producteurs au réalisateur, de la star aux petites mains, ces fameux intermittents du spectacle exploités par un système industriel profitant abusivement des aides financières publiques.

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Quant au mythe de « l’artiste fragile et torturé », le réalisateur Camille D. le brise d’une phrase : « Je n’ai jamais connu d’acteurs fragiles, je n’en ai connu que des féroces. » Féroces, surtout, au moment d’obtenir un rôle, d’écarter un concurrent, de négocier le montant de la prestation puis de demander des aménagements particuliers pendant le tournage. Les mêmes sont pourtant particulièrement émotifs devant les journalistes. La misère du monde les concerne. Ils sont solidaires (des pauvres, des migrants, des femmes, des victimes du Covid, des SDF, etc.). « Je passe ma vie à écouter les autres », déclare Sophie Marceau au magazine Vogue. Et puis, ils veulent « sauver la planète », comme de bien entendu. Durant la crise du Covid, pendant une promenade « dans la nature » qui l’a visiblement chamboulée, l’actrice Audrey Dana s’est filmée en pleurs et tenant des propos hallucinants de niaiserie mais caractéristiques des faibles d’esprit adeptes de cette nouvelle religion de bazar qu’est l’écologie : « J’essaie d’envoyer de la lumière partout, le plus possible. Moi, j’ai personne qui meurt du coronavirus dans mon entourage. Mais j’ai mal à ma Terre. J’ai mal à ma Terre ! Je prie pour notre Terre, si fort, si fort, si fort  ! » Il y a des gens qui n’ont honte de rien : Audrey Dana a osé poster ce bredouillis insane sur son compte Instagram !


Changement radical de décor. Après sa formidable trilogie sur Le Monde d’après, Laurent Firode a réalisé une très réjouissante comédie poétique intitulée Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. Budget riquiqui mais imagination débordante, savoir-faire total, acteurs et actrices formidables. Résultat : une création qui nous enchante et nous fait oublier les entreprises d’abrutissement ou de propagande du cinéma industriel. En exergue de ce film, une citation de G.K. Chesterton : « Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles mais uniquement par manque d’émerveillement. » Émerveillés, tous les personnages de ce poème cinématographique le seront, d’une manière ou d’une autre. Et les spectateurs avec eux. Dès le début, la magie opère : le charme puissant d’une vieille dame rencontrée par hasard sur le banc d’un square à Montmartre embarque une mère et sa fille trentenaire vers un monde mystérieux. Au gré des vicissitudes ordinaires de la vie, d’autres personnages découvrent le monde invisible qui les entoure ainsi que celui que chacun porte en soi, l’immense continent des rêves, des sentiments réfrénés, des émotions enfouies et des terreurs enfantines. Faire redécouvrir le caractère extraordinaire des choses ordinaires, telle était l’ambition de Chesterton. Telle est celle de Laurent Firode qui, dans son film, prête à de simples objets des destins singuliers – un pendule, un singe en peluche, une boîte d’allumettes servent ainsi de jalons dans le dédale d’existences où le visible et l’invisible, le connu et l’inconnu, le réel et le rêve se mêlent. Les motifs d’émerveillement sont innombrables. Envoûtants ou insondables, ils illuminent miraculeusement de fugaces événements qui changent le cours de notre vie sans que nous le sachions toujours. Car il y a ce qui se voit mais aussi ce qui ne se voit pas et ne se laisse parfois deviner qu’à travers ces furtifs et merveilleux ou déroutants instants. Laurent Firode a imaginé quelques-uns de ces instants magiques et réalisé un film délicat, surprenant, tendre et parfois cruel, comme le sont souvent les contes, teinté d’humour et de poésie – un film idéal, donc, pour tenter de réenchanter le monde.  


Main basse sur le cinématographe

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Info : Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas n’est visible pour le moment qu’à l’espace Saint Michel, 7 place Saint Michel, Paris 7.

Le DVD de ce film ainsi que celui de la trilogie Le Monde d’après sont en vente ici :

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Le réveil des peuples maltraités affole les mondialistes

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En Allemagne, la gauche rétablit pour six mois les frontières. En France, elle siffle François Ruffin qui a osé rompre avec la vision politique racialiste de Jean-Luc Mélenchon.


Dès ce lundi, l’Allemagne va rétablir pour six mois renouvelables des contrôles sur ses neuf frontières, dont celle avec la France (voir mon billet précédent). Ce week-end, à la Fête de L’Humanité, le député de la Somme, François Ruffin (ex-LFI), a été pour sa part sifflé par des ultras pour avoir rompu avec Jean-Luc Mélenchon et sa vision racialiste d’une société « créolisée » écartant les prolétaires blancs, assimilés de surcroit à des ploucs avinés et adipeux par le leader insoumis. Ces deux faits apparemment disparates ont un même lien : ils remettent en question la révolution cosmopolite construite sur le démantèlement des frontières et l’obsession du métissage. Ce changement civilisationnel, conduit depuis un demi-siècle dans l’entre soi des cercles mondialistes, vise à la constitution d’un monde consummériste indifférencié et remplaçable, y compris sexuellement. Ludovic Greiling, qui a été à la source de cette mutation en cours[1], croit ce bouleversement inexorable tant ses mécanismes semblent réfléchis, implacables. Il écrit : « Il nous semble (…) que la révolution se fait et ne se débat pas. Il y a quelque chose de trop vigoureux dans ces esprits ». L’auteur oublie néanmoins que ces choix impérieux n’ont jamais reçu l’aval des peuples concernés. Même si Greiling note : « Tout ou presque a été fait en sous-main, en tout cas avec une information inexistante auprès du grand public », il n’en tire pas la conséquence prévisible : la révolte des peuples trahis. C’est parce que les oubliés et les parias se réveillent, en Allemagne comme en France et ailleurs, que les mondialistes s’affolent.

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Observer les sociaux-démocrates allemands rétablir leurs frontières revient à constater l’échec de Maastricht, de Schengen et de la vision sans-frontièriste de l’Union européenne déracinée. Le « repli sur soi », tant fustigé par Emmanuel Macron dans ses odes à la société ouverte, est une réaction protectrice partout répandue. Les Français se disent à 77% pour de semblables contrôles (sondage CNews, dimanche). Michel Barnier serait d’ailleurs bien inspiré de les restaurer s’il veut répondre aux inquiétudes existentielles de « ceux d’en bas ». Quant à Ruffin, sa tentative de renouer avec la classe moyenne des périphéries, abandonnée par la gauche, révèle un sursaut tardif mais lucide. La dérive communautariste de LFI pousse ce mouvement à épouser sans retenue les combats de l’islam révolutionnaire et universaliste, vu comme un nouveau communisme pour tous (Allah en plus). Or les fanatiques du « village global » partagent avec l’extrême gauche une même fascination pour cette idéologie de conquête qui entend enrégimenter le monde grâce au djihad. À Rezé (Loire-Atlantique), jeudi, un élève se réclamant de l’État islamique a menacé de poignarder une enseignante. En France, près de 70% des jeunes musulmans placent l’islam au-dessus des lois de la République. C’est vers eux qui se tourne Mélenchon, qui refuse d’admettre, comme l’a révélé l’écrivain Arturo Perez-Reverte (Le Figaro, 1 er septembre[2]), qu’une partie de l’immigration musulmane souffre d’oikophobie, c’est-à-dire d’une haine de l’endroit où l’on vit. Les peuples maltraités sont aujourd’hui aux aguets. C’est une bonne nouvelle.


[1] Le monde qu’ils veulent. Lire et écouter nos élites pour comprendre l’évolution en cours. L’Artilleur.

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/arturo-perez-reverte-une-partie-de-l-immigration-musulmane-en-europe-souffre-d-oikophobie-la-haine-de-l-endroit-ou-l-on-vit-20240901

Tous violeurs?

Le procès de Dominique Pélicot sera-t-il suspendu et reporté ? On peut le craindre. En attendant, Elisabeth Lévy redoute que le procès de Mazan se transforme en procès de tous les hommes.


Faut-il craindre que le procès de Mazan se transforme en procès des hommes ? Je ne fais pas que le craindre : c’est la petite musique qui monte. Elle repose sur un sophisme : ces violeurs présumés sont des « hommes ordinaires ». Tous les hommes sont ordinaires, donc tous les hommes sont des violeurs en puissance. Et puisqu’ « on est toutes Gisèle », comme le clamaient les manifestantes réunies samedi pour soutenir Madame Pélicot, alors tous les hommes sont un peu Dominique Pélicot…

Un féminisme pas banal

Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, dénonce le prétendu silence des hommes. Comme si seulement des femmes s’étaient émues ou indignées du sort de Madame Pélicot depuis 15 jours ! « Allons-nous voir enfin, que la culture du viol bénéficie de la solidarité masculine, écrit-elle (ah bon ?), et de l’impunité de nos institutions ? » (Non, je n’avais pas remarqué). Tout ceci est évidemment faux. Camille Kouchner, dans Libération et El Pais, publie une tribune intitulée « Ce sont simplement des hommes ». Dans son texte, elle nous parle d’un monde « où les hommes se permettent encore de croire qu’un mari peut disposer du corps de sa femme ». Les hommes, pas des, écrit-elle. L’auteur de La Familia grande voudrait que ce procès soit celui de la soumission chimique, mais aussi « celui de la violence patriarcale, de cette société qui n’en finit pas avec la culture du viol ». Et elle s’étonne de l’étonnement des observateurs autour de cette affaire : « Comme si les violences faites aux femmes n’étaient pas la norme » s’indigne-t-elle. Nous y voilà : la norme, ce seraient les violeurs, les prédateurs, les agresseurs… Félix Lemaître, journaliste, publie La nuit des hommes, une enquête sur la soumission chimique. Il y invite les hommes à « interroger leur socialisation ». Résumé de Libé : ce désir de posséder une femme inanimée n’est pas le fruit de quelques cerveaux malades, mais s’inscrit dans la domination masculine la plus banale, une culture du viol dans laquelle tous les hommes grandissent. Félix Lemaître affirme que « la soumission chimique n’est qu’une manifestation extrême d’une domination ordinaire, d’une culture et d’une socialisation banale », puis réfléchit au rapport à la fête et en arrive à la conclusion hilarante que « l’insouciance reste un privilège masculin ». La charge mentale commence en boite de nuit !

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Il est vrai que la plupart des violeurs sont des hommes. Mais, cela ne veut évidemment pas dire que la plupart des hommes sont des violeurs, pitié ! La majorité des empoisonneurs sont des empoisonneuses. Dit-on pour autant que toutes les femmes sont des empoisonneuses ?

Nombre de féministes invoquent la « banalité du mal », expression utilisée par Hannah Arendt pour le cas de Eichmann. On évoque aussi les « hommes ordinaires », titre d’un essai de Christopher Browning consacré à un bataillon de SS, qui nous parlait de braves pères de famille devenus des brutes sans nom. Mais, cet essai ne disait pas que tous les hommes étaient des criminels, mais que tous les hommes, comme toutes les femmes d’ailleurs, pouvaient le devenir. Et que personne n’était immunisé.

Récit délirant

Nous nous voyons imposer ce récit totalement délirant de l’impunité et de la prétendue complaisance de la société. Il suffit de faire une recherche MeToo pour voir que c’est faux. Ce récit repose sur la confusion habituelle des féministes entre la norme de la société et l’exception criminelle. Les violences sexuelles concernent pourtant 1/5 des détenus aujourd’hui, contre seulement 5% en 1980 : les choses ont donc évolué. Les violences sexuelles sont aujourd’hui unanimement condamnées socialement. On me rétorque qu’énormément de plaintes pour viol sont classées sans suite. En effet, la justice française ne condamne pas sans preuves. Mais pour des féministes (je dis bien des, moi), le progrès consisterait à ce que la justice condamne dès qu’une femme accuse.  

Le procès de Mazan est donc celui d’un homme et de ses complices, pas celui de la domination masculine. Mais pour certaines féministes, c’est l’occasion de régler des comptes historiques. À votre tour d’en baver, Messieurs ! Tous criminels ! Tous violeurs ! Elles nous fatiguent. Si vous n’aimez pas les hommes Mesdames, ce n’est pas grave, mais vous ne parviendrez pas à en dégoûter les autres.

J’ai une solution : transition de genre pour tout le monde ! Devenez des femmes, Messieurs, et nous vivrons enfin au paradis de la sororité !


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Dominique de Villepin, l’homme de droite préféré de l’extrême gauche

Les positions de Dominique de Villepin sur le Proche-Orient en font le chouchou de l’extrême gauche. Il était invité hier à la Fête de l’Humanité, où un meilleur accueil lui a été réservé qu’à l’ex-Insoumis François Ruffin lui-même! Il y a affirmé que « nos démocraties se sont égarées dans une surenchère sécuritaire et identitaire », et a estimé que la résolution de la question palestinienne était nécessaire à la création d’un « nouvel ordre mondial. » Comment expliquer que l’ancien ministre de Chirac, qui se revendique « non atlantiste » et « républicain », se retrouve sur la même ligne que les communistes ou les Insoumis concernant Israël ?


Dominique de Villepin, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien Premier ministre, a délivré sur France Inter le 12 septembre un discours rageur sur Israël et Gaza qui fait écho à l’antisionisme des banlieues islamisées et à celui de la France insoumise. Selon lui, les journaux ne parleraient pas du conflit (!) : « On a Gaza qui est sans doute le plus grand scandale historique des… je n’ose même pas donner de référence, Gaza dont plus personne ne parle. C’est le silence, la chape de plomb. Je suis obligé de googler pour trouver une brève… Ah ! C’est la guerre ! Mais ce n’est pas une guerre tout à fait comme les autres, puisque ce sont des populations civiles qui meurent… »

L’extrême gauche pense que la guerre d’Israël à Gaza est un génocide

L’explosion des actes antisémites à la suite immédiate du pogrom du 7 octobre, avant même que l’armée israélienne ait commencé sa guerre à Gaza contre le Hamas, l’acceptation sans vérification des allégations du Hamas concernant le nombre de victimes civiles, l’affirmation absurde que le monde assiste à Gaza au pire génocide de l’époque contemporaine, tout cela ne peut se comprendre sans connaître les ressorts universels de l’antisémitisme et son histoire.

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L’islam et le christianisme ont eu besoin de soumettre la religion juive qu’ils voulaient remplacer. Mais face à la résistance opiniâtre des juifs qui ne voulurent pas se convertir, ils en ont fait un Satan inhumain, cupide, dominateur, rival de Dieu, tueur de prophètes. Par la suite, la nouvelle puissance des juifs libérés du ghetto et de la ségrégation par la Révolution française et Napoléon suscita des peurs et des jalousies et renouvela en quelque sorte l’image satanique du juif dont la réussite ne pouvait s’expliquer que par la perfidie et la ruse. Cette fantasmagorie déjà présente dans le christianisme et l’islam des origines restait présente en effet dans l’histoire de l’Europe, depuis le Moyen-âge où les juifs furent accusés de mille diableries, dont le crime rituel, l’empoisonnement des puits et la propagation volontaire de la peste. On retrouve cette vision paranoïaque des juifs dans maints écrits, dont le fameux « Protocole des sages de Sion », très diffusé aujourd’hui encore dans tout le monde musulman. L’extermination des juifs par les nazis fut justifiée par une sorte de légitime défense face au bolchevisme supposé dirigé en sous-main par les juifs et face au capitalisme apatride des banques juives. Mais depuis la Shoah, les juifs ont appris à se défendre en ayant à la fois un État et une armée, ce que nombre d’entre eux souhaitaient depuis l’affaire Dreyfus et les pogromes antisémites de Russie (les premiers sionistes). La diabolisation persistante des juifs dans l’inconscient collectif chrétien et musulman prit alors pour objet l’État des juifs et ainsi l’antisémitisme put se réhabiliter par la grâce de l’antisionisme, les juifs restant ainsi toujours identiques à eux-mêmes pour les antisémites : cruels et dominateurs, tueurs d’enfants et d’innocents, et avides de conquête universelle. 

Un petit État-nation anachronique à l’heure de la mondialisation heureuse

Par ailleurs, depuis 1967, il est devenu très difficile, pour les personnes appartenant aux milieux éduqués dans l’esprit du « plus jamais ça », du nouveau pacifisme européen qui abhorre les nationalismes étriqués et guerriers, et voit dans l’Europe et la mondialisation la chance d’un monde ouvert et libéral, de garder une vision objective sur le conflit israélo-arabe. Israël, pour eux, est un État répulsif sur le mode des États-nations du passé. À cette première tare s’ajoute pour ces personnes de culture chrétienne devenues plus ou moins agnostiques, la deuxième tare d’un État fondé sur une religion. En tout cas, c’est ainsi qu’ils voient Israël, en méconnaissant totalement les aspirations nationales du peuple juif qui ne sont pas nécessairement liées à la religion. Ils adoptent sans discussion le narratif palestinien de la même façon qu’ils nient la gravité des problèmes d’islamisation dans de nombreux quartiers de France. Ils ont gardé du christianisme, réduit à des « vertus devenues folles » à la fois un certain masochisme qui les conduit au suicide civilisationnel, une tolérance apitoyée et aveugle pour leurs pauvres et un antisémitisme soigneusement refoulé. Ils sont ce que j’appelle des demi-sachants qui ne connaissent le conflit que par des lectures biaisées et partiales, en conformité avec leurs propres préjugés. La gauche, de son côté, qui avait les yeux doux pour un petit Israël menacé par toutes les armées arabes, voit depuis 1967 Israël comme un Goliath surpuissant face à de pauvres et faibles Palestiniens, et cette fantasmagorie correspond à son amour irraisonné et aveugle pour les damnés de la terre. L’antisémitisme traditionnel dans les cultures chrétienne et islamique s’allie désormais à un antisémitisme de gauche pour condamner et diaboliser l’État juif.

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Plus gravement encore, les bien-pensants juifs et non juifs ont gardé un esprit occidental qui ne comprend pas l’Orient arabe. Ils croient que les Palestiniens veulent seulement un État à eux, cet État qu’ils ont depuis 1947 toujours refusé d’établir à côté d’Israël. Ils ne comprennent pas que l’objectif des Palestiniens, poursuivi obstinément, c’est justement de ne pas voir exister un État juif souverain sur ces terres qui, selon eux, appartiennent de plein droit à l’islam, un pays de « colonialistes », d’ « étrangers » illégitimes. Les dirigeants palestiniens ne sont pas stupides. Ils savent ce qu’ils veulent et feront tout pour atteindre leur objectif. Pour eux, c’est cela qu’ils appellent la justice pour la Palestine et pour cette justice, ils sont prêts à tout sacrifier. La gauche israélienne elle-même, désormais en perdition, et les Européens, ne comprennent décidément pas bien les enjeux de ce conflit centenaire.

«Fortune de France»: (re)lire la saga de Robert Merle à l’occasion de la diffusion de la série

France 2 diffuse ce soir l’adaptation de la saga populaire historique de Robert Merle. La série Fortune de France nous plonge au cœur de la France des guerres de religion, au XVIe siècle. Mais comment la télé publique peut-elle réduire en six épisodes de 52 minutes pareille saga littéraire de 13 volumes ? À la réalisation, Christopher Thompson, lequel s’était attaqué au mythe de Bardot l’année dernière, on s’en souvient


Annoncée en grande pompe par France 2, la série Fortune de France sera diffusée sur la chaîne publique à partir de ce 16 septembre. Il ne s’agira ni d’un documentaire sur Bernard Arnault, François Pinault ou l’un des tycoons hexagonaux ! Ni d’une enquête sur les trésors de la Banque de France, mais bien une adaptation de la saga éponyme, rédigée par Robert Merle entre 1977 et 2003. L’occasion est idéale pour se replonger dans une fresque où le talent littéraire le dispute à l’immersion dans une période troublée de l’Histoire de France.

Plongée passionnante dans l’histoire de France

Dans le numéro estival de Causeur, consacré aux jeunes talents engagés dans le combat d’idées face aux forces déconstructrices, Eugénie Bastié conseillait la lecture de Fortune de France : c’est ainsi que j’ai commencé à me plonger dans le cycle romanesque cet été. Et puis, je fus autrefois passionné par une autre grande saga : Les rois maudits qui consacra Maurice Druon au panthéon de la littérature populaire.

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La somme littéraire de Robert Merle est une plongée dans la France de la seconde partie du XVIe jusqu’au mitan du siècle suivant, mêlant la petite et la grande histoire, personnages réels et fictifs, descriptions au cordeau des événements (épidémie de peste, vie et mort des souverains, siège de la Rochelle, bataille d’Ivry…) et balbutiements du cœur, où l’on se trouve, en compagnie de La Boétie, de la cauteleuse Catherine de Médicis ou de Michel de l’Hospital, mais aussi des nombreux anonymes : les nourrices « qui ont du lait à revendre », les valets, les artisans, les chambrières… 

Huguenots contre catholiques

Les tensions devenues guerres entre catholiques et protestants servent de toile de fond à l’histoire et chacun, dans ce conflit entre huguenots et papistes, se positionne selon sa foi, sa fidélité et souvent ses intérêts. Ainsi, les nouveaux convertis se voient bien marris de perdre cinquante jours chômés avec la suppression du culte des saints ; Pierre de Siorac, narrateur, choisit la voie de son père, mais garde, en vertu d’une promesse faite à sa mère agonisante, une médaille de la Vierge Marie autour du cou. Entre fidélité à la foi et à la patrie – face aux Anglais -, le choix est parfois tout aussi cornélien.  

La saga débute réellement dans le Périgord, non loin de Sarlat, dans cette France profonde et intemporelle, aux paysages marqués par les herbes folles, la pierre qui s’élève en châteaux, les cours d’eau qui serpentent et les moulins. Forcément, dans ce décor, on occit, on ripaille, on joute, on sonne des hallalis, on pille, on clabaude. Mais la trame ne reste cantonnée dans ce pré carré et visite les prairies, les bourgades et les villes empruntées, assiégées ou convoitées par les ambitieux et les puissants, d’ici et d’ailleurs.

Un peu court…

La série diffusée sur France 2 sera-t-elle à la hauteur des attentes ? Nicolas Duvauchelle (Polisse, La fille du puisatier…) incarnera Jean de Siorac ; Simon Zampieri, son fils Pierre ; et Lucie Debay, son épouse Isabelle de Caumont. A l’évidence, si l’on peut craindre une adaptation à l’eau de rose ou une réécriture à la mode woke, ne soyons pas d’emblée négatifs. La gageure sera néanmoins de taille tant il semble a priori difficile de réduire à six épisodes ce qui fait le sel d’une suite littéraire : la diversité des points de vue – des humbles comme des nantis -, l’évolution et l’élévation sociale des personnages, l’installation d’une atmosphère et surtout la subtilité de la langue.

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Et le principal talent de Robert Merle est certainement de manier celle-ci avec la dextérité d’un archer.  Le style est enlevé, parfois touffu, toujours brillant ; mieux l’auteur parvient à mêler les styles et les genres, français du XVIe et du XXe, parlers populaire et occitan – un dictionnaire est disponible en fin d’ouvrage (au hasard, « moussu : monsieur », « galapian : gamin », « s’ococouler : se blottir »). Dès lors, avant la diffusion de la série, il importe de se plonger dans quelques-uns des treize volumes. Avec un effet garanti : raviver la passion de l’Histoire, de la France et de ses personnages. 

Ce soir à 21h05 sur France 2.

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Contrôle des frontières ou gestion des populations?

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Nos voisins suisses ont proportionnellement plus d’immigrés que nous sur leur sol. Leur gestion originale des difficultés liées à l’intégration, par le bas, est à étudier de près.


Au début de ma carrière dans la recherche, je me souviens de la recommandation que m’avait faite un de mes patrons : « avant d’inventer quoique ce soit, commence donc par regarder chez les autres et surtout consulte les bibliothèques. S’il s’agit de résoudre un vieux problème, d’autres y ont certainement pensé avant toi ». Cette manière de procéder devrait inciter nos politiques à plus de modestie, les pousser à se renseigner sur ce qui se passe ailleurs plutôt que de mandater des amateurs qui ignorent tout d’une problématique donnée.
Le microcosme parisien croit qu’il suffit de dire « on ferme les frontières ». Cela n’a jamais empêché les infiltrations au travers des vastes étendues qui séparent chaque point de passage. Imaginez un immense terrain entouré d’une ligne imaginaire tracée au sol à la craie et en un point un portail réel, pensez-vous que les voyageurs passeraient par le portail pour éviter d’enjamber la ligne théorique? Les points de passage douaniers peuvent contrôler les gros transports de marchandises, obligés d’utiliser une infrastructure routière. Pour les petits véhicules, les deux roues, les piétons, il existe une infinité de passages possibles. Prétendre fermer les frontières est donc une stupidité.

L’exemple suisse

Même pendant la Seconde Guerre mondiale, il était possible de passer ; il fallait seulement surveiller les patrouilles et disposer d’une pince coupante. Je réside moi-même depuis 60 ans près de la frontière et je sais naturellement comment faire. Pensez-vous un instant que d’autres ne le savent pas ? La Suisse, depuis des siècles, maîtrise assez bien les flux migratoires ; elle gère sa population, c’est pourtant un pays démocratique. Voyons comment.
En Suisse depuis 1848, le pouvoir étatique est réparti entre la Confédération, les cantons et les communes. La Suisse comporte quatre langues nationales, une grande diversité géographique, des populations aux caractères et coutumes différentes, elle se caractérise par une étonnante cohésion nationale où la gestion de la population se fait sans heurt ou très peu, alors qu’il y a 30% d’étrangers. Cherchez l’erreur… Il existe des statuts différents pour les étrangers. Ces derniers peuvent résider en Suisse à des conditions bien précises.
En Suisse, les différentes compétences sont reparties conformément au principe de subsidiarité. Selon ce principe, la responsabilité d’une action publique est du domaine de compétence de la plus petite entité, c’est-à-dire la commune. Les tâches qui excèdent ses possibilités incombent au canton. Ce qui excède les possibilités du canton sont définies par la Constitution et dévolues au pouvoir central (politique extérieure et sécurité, douanes et monnaie, législation fédérale, défense). À titre d’exemple, l’éducation et la protection sociale sont de la compétence des communes. Je réside en Suisse depuis 60 ans où je paie mes impôts qui se décomposent ainsi : communaux 30%, cantonaux 40% et fédéraux 30%. On voit que la commune bénéficie d’une large autonomie.

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Un recensement annuel et automatique de la population permet aux trois niveaux de l’exécutif de planifier, développer des stratégies et prendre les décisions adéquates. Tout citoyen suisse est tenu de déclarer son arrivée au Service de la Population de la commune où il souhaite résider et cela sous huit jours. Il doit présenter un titre de propriété, un bail ou une attestation d’hébergement. Une procédure analogue est exigée pour les étrangers munis des autorisations d’entrée sur le territoire (à part les touristes). Les victimes de persécutions peuvent, elles, demander l’asile sous réserve d’avoir suivi la procédure en vigueur. Les citoyens appartiennent en premier à leur commune.
Les résidents autorisés peuvent demander leur naturalisation, ce qui implique que c’est la commune et non l’État, qui sera responsable de subvenir à leurs besoins en cas de nécessité. On comprend pourquoi les autorités communales y regardent à deux fois avant de donner leur accord à une demande de naturalisation. Le demandeur passe devant une commission municipale qui, après enquête, auditionne le candidat. Si la demande est finalement acceptée, une cérémonie officielle a lieu au siège du Canton avec prestation de serment et hymne national dont le candidat doit connaitre les paroles.
La Suisse comme l’Italie et l’Autriche applique le droit du sang. L’attribution de la nationalité n’y est pas automatique. Quiconque séjourne durablement en Suisse doit s’y intégrer. Cette intégration est comprise comme un processus auquel sont associés la population suisse et les étrangers. Les étrangers bien intégrés peuvent donc se faire naturaliser. La naturalisation dont les critères sont fixés au niveau de la Confédération, est donc du ressort de la Commune. Si les personnes voient leur demande d’asile ou de séjour rejetée, elles sont tenues de quitter le territoire volontairement ou sous contrainte. Des aides sont prévues à cet effet.

Petit pays, petits problèmes ?

Les problèmes de gestion de la population suisse sont quasiment identiques à ceux de la France, seule la méthode et les moyens diffèrent.
Certains diront que les échelles ne sont pas les mêmes, que cela n’a rien à voir. En effet, le traitement des dossiers part du niveau communal, c’est-à-dire au plus près de la population, alors qu’en France c’est exactement l’inverse. La commune est libre d’accepter ou de refuser la présence d’un individu. À partir de ce constat, peu importe la surface du territoire, la longueur et la perméabilité de ses frontières. En offrant l’asile ou la naturalisation, la commune d’origine doit considérer le risque qu’elle prend. Ainsi, sans domicile, il est impossible d’avoir une carte grise, le téléphone, une urgence dans un hôpital sera immédiatement connue des autorités, etc…, les logeurs clandestins risquent de lourdes poursuites pénales.
La surface de la France métropolitaine est de 551.500 km2 comparée à la Suisse 41.300 km2. La France possède 2913 km de frontières et 3427 km de côtes contre 1882 km de frontières pour la Suisse. Le bon sens montre qu’un contrôle efficace des passages en dehors des postes-frontières est illusoire. En plus des contrôles aux postes-frontières, un système de gestion des populations s’impose et cela au plus près des lieux de séjour, c’est-à-dire la Commune. L’appartenance à une commune précise entraine pour cette dernière une obligation de fournir à son citoyen des moyens de survie au cas où ce dernier viendrait à sombrer dans l’indigence par exemple et quel que soit son lieu de résidence. Pour avoir passé des milliers de fois les frontières, je peux témoigner que les douaniers, même aux points de passage principaux, sont dans l’incapacité de contrôler effectivement tous les véhicules ; cela déclencherait des émeutes. Ils en sont réduits à agir par échantillonnages.
La population de la France est évaluée à 67 millions d’habitants dont peut-être 23% d’étrangers. Celle de la Suisse est de 8 millions dont 30% d’étrangers. On pourrait donc penser que la présence d’étrangers en Suisse serait plus difficile à gérer qu’en France, or ce n’est pas le cas. Le traitement par le bas des demandes qui se présentent est sans doute le remède à la lourdeur et à l’inefficacité de la centralisation administrative que l’on constate en France. Il nous faudrait peut-être un jour sortir du jacobinisme, mais ça, c’est une autre histoire. Un cas français parmi d’autres semble inextricable, celui de la Guyane. Là-bas, il est hors de question de contrôler les frontières. En revanche un système analogue à celui de la Suisse, appliqué humainement mais strictement, devrait pouvoir fonctionner et maitriser les flux en provenance des pays limitrophes. Les militaires ont coutume de traiter les problèmes suivant le schéma : Mission, Terrain, Moyens. La mission étant connue, le terrain aussi, reste à choisir les moyens. La France ferait totalement fausse route en prétendant fermer ses frontières, c’est une pure chimère. La Suisse elle, semble avoir traité le problème de la population de manière logique et démocratique, pourquoi ne pas s’en inspirer ?

Avec Pierre Adrian, on pardonne tout à Cesare Pavese…

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Dans Hotel Roma (Gallimard, 2024), Pierre Adrian part sur les traces de Cesare Pavese et revient sur les derniers jours de l’auteur du Bel été


J’ai toujours préféré, aux forces de la nature, les faibles, les fragiles. Aux « grandes gueules », les timides et les intelligents du verbe. C’est à cause de cette pente qui ne m’a jamais quitté que le destin de Cesare Pavese a été une fascination constante.

Le 27 août 1950, un dimanche à Turin, dans la chambre 49 de l’hôtel Roma, Cesare Pavese s’est suicidé en avalant une dose mortelle de somnifères. Il a été découvert allongé sur le lit, en bras de chemise, les chaussures enlevées. Sur la table de chevet, sept paquets de cigarettes vides. Sur la première page de ses Dialogues avec Leuco, son œuvre préférée, Cesare Pavese avait écrit avec son stylo noir ces quelques mots : « Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. Ça va ? Pas trop de bavardages ».

Pour notre part nous n’avons rien à lui pardonner et si nous pouvions être tentés de lui reprocher cette fin résolue et prématurée à 42 ans, le beau et sensible livre de Pierre Adrian Hôtel Roma nous en aurait dissuadés aussitôt. Pourtant j’éprouvais une inquiétude initiale, vite dissipée : que le récit fût davantage consacré à l’auteur vivant qu’au mort illustre. Ce qui heureusement n’a pas été le cas puisque les déambulations italiennes de Pierre Adrian ont tourné autour de Cesare Pavese, de ses lieux, de son entourage, de ses passions et de ses mélancolies.

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Comment craindre que Pierre Adrian ait pu être influencé par « la noirceur de Pavese »– selon un article dans Causeur – alors qu’au contraire il nous montre que depuis l’enfance jusqu’aux derniers jours pathétiques d’appels au secours non entendus, celui-ci était déjà obsédé par le suicide ; une solution radicale pour lui qui était inapte au « métier de vivre », le titre de son journal intime.

Je n’ai pu m’empêcher de penser au Feu follet de Drieu la Rochelle avec cette différence fondamentale que Pavese a été tenaillé toute son existence par le désir de s’effacer. Même si ceux qui l’entendaient l’évoquer pouvaient en douter, lui n’ignorait pas que cette morsure intime, un jour, trouverait son tragique accomplissement.

Pierre Adrian © Editions Gallimard

Amertume chronique

J’écris « tragique » mais je suis persuadé que lui-même n’aurait pas qualifié telle cette issue, tant l’évolution du monde, de la société, leur défiguration par rapport au bonheur de ses origines rurales, dans cette vie paysanne chassée par l’urbanisation et l’industrialisation, dont il a eu sans cesse douloureusement la nostalgie, ses propres difficultés d’être et de pouvoir aimer charnellement, sa conscience à la fois de vouloir rejoindre les autres et de ne pas le pouvoir, ne pouvaient que le conduire inéluctablement vers ce suicide, précédé, durant quelques jours, par la recherche éperdue non pas d’un visage, d’un cœur ou d’un bras pour le dissuader mais pour lui donner au moins l’illusion de dernières douceurs. Cette jeune fille qu’il a rencontrée, immédiatement qualifiée d’amour et qui, alors qu’il désirait la revoir le samedi 26 août, le rejette parce qu’elle l’avait trouvé triste et peu agréable. Bien avant, cette liaison de quelques semaines, miraculeuse par l’union des corps, avec une jeune actrice américaine qui, n’ayant plus répondu à ses courriers, découvrit à sa mort qu’il était célèbre.

Il y a eu quelques constantes dans le parcours de cet homme et de cet écrivain d’exception. Une sorte de désengagement militant : communiste mais rétif au grégarisme ; pas de résistance affichée au fascisme mais distribuant en solitaire des tracts contre la bombe atomique. Il avait le courage d’un pessimiste qui ne se paye pas de mots – pas de « bavardages » ! – et une amertume qui, pour être chronique, visait juste et profond. Elle contraignait chacun, comme le chanterait Jean-Jacques Goldman, à « veiller tard » sur les ombres et les mystères de la condition humaine.

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En compensation à sa désolante perspicacité sur lui-même et sur ce dont il manquait cruellement – être aimé pour lui-même, totalement, et pouvoir tout rendre en retour -, il y a quelque chose d’émouvant dans son aspiration à la félicité des origines, de l’enfance, à caresser la magie de l’être qui vous attend, qui vous espère, de la maison chaude et de l’amitié. Il y a les départs, les éloignements mais pour revenir.

Cette sensibilité venant attendrir, consoler les terres arides d’une impitoyable absence d’illusions, fait apparaître que peut-être le cours de la fatalité aurait pu être détourné, que le suicide aurait pu ne pas être cette destination obligatoire gangrenant, en amont, les rares instants de plaisir ou d’espérance.

Empathie et compréhension

Dans les dernières journées de Pavese, ceux qu’il cherche à rencontrer sont absents. Il n’y a plus personne dans cette ville étouffante. S’est-il senti abandonné ? Probablement aurait-il désiré un mot, un souvenir, une fraternité professionnelle – il adorait se rendre dans les salles de rédaction -, un signe, une écoute, une intuition mais rien ne lui aurait fait manquer le rendez-vous qu’il s’était fixé à lui-même le 27 août en ce dimanche.

Loin de s’être laissé assombrir par le destin de Cesare Pavese, Pierre Adrian, au comble du talent et de la délicatesse, lui oppose certes sa joie d’être mais lui offre surtout empathie et compréhension. Un superbe salut d’un écrivain à un autre. Il nous rend fraternelle cette personnalité déchirante, obstinée dans la défaite.

Cio-cio San ne sera jamais Américaine

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Eleonora Buratto "Mme Butterfly", opéra de Paris © Chloé Bellemere

Alors que l’on célèbre en 2024 le centenaire de la disparition de Giacomo Puccini, l’Opéra Bastille donne « Madame Butterfly » jusqu’au 25 octobre, le Théâtre du Châtelet propose un concert «Viva Puccini ! » le 9 octobre, et le ténor allemand Jonas Kaufmann sort un disque compilant les plus grands duos amoureux du compositeur.


Faut-il encore présenter Madame Butterfly, must absolu de la scène lyrique ? Pinkerton, un vaniteux officier de marine yankee fraîchement débarqué au Pays du Soleil levant, épouse Cio-cio San, une geisha âgée de 15 ans qu’il a levée grâce à l’entremetteur Goro, avant de se réembarquer en jurant de revenir. En poste à Nagasaki, le consul des États-Unis a prévenu Pinkerton : elle croit dur comme fer à cette fausse promesse ! Passent trois ans ; « Mrs Butterfly » attend toujours son Pinkerton. Lequel, au passage, l’a engrossée d’un fils. Convertie au catholicisme, elle est désormais bannie de la société nipponne. Le consul tente d’annoncer à Cio-cio-Sian le retour soudain de Pinkerton, mais flanqué, cette fois, de Kate, sa jeune femme américaine. Lâchement, ce dernier esquive la rencontre avec Cio-cio San. Refusant obstinément les avances du riche prince Yamatori qui l’aurait tirée de la misère, elle choisit d’abandonner son petit enfant au couple occidental, et se suicide.

C’est que, comme l’exprime Pinkerton au seuil du premier tableau de l’opéra : «  partout dans le monde, le Yankee vagabond s’amuse et se débrouille (…) il jette l’ancre à l’aventure (…) La vie ne le satisfait pas s’il ne s’approprie les étoiles de tous les ciels, les fleurs de tous les pays, l’amour de toutes les belles »… L’impérialisme américain ne fera pas pour autant de Cio-cio San la compatriote de son cynique et couard séducteur !   

Puccini a la quarantaine quand, fort des triomphes de Manon Lescaut (1893), La Bohème (1896), et Tosca (1900), le compositeur désormais très en vue sur la scène internationale se lance, avec ses librettistes Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, dans l’adaptation d’une nouvelle de John Luther Long, elle-même tout juste adaptée au théâtre par David Belasco. La création de Madame Butterfly à la Scala, le 17 février 1904, se solde pourtant par un fiasco retentissant. À plus d’un siècle de distance, la suavité cristalline de la partition, les langueurs mélodiques du chant, la luxuriance, le lyrisme teinté d’exotisme de l’orchestration ravissent l’oreille la moins avertie. Immortel chef d’œuvre !

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C’est en 1993, alors au faîte de sa célébrité, que Robert Wilson (1941-…) a monté la production redonnée à présent par l’Opéra-Bastille ; elle y avait été reprise pour la dernière fois en 2019. Autant dire que cette régie porte la marque de son époque : le XXème siècle finissant et ses épures abstraites – jusqu’à la frigidité. De fait, avec « Bob », on sait à quoi s’attendre : toute espèce de couleur locale évacuée, l’austérité formaliste impose aux chanteurs, chorégraphiée au millimètre, une gestuelle lente, hiératique, robotisée, leurs déplacements s’articulant de façon mécanique sur un plateau sciemment vidé de tout accessoire, un immense écran rectangulaire et uni occupant tout le fond de scène, selon une incessante variation chromatique qui accompagnera l’action de part en part. Ce maniérisme glacé eut son heure de gloire ; il apparaît aujourd’hui cruellement daté. Et surtout tellement, tellement américain !

Cela dit, reconnaissons qu’au cœur de cette régie aseptisée l’apparition archangélique du bambin aux boucles dorées, nu sinon vêtu, mais vraiment à peine, d’un minuscule pagne ceignant ses hanches et se mouvant avec une grâce infinie, imprime au deuxième tableau une poésie pleine de délicatesse. (Par les temps qui courent, d’ailleurs, on en vient à se demander quand les ligues de vertu du parti woke s’aviseront – j’en fais le pari –  de proscrire l’exhibition sur scène de la nudité enfantine, insoutenable atteinte aux droits désormais genrés de l’enfant…).

© Chloé Bellemere / Opéra National de Paris

Fort heureusement, la « tragédie japonaise » de Puccini est ici servie par une direction d’orchestre pleine de nuances, sous la baguette de la cheffe transalpine Speranza Scappucci, et par l’excellent ténor Stefan Pop dans le rôle de Pinkerton. Si la mezzo Aude Extrémo campe Suzuki, la fidèle servante de Cio-Cio-San, avec une belle rondeur dans les graves, on découvrait dans le rôle-titre, au soir de la première, la soprano Eleonora Buratto, lestée d’un vibrato un peu large et d’aigus parfois stridents (elle est en alternance avec la Russe Elena Stikhina), tandis que Sharpless, le consul, se voit quant à lui souverainement campé par le baryton Christopher Maltman. Carlo Bosi (Goro), Andres Cascante (Yamadori), Vartan Gabrielian (le bonze) et enfin l’Ukrainienne Sofia Anisimova (Kate Pinkerton) complètent cette distribution d’assez haut vol tout de même.  

Pour les amateurs de comparaisons, on pouvait voir encore, ces tous derniers jours, en accès libre sur Arte-Concert, la Madame Butterfly du festival d’Aix-en-Provence édition 2024, dans la mise-en-scène remarquablement sobre et dégraissée d’Andrea Breth, sous la direction de l’actuel directeur de l’Opéra de Lyon, Daniele Rusconi, avec la soprano albanaise Ermonela Jaho, celle-là même qui incarnait Cio-Cio-San sur la scène de la Bastille en 2015.

Et pour compléter les nouvelles du front, comme on fête cette année le centenaire de la mort du compositeur transalpin, rendez-vous le 9 octobre prochain au Théâtre du Châtelet pour un concert exceptionnel réunissant les voix de l’immense ténor Jonas Kaufmann et de la soprano Valeria Sepe, avec Jochen Rieder au pupitre de l’Orchestre philharmonique de Rhénanie-Palatinat (Deutsche Staatphilharmonie Rheinland-Pfalz) : des extraits du répertoire puccinien (Tosca, La Bohème, Madame Butterfly), emballé sous l’engageant intitulé : Viva Puccini !  

Concert « Viva Puccini ! », mercredi 9 octobre à 20h, au Théâtre du Châtelet à Paris. Jonas Kaufmann, ténor et Valeria Sepe, soprano.

En parallèle, Kaufman sort, ce mois de septembre, un CD réunissant des duos amoureux tirés de Tosca, Manon Lescaut, La Fanciulla del West. Lui donnent la réplique un panel de divas, d’Anna Netrebko à Pretty Yende…

Puccini est au podium.


Madame Butterfly, « tragédie japonaise » en trois actes de Giacomo Puccini (1904). Direction: Speranza Scappucci. Mise en scene: Robert Wilson. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.  Avec Eleonora Buratto/Elena Stikhina (Cio-Cio-San), Stetan Pop (Pinkerton), Christopher Maltman (Sharpless), Aude Extrémo (Suzuki)…
Durée: 2h45
Opéra-Bastille, les 17, 25, 28 septembre, 1, 10, 16, 19, 22, 25 octobre à 19h30; les 22 septembre, 6 et 13 octobre à 14h30.

Et également :

A voir sur Arte Concert, Madame Butterfly, production Festival d’Aix-en-Provence 2024.
Concert «Viva Puccini ! », Théâtre du Châtelet, Paris. Le mercredi 9 octobre, 20h.

CD « Love Affaires », album Puccini, par Jonas Kaufmann. Sony Classical.

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La France est-elle vraiment de droite?

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L'enseignant et essayiste Vincent Tiberj, la journaliste Eugénie Bastié. Photos : DR / Guillaume Brunet-Lentz

Sans convaincre, le sociologue Vincent Tiberj réfute la droitisation du pays dans son dernier bouquin. L’opinion du citoyen français moyen est vraisemblablement plus proche d’un Michel Barnier que d’une Lucie Castets, constate la journaliste du Figaro Eugénie Bastié. Nos années Macron, avec leur « en même temps » inopérant, ont paradoxalement contribué à la polarisation du débat et accentué le raidissement de la gauche comme de la droite dans leurs positions, observe notre chroniqueur.


J’emprunte ce titre à Eugénie Bastié qui a écrit un article passionnant et critique sur un livre du sociologue Vincent Tiberj, La droitisation française – Mythe et Réalités dans Le Figaro du 12 septembre. Ce dernier propose le paradoxe, pire, l’incongruité, de soutenir qu’en réalité « les Français seraient secrètement de gauche mais influencés par des discours politiques et médiatiques imposant certains thèmes dans le débat ». On voit bien ceux qu’il vise et incrimine. Mais son outrance, son excès même, nous contraint à une réflexion que nous n’abordons jamais volontiers parce que beaucoup détesteraient retrouver en eux des traces de positions politiques antagonistes, qu’ils récusent dans leurs tréfonds. Parce qu’ils se sentiraient moins nets, moins tout d’une pièce, trop complexes, gangrenés par une déplorable ambiguïté. Cette répugnance concerne également la gauche et même l’extrême gauche alors que de récentes enquêtes d’opinion démontrent qu’une part importante de leur électorat est devenue très sensible par exemple aux exigences de sécurité et de justice dans leur sens conservateur. Ce constat sans doute entrave encore davantage les directions des partis du Nouveau Front populaire, il l’oblige à se cadenasser pour éviter la corruption intellectuelle et politique par l’adversaire ! Il me semble cependant que c’est encore plus vrai à droite une fois qu’on a dépassé le caractère délibérément provocateur d’une analyse plus idéologique que sociologique.

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Peut-être ai-je tort d’induire de mon propre exemple une généralité qui pourra être perçue comme abusive. Pourtant nous sommes nombreux à ne pas nous sentir clivés, radicaux, à être partagés, intermittents, « souples » selon une expression de Ségolène Royal. Pas toujours « vraiment de droite », pas toujours « de droite », parcourus par des élans divers et parfois contrastés.

Pourquoi nous cédons de plus en plus à la radicalisation du débat

Pourquoi éprouve-t-on tant de mal à l’admettre comme s’il y avait le risque d’une trahison capitale ? Parce que d’abord l’acceptation d’une telle plénitude reviendrait pour certains à tomber dans la caricature d’un centrisme qui n’a que trop sévi et qui par opportunisme picorerait à droite comme à gauche. Cependant il est facile de dénoncer cette dérive tout en maintenant la rectitude d’une position politique qui ne s’enferme pas dans un sectarisme militant.

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Ensuite, parce que nous sommes aujourd’hui, à cause des outrances et parfois des délires du camp prétendu progressiste, conduits à nous priver des quelques évidences de ce dernier à cause de ses excès. Nous aurions honte même d’afficher une vague familiarité avec une gauche qui est dénaturée, dégradée par certains députés qui ne cherchent pas à donner d’elle la plus belle impression possible. Nous sommes détournés de la tentation de nous laisser influencer si peu que ce soit parce que nous préférons demeurer dans une droite close sur elle-même plutôt qu’ouverte sur un autre paysage antagoniste.

Un effet pervers de plus du « en même temps »

Enfin, le « en même temps » macroniste a été le fossoyeur, par les catastrophes qu’il a engendrées, d’une volonté apaisée de tenir les deux bouts d’une chaîne. En effet, pour l’action et la réactivité politiques, le « en même temps » a créé de l’échec puisque là où elles imposaient l’urgence, le sacrifice, des choix, des exclusions obligatoires, cette simultanéité apparente a favorisé lenteur, indécision et déception. Alors que, sur le plan intellectuel et civique, la plénitude du « en même temps », signe éclatant d’une intelligence capable d’épouser toutes les facettes d’une réalité, de s’attacher à l’essentiel sans répudier la richesse d’une autre vision, de s’affirmer de droite sans répudier les idées de gauche raisonnables, constituerait une indéniable richesse. Pourquoi l’égalité, qui est la notion centrale de la gauche, serait-elle forcément aux antipodes, sur tous les registres, de la liberté qui est le cœur battant de la droite ?

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Il ne faut pas surtout pas omettre un point capital si j’ose induire de mon exemple personnel une généralité sans doute à discuter. Pour ma part, si je me sens profondément inspiré par une conception de l’humain, de la responsabilité, de la société et de la culture relevant de la droite conservatrice, par des valeurs et des principes me structurant depuis que citoyen je me détermine dans l’existence, cela ne signifie en aucun cas que la conjoncture politique, les aléas partisans, la gestion au jour le jour, les mille difficultés liées à l’affrontement avec un réel qui répugne parfois à ressembler à ce que la droite attendrait de lui, ne puissent jamais faire naître chez l’homme de droite des tentations de gauche. Et réciproquement, je l’espère. Quand l’une et l’autre sont débarrassées de ce qui les constitue comme solutions exclusives, telles des idéologies, au lieu d’être des compléments pour ce qu’on a privilégié prioritairement. Une droite ne se trahit pas quand une gauche honorable vient au moins partiellement la tenter. Une gauche ne devrait pas refuser d’être irriguée par le meilleur de la droite : changer et réformer seulement quand il convient, conserver s’il le faut. Au fond, j’aspire à une France entière.

La droitisation française, mythe et réalités

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Nicolas Baverez: «Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance»

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Nicolas Baverez © Hannah Assouline

Le diagnostic de l’essayiste est accablant : la France a raté le train de la mondialisation économique, la croissance est à plat, les faillites explosent, et l’État est incapable d’assurer aux Français les services de base de leur vie quotidienne. Pour autant, le pays a suffisamment d’atouts pour sortir de la spirale du déclin.


Voilà au moins trente ans que Nicolas Baverez sonne l’alarme. Qu’il dissèque « l’impuissance publique » (du nom de son premier livre, publié en 1994 avec Denis Olivennes), qu’il déplore « la France qui tombe » (2003), qu’il chronique « le déni français » (2017). À se demander parfois si la noirceur n’est pas son fonds de commerce… Sauf que les faits lui donnent obstinément raison. Aujourd’hui, le pays est à plat, les indicateurs économiques sont au plus bas et la comédie politique tourne à la farce. Pourtant, Baverez pense que nous ne sommes pas fichus. Si, si ! Et il ne dit pas cela par politesse, ni par amour des compositions en deux parties. Pour lui, notre pays, qui a raté dès les années 1980 le train de la mondialisation économique, pourrait bien, à la faveur du nouveau cycle qui s’ouvre, plus multipolaire et géopolitique, renouer avec le dynamisme, l’ambition et même l’innovation. Et si nous étions sortis de l’Histoire tout simplement parce que nous attendions qu’elle redevienne passionnante ?


Causeur. Notre pays est-il à bout de souffle ?

Nicolas Baverez. La France se trouve dans une situation paradoxale. Les JO de Paris 2024 ont été une réussite remarquable, qui a montré le meilleur de notre pays et souligné qu’il est capable de rivaliser avec les meilleurs quand il se rassemble et se mobilise. Mais, simultanément, l’interminable spirale de déclin dans laquelle il s’est enfermé depuis plus de quatre décennies s’emballe. La situation est aujourd’hui critique. La croissance est atone et les faillites explosent. Le chômage remonte. Le carcan du double déficit des comptes publics et de la balance commerciale se resserre. Du fait de la paupérisation de la population – le revenu annuel d’un Français est désormais inférieur de 15 % à celui d’un Allemand – et de l’éclatement de la classe moyenne, la France accumule les mouvements sociaux insurrectionnels : gilets jaunes, manifestations contre les retraites, émeutes urbaines consécutives à la mort du jeune Nahel, jacquerie des agriculteurs, guerre civile de Nouvelle-Calédonie (qui se poursuit dans l’indifférence générale). Quatre changements majeurs sont intervenus qui font que notre pays, nonobstant la fête olympique, approche d’un point de rupture. L’accélération de la crise financière avec une dette de 3,15 milliards d’euros qui est sortie de tout contrôle. Le blocage des institutions qui découle de la dissolution insensée décidée par Emmanuel Macron. La paralysie de l’État, notamment dans ses fonctions régaliennes, illustrée par la plongée de la Nouvelle-Calédonie dans un chaos qui interdit toute reconstruction. Enfin, le changement du regard que le monde porte sur la France. Les images sublimes des JO n’ont qu’un temps. Elles ne peuvent occulter la défiance croissante des marchés financiers, de nos partenaires européens et de nos alliés. Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance.

Le cas de la Nouvelle-Calédonie est toutefois difficile à transposer à la métropole…

Oui bien sûr, la Nouvelle-Calédonie n’est pas la France. Mais la logique de la guerre civile n’est pas le monopole du Caillou. Voyez l’anarchie qui règne à Mayotte. Voyez surtout la montée du niveau et de l’intensité de la violence dans la société, illustrée par la forte hausse de la délinquance et des agressions contre les personnes, mais surtout par la multiplication des attentats et des actes antisémites, avec pour dernière illustration la tentative d’incendie de la synagogue de La Grande-Motte. L’État, qui absorbe 58 % du PIB, a répondu aux défis de la sécurité et des transports durant les Jeux olympiques. Mais il se montre incapable d’assurer aux Français dans leur vie quotidienne les services de base : éducation, santé, transports, logement, police, justice. L’impasse politique actuelle ne va pas contribuer à améliorer la situation, au moment où le gouvernement de Gabriel Attal vient de battre le record de durée d’un gouvernement démissionnaire depuis 1945. Un comble pour la Ve République qui a été conçue par le général de Gaulle pour assurer en toute circonstance la liberté d’action du pouvoir exécutif et restaurer le pouvoir de l’État. La corruption de nos institutions par celui qui est censé être leur garant est illustrée par l’usage irresponsable de la dissolution : elle est devenue le détonateur d’une crise politique qu’elle a été prévue pour désarmer. Il est grand temps de cesser de déconstruire nos institutions et l’État.

Emmanuel Macron remercie les professionnels mobilisés pour des Jeux olympiques de Paris lors d’une cérémonie dans le jardin de l’Élysée, 12 août 2024. Eric Tschaen/SIPA

Emmanuel Macron n’a-t-il pas cependant pris certaines bonnes mesures, notamment en matière de travail ?

Emmanuel Macron a incontestablement réalisé des réformes utiles en direction des entreprises : la flexibilité du marché du travail ; la stabilisation de la fiscalité sur le capital ; l’investissement en direction des start-up ; l’amélioration de l’attractivité de notre pays – avant la dissolution. Mais il a échoué dans la modernisation du modèle économique et social, qui constituait le cœur du mandat que lui ont confié les Français en 2017. Il a même fait pire. Il a poussé à ses limites, jusqu’à le faire exploser, le mode de croissance à crédit (devenue dans les faits une décroissance à crédit), en accumulant 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires, qu’il a dilapidés en subventionnant la consommation au lieu d’investir. L’absence de toute stratégie de long terme indissociable du « en même temps » a mis le pays à l’arrêt. La concentration extrême du pouvoir, la destruction du système politique et le mépris envers les citoyens ont ouvert un vaste espace aux extrémistes qui sont désormais majoritaires. Enfin, sur le plan stratégique, la France s’est fourvoyée en manquant le tournant de la grande confrontation lancée par les empires autoritaires aux démocraties, tout en offrant ensuite à l’Ukraine, à la Grèce ou à la Moldavie des garanties de sécurité qu’elle ne peut honorer faute d’avoir réarmé.

La France continue pourtant d’attirer les capitaux étrangers, n’est-ce pas ?

Malgré un niveau très élevé de normes et de taxes, qui représentent un véritable handicap pour l’économie, notre pays a vu ces dernières années affluer les investisseurs étrangers, séduits par la partie de sa main-d’œuvre hautement qualifiée, sa situation géographique exceptionnelle, la qualité de ses infrastructures. À quoi se sont ajoutés deux autres points forts qui sont à mettre au crédit d’Emmanuel Macron : d’une part, l’ambition affichée de relancer l’industrie, à travers une politique de l’offre ; d’autre part, une relative stabilité normative et fiscale. La dissolution a remis en cause ces deux acquis et débouche sur une fuite des investissements et des entreprises, des talents et des capitaux. Déjà, la City, forte du renouveau d’une social-démocratie responsable avec l’arrivée au pouvoir de Keir Starmer, est repassée devant la place de Paris. Les programmes du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national, qui dominent l’Assemblée, ont en commun la relance de la consommation par la dépense et la dette publiques, ainsi qu’une hausse de la fiscalité la plus élevée du monde développé. Soit très exactement les conditions qui maximisent le risque d’une crise financière comparable à celle subie par le Royaume-Uni en 2022, en raison du projet de budget insensé de Liz Truss. Désormais, qu’on le veuille ou non, les marchés ont placé la France sous surveillance. Et, à la fin, ce sont toujours eux qui gagnent.

Que faudrait-il faire ?

Mobiliser les Français autour d’un nouveau modèle national, nouant un pacte et répartissant les efforts entre l’État, les entreprises et les citoyens. En s’inspirant des pays développés qui se sont adaptés à la nouvelle donne du XXIe siècle. L’Europe du Nord notamment s’est profondément remise en question pour allier compétitivité et solidarité, innovation et intégration, transition écologique et réarmement. Ce qui prouve bien que l’on nous trompe quand on prétend qu’il faut choisir entre la décroissance ou la catastrophe climatique, les services publics ou le marché, la protection sociale ou l’investissement productif.

Mais nos concitoyens en ont-ils encore l’envie ?

Raymond Aron exposait les termes du même dilemme en juin 1939 quand il affirmait : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent. » Pour ma part, je conserve l’espoir que le redressement de la France est possible. Notre pays dispose de formidables atouts. Surtout, les Français sont humiliés par le déclassement de la France et n’ont pas encore renoncé à la relever. Ils l’ont montré lors des élections législatives de 2024, en s’opposant in extremis à l’arrivée au gouvernement de l’extrême droite – au prix certes de l’ingouvernabilité du pays. Ils ont aussi prouvé lors des JO qu’ils étaient capables de s’unir, de s’enthousiasmer, d’incarner l’actualité des valeurs de la République, de figurer parmi les peuples le plus performants, innovants et ouverts de la planète.

Ce succès ne s’explique-t-il pas aussi par les allègements de contraintes administratives dont ont bénéficié les organisateurs, qui ont pour ainsi dire été exemptés du droit commun ? Le système D à la française ne devrait-il pas être réhabilité ?

Sans doute. Mais le succès a surtout été construit sur le travail dans le temps long et l’alignement des parties prenantes au service d’un objectif commun. Il a rappelé que le fonctionnement efficace de l’État régalien reste la condition première du bien-être des citoyens, de la prospérité des entreprises et de la continuité de la vie nationale. Pendant quinze jours, Paris, par une sorte de miracle, est redevenue une ville agréable, joyeuse, paisible, sûre et presque propre. Il ne faut pas laisser perdre cet héritage. Mais c’est avant tout une question de volonté politique.

La volonté politique ne s’est-elle pas enfuie sitôt la flamme olympique éteinte ?

Peut-être pas. Nous entrons dans une nouvelle ère qui peut nous offrir une chance de remettre la France debout. Tout dépendra des Français.

Comment cela ?

Quand on prend du recul, on constate que notre pays est passé à côté du cycle de la mondialisation. Cela a commencé en 1981, avec la calamiteuse relance dans un seul pays voulue par François Mitterrand, qui mit la France aux portes du FMI en 1983. Puis nous avons ignoré la réunification de l’Europe et de l’Allemagne, refusé les efforts qu’impliquait le passage à l’euro, sous-estimé les conséquences de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, manqué la révolution numérique, puis entrepris la transition climatique par le seul angle des taxes et des normes, laissant la production et l’innovation à la Chine et aux États-Unis. Or ce moment de la mondialisation vient de se refermer définitivement. Ébranlé par le krach de 2008, fissuré par la pandémie de Covid, il s’est clos le 24 février 2022, date de l’entrée des troupes russes en Ukraine. Ce jour-là, nous avons changé de monde. Désormais, la géopolitique prime sur l’économie, l’État sur le marché, la souveraineté sur le libre-échange, la sécurité sur l’optimisation de la chaîne de valeur. Dans ce nouveau contexte, les Français, dont la conscience nationale a, au cours des siècles, été façonnée par l’État, et qui sont jaloux de leur indépendance, ont de sérieux atouts à faire valoir. Mais ils ne doivent pas laisser perdre cette ultime occasion qui se présente à eux.

Qu’est-ce qui pourrait les en empêcher ?

L’enfermement dans le malthusianisme, le défaitisme et l’institutionnalisation des mensonges qui ont ruiné notre pays au cours des dernières décennies. Acceptons de faire la vérité sur nos problèmes et rassemblons-nous pour les traiter. Nous disposons de nombreux atouts pour relever la France. Il ne nous manque que l’essentiel : la volonté, le courage et l’espoir. À nous de renouer avec eux et de les faire vivre !

Dernier ouvrage paru : Démocraties contre empires autoritaires (L’Observatoire, 2023).

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Pour notre bonheur, le réalisateur Laurent Firode est sur tous les fronts

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Laurent Firode D.R.

Après avoir aidé à la révélation des manigances de l’industrie cinématographique française dans un livre d’entretiens avec des gens du métier, Laurent Firode a réalisé une merveilleuse comédie poétique.  


Dernièrement, sur le plateau de Quotidien, le député corrézien François Hollande a expliqué comment son actrice de femme, Julie Gayet, lui avait ouvert les yeux sur les inégalités entre les hommes et les femmes dans le cinéma : « Les actrices, c’est comme s’il y avait une limite, notamment à 50 ans. On remarque qu’elles deviennent tout de suite des mères et des grand-mères. » C’est bien triste ! Durant cette émission, la chroniqueuse Ambre Chalumeau a évoqué la « placardisation des actrices de plus de 50 ans ». Sur la radio publique, Julie Gayet s’émouvait déjà, il y a un an, du fait que « les femmes de plus de 50 ans sont sous-représentées sur nos écrans ». Et patati, et patata.

Les fables de la grande famille du cinéma

Pour Main basse sur le cinématographe, livre paru aux éditions de La Mouette de Minerve, l’écrivain Bruno Lafourcade et le réalisateur Laurent Firode ont réuni quatre professionnels du cinéma – une comédienne, un technicien, une scénariste également documentariste et un cinéaste – et ont soumis à leur réflexion les lieux communs, les fables et les histoires qui encombrent le milieu cinématographique ou télévisuel, à partir de déclarations d’acteurs et de producteurs. Entre autres drôleries, celles-ci : « Même si mes parents sont des stars, ils ne m’ont pas aidé à percer ». « Les films ne bénéficient pas d’argent public. » « Le cinéma est une grande famille. » « Les acteurs sont fragiles. » « Les actrices ne trouvent plus de rôle après 40 ans. » Comme les précédentes, cette dernière assertion a beaucoup amusé les invités de Lafourcade et Firode, en particulier le cinéaste Camille D. : « Ça, c’est vraiment hilarant, parce que c’est exactement le contraire. Toutes les vedettes refusent de jouer des femmes de leur âge, et même de leur génération. Elles veulent toutes un rôle où elles paraissent plus jeunes : elles ne veulent pas se voir en femmes âgées, parce que la vieillesse, dans leur esprit bourré de préjugés imbéciles, est une déchéance. La ségrégation par l’âge, c’est elles qui le pratiquent. » Cette hantise de l’âge fait le bonheur des chirurgiens esthétiques et, souvent, le malheur des visages déformés par le Botox et les liftings jusqu’à devenir, au dire d’un réalisateur, « infilmables ». Des actrices de 60 ans refusent de jouer les mères d’actrices de 40, au prétexte qu’elles font « plus jeunes » que ces dernières, ou désirent jouer des rôles de femmes enceintes d’hommes de trente ans. « La vieillesse n’est pas dans mes projets », affirme l’une d’elles. 

A lire aussi: Julie Gayet aurait apprécié qu’on la prépare à… la ménopause!

Main basse sur le cinématographe massacre avec beaucoup d’humour les fables colportées par les professionnels du cinéma industriel. En plus de celles sur ces pauvres actrices soi-disant ostracisées à cause de leur âge, il y a celles sur les « fils de » et les « filles de » – il n’y en a jamais eu autant que ces vingt dernières années – qui se sont soi-disant faits tout seuls. La seule citation de la néantissime Léa Seydoux, fille, petite-fille et petite-nièce de personnes issues de deux des plus grandes familles de la bourgeoisie d’affaires françaises, dont certaines extrêmement influentes dans le cinéma, éclaire sur l’indécence et la bêtise de ces nantis qui aimeraient faire croire qu’ils ont du talent et qu’ils ont dû surmonter les plus grandes difficultés pour en faire profiter les spectateurs : « C’est la rue qui m’a éduquée. D’une certaine manière, je me suis élevée moi-même. J’avais toujours l’impression d’être orpheline. Je n’avais aucune structure. J’étais mal fagotée avec des chaussures trop petites. Et j’avais des poux. » Dans un autre genre, on se souviendra, ou pas, de la réalisatrice de Seize Printemps, navet vu par… 13 000 spectateurs. Comment se nomme la très jeune réalisatrice et actrice principale de cette daube narcissique que même Télérama a éreintée en s’interrogeant sur sa mystérieuse sélection à Cannes, en 2020, en compétition officielle ? Suzanne Lindon, fille de Vincent Lindon et de Sandrine Kiberlain.

Version 1.0.0

J’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir faire le numéro du CNC

De nombreux passages de ce livre sont également consacrés à l’argent public déversé sur l’industrie du cinéma par les départements, les régions, les ministères, la télévision publique et, bien sûr, le CNC et ses… cinquante commissions qui sont autant de robinets à fric – aides à l’écriture de scénarios, aides sélectives à la production, aides à l’écriture du jeu vidéo, aides à l’innovation en documentaire, aides à la fiction et à l’animation, aides “Images de la diversité”, etc. – et qui sont toutes présidées par des écrivains, réalisateurs, acteurs ou journalistes ayant pignon sur rue et favorisant parfois, sans aucune gêne, les projets des propres membres des commissions en question. Au nom de « l’exception culturelle », BHL, Rokhaya Diallo et de nombreux réalisateurs de bides retentissants sur les migrants, les banlieues ou le racisme dans la police, ont ainsi profité des largesses des institutions publiques, du CNC et même d’entreprises privées qui bénéficient alors d’une réduction d’impôts. Camille D. : « On ne cherche pas d’argent pour monter un film, on cherche une idée de film pour obtenir de l’argent. […] Donc, un producteur consulte les aides du CNC, des régions, etc., puis il appelle un cinéaste : “J’ai besoin d’un pitch de dix lignes sur la mixité dans les territoires avec dans le rôle principal une racisée amoureuse d’un djihadiste blanc : j’envoie le projet à la région Nord-Pas-de-Calais, à la fondation Benetton et à la commission Images de la diversité”. » Et peu importe que le film soit nul et ne soit vu par personne, puisque tout le monde a déjà été payé, des producteurs au réalisateur, de la star aux petites mains, ces fameux intermittents du spectacle exploités par un système industriel profitant abusivement des aides financières publiques.

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Quant au mythe de « l’artiste fragile et torturé », le réalisateur Camille D. le brise d’une phrase : « Je n’ai jamais connu d’acteurs fragiles, je n’en ai connu que des féroces. » Féroces, surtout, au moment d’obtenir un rôle, d’écarter un concurrent, de négocier le montant de la prestation puis de demander des aménagements particuliers pendant le tournage. Les mêmes sont pourtant particulièrement émotifs devant les journalistes. La misère du monde les concerne. Ils sont solidaires (des pauvres, des migrants, des femmes, des victimes du Covid, des SDF, etc.). « Je passe ma vie à écouter les autres », déclare Sophie Marceau au magazine Vogue. Et puis, ils veulent « sauver la planète », comme de bien entendu. Durant la crise du Covid, pendant une promenade « dans la nature » qui l’a visiblement chamboulée, l’actrice Audrey Dana s’est filmée en pleurs et tenant des propos hallucinants de niaiserie mais caractéristiques des faibles d’esprit adeptes de cette nouvelle religion de bazar qu’est l’écologie : « J’essaie d’envoyer de la lumière partout, le plus possible. Moi, j’ai personne qui meurt du coronavirus dans mon entourage. Mais j’ai mal à ma Terre. J’ai mal à ma Terre ! Je prie pour notre Terre, si fort, si fort, si fort  ! » Il y a des gens qui n’ont honte de rien : Audrey Dana a osé poster ce bredouillis insane sur son compte Instagram !


Changement radical de décor. Après sa formidable trilogie sur Le Monde d’après, Laurent Firode a réalisé une très réjouissante comédie poétique intitulée Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. Budget riquiqui mais imagination débordante, savoir-faire total, acteurs et actrices formidables. Résultat : une création qui nous enchante et nous fait oublier les entreprises d’abrutissement ou de propagande du cinéma industriel. En exergue de ce film, une citation de G.K. Chesterton : « Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles mais uniquement par manque d’émerveillement. » Émerveillés, tous les personnages de ce poème cinématographique le seront, d’une manière ou d’une autre. Et les spectateurs avec eux. Dès le début, la magie opère : le charme puissant d’une vieille dame rencontrée par hasard sur le banc d’un square à Montmartre embarque une mère et sa fille trentenaire vers un monde mystérieux. Au gré des vicissitudes ordinaires de la vie, d’autres personnages découvrent le monde invisible qui les entoure ainsi que celui que chacun porte en soi, l’immense continent des rêves, des sentiments réfrénés, des émotions enfouies et des terreurs enfantines. Faire redécouvrir le caractère extraordinaire des choses ordinaires, telle était l’ambition de Chesterton. Telle est celle de Laurent Firode qui, dans son film, prête à de simples objets des destins singuliers – un pendule, un singe en peluche, une boîte d’allumettes servent ainsi de jalons dans le dédale d’existences où le visible et l’invisible, le connu et l’inconnu, le réel et le rêve se mêlent. Les motifs d’émerveillement sont innombrables. Envoûtants ou insondables, ils illuminent miraculeusement de fugaces événements qui changent le cours de notre vie sans que nous le sachions toujours. Car il y a ce qui se voit mais aussi ce qui ne se voit pas et ne se laisse parfois deviner qu’à travers ces furtifs et merveilleux ou déroutants instants. Laurent Firode a imaginé quelques-uns de ces instants magiques et réalisé un film délicat, surprenant, tendre et parfois cruel, comme le sont souvent les contes, teinté d’humour et de poésie – un film idéal, donc, pour tenter de réenchanter le monde.  


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Info : Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas n’est visible pour le moment qu’à l’espace Saint Michel, 7 place Saint Michel, Paris 7.

Le DVD de ce film ainsi que celui de la trilogie Le Monde d’après sont en vente ici :

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Le réveil des peuples maltraités affole les mondialistes

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François Ruffin en campagne pour les législatives à Camon (80), 2 juillet 2024 © Charles Bury/SIPA

En Allemagne, la gauche rétablit pour six mois les frontières. En France, elle siffle François Ruffin qui a osé rompre avec la vision politique racialiste de Jean-Luc Mélenchon.


Dès ce lundi, l’Allemagne va rétablir pour six mois renouvelables des contrôles sur ses neuf frontières, dont celle avec la France (voir mon billet précédent). Ce week-end, à la Fête de L’Humanité, le député de la Somme, François Ruffin (ex-LFI), a été pour sa part sifflé par des ultras pour avoir rompu avec Jean-Luc Mélenchon et sa vision racialiste d’une société « créolisée » écartant les prolétaires blancs, assimilés de surcroit à des ploucs avinés et adipeux par le leader insoumis. Ces deux faits apparemment disparates ont un même lien : ils remettent en question la révolution cosmopolite construite sur le démantèlement des frontières et l’obsession du métissage. Ce changement civilisationnel, conduit depuis un demi-siècle dans l’entre soi des cercles mondialistes, vise à la constitution d’un monde consummériste indifférencié et remplaçable, y compris sexuellement. Ludovic Greiling, qui a été à la source de cette mutation en cours[1], croit ce bouleversement inexorable tant ses mécanismes semblent réfléchis, implacables. Il écrit : « Il nous semble (…) que la révolution se fait et ne se débat pas. Il y a quelque chose de trop vigoureux dans ces esprits ». L’auteur oublie néanmoins que ces choix impérieux n’ont jamais reçu l’aval des peuples concernés. Même si Greiling note : « Tout ou presque a été fait en sous-main, en tout cas avec une information inexistante auprès du grand public », il n’en tire pas la conséquence prévisible : la révolte des peuples trahis. C’est parce que les oubliés et les parias se réveillent, en Allemagne comme en France et ailleurs, que les mondialistes s’affolent.

A lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Antisémitisme : aux grands maux les grands mots

Observer les sociaux-démocrates allemands rétablir leurs frontières revient à constater l’échec de Maastricht, de Schengen et de la vision sans-frontièriste de l’Union européenne déracinée. Le « repli sur soi », tant fustigé par Emmanuel Macron dans ses odes à la société ouverte, est une réaction protectrice partout répandue. Les Français se disent à 77% pour de semblables contrôles (sondage CNews, dimanche). Michel Barnier serait d’ailleurs bien inspiré de les restaurer s’il veut répondre aux inquiétudes existentielles de « ceux d’en bas ». Quant à Ruffin, sa tentative de renouer avec la classe moyenne des périphéries, abandonnée par la gauche, révèle un sursaut tardif mais lucide. La dérive communautariste de LFI pousse ce mouvement à épouser sans retenue les combats de l’islam révolutionnaire et universaliste, vu comme un nouveau communisme pour tous (Allah en plus). Or les fanatiques du « village global » partagent avec l’extrême gauche une même fascination pour cette idéologie de conquête qui entend enrégimenter le monde grâce au djihad. À Rezé (Loire-Atlantique), jeudi, un élève se réclamant de l’État islamique a menacé de poignarder une enseignante. En France, près de 70% des jeunes musulmans placent l’islam au-dessus des lois de la République. C’est vers eux qui se tourne Mélenchon, qui refuse d’admettre, comme l’a révélé l’écrivain Arturo Perez-Reverte (Le Figaro, 1 er septembre[2]), qu’une partie de l’immigration musulmane souffre d’oikophobie, c’est-à-dire d’une haine de l’endroit où l’on vit. Les peuples maltraités sont aujourd’hui aux aguets. C’est une bonne nouvelle.


[1] Le monde qu’ils veulent. Lire et écouter nos élites pour comprendre l’évolution en cours. L’Artilleur.

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/arturo-perez-reverte-une-partie-de-l-immigration-musulmane-en-europe-souffre-d-oikophobie-la-haine-de-l-endroit-ou-l-on-vit-20240901

Tous violeurs?

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Gisèle Pelicot, Avignon, 10 septembre 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Le procès de Dominique Pélicot sera-t-il suspendu et reporté ? On peut le craindre. En attendant, Elisabeth Lévy redoute que le procès de Mazan se transforme en procès de tous les hommes.


Faut-il craindre que le procès de Mazan se transforme en procès des hommes ? Je ne fais pas que le craindre : c’est la petite musique qui monte. Elle repose sur un sophisme : ces violeurs présumés sont des « hommes ordinaires ». Tous les hommes sont ordinaires, donc tous les hommes sont des violeurs en puissance. Et puisqu’ « on est toutes Gisèle », comme le clamaient les manifestantes réunies samedi pour soutenir Madame Pélicot, alors tous les hommes sont un peu Dominique Pélicot…

Un féminisme pas banal

Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, dénonce le prétendu silence des hommes. Comme si seulement des femmes s’étaient émues ou indignées du sort de Madame Pélicot depuis 15 jours ! « Allons-nous voir enfin, que la culture du viol bénéficie de la solidarité masculine, écrit-elle (ah bon ?), et de l’impunité de nos institutions ? » (Non, je n’avais pas remarqué). Tout ceci est évidemment faux. Camille Kouchner, dans Libération et El Pais, publie une tribune intitulée « Ce sont simplement des hommes ». Dans son texte, elle nous parle d’un monde « où les hommes se permettent encore de croire qu’un mari peut disposer du corps de sa femme ». Les hommes, pas des, écrit-elle. L’auteur de La Familia grande voudrait que ce procès soit celui de la soumission chimique, mais aussi « celui de la violence patriarcale, de cette société qui n’en finit pas avec la culture du viol ». Et elle s’étonne de l’étonnement des observateurs autour de cette affaire : « Comme si les violences faites aux femmes n’étaient pas la norme » s’indigne-t-elle. Nous y voilà : la norme, ce seraient les violeurs, les prédateurs, les agresseurs… Félix Lemaître, journaliste, publie La nuit des hommes, une enquête sur la soumission chimique. Il y invite les hommes à « interroger leur socialisation ». Résumé de Libé : ce désir de posséder une femme inanimée n’est pas le fruit de quelques cerveaux malades, mais s’inscrit dans la domination masculine la plus banale, une culture du viol dans laquelle tous les hommes grandissent. Félix Lemaître affirme que « la soumission chimique n’est qu’une manifestation extrême d’une domination ordinaire, d’une culture et d’une socialisation banale », puis réfléchit au rapport à la fête et en arrive à la conclusion hilarante que « l’insouciance reste un privilège masculin ». La charge mentale commence en boite de nuit !

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Il est vrai que la plupart des violeurs sont des hommes. Mais, cela ne veut évidemment pas dire que la plupart des hommes sont des violeurs, pitié ! La majorité des empoisonneurs sont des empoisonneuses. Dit-on pour autant que toutes les femmes sont des empoisonneuses ?

Nombre de féministes invoquent la « banalité du mal », expression utilisée par Hannah Arendt pour le cas de Eichmann. On évoque aussi les « hommes ordinaires », titre d’un essai de Christopher Browning consacré à un bataillon de SS, qui nous parlait de braves pères de famille devenus des brutes sans nom. Mais, cet essai ne disait pas que tous les hommes étaient des criminels, mais que tous les hommes, comme toutes les femmes d’ailleurs, pouvaient le devenir. Et que personne n’était immunisé.

Récit délirant

Nous nous voyons imposer ce récit totalement délirant de l’impunité et de la prétendue complaisance de la société. Il suffit de faire une recherche MeToo pour voir que c’est faux. Ce récit repose sur la confusion habituelle des féministes entre la norme de la société et l’exception criminelle. Les violences sexuelles concernent pourtant 1/5 des détenus aujourd’hui, contre seulement 5% en 1980 : les choses ont donc évolué. Les violences sexuelles sont aujourd’hui unanimement condamnées socialement. On me rétorque qu’énormément de plaintes pour viol sont classées sans suite. En effet, la justice française ne condamne pas sans preuves. Mais pour des féministes (je dis bien des, moi), le progrès consisterait à ce que la justice condamne dès qu’une femme accuse.  

Le procès de Mazan est donc celui d’un homme et de ses complices, pas celui de la domination masculine. Mais pour certaines féministes, c’est l’occasion de régler des comptes historiques. À votre tour d’en baver, Messieurs ! Tous criminels ! Tous violeurs ! Elles nous fatiguent. Si vous n’aimez pas les hommes Mesdames, ce n’est pas grave, mais vous ne parviendrez pas à en dégoûter les autres.

J’ai une solution : transition de genre pour tout le monde ! Devenez des femmes, Messieurs, et nous vivrons enfin au paradis de la sororité !


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Dominique de Villepin, l’homme de droite préféré de l’extrême gauche

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Dominique de Villepin sur France inter. YouTube.

Les positions de Dominique de Villepin sur le Proche-Orient en font le chouchou de l’extrême gauche. Il était invité hier à la Fête de l’Humanité, où un meilleur accueil lui a été réservé qu’à l’ex-Insoumis François Ruffin lui-même! Il y a affirmé que « nos démocraties se sont égarées dans une surenchère sécuritaire et identitaire », et a estimé que la résolution de la question palestinienne était nécessaire à la création d’un « nouvel ordre mondial. » Comment expliquer que l’ancien ministre de Chirac, qui se revendique « non atlantiste » et « républicain », se retrouve sur la même ligne que les communistes ou les Insoumis concernant Israël ?


Dominique de Villepin, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien Premier ministre, a délivré sur France Inter le 12 septembre un discours rageur sur Israël et Gaza qui fait écho à l’antisionisme des banlieues islamisées et à celui de la France insoumise. Selon lui, les journaux ne parleraient pas du conflit (!) : « On a Gaza qui est sans doute le plus grand scandale historique des… je n’ose même pas donner de référence, Gaza dont plus personne ne parle. C’est le silence, la chape de plomb. Je suis obligé de googler pour trouver une brève… Ah ! C’est la guerre ! Mais ce n’est pas une guerre tout à fait comme les autres, puisque ce sont des populations civiles qui meurent… »

L’extrême gauche pense que la guerre d’Israël à Gaza est un génocide

L’explosion des actes antisémites à la suite immédiate du pogrom du 7 octobre, avant même que l’armée israélienne ait commencé sa guerre à Gaza contre le Hamas, l’acceptation sans vérification des allégations du Hamas concernant le nombre de victimes civiles, l’affirmation absurde que le monde assiste à Gaza au pire génocide de l’époque contemporaine, tout cela ne peut se comprendre sans connaître les ressorts universels de l’antisémitisme et son histoire.

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L’islam et le christianisme ont eu besoin de soumettre la religion juive qu’ils voulaient remplacer. Mais face à la résistance opiniâtre des juifs qui ne voulurent pas se convertir, ils en ont fait un Satan inhumain, cupide, dominateur, rival de Dieu, tueur de prophètes. Par la suite, la nouvelle puissance des juifs libérés du ghetto et de la ségrégation par la Révolution française et Napoléon suscita des peurs et des jalousies et renouvela en quelque sorte l’image satanique du juif dont la réussite ne pouvait s’expliquer que par la perfidie et la ruse. Cette fantasmagorie déjà présente dans le christianisme et l’islam des origines restait présente en effet dans l’histoire de l’Europe, depuis le Moyen-âge où les juifs furent accusés de mille diableries, dont le crime rituel, l’empoisonnement des puits et la propagation volontaire de la peste. On retrouve cette vision paranoïaque des juifs dans maints écrits, dont le fameux « Protocole des sages de Sion », très diffusé aujourd’hui encore dans tout le monde musulman. L’extermination des juifs par les nazis fut justifiée par une sorte de légitime défense face au bolchevisme supposé dirigé en sous-main par les juifs et face au capitalisme apatride des banques juives. Mais depuis la Shoah, les juifs ont appris à se défendre en ayant à la fois un État et une armée, ce que nombre d’entre eux souhaitaient depuis l’affaire Dreyfus et les pogromes antisémites de Russie (les premiers sionistes). La diabolisation persistante des juifs dans l’inconscient collectif chrétien et musulman prit alors pour objet l’État des juifs et ainsi l’antisémitisme put se réhabiliter par la grâce de l’antisionisme, les juifs restant ainsi toujours identiques à eux-mêmes pour les antisémites : cruels et dominateurs, tueurs d’enfants et d’innocents, et avides de conquête universelle. 

Un petit État-nation anachronique à l’heure de la mondialisation heureuse

Par ailleurs, depuis 1967, il est devenu très difficile, pour les personnes appartenant aux milieux éduqués dans l’esprit du « plus jamais ça », du nouveau pacifisme européen qui abhorre les nationalismes étriqués et guerriers, et voit dans l’Europe et la mondialisation la chance d’un monde ouvert et libéral, de garder une vision objective sur le conflit israélo-arabe. Israël, pour eux, est un État répulsif sur le mode des États-nations du passé. À cette première tare s’ajoute pour ces personnes de culture chrétienne devenues plus ou moins agnostiques, la deuxième tare d’un État fondé sur une religion. En tout cas, c’est ainsi qu’ils voient Israël, en méconnaissant totalement les aspirations nationales du peuple juif qui ne sont pas nécessairement liées à la religion. Ils adoptent sans discussion le narratif palestinien de la même façon qu’ils nient la gravité des problèmes d’islamisation dans de nombreux quartiers de France. Ils ont gardé du christianisme, réduit à des « vertus devenues folles » à la fois un certain masochisme qui les conduit au suicide civilisationnel, une tolérance apitoyée et aveugle pour leurs pauvres et un antisémitisme soigneusement refoulé. Ils sont ce que j’appelle des demi-sachants qui ne connaissent le conflit que par des lectures biaisées et partiales, en conformité avec leurs propres préjugés. La gauche, de son côté, qui avait les yeux doux pour un petit Israël menacé par toutes les armées arabes, voit depuis 1967 Israël comme un Goliath surpuissant face à de pauvres et faibles Palestiniens, et cette fantasmagorie correspond à son amour irraisonné et aveugle pour les damnés de la terre. L’antisémitisme traditionnel dans les cultures chrétienne et islamique s’allie désormais à un antisémitisme de gauche pour condamner et diaboliser l’État juif.

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Plus gravement encore, les bien-pensants juifs et non juifs ont gardé un esprit occidental qui ne comprend pas l’Orient arabe. Ils croient que les Palestiniens veulent seulement un État à eux, cet État qu’ils ont depuis 1947 toujours refusé d’établir à côté d’Israël. Ils ne comprennent pas que l’objectif des Palestiniens, poursuivi obstinément, c’est justement de ne pas voir exister un État juif souverain sur ces terres qui, selon eux, appartiennent de plein droit à l’islam, un pays de « colonialistes », d’ « étrangers » illégitimes. Les dirigeants palestiniens ne sont pas stupides. Ils savent ce qu’ils veulent et feront tout pour atteindre leur objectif. Pour eux, c’est cela qu’ils appellent la justice pour la Palestine et pour cette justice, ils sont prêts à tout sacrifier. La gauche israélienne elle-même, désormais en perdition, et les Européens, ne comprennent décidément pas bien les enjeux de ce conflit centenaire.

«Fortune de France»: (re)lire la saga de Robert Merle à l’occasion de la diffusion de la série

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France TV.

France 2 diffuse ce soir l’adaptation de la saga populaire historique de Robert Merle. La série Fortune de France nous plonge au cœur de la France des guerres de religion, au XVIe siècle. Mais comment la télé publique peut-elle réduire en six épisodes de 52 minutes pareille saga littéraire de 13 volumes ? À la réalisation, Christopher Thompson, lequel s’était attaqué au mythe de Bardot l’année dernière, on s’en souvient


Annoncée en grande pompe par France 2, la série Fortune de France sera diffusée sur la chaîne publique à partir de ce 16 septembre. Il ne s’agira ni d’un documentaire sur Bernard Arnault, François Pinault ou l’un des tycoons hexagonaux ! Ni d’une enquête sur les trésors de la Banque de France, mais bien une adaptation de la saga éponyme, rédigée par Robert Merle entre 1977 et 2003. L’occasion est idéale pour se replonger dans une fresque où le talent littéraire le dispute à l’immersion dans une période troublée de l’Histoire de France.

Plongée passionnante dans l’histoire de France

Dans le numéro estival de Causeur, consacré aux jeunes talents engagés dans le combat d’idées face aux forces déconstructrices, Eugénie Bastié conseillait la lecture de Fortune de France : c’est ainsi que j’ai commencé à me plonger dans le cycle romanesque cet été. Et puis, je fus autrefois passionné par une autre grande saga : Les rois maudits qui consacra Maurice Druon au panthéon de la littérature populaire.

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La somme littéraire de Robert Merle est une plongée dans la France de la seconde partie du XVIe jusqu’au mitan du siècle suivant, mêlant la petite et la grande histoire, personnages réels et fictifs, descriptions au cordeau des événements (épidémie de peste, vie et mort des souverains, siège de la Rochelle, bataille d’Ivry…) et balbutiements du cœur, où l’on se trouve, en compagnie de La Boétie, de la cauteleuse Catherine de Médicis ou de Michel de l’Hospital, mais aussi des nombreux anonymes : les nourrices « qui ont du lait à revendre », les valets, les artisans, les chambrières… 

Huguenots contre catholiques

Les tensions devenues guerres entre catholiques et protestants servent de toile de fond à l’histoire et chacun, dans ce conflit entre huguenots et papistes, se positionne selon sa foi, sa fidélité et souvent ses intérêts. Ainsi, les nouveaux convertis se voient bien marris de perdre cinquante jours chômés avec la suppression du culte des saints ; Pierre de Siorac, narrateur, choisit la voie de son père, mais garde, en vertu d’une promesse faite à sa mère agonisante, une médaille de la Vierge Marie autour du cou. Entre fidélité à la foi et à la patrie – face aux Anglais -, le choix est parfois tout aussi cornélien.  

La saga débute réellement dans le Périgord, non loin de Sarlat, dans cette France profonde et intemporelle, aux paysages marqués par les herbes folles, la pierre qui s’élève en châteaux, les cours d’eau qui serpentent et les moulins. Forcément, dans ce décor, on occit, on ripaille, on joute, on sonne des hallalis, on pille, on clabaude. Mais la trame ne reste cantonnée dans ce pré carré et visite les prairies, les bourgades et les villes empruntées, assiégées ou convoitées par les ambitieux et les puissants, d’ici et d’ailleurs.

Un peu court…

La série diffusée sur France 2 sera-t-elle à la hauteur des attentes ? Nicolas Duvauchelle (Polisse, La fille du puisatier…) incarnera Jean de Siorac ; Simon Zampieri, son fils Pierre ; et Lucie Debay, son épouse Isabelle de Caumont. A l’évidence, si l’on peut craindre une adaptation à l’eau de rose ou une réécriture à la mode woke, ne soyons pas d’emblée négatifs. La gageure sera néanmoins de taille tant il semble a priori difficile de réduire à six épisodes ce qui fait le sel d’une suite littéraire : la diversité des points de vue – des humbles comme des nantis -, l’évolution et l’élévation sociale des personnages, l’installation d’une atmosphère et surtout la subtilité de la langue.

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Et le principal talent de Robert Merle est certainement de manier celle-ci avec la dextérité d’un archer.  Le style est enlevé, parfois touffu, toujours brillant ; mieux l’auteur parvient à mêler les styles et les genres, français du XVIe et du XXe, parlers populaire et occitan – un dictionnaire est disponible en fin d’ouvrage (au hasard, « moussu : monsieur », « galapian : gamin », « s’ococouler : se blottir »). Dès lors, avant la diffusion de la série, il importe de se plonger dans quelques-uns des treize volumes. Avec un effet garanti : raviver la passion de l’Histoire, de la France et de ses personnages. 

Ce soir à 21h05 sur France 2.

Fortune de France, tome 1

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Contrôle des frontières ou gestion des populations?

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© M.ASTAR/SIPA

Nos voisins suisses ont proportionnellement plus d’immigrés que nous sur leur sol. Leur gestion originale des difficultés liées à l’intégration, par le bas, est à étudier de près.


Au début de ma carrière dans la recherche, je me souviens de la recommandation que m’avait faite un de mes patrons : « avant d’inventer quoique ce soit, commence donc par regarder chez les autres et surtout consulte les bibliothèques. S’il s’agit de résoudre un vieux problème, d’autres y ont certainement pensé avant toi ». Cette manière de procéder devrait inciter nos politiques à plus de modestie, les pousser à se renseigner sur ce qui se passe ailleurs plutôt que de mandater des amateurs qui ignorent tout d’une problématique donnée.
Le microcosme parisien croit qu’il suffit de dire « on ferme les frontières ». Cela n’a jamais empêché les infiltrations au travers des vastes étendues qui séparent chaque point de passage. Imaginez un immense terrain entouré d’une ligne imaginaire tracée au sol à la craie et en un point un portail réel, pensez-vous que les voyageurs passeraient par le portail pour éviter d’enjamber la ligne théorique? Les points de passage douaniers peuvent contrôler les gros transports de marchandises, obligés d’utiliser une infrastructure routière. Pour les petits véhicules, les deux roues, les piétons, il existe une infinité de passages possibles. Prétendre fermer les frontières est donc une stupidité.

L’exemple suisse

Même pendant la Seconde Guerre mondiale, il était possible de passer ; il fallait seulement surveiller les patrouilles et disposer d’une pince coupante. Je réside moi-même depuis 60 ans près de la frontière et je sais naturellement comment faire. Pensez-vous un instant que d’autres ne le savent pas ? La Suisse, depuis des siècles, maîtrise assez bien les flux migratoires ; elle gère sa population, c’est pourtant un pays démocratique. Voyons comment.
En Suisse depuis 1848, le pouvoir étatique est réparti entre la Confédération, les cantons et les communes. La Suisse comporte quatre langues nationales, une grande diversité géographique, des populations aux caractères et coutumes différentes, elle se caractérise par une étonnante cohésion nationale où la gestion de la population se fait sans heurt ou très peu, alors qu’il y a 30% d’étrangers. Cherchez l’erreur… Il existe des statuts différents pour les étrangers. Ces derniers peuvent résider en Suisse à des conditions bien précises.
En Suisse, les différentes compétences sont reparties conformément au principe de subsidiarité. Selon ce principe, la responsabilité d’une action publique est du domaine de compétence de la plus petite entité, c’est-à-dire la commune. Les tâches qui excèdent ses possibilités incombent au canton. Ce qui excède les possibilités du canton sont définies par la Constitution et dévolues au pouvoir central (politique extérieure et sécurité, douanes et monnaie, législation fédérale, défense). À titre d’exemple, l’éducation et la protection sociale sont de la compétence des communes. Je réside en Suisse depuis 60 ans où je paie mes impôts qui se décomposent ainsi : communaux 30%, cantonaux 40% et fédéraux 30%. On voit que la commune bénéficie d’une large autonomie.

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Un recensement annuel et automatique de la population permet aux trois niveaux de l’exécutif de planifier, développer des stratégies et prendre les décisions adéquates. Tout citoyen suisse est tenu de déclarer son arrivée au Service de la Population de la commune où il souhaite résider et cela sous huit jours. Il doit présenter un titre de propriété, un bail ou une attestation d’hébergement. Une procédure analogue est exigée pour les étrangers munis des autorisations d’entrée sur le territoire (à part les touristes). Les victimes de persécutions peuvent, elles, demander l’asile sous réserve d’avoir suivi la procédure en vigueur. Les citoyens appartiennent en premier à leur commune.
Les résidents autorisés peuvent demander leur naturalisation, ce qui implique que c’est la commune et non l’État, qui sera responsable de subvenir à leurs besoins en cas de nécessité. On comprend pourquoi les autorités communales y regardent à deux fois avant de donner leur accord à une demande de naturalisation. Le demandeur passe devant une commission municipale qui, après enquête, auditionne le candidat. Si la demande est finalement acceptée, une cérémonie officielle a lieu au siège du Canton avec prestation de serment et hymne national dont le candidat doit connaitre les paroles.
La Suisse comme l’Italie et l’Autriche applique le droit du sang. L’attribution de la nationalité n’y est pas automatique. Quiconque séjourne durablement en Suisse doit s’y intégrer. Cette intégration est comprise comme un processus auquel sont associés la population suisse et les étrangers. Les étrangers bien intégrés peuvent donc se faire naturaliser. La naturalisation dont les critères sont fixés au niveau de la Confédération, est donc du ressort de la Commune. Si les personnes voient leur demande d’asile ou de séjour rejetée, elles sont tenues de quitter le territoire volontairement ou sous contrainte. Des aides sont prévues à cet effet.

Petit pays, petits problèmes ?

Les problèmes de gestion de la population suisse sont quasiment identiques à ceux de la France, seule la méthode et les moyens diffèrent.
Certains diront que les échelles ne sont pas les mêmes, que cela n’a rien à voir. En effet, le traitement des dossiers part du niveau communal, c’est-à-dire au plus près de la population, alors qu’en France c’est exactement l’inverse. La commune est libre d’accepter ou de refuser la présence d’un individu. À partir de ce constat, peu importe la surface du territoire, la longueur et la perméabilité de ses frontières. En offrant l’asile ou la naturalisation, la commune d’origine doit considérer le risque qu’elle prend. Ainsi, sans domicile, il est impossible d’avoir une carte grise, le téléphone, une urgence dans un hôpital sera immédiatement connue des autorités, etc…, les logeurs clandestins risquent de lourdes poursuites pénales.
La surface de la France métropolitaine est de 551.500 km2 comparée à la Suisse 41.300 km2. La France possède 2913 km de frontières et 3427 km de côtes contre 1882 km de frontières pour la Suisse. Le bon sens montre qu’un contrôle efficace des passages en dehors des postes-frontières est illusoire. En plus des contrôles aux postes-frontières, un système de gestion des populations s’impose et cela au plus près des lieux de séjour, c’est-à-dire la Commune. L’appartenance à une commune précise entraine pour cette dernière une obligation de fournir à son citoyen des moyens de survie au cas où ce dernier viendrait à sombrer dans l’indigence par exemple et quel que soit son lieu de résidence. Pour avoir passé des milliers de fois les frontières, je peux témoigner que les douaniers, même aux points de passage principaux, sont dans l’incapacité de contrôler effectivement tous les véhicules ; cela déclencherait des émeutes. Ils en sont réduits à agir par échantillonnages.
La population de la France est évaluée à 67 millions d’habitants dont peut-être 23% d’étrangers. Celle de la Suisse est de 8 millions dont 30% d’étrangers. On pourrait donc penser que la présence d’étrangers en Suisse serait plus difficile à gérer qu’en France, or ce n’est pas le cas. Le traitement par le bas des demandes qui se présentent est sans doute le remède à la lourdeur et à l’inefficacité de la centralisation administrative que l’on constate en France. Il nous faudrait peut-être un jour sortir du jacobinisme, mais ça, c’est une autre histoire. Un cas français parmi d’autres semble inextricable, celui de la Guyane. Là-bas, il est hors de question de contrôler les frontières. En revanche un système analogue à celui de la Suisse, appliqué humainement mais strictement, devrait pouvoir fonctionner et maitriser les flux en provenance des pays limitrophes. Les militaires ont coutume de traiter les problèmes suivant le schéma : Mission, Terrain, Moyens. La mission étant connue, le terrain aussi, reste à choisir les moyens. La France ferait totalement fausse route en prétendant fermer ses frontières, c’est une pure chimère. La Suisse elle, semble avoir traité le problème de la population de manière logique et démocratique, pourquoi ne pas s’en inspirer ?

Avec Pierre Adrian, on pardonne tout à Cesare Pavese…

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L'écrivain italien Cesare Pavese (1908-1950). Wikimedia commons.

Dans Hotel Roma (Gallimard, 2024), Pierre Adrian part sur les traces de Cesare Pavese et revient sur les derniers jours de l’auteur du Bel été


J’ai toujours préféré, aux forces de la nature, les faibles, les fragiles. Aux « grandes gueules », les timides et les intelligents du verbe. C’est à cause de cette pente qui ne m’a jamais quitté que le destin de Cesare Pavese a été une fascination constante.

Le 27 août 1950, un dimanche à Turin, dans la chambre 49 de l’hôtel Roma, Cesare Pavese s’est suicidé en avalant une dose mortelle de somnifères. Il a été découvert allongé sur le lit, en bras de chemise, les chaussures enlevées. Sur la table de chevet, sept paquets de cigarettes vides. Sur la première page de ses Dialogues avec Leuco, son œuvre préférée, Cesare Pavese avait écrit avec son stylo noir ces quelques mots : « Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. Ça va ? Pas trop de bavardages ».

Pour notre part nous n’avons rien à lui pardonner et si nous pouvions être tentés de lui reprocher cette fin résolue et prématurée à 42 ans, le beau et sensible livre de Pierre Adrian Hôtel Roma nous en aurait dissuadés aussitôt. Pourtant j’éprouvais une inquiétude initiale, vite dissipée : que le récit fût davantage consacré à l’auteur vivant qu’au mort illustre. Ce qui heureusement n’a pas été le cas puisque les déambulations italiennes de Pierre Adrian ont tourné autour de Cesare Pavese, de ses lieux, de son entourage, de ses passions et de ses mélancolies.

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Comment craindre que Pierre Adrian ait pu être influencé par « la noirceur de Pavese »– selon un article dans Causeur – alors qu’au contraire il nous montre que depuis l’enfance jusqu’aux derniers jours pathétiques d’appels au secours non entendus, celui-ci était déjà obsédé par le suicide ; une solution radicale pour lui qui était inapte au « métier de vivre », le titre de son journal intime.

Je n’ai pu m’empêcher de penser au Feu follet de Drieu la Rochelle avec cette différence fondamentale que Pavese a été tenaillé toute son existence par le désir de s’effacer. Même si ceux qui l’entendaient l’évoquer pouvaient en douter, lui n’ignorait pas que cette morsure intime, un jour, trouverait son tragique accomplissement.

Pierre Adrian © Editions Gallimard

Amertume chronique

J’écris « tragique » mais je suis persuadé que lui-même n’aurait pas qualifié telle cette issue, tant l’évolution du monde, de la société, leur défiguration par rapport au bonheur de ses origines rurales, dans cette vie paysanne chassée par l’urbanisation et l’industrialisation, dont il a eu sans cesse douloureusement la nostalgie, ses propres difficultés d’être et de pouvoir aimer charnellement, sa conscience à la fois de vouloir rejoindre les autres et de ne pas le pouvoir, ne pouvaient que le conduire inéluctablement vers ce suicide, précédé, durant quelques jours, par la recherche éperdue non pas d’un visage, d’un cœur ou d’un bras pour le dissuader mais pour lui donner au moins l’illusion de dernières douceurs. Cette jeune fille qu’il a rencontrée, immédiatement qualifiée d’amour et qui, alors qu’il désirait la revoir le samedi 26 août, le rejette parce qu’elle l’avait trouvé triste et peu agréable. Bien avant, cette liaison de quelques semaines, miraculeuse par l’union des corps, avec une jeune actrice américaine qui, n’ayant plus répondu à ses courriers, découvrit à sa mort qu’il était célèbre.

Il y a eu quelques constantes dans le parcours de cet homme et de cet écrivain d’exception. Une sorte de désengagement militant : communiste mais rétif au grégarisme ; pas de résistance affichée au fascisme mais distribuant en solitaire des tracts contre la bombe atomique. Il avait le courage d’un pessimiste qui ne se paye pas de mots – pas de « bavardages » ! – et une amertume qui, pour être chronique, visait juste et profond. Elle contraignait chacun, comme le chanterait Jean-Jacques Goldman, à « veiller tard » sur les ombres et les mystères de la condition humaine.

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En compensation à sa désolante perspicacité sur lui-même et sur ce dont il manquait cruellement – être aimé pour lui-même, totalement, et pouvoir tout rendre en retour -, il y a quelque chose d’émouvant dans son aspiration à la félicité des origines, de l’enfance, à caresser la magie de l’être qui vous attend, qui vous espère, de la maison chaude et de l’amitié. Il y a les départs, les éloignements mais pour revenir.

Cette sensibilité venant attendrir, consoler les terres arides d’une impitoyable absence d’illusions, fait apparaître que peut-être le cours de la fatalité aurait pu être détourné, que le suicide aurait pu ne pas être cette destination obligatoire gangrenant, en amont, les rares instants de plaisir ou d’espérance.

Empathie et compréhension

Dans les dernières journées de Pavese, ceux qu’il cherche à rencontrer sont absents. Il n’y a plus personne dans cette ville étouffante. S’est-il senti abandonné ? Probablement aurait-il désiré un mot, un souvenir, une fraternité professionnelle – il adorait se rendre dans les salles de rédaction -, un signe, une écoute, une intuition mais rien ne lui aurait fait manquer le rendez-vous qu’il s’était fixé à lui-même le 27 août en ce dimanche.

Loin de s’être laissé assombrir par le destin de Cesare Pavese, Pierre Adrian, au comble du talent et de la délicatesse, lui oppose certes sa joie d’être mais lui offre surtout empathie et compréhension. Un superbe salut d’un écrivain à un autre. Il nous rend fraternelle cette personnalité déchirante, obstinée dans la défaite.

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