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Hollande, le meilleur candidat PS de la droite.

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Couverture de Paris-Match 17 mars 2005

Il y a tout de même quelque chose de paradoxal à voir l’acharnement avec lequel la droite tape sur François Hollande depuis quelques jours. Inutile de préciser ici que, depuis le début, François Hollande me semble le pire candidat possible pour la gauche en 2012. Je suis effectivement un peu injuste, il y avait pire : il y avait Dominique Strauss-Kahn et la gauche pourra dresser dans la cour de l’Elysée une statue à Nafissatou Diallo si elle gagne quand même en 2012. Imaginons simplement que le scandale ait éclaté ces jours-ci : on peut raisonnablement penser que François Fillon malgré ses plans de rigueur et Nicolas Sarkozy malgré son inféodation de plus en plus grande à l’Allemagne, auraient eu raison sans trop de peine de l’ex-sauveur de la planète et de la France.

Il me semble bien que DSK avait été décrété meilleur candidat possible de la gauche. Pas par la gauche, ne rêvons pas. Il y a belle lurette que la gauche ne choisit plus ses candidats. Ce sont évidemment la droite et les instituts de sondage ou les médias acquis à la doxa libérale qui le font, c’est tout de même beaucoup plus pratique. En son temps, César préférait toujours avoir pour ennemi au sein du Triumvirat un Crassus aveuglé par la cupidité qu’un Pompée, brillant général doté du sens de l’Etat.
Ainsi, depuis 2007, la droite et ses relais ont-ils pris l’habitude de choisir le champion de la gauche selon quelques critères simples : fragilité personnelle, fragilité idéologique et, dans l’éventualité d’un hasard malheureux qui l’aurait fait gagner quand même, pour ne pas tout perdre, une compatibilité avec ce qui est bien, ce qui va de soi, c’est à dire une acceptation polie de la loi du marché. On a eu Ségolène Royal, on a failli avoir DSK et maintenant on a François Hollande.

On objectera qu’il a gagné la primaire socialiste haut la main. En même temps, quand sondage après sondage on vous donne gagnant haut la main et que sur les plateaux et dans la colonne des journaux, on explique sans rire à longueur de temps que sa seule challenger sérieuse, Martine Aubry, est une bolchévique étatiste, voire une islamo-gauchiste, le score de Hollande s’explique tout de suite beaucoup mieux.

Petite parenthèse, nous avons dit ici tout le mal que nous pensions des primaires et si nous y avons participé, c’est au nom du principe de réalité. Il n’empêche : toutes les études indiquent que si la désignation du candidat socialiste avait été confiée aux militants socialistes, c’est-à-dire à des gens qui paient des cotisations et participent à des réunions ou des tractages depuis des années, Hollande ancien Premier secrétaire flou aurait été écrasé par Martine Aubry, nouvelle Première secrétaire punchy qui a tenu de main de maitre la baraque de Solferino pendant le séisme DSK. Mais bon, à en croire les commentateurs, elle n’avait « pas vraiment envie », j’imagine qu’ils avaient raison puisqu’un commentateur sait mieux ce que pense l’homme politique que l’homme politique lui-même.

Donc, c’est François Hollande. Et depuis que c’est François Hollande, la droite mitraille à tout va. Le type qu’elle trouvait hier encore raisonnable, compétent, humain est devenu un nul sans énergie au programme démagogique et irréaliste, qui préfère se promener à la Foire du Livre de Brive plutôt que d’aller au G20, qui s’empêtre dans des discussions avec les écologistes sur le nucléaire alors que l’urgence est de sauver ce qu’il reste d’indépendance nationale face à l’internationale de la spéculation. Il a eu beau objecter avec un vrai bon sens corrézien qu’il ne pouvait pas être invité au G20 puisqu’il n’était pas encore Président, peu importe, on sait déjà qu’il y aurait été inexistant. Il doit trouver ça un peu dur, Hollande. Par exemple quand il se fait descendre en règle par Fillon alors qu’il n’a cessé de proclamer que lui aussi appliquerait la rigueur et qu’il ne se sentait tenu que de très loin par le projet socialiste, il doit se demander si c’est vraiment une bonne idée d’être « réaliste », comme on dit. Résultat, non seulement on continue à chanter l’air de la seule politique possible, comme on le voit avec les gouvernements « techniques » imposés à la Grèce et à l’Italie, d’autre part on désespère les derniers vestiges de Billancourt.

En effet, quel est l’intérêt de voter Hollande si c’est pour endurer la même rigueur ? C’est sans doute là-dessus, d’ailleurs, que Sarkozy mise ses derniers kopeks : une espèce d’indifférence des électeurs devant un duel qui s’annonce comme celui de la rigueur libérale contre la rigueur social-libérale ou de l’austérité de centre-droit contre l’austérité de centre-gauche.
Quitte à écouter les sarcasmes qu’il suscite, Hollande ferait mieux d’écouter ceux qui viennent de sa gauche, de Mélenchon en l’occurrence, qui l’a aimablement affublé du titre de « capitaine de pédalo ». Il comprendrait qu’au-delà du bon mot, c’est toute la gauche qui se désespère de ne pas avoir un candidat crédible et qui, pourtant, devra bien voter pour celui-là, que ce soit au premier ou en tout cas, mais rien n’est jamais joué, au second.

Pékin : un soft power pas si mou

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Peu à peu Pékin perce chacun des secrets de la puissance occidentale. Après la bombe atomique, les technologies spatiales et le TGV, voici que l’ingéniosité chinoise vient de mettre à jour, après de longues et pénibles recherches sur le net et ailleurs, la recette de la puissance médiatique et culturelle occidentale. Elle comprend, si l’on en croit la rubrique « Les articles les plus lus » du site en français de la très officielle agence Xinhua, trois ingrédients principaux : du cul, du cul, du cul -plus un poil d’infantilisation harrypotterienne.

Entre « Le Palmarès des hommes les plus sexy de la planète » et les « Photos intimes volées de Justin Bieber et Selena », en passant par une certaine Natalia Avseenko qui danse nue avec les bélugas, sans oublier « Les tatouages de Lady Gaga », on sait désormais à quoi se résume la proposition civilisationnelle de la Chine, dont la culture, selon les termes même de son Président Hu Jintao, serait bonne non seulement pour les Chinois, mais pour le monde entier. Bref, la culture chinoise « elle est trop bonne », comme on dit élégamment dans nos quartiers et ailleurs. Si l’on sacrifiait à certains clichés ayant cours sur cette petite péninsule asiatique que l’on appelle encore l’Europe, on dirait que c’est un peu court…

Heureusement que Jean-Pierre Raffarin, grand ami de la Chine, et qui a cosigné il y a peu (avec son épouse) un petit livre en chinois humblement intitulé Ce que la Chine nous a appris joue aux entremetteurs en se livrant en ce moment à une campagne acharnée pour rassurer l’Europe sur les intentions de notre futur partenaire de jeu chinois. Qui toujours à en croire notre apprenti JiPé la saumure « ne recherche pas la domination en Europe ». Aller! Après nous avoir expliqué à nous autres, puceaux de la restructuration de la dette, qu’il ne fallait pas avoir peur, qu’on aurait peut-être un tout petit peu mal au début mais qu’on finirait par aimer ça, explique-leur Jean-Pierre, à ces satanés Chinois que ce n’est pas seulement sur les Nippons que la Chine peut faire pression, chez nous aussi, le SM est à la mode! Avec l’Europe dans le rôle du soumis.

Poppy 1 – Bleuet 0

Bleuet et poppy. Photo : bpmm.

Si l’envie vous prend de vouloir tirer une leçon de la cérémonie de commémoration du 11 novembre, allez regarder du côté du football. Oui, je dis bien du football. Vendredi 11 novembre, la France a remporté d’un but la victoire face aux Etats-Unis. Samedi 12, c’était au tour de l’Angleterre de gagner le match amical contre l’Espagne.

L’intérêt de ces matchs ne réside ni dans la qualité du jeu ni dans le résultat, mais dans leur dimension symbolique.

Avant le coup d’envoi, le stade de Wembley a observé une minute de silence et le traditionnel poppy (coquelicot) était sur tous les maillots des joueurs de l’équipe d’Angleterre. Rappelons que cette fleur symbolise le sang versé dans les terribles tranchées des Flandres ainsi que le sens du sacrifice et de l’honneur dont firent preuve les anciens combattants. Une semaine auparavant, la Fifa avait néanmoins refusé le port de ce symbole prétextant que le poppy allait à l’encontre des lois internationales du football qui interdisent d’afficher tout signe à caractère politique, religieux ou commercial pendant les matchs internationaux.

Or les Anglais n’apprécient guère qu’on s’en prenne à leurs symboles. Grâce au tollé populaire, au lobbying obstiné du sélectionneur, Fabio Capello, au mécontentement des joueurs diffusant des tweets d’indignation et à l’intervention salutaire de David Cameron et du Prince Williams himself, l’équipe d’Angleterre a finalement obtenu gain de cause.

L’équipe de France de football, elle, a chaussé ses crampons le 11 novembre, mais ce fut comme si elle jouait un match comme les autres. Le timide appel du bleuet lancé par le Député UMP Patrick Beaudouin le 9 novembre n’a visiblement pas été entendu.

Épris d’un patriotisme de la dernière heure, le député du Val-de-Marne, gaulliste de cœur et sarkozyste de raison, avait sollicité le Président de la Fédération Française de Football pour que les joueurs arborent le fameux et trop oublié bleuet lors du match contre les Américains le soir du 11 novembre. En vain. Le député Beaudouin a peut-être cru que l’association de soutien aux victimes de guerre, Bleuet de France, jouissait d’un dynamisme et d’une popularité semblable à la Royal British Legion et que le bleuet, comme le poppy, serait proposé dans tous les magasins et cafés, irait fleurir cravates, écharpes, pulls, déferlerait sur les sites Internet de nos journaux et aurait une page Facebook dédiée.

Bref, le député Beaudouin s’est cru en Angleterre, où la transmission de la mémoire se conjugue au présent, où le 11 novembre ne se commémore pas le jour J, mais est vécu avant et après. Dès la mi-octobre, quelque soit l’âge, le sexe ou le statut social, l’ensemble de la société arbore fièrement le célèbre poppy. Et lorsque la onzième heure du onzième jour du onzième mois sonne, l’agitation de Trafalgar Square cesse, le silence se fait pendant deux longues minutes avant qu’une nappe de milliers de poppies vienne recouvrir l’eau de la fontaine. Chaque année, le Poppy appeal est couronné de succès.

Chez nous, le bleuet, simple fleur sans signification historique, ne fleurit pas nos boutonnières. Ici, le 11 novembre correspond à une commémoration officielle qui fédère le temps d’un rendez-vous cathodique. Chez nous, le lien entre les individus se vit à travers le prisme des luttes sociales, mais n’est pas rattaché à la vision historique d’un passé connu, reconnu, symbolisé, aimé et respecté. La médiasphère arbore bien volontiers le ruban du Sidaction et s’étourdit avec les chiffres du Téléthon, mais n’accorde pas le droit de cité au bleuet. À croire que les 1,4 millions de soldats morts sur le champ de bataille, bilan presque deux fois plus lourd que celui de nos alliés britanniques, ne le méritent pas.

Au lieu de tomber dans l’écueil du patchwork commémoratif, Nicolas Sarkozy aurait peut-être dû remettre au goût du jour le bleuet et faire sienne la phrase du Maréchal Foch :
« Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir… »[1. Pour plus d’infos, comparez le site de la Royal British Legion et celui du Bleuet de France.].

PS : Réjouissons nous mais pas trop vite !
L’appel du Député Patrick Beaudouin a bien été entendu par la FFF. Les joueurs de l’équipe de France ont bien porté le Bleuet lors du match contre les Etats-Unis le soir du 11 novembre.
Néanmoins, la comparaison avec nos amis Anglais reste évidente. Les joueurs de l’équipe d’Angleterre ont porté le « poppy » brodé sur un brassard noir pendant les 90 minutes du match après avoir respecté religieusement une minute de silence, tandis que l’équipe de France a arboré le bleuet seulement pendant les hymne nationaux.

De Wall Street au Caire : nudités variées

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Nous avions déjà marqué ici notre sympathie pour le côté extrêmement sexy du mouvement Occupy Wall Street. S’il peut paraître relativement aisé aux USA de faire de son corps et de sa féminité des arguments révolutionnaires, cela semblait en revanche mission impossible dans les pays en proie au « printemps arabe ». Les Cassandre assermentées nous expliquent en effet que ça y est, les islamistes ont déjà gagné la partie Il est vrai que d’un point de vue esthétique, on pourra regretter les gardeuses du corps de Kadhafi qui, moulées dans leurs impeccables treillis, étaient une vraie publicité pour le régime de l’horrible dictateur lynché et remplacé depuis grâce à notre intervention par des hommes pour qui une femme avec un flingue, c’est hors de question, des fois qu’elle soit moyennement d’accord avec la charia et l’idée de se promener voilée.

En tout cas, cette fois-ci, c’est en Egypte que le corps exulte et que la courageuse Aliaa Elmahdy, une jeune Egyptienne qui a participé à la révolution du 25 janvier, a publié sur son blog une photo d’elle-même nue. C’est visible ici.

Cela fait pas mal de bruit dans le landernau pré-électoral égyptien et surtout si besoin en était, cela prouve que Louis Scutenaire, un des plus aimables surréalistes belges et génial auteur d’aphorismes avait raison quand il disait : « Une femme nue n’a jamais fait de mal à personne. » En revanche, pour renvoyer à leurs névroses sexuelles et autres refoulements les intégristes de tout poil dont le point commun est la grande angoisse du plaisir féminin, il n’y a pas d’arme plus efficace.

Amiante : les victimes sont-elles coupables ?

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Chaque année, en France, 2000 personnes meurent des « cancers de l’amiante ». Ils ne font pas la « une » des médias. Ils ne sont pas reçus à l’Élysée. Leur photo n’est pas placardée dans nos villes. Ce sont des ouvriers ou des retraités de l’industrie, des gens simples dont le seul crime est d’avoir travaillé de longues années et sans protection au contact d’un matériau éminemment toxique, pour des employeurs non pas inconscients mais cyniques.
Notre société se targue d’avoir redonné aux victimes la dignité et le statut qu’elles méritent – au point qu’on a pu dénoncer, et à raison, les ravages de la victimisation et les excès de l’idéologie victimaire. Pourquoi, alors, aujourd’hui, tant d’indifférence pour les malades et pour les morts de l’amiante, qui sont les victimes d’une catastrophe industrielle majeure, d’une ampleur jusque-là inédite dans l’histoire de notre pays ? Est-ce parce qu’ils sont pauvres ? Parce qu’ils sont vieux ? Parce que leur tragédie n’est pas aussi spectaculaire qu’un coup de grisou ou une explosion chimique ?

Oui, l’amiante tue.[access capability= »lire_inedits »] Elle tue silencieusement et elle tue lentement, frappant des années après ceux qui lui ont été exposés, leur infligeant, même quand elle ne leur ôte pas la vie, des souffrances indicibles et des traumatismes irréversibles.
Ces victimes ne demandent pas notre pitié mais notre respect. Elles ont droit à notre humanité, mais plus encore à notre solidarité. Faut-il rappeler que c’est pour construire des écoles, des universités et d’autres bâtiments – qu’il a fallu ensuite « désamianter » pour protéger les citoyens – que ces hommes et quelquefois ces femmes ont perdu la vie ?

Or, au lieu d’honorer ces familles endeuillées et de les assurer du soutien de la collectivité, les autorités de l’État, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) − et la justice de la République viennent de leur infliger un camouflet. C’est le premier mot qui vient à l’esprit pour qualifier la surprenante décision de la cour d’appel de Douai qui, le 27 octobre, a condamné les victimes de l’amiante et leurs familles à restituer une partie des indemnités perçues. La France en est-elle là, à réclamer à des pauvres gens que le malheur n’a pas épargnés les quelques milliers d’euros qui leur ont permis de faire face aux difficultés matérielles, parfois en payant les dernières traites du crédit du pavillon acquis par des années de travail, d’autres fois en leur permettant simplement de joindre les deux bouts, d’autres fois encore en finançant l’achat d’une voiture pour le fils au chômage ou le salaire d’une garde-malade ? Assisterons-nous au spectacle insupportable de familles expulsées de leur logement ou dépouillées par des huissiers de leurs meubles ou de leurs voitures ? Est-ce ainsi que l’on rend la justice « au nom du peuple français » ?

Mais pour que la justice se prononce, il faut qu’elle ait été saisie. Avant même d’interroger la conscience des magistrats, notre devoir, à nous tous citoyens, est d’interpeller les pouvoirs publics. Lorsque le FIVA a été créé, en 2000, les autorités politiques semblaient avoir pris la mesure de la catastrophe industrielle et humaine et paraissaient prêtes à assumer leurs responsabilités. Aujourd’hui, non seulement le FIVA est à l’origine de cette injustice, mais sa directrice ose s’en prendre à ceux qu’elle a reçu mission de défendre, d’aider et d’indemniser. Les voilà présentés comme des fraudeurs, demandant à être indemnisés deux fois pour le même préjudice, encaissant de l’argent qu’ils savent ne pas être le leur pour le faire fructifier.

L’ironie du sort veut que soit la même juridiction (mais évidemment pas les mêmes magistrats), la cour d’appel de Douai, qui, en 1999, avait imposé pour la première fois en France une compensation financière à la hauteur du préjudice subi, qui exige aujourd’hui le remboursement d’une partie des sommes versées. De Douai à Douai : la différence entre ces deux décisions résume-t-elle l’évolution de notre société ? On se refuse à le croire
Pour comprendre ce qui s’est passé, un retour en arrière s’impose.
Lorsqu’il y a douze ans maintenant, le scandale de l’amiante a éclaté et qu’ont été révélées les conséquences dramatiques de l’exploitation de ce matériau dont la dangerosité était connue depuis fort longtemps, les victimes ont enfin pu bénéficier d’une indemnisation décente. Car les industriels de l’amiante savaient ; et non seulement ils n’ont rien dit, mais ils ont au contraire œuvré − y compris sur le plan international − pour dissimuler le plus longtemps possible l’étendue du désastre humain. S’il y a une affaire dans laquelle on ne peut évoquer ni la fatalité ni l’ignorance, c’est bien celle-là. Et pourtant, ces industriels, qui sont les véritables responsables, n’ont pas été sanctionnés.

D’abord parce que notre système de protection sociale a joué avec efficacité le rôle qui lui est imparti par la loi, c’est-à-dire celui d’un assureur qui fait l’avance des indemnisations de telle façon que la victime soit en tout état de cause couverte.
En jouant habilement avec les textes, les employeurs ont réussi à échapper aux recours intentés par la Sécurité sociale, qui a dû supporter seule le poids de l’indemnisation.

Ensuite, aucune conséquence pénale n’est à ce jour intervenue. Les plaintes déposées en 1996 contre les mêmes industriels sont encore aujourd’hui à l’instruction. À ce rythme, les responsables auront tous disparu avant que le procès pénal de l’amiante ait lieu…

Nous sommes donc dans une situation tout à fait saisissante : d’un côté, on prend en compte l’injustice commise, mais de l’autre, les responsables jouissent d’une impunité totale.

À cela s’est ajoutée la nécessaire prise en compte des victimes « environnementales » − au-delà de celles qui avaient contractées des maladies pulmonaires en travaillant le matériau. C’est dans cet esprit et aussi pour permettre une indemnisation extrajudiciaire, donc rapide, qu’à été créé le FIVA.

Il est vrai que l’ampleur du désastre a dépassé toutes les prévisions, entraînant des demandes d’indemnisation bien plus nombreuses que prévu, alors même que des scientifiques évoquaient le chiffre de 100 000 morts en 2020. Aussi a-t-on rapidement eu le sentiment que le seul objectif du FIVA était de faire des économies. Et comment pouvait-il le faire, sinon sur le dos des victimes ?

Au fond, nous observons aujourd’hui une perversion du système mis en place avec les meilleures intentions. En se désintéressant des responsabilités réelles, en défaisant le lien nécessaire entre coupable et payeur, entre faute et réparation, on a favorisé la bureaucratisation du dispositif. À l’arrivée, des drames humains ne sont plus traités qu’en termes de gestion financière et de rentabilité.
Des victimes sommées de rembourser, des industriels jouissant paisiblement de la retraite dont ils ont sciemment privé leurs ouvriers, une représentante de l’État qui montre du doigt ceux qu’elle est chargée d’aider – ce qui devrait justifier sa démission immédiate : que ce scandale ne fasse pas scandale montre que la classe ouvrière est bien, dans notre pays, la grande oubliée de l’Histoire.[/access]

Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.

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Le pouvoir n’a plus le pouvoir

Il n’est pas interdit d’imaginer qu’on fera bientôt une croix sur les gouvernements démocratiques d’Europe comme on en fit il y a très peu de temps sur les despotes arabes.

Imaginons que Nicolas Sarkozy, lors d’un petit déjeuner avec Jacques Sapir et Claude Guéant, projette vaguement, en suivant le fil de sa pensée tout en palabrant, de virer Fillon à quatre mois de la présidentielle et de nommer Nicolas Dupont-Aignan à Matignon, de faire déguerpir de leurs bureaux vides de pouvoir tous les ministres de paille et de constituer une sorte de gouvernement de guerre, ultra resserré, pour entamer la sortie de l’euro à marche forcée.

Entre le croissant et le deuxième café, Guéant lâche une boutade : « Un référendum sur le retour au Franc, dans un mois, trois mois avant la présidentielle. On l’emporte, Hollande est balayé. Ce référendum, Nicolas, ce sera ton Pont d’Arcole, ton 18 juin ! ». Jacques Sapir sort un peu halluciné du petit déj’ et envoie un texto à son pote Emmanuel Todd : « Putain, Sarko veut organiser un référendum sur le retour au Franc et nommer Dupont-Aignan à Matignon ! ». Todd, qui traîne ce matin-là dans les locaux de France Culture où il tient chronique, fait lire le SMS à Jacques Julliard à 7h39, invité à la causerie, qui lui répond goguenard « je crois que Sapir surchauffe un peu avec la crise ».

Julliard s’ouvre à ses collègues, dans la matinée, du curieux SMS. En un coup de fil à Guéant le malentendu est résolu. « Oui, j’ai invité Sapir pour faire entendre à Nicolas une autre musique, et on a un peu phosphoré, mais rien de plus ». Mais voilà, l’anecdote fait vite le tour des rédactions via twitter, la rumeur d’un référendum se propage et devient une information à la une du site internet de France Soir à 11h32. Reprise illico sur BFMTV elle devient un coup de tonnerre mondial une demi-heure plus tard sur CNN. Panique générale sur les marchés, Fitch qui tenait Sarkozy à l’œil fait dégringoler la note de la France à BB+ par un communiqué laconique. Les bourses sont fermées d’urgence avant un effondrement total. De Tokyo à New York en passant par Londres, tous les indices ont plongé de 20%. Nicolas Sarkozy a eu beau organiser trois conférences de presse dans l’après-midi, rien n’y a fait. Il est obligé d’annoncer dans la soirée qu’il nomme, sur proposition de Barroso, Jacques Delors Premier ministre et décrète l’État d’urgence le temps de la formation du gouvernement. Dans la nuit, il se réfugie, tremblant, au pavillon de la Lanterne, dans le parc du château de Versailles, entouré de 1000 gendarmes mobiles appuyés par cinq hélicoptères. Au petit matin, François Hollande demande aux français de ne pas descendre dans la rue pour éviter d’affoler les marchés et promet que s’il est élu, il appliquera un « État d’urgence juste ».

On s’arrêtera là pour la fiction, mais avouez que si il y a encore deux ans elle n’aurait guère été plausible, aujourd’hui elle apparaît presque crédible… Il n’est qu’à regarder la réaction des « marchés » à n’importe quelle rumeur, l’attitude d’enfants apeurés des gouvernements occidentaux face aux gros yeux des agences de notation et les deux coups d’État qui se sont opérés sous nos yeux distraits dans des pays aussi mineurs que la Grèce et l’Italie. Ok, j’y vais un peu fort avec « coup d’État » ? Admettons que Napoléon n’est pas monté sur son canasson ce matin et que le retour au calendrier géorgien nous évite de tomber un 18 Brumaire. Mais alors, comment appeler ce départ précipité de Berlusconi et Papandréou ? « Une alternance ? » Hum, n’a pas l’audace de Roland Cayrol qui veut, je ne me risquerai donc pas à naviguer dans les eaux vaseuses du commentaire à papy. J’aurai pu écrire « pronunciamiento financier », « putsch de Picsou » ou encore « ordonnance de l’arbitraire libéral de Bruxelles », l’idée est là. En l’espace d’une semaine, deux pays se sont vu imposer un changement de gouvernement pour appliquer « la seule politique possible » au regard des exigences de l’imperium invisible qui a décidé on ne sait où ni quand, mais on sait pourquoi, de liquider les États-providence européens en imposant aux gouvernements dociles (voire traîtres) de rembourser les dettes des États. Bref, une volonté extra-populaire a imposé de l’extérieur un nouveau gouvernement à deux grandes nations démocratiques. Tout parallèle historique avec les agissements yankees en Amérique latine dans les années 70 serait à coup sûr du populisme, non ?

Nous en sommes là. Les gouvernements en Europe n’ont plus le pouvoir, tout juste « restent-ils au pouvoir ». Ils ont remis en 2008 un système caduc à flot, permettant aux très riches de continuer à l’être et aux autres de s’appauvrir. Cette politique qui consiste à creuser toujours de nouveaux trous pour en boucher d’autres aura son terme. L’euro (le mark pour tous) ne rime plus aujourd’hui à grand chose sinon à ruiner les nations qui s’y accrochent à l’exception de l’Allemagne. Peut-être mourra-t-il de sa belle mort, ou sera-t-il sauvé et deviendra-t-il une monnaie de réserve pour les pays qui décideront de rester dans sa zone. Les dettes ne seront pas toutes remboursées, et tant pis pour les plumes perdues, l’Allemagne n’a-t-elle pas fait trois fois défaut au siècle dernier ?[1. Je l’ai lu dans le Spiegel en Septembre]. On nous promet l’apocalypse continentale en ce cas ? Honnêtement, vous connaissez autour de vous quelqu’un de motivé pour la guerre ? La disparition des services militaires nationaux dans les grands pays européens aura au moins eu un mérite : plus personne ne sait tenir un fusil, sauf les chasseurs. Par ailleurs, assistons-nous à une montée des tensions ou à à une quelconque brutalisation des sociétés ? Non, l’Europe est globalement peuplée de gens calmes, habitée de sociétés pacifiées (peut-être, les Balkans…). La construction européenne a fait son œuvre de ce côté-là. Restent nos élites. Si l’euro dans sa forme actuelle est balayé, elles seront discréditées avec lui. Et alors ? Le changement des élites est toujours le moment d’expérimentations politiques qui peuvent être porteuses de nouvelles promesses. Ça ne se fera pas sans douleur ni heurts, mais au point où nous en sommes, avons-nous le choix ?

Nous en sommes donc là. Et ce qui reste somme toute légèrement inquiétant pour l’avenir immédiat est que si Hollande et Sarkozy proposent la même politique (cohérente : on passe à la caisse), la seule à présenter une autre politique cohérente est Marine Le Pen (on sort de l’euro sans autre forme de procès). Aucune de ces deux politiques n’est viable, ni ne se fera. On est dans le flou artistique, le « marché » nous a à l’œil, le peuple s’appauvrit, et Victor Hugo résonne à nos cœurs.

Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire !
Puissance, liberté, vieil honneur militaire,
Principes, droits, pensée, ils font en ce moment
De toute cette gloire un vaste abaissement.
Toute leur confiance est dans leur petitesse.
Ils disent, se sentant d’une chétive espèce :
— Bah ! nous ne pesons rien ! régnons. — Les nobles cœurs !
Ils ne savent donc pas, ces pauvres nains vainqueurs,
Sautés sur le pavois du fond d’une caverne,
Que lorsque c’est un peuple illustre qu’on gouverne,
Un peuple en qui l’honneur résonne et retentit,
On est d’autant plus lourd que l’on est plus petit !
Est-ce qu’ils vont changer, est-ce là notre compte ?
Ce pays de lumière en un pays de honte ?

Victor Hugo, 1849.

Cet article a été initialement publié sur le site de Parti pris.

C’est la faute aux marchés !

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Je ne suis pas la moitié d’un imbécile et j’ai décroché un bon bac B. J’ai également suivi quelques cours d’économie en première année de droit. Le professeur, Alain Redslob, reconnaissable entre mille, était le seul à officier encore en robe. Ca vous pose une matière. Mais tout ceci ne m’est strictement d’aucune utilité pour comprendre comment les marchés ont pu nommer Mario Monti chef du gouvernement italien.
Je vois bien, pourtant, en lisant la presse qualifiée, comme Marianne, que les marchés nous tiennent par les cojones, qu’ils exigent, imposent, obtiennent. Dans le vrai journal, Le Monde, Philippe Ridet tente une démonstration, pour aboutir à cette conclusion : « une fois encore, les marchés et les institutions ont imposé leur vue » (au singulier, notez).

Avec l’autre Premier Ministropoulos, les marchés hégémoniques, spéculatifs et irrationnels ont réussi leur coup : en lieu et place d’un politique comme on les aime, ils ont imposé des techniciens, connaisseurs des rouages financiers, conscients des enjeux, et emblématiques du retour à la rigueur souhaité de la Grèce et de l’Italie. Nous français, restons d’ailleurs vigilants : le risque n’est pas écarté que les marchés nous réservent le même sort et que l’on se retrouve avec un type qui aurait la carrure, l’expérience, et l’aura de rigueur pour ce temps de crise.

Philippe Ridet le dit très bien : les marchés ont empêché la tenue d’un référendum en Grèce. Le peuple grec porte encore sur la joue la trace de la botte des marchés. Là encore, ils ont empêché la tenue d’une très démocratique consultation fondée sur le reniement de l’engagement pris par un dirigeant démocratiquement désigné. Nous aurions pu attendre plusieurs semaines pour savoir si l’on pouvait dégager un grand élan populaire en Grèce pour souffrir davantage, jauger de l’effet de l’incertitude sur les marchés, sur notre économie et, in fine, peut-être sur notre démocratie. Au lieu de cela, la Grèce va appliquer ses engagements, et a viré un Premier Ministre que tout le monde s’accorde maintenant à présenter comme un incapable. Putain de marchés.

Une fois de plus, mes lacunes en économie m’empêchent de comprendre comment font les marchés pour imposer tout cela. Je n’ai pas les clés. Comment se coordonnent-ils ? Comment la décision se prend-elle entre le marché de Milan, ceux de Paris, de Francfort sous la tutelle nécessaire de New-York ? Dans quelle instance inconnue, dans quelle conf-call transmettent-ils leurs instructions aux gouvernements ? Plus j’y pense et plus Le Monde me convainc de l’existence de l’insigne Main Invisible, organisation aussi secrète qu’en d’autres lieux et temps la redoutée Main Noire.

Tant pis si je ne comprends pas le procédé. Reste la décision. Comment les marchés ont-ils bien pu considérer que, dans cette situation économique, un président du conseil empêtré dans ses partouzes et ses conflits d’intérêts n’était pas la personne requise pour le job ?

Jean-Pierre Jouyet a très bien illustré ce fonctionnement surprenant, en nous prévenant que « les citoyens se révolteront contre la dictature de fait » des marchés. A la question : « Les marchés ont-ils pris le pouvoir ? », il répond : « Ils sont puissants. Il y a un mélange d’irrationalité et de rationalité dans leur démarche. Mais ce que veulent les investisseurs, c’est placer leur argent dans de bonnes conditions. Or, ils s’inquiètent sur l’avenir de certains pays européens tout comme sur l’état de santé de l’économie américaine. Leur message est clair : nous devons sortir d’une économie d’endettement. » Méfions-nous. Des instances qui, comme ça, veulent placer leur agent dans de bonnes conditions et se piquent de penser que nous devrions nous sortir d’une économie d’endettement, on imagine un peu où ça peut nous mener. Va falloir que les peuples se révoltent.
Alors Jean-Luc Mélenchon a raison de fustiger les marchés. Et toute la gauche avec lui. Et plus encore, Bruno Le Maire, qui sonne le tocsin : « nous sommes en guerre contre les marchés (et) il faut choisir son camp ».

J’ai trouvé une note discordante, comme une forme de traîtrise, d’autant plus incompréhensible que le costume libéral sied assez mal à l’homme : « Ce n’est pas seulement pour faire plaisir aux agences de notation qu’il faut entreprendre un effort de redressement collectif. C’est aussi et surtout pour éviter de laisser à nos enfants le poids cumulé de trop de lâchetés gouvernementales bien partagées, hélas, par l’opinion publique et par les partis de tout bord. De la même manière, il est un peu court, voire manipulateur, de dire que ce sont les agences de notation, les institutions européennes ou l’euro qui nous imposent la rigueur. Celle-ci devient inéluctable parce que nous ne pouvons plus nous payer notre mode de vie. Tout simplement. »
Ne feignez pas de lire ce que je n’ai pas écrit : je n’absous pas les marchés de tout péché. Le président de Standard and Poors doit être pendu par les couilles au mât d’artimon.

Mais l’incrimination des marchés a des airs de déjà-vu. Ceux du bouc émissariat. Les politiques en ont besoin. Pour justifier leurs errements passés, leurs indécisions actuelles, les pilules à venir, ils s’appuient sur des entités globales, extérieures, étrangères, au fonctionnement obscur pour le petit peuple et pour moi-même. Ce sont classiquement les étrangers (par l’immigration ou la mondialisation) ou encore l’Europe, si souvent invoquée quand les politiques n’assument pas leurs décisions. Les marchés sont pareillement dotés des attributs qui les désignent aisément au rôle de bouc émissaire.

De mon côté, je ne peux pas m’indigner que les marchés entendent « placer leur argent dans de bonnes conditions », qu’ils ne se satisfassent pas d’une bien contradictoire « économie d’endettement ». Et j’ai encore l’impression qu’un Mario Monti a été nommé pour rassurer des marchés légitimement inquiets que la situation d’endettement de nos économies leur pète au visage, et non que cette nomination a été une concession complaisante aux financiers de tout poil.

Ce bouc émissariat ne doit pas nous détourner des enjeux de la rigueur, à commencer par la simple capacité de l’Etat à assurer ses missions centrales. Armée, Justice, Santé, Éducation et Police sont soumises à des contraintes budgétaires stupéfiantes. Le déficit de moyens de l’Etat dans chacune de ces missions est affolant. Cela donne des soldats envoyés en mission sans l’équipement nécessaire, les juges sans greffières ou les greffières sans ordinateur récent, les fermetures de classes… Un ami capitaine de police me confiait récemment que le développement de la police municipale palliait l’incapacité de la police nationale à s’implanter partout.

Quand on aura fini de jouer autour « des marchés », j’espère que l’on prendra la peine de chercher la réponse à cette question : comment, dans notre pays, par ailleurs cinquième puissance économique mondiale, assurons-nous ces missions centrales de l’Etat ?

Eva Joly va-t-elle ramener les Verts à l’âge de pierre ?

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On a souvent dit ici tout le bien qu’il fallait penser d’Eva Joly : si comme moi, vous n’êtes partisan ni des couches lavables, ni du vélo obligatoire, ni de l’alignement de la politique étrangère de la France sur celle du Hamas, réjouissez-vous : l’ex-magistrate en bois est en train de purger la question verte.

Dernier exploit en date, la pomme de discorde de l’EPR : Eva a réussi, à force d’ultimatums aux accents encore plus dramatiques que teutoniques à rendre un fieffé service à François Hollande : donner à celui que certains humoristes (mal informés ou mal intentionnés) surnommaient Flamby une stature de dirigeant politique ferme qui ne transige pas avec les principes, même quand il est soumis au chantage de ses supposés plus proches alliés.

Résultat, pas un proche de Hollande qui ne profite du micro pour en remettre une couche, y compris le falot Mosco qui enfoncé le clou ce matin sur France2 : « Nous ferons Flamanville, c’est une décision de François Hollande, c’est un acte de fermeté, c’est une position de principe, à condition bien sûr qu’il n’y ait pas de problème de sécurité ». Michel Rocard, quant à lui, ne s’est pas gêné pour rappeler, qu’en plus d’être plus polluant que l’atome « le charbon tue beaucoup plus de gens ». Même Superbougon Chevènement y est allé d’un compliment appuyé : « Sur la poursuite des travaux de l’EPR, François Hollande a tenu un propos clair et ferme. Et je pense qu’en restant ferme, il acquiert quelque chose qui le rapproche d’une stature de présidentiable ».

D’autres diront les choses encore plus clairement : à chaque fois qu’on tape sur les Verts, on se rapproche du peuple. Merci qui ? Merci Eva Joly.

Francfort über alles

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Ce qui est fascinant chez Jürgen Habermas, c’est sa vertigineuse capacité à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, en l’occurrence à nous présenter comme raison universelle un discours issu des profondeurs de l’âme allemande et conforme aux seuls intérêts de sa patrie germanique. Il nous avait déjà vendu le bobard du « patriotisme constitutionnel », version bisounours d’un nationalisme allemand à jamais guéri de l’ubris qui anima les Reich numéro un, deux et surtout trois. Et selon notre ami Jürgen, comme toujours, ces braves Français englués dans leur rêve passéiste de « Grande Nation »[1. C’est avec cette formule que les journalistes allemands commencent leurs articles cognant sur la France.], n’auraient rien compris à une époque résolument post-nationale.

C’était à la fin des années 1980, et l’on put constater, quelques mois après les leçons du professeur Habermas, que le patriotisme allemand ne présentait pas de différence notable avec celui qui était en vigueur dans d’autres pays comparables. À l’occasion de la réunification du pays, en 1990, ce patriotisme se montra même passablement exalté et romantique, ce dont je ne lui ferai pas reproche, car le peuple allemand est un grand peuple et il avait regagné, au prix d’une longue période de repentance, le droit d’être fier de lui.[access capability= »lire_inedits »]

Aujourd’hui, Habermas nous revient avec un discours « européiste »[2. Le Monde du 25 octobre 2011.] apparemment critique de la politique menée par la chancelière Angela Merkel − clin d’œil à ses amis de gauche −, mais en réalité taillé sur mesure pour servir de support théorique à l’« Europe allemande » du XXIe siècle. Il fait ainsi chorus avec le très nationaliste éditorial de la Frankfurter Allgemeine Zeitung demandant, à l’occasion de la crise de l’euro, « Davantage d’Europe ! » − entendez : « Plus d’Allemagne ! » Habermas dénonce la paralysie des instances européennes et propose que l’UE se constitue en entité démocratique post-nationale (ça le reprend !) : « C’est une perspective engluée dans le XIXe siècle qui impose la réponse connue du demos : il n’existerait pas de peuple européen ; c’est pourquoi une union politique méritant ce nom serait édifiée sur du sable. À cette interprétation, je voudrais en opposer une autre : la fragmentation politique durable dans le monde et en Europe est en contradiction avec la croissance systémique d’une société mondiale multiculturelle, et elle bloque tout progrès dans la civilisation juridique constitutionnelle des relations de puissance étatiques et sociales. […] Après cinquante ans d’immigration du travail, les peuples étatiques européens, au vu de leur croissant pluralisme ethnique, langagier et religieux, ne peuvent plus être imaginés comme des unités culturelles homogènes. Et Internet rend toutes les frontières poreuses. »
Que voilà une dialectique qu’elle est belle ! Le réel, c’est-à-dire la permanence des peuples, la résilience des États-nation face à la multiculturalisation généralisée, n’étant pas conforme à l’idée qu’il se fait du monde en devenir, Habermas le repeint à sa façon et décrète ringards (ou populistes) ceux qui émettraient quelques doutes sur la solidité de l’édifice qu’il propose de construire. Et il brandit un argument supposé donner le coup de grâce à ses contradicteurs : Internet, en rendant toutes les frontières poreuses, serait le vecteur d’une culture mondialisée rendant ces mêmes frontières obsolètes. Ainsi la vieille montagne nationale accoucherait-elle d’une souris post-nationale avant de s’écrouler à jamais.

À ma connaissance, Jürgen Habermas vit à Francfort-sur-le-Main, ville où l’utopie « multiculti » tentée par Cohn-Bendit et ses amis de la coalition municipale rouge-verte dans les années 1980 s’est magistralement plantée. Certes, dans quelques quartiers de la ville, on parle plus le turc que l’allemand, mais visiblement cela ne suffit pas à faire société. Les Turcs restent turcs (très peu se font naturaliser) et les Allemands… allemands. Comme ces derniers sont largement les plus nombreux dans l’État-nation portant le nom de République fédérale d’Allemagne, leur langue et leur culture n’est que marginalement affectée par la présence de cette « immigration du travail ». Le succès éditorial, en 2010, de L’Allemagne court à sa perte, pamphlet identitaire de Thilo Sarrazin diffusé à plus d’un million d’exemplaires outre-Rhin, ne semble pas avoir ébranlé Jürgen Habermas dans ses certitudes : selon ce nouveau saint Paul, il n’existerait aujourd’hui pas plus d’Allemands et de Français qu’il n’existait hier de Juifs et de Grecs aux yeux de Saül de Tarse.

Pourtant, son appel à l’effacement des nations et à leur dissolution dans une démocratie européenne n’est contradictoire qu’en apparence avec la politique de défense intransigeante des intérêts allemands conduite par Angela Merkel. Si on regarde l’Europe avec des lunettes réalistes, on ne peut que constater qu’elle est revenue à un agencement des puissances qui place l’Allemagne en position de leadership continental. C’est, à peu de choses près, le dispositif de l’Europe post-munichoise de 1938 : au sein de l’Eurozone, l’Allemagne fédère autour d’elle des pays qui se soumettent (cette fois-ci volontairement et démocratiquement) à son hégémonie[3. Si l’on ajoute à cela l’alliance énergétique germano-russe, qui rend furieuses la Pologne et la République tchèque, l’analogie est encore plus frappante.]. Il y a les vassaux directs, Autriche, Slovaquie, Finlande, Pays-Bas, et des « vavasseurs », vassaux de deuxième rang : la Slovénie dans le sillage de l’Autriche, l’Estonie dans celui de la Finlande. Ces pays constituent une sorte de « Ligue du Nord » vertueuse dont l’homogénéité idéologique et politique concernant la gestion financière et économique de l’Union européenne tranche singulièrement avec le joyeux bordel régnant au sein du « Club Med », ces pays du Sud « laxistes » : Espagne, Italie, Grèce et Portugal.

Voilà pourquoi le « couple franco-allemand » est largement devenu une fiction. Il n’est plus le duo à peu près équilibré des années 1960-1980, mais un attelage où on trouverait, d’un côté du timon, quelques robustes chevaux conduits par un pur-sang germanique et de l’autre, un âne solitaire[4. Tous ceux qui me connaissent savent l’amour que je porte aux ânes, qui exclut toute intention dépréciatrice dans la métaphore employée.], courageux certes, mais incapable d’influer sur la marche du véhicule. Alors, que cette réalité trouve son cadre institutionnel dans une organisation intergouvernementale, comme c’est le cas aujourd’hui, ou dans la démocratie post-nationale chère à Jürgen Habermas est en définitive secondaire. L’assemblée supposée, dans cette seconde hypothèse, conduire le destin de cette « post-nation » ne saurait être qu’un Bundestag élargi, sinon il y a fort à parier que la « Ligue du Nord » prendrait la poudre d’escampette, avec ou sans l’euro dans sa musette.

De toute façon, quel avenir a un couple qui ne se retrouve que pour discuter de la gestion du compte bancaire commun mais qui s’engueule ou, en tout cas, diverge sur tout le reste, le mode de chauffage de l’immeuble, sa sécurité, les travaux à entreprendre, les relations avec les voisins ? Soit l’un des partenaires se soumet, soit le couple se sépare. Fin octobre, on a assisté à l’une des dernières tentatives de remettre ce choix inéluctable à des jours plus favorables. Par exemple après les prochaines élections.[/access]

Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.

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Arrivederci Berlusconi !

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Berlusconi a donc démissionné. Après une petite décennie de pouvoir, il laisse la place à l’ex-commissaire européen Mario Monti qui dirigera un gouvernement de technos. Puisqu’une page de l’histoire transalpine se tourne, j’aimerais réhabiliter ce grand chêne victime d’une vindicte injustifiée. Je n’ai jamais compris pourquoi le Cavaliere suscitait un tel niveau de haine chez les élites (qui ont fini par lui faire la peau). En y réfléchissant bien, j’ai trouvé la réponse : s’il a toujours été diabolisé et stigmatisé, c’est qu’il était altermondialiste !
Démonstration.

Primo, le fondateur de Forza Italia cède à la pression des marchés financiers et de leur impitoyable aiguillon, les agences de notation. Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch ont désavoué celui que démocrates-chrétiens et sociaux-démocrates dépeignent comme un dangereux populiste, à mi chemin entre Poujade et Mussolini. En cause, l’endettement colossal de l’Italie bien sûr, mais surtout l’incapacité de la coalition gouvernementale Berlusconi-Bossi à couper encore davantage dans les dépenses. Des dépenses sociales, notamment.
C’est là qu’entre en jeu le talent de rassembleur de Berlu, dont la majorité parlementaire allait des sociaux-libéraux héritiers de Craxi (son parrain…politique) aux ex-néo-fascistes de Fini[1. Qui a doublement trahi : le Duce puis Berlusconi], en passant par les séparatistes de la Ligue du Nord. Ces derniers, dirigés d’une main de fer par Umberto Bossi, ont d’ailleurs précipité la chute de Berlusconi en refusant mordicus de relever l’âge de la retraite à 67 ans, prouvant une nouvelle fois la vocation sociale de leur alliance. Les anti-mondialisation adeptes des solidarités régionales sauront aussi gré à la droite italienne d’avoir gouvernementalisé l’extrême droite lombarde, laquelle aime tellement l’Italie qu’elle voudrait qu’il y en eût deux (avec une ligne Maginot censée repousser les masses migrantes tunisiennes…).

Dans sa vie privée, Berlusconi appliquait carrément le programme sociétal de la gauche, comme si lui disputer le terrain du social ne lui suffisait pas. On doit en effet au président du Milan AC une spectaculaire et prodigieuse campagne d’agit prop’ en faveur du droit de vit accordé aux jeunes filles de moins de 18 ans, un acquis féministe autrement plus audacieux que le droit de vote dès 16 ans ! Ruby en sait quelque chose, son initiation à la force virile bunga-bunga valant tous les pass contraception du monde…
Autre signe d’anticonformisme, le tropisme russe de Berlusconi lui a valu le salut de Vladimir Poutine, qui a eu l’élégance de regretter son départ. S’il regardait à l’Ouest, en bon atlantiste, Berlu assumait clairement ses amitiés est-européennes, y compris en conviant le premier ministre tchèque Mirek Topolanek à des parties fines filmées en compagnie de jeunes nymphettes. Comme tout homme de goût, Silvio savait apprécier le charme des belles slaves, qui le lui rendaient bien.

Il y a quelques années, le Président du Conseil italien avait provoqué l’indignation des parlementaires européens en traitant l’eurodéputé allemand Martin Schulz de « kapo ». De quoi défriser la gauche sociale-traîtresse et les bancs de la droite planplan, complices dans 97% des votes à Strasbourg. L’histoire était écrite : l’impétueux et fantasque Silvio devait périr par là où il avait pêché, crucifié par Angela la teutonne, qui met l’euro à feu et à sang en refusant de lâcher son emprise sur la BCE.

Ainsi, la chute de Berlusconi marque le début de la colonisation économique de l’Europe par les anciens de Goldman Sachs, multinationale bancaire qui place ses pions à la tête de la Banque Centrale Européenne (Mario Draghi), des gouvernements grec (Papademos) et italien (Monti). Une telle collusion interpelle les esprits aussi peu complotistes que le mien.
Mais soyons un peu plus optimistes. Viré à soixante-quinze ans comme un malpropre, non sans avoir préparé la prochaine récession transalpine, Berlusconi aura témoigné jusqu’au bout de son attachement secret et indéfectible à la notion de décroissance.

Allez Silvio, abandonne définitivement la politique et prends ta retraite chez Tiqqun, Julien Coupat t’attend !

Hollande, le meilleur candidat PS de la droite.

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Couverture de Paris-Match 17 mars 2005

Il y a tout de même quelque chose de paradoxal à voir l’acharnement avec lequel la droite tape sur François Hollande depuis quelques jours. Inutile de préciser ici que, depuis le début, François Hollande me semble le pire candidat possible pour la gauche en 2012. Je suis effectivement un peu injuste, il y avait pire : il y avait Dominique Strauss-Kahn et la gauche pourra dresser dans la cour de l’Elysée une statue à Nafissatou Diallo si elle gagne quand même en 2012. Imaginons simplement que le scandale ait éclaté ces jours-ci : on peut raisonnablement penser que François Fillon malgré ses plans de rigueur et Nicolas Sarkozy malgré son inféodation de plus en plus grande à l’Allemagne, auraient eu raison sans trop de peine de l’ex-sauveur de la planète et de la France.

Il me semble bien que DSK avait été décrété meilleur candidat possible de la gauche. Pas par la gauche, ne rêvons pas. Il y a belle lurette que la gauche ne choisit plus ses candidats. Ce sont évidemment la droite et les instituts de sondage ou les médias acquis à la doxa libérale qui le font, c’est tout de même beaucoup plus pratique. En son temps, César préférait toujours avoir pour ennemi au sein du Triumvirat un Crassus aveuglé par la cupidité qu’un Pompée, brillant général doté du sens de l’Etat.
Ainsi, depuis 2007, la droite et ses relais ont-ils pris l’habitude de choisir le champion de la gauche selon quelques critères simples : fragilité personnelle, fragilité idéologique et, dans l’éventualité d’un hasard malheureux qui l’aurait fait gagner quand même, pour ne pas tout perdre, une compatibilité avec ce qui est bien, ce qui va de soi, c’est à dire une acceptation polie de la loi du marché. On a eu Ségolène Royal, on a failli avoir DSK et maintenant on a François Hollande.

On objectera qu’il a gagné la primaire socialiste haut la main. En même temps, quand sondage après sondage on vous donne gagnant haut la main et que sur les plateaux et dans la colonne des journaux, on explique sans rire à longueur de temps que sa seule challenger sérieuse, Martine Aubry, est une bolchévique étatiste, voire une islamo-gauchiste, le score de Hollande s’explique tout de suite beaucoup mieux.

Petite parenthèse, nous avons dit ici tout le mal que nous pensions des primaires et si nous y avons participé, c’est au nom du principe de réalité. Il n’empêche : toutes les études indiquent que si la désignation du candidat socialiste avait été confiée aux militants socialistes, c’est-à-dire à des gens qui paient des cotisations et participent à des réunions ou des tractages depuis des années, Hollande ancien Premier secrétaire flou aurait été écrasé par Martine Aubry, nouvelle Première secrétaire punchy qui a tenu de main de maitre la baraque de Solferino pendant le séisme DSK. Mais bon, à en croire les commentateurs, elle n’avait « pas vraiment envie », j’imagine qu’ils avaient raison puisqu’un commentateur sait mieux ce que pense l’homme politique que l’homme politique lui-même.

Donc, c’est François Hollande. Et depuis que c’est François Hollande, la droite mitraille à tout va. Le type qu’elle trouvait hier encore raisonnable, compétent, humain est devenu un nul sans énergie au programme démagogique et irréaliste, qui préfère se promener à la Foire du Livre de Brive plutôt que d’aller au G20, qui s’empêtre dans des discussions avec les écologistes sur le nucléaire alors que l’urgence est de sauver ce qu’il reste d’indépendance nationale face à l’internationale de la spéculation. Il a eu beau objecter avec un vrai bon sens corrézien qu’il ne pouvait pas être invité au G20 puisqu’il n’était pas encore Président, peu importe, on sait déjà qu’il y aurait été inexistant. Il doit trouver ça un peu dur, Hollande. Par exemple quand il se fait descendre en règle par Fillon alors qu’il n’a cessé de proclamer que lui aussi appliquerait la rigueur et qu’il ne se sentait tenu que de très loin par le projet socialiste, il doit se demander si c’est vraiment une bonne idée d’être « réaliste », comme on dit. Résultat, non seulement on continue à chanter l’air de la seule politique possible, comme on le voit avec les gouvernements « techniques » imposés à la Grèce et à l’Italie, d’autre part on désespère les derniers vestiges de Billancourt.

En effet, quel est l’intérêt de voter Hollande si c’est pour endurer la même rigueur ? C’est sans doute là-dessus, d’ailleurs, que Sarkozy mise ses derniers kopeks : une espèce d’indifférence des électeurs devant un duel qui s’annonce comme celui de la rigueur libérale contre la rigueur social-libérale ou de l’austérité de centre-droit contre l’austérité de centre-gauche.
Quitte à écouter les sarcasmes qu’il suscite, Hollande ferait mieux d’écouter ceux qui viennent de sa gauche, de Mélenchon en l’occurrence, qui l’a aimablement affublé du titre de « capitaine de pédalo ». Il comprendrait qu’au-delà du bon mot, c’est toute la gauche qui se désespère de ne pas avoir un candidat crédible et qui, pourtant, devra bien voter pour celui-là, que ce soit au premier ou en tout cas, mais rien n’est jamais joué, au second.

Pékin : un soft power pas si mou

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Peu à peu Pékin perce chacun des secrets de la puissance occidentale. Après la bombe atomique, les technologies spatiales et le TGV, voici que l’ingéniosité chinoise vient de mettre à jour, après de longues et pénibles recherches sur le net et ailleurs, la recette de la puissance médiatique et culturelle occidentale. Elle comprend, si l’on en croit la rubrique « Les articles les plus lus » du site en français de la très officielle agence Xinhua, trois ingrédients principaux : du cul, du cul, du cul -plus un poil d’infantilisation harrypotterienne.

Entre « Le Palmarès des hommes les plus sexy de la planète » et les « Photos intimes volées de Justin Bieber et Selena », en passant par une certaine Natalia Avseenko qui danse nue avec les bélugas, sans oublier « Les tatouages de Lady Gaga », on sait désormais à quoi se résume la proposition civilisationnelle de la Chine, dont la culture, selon les termes même de son Président Hu Jintao, serait bonne non seulement pour les Chinois, mais pour le monde entier. Bref, la culture chinoise « elle est trop bonne », comme on dit élégamment dans nos quartiers et ailleurs. Si l’on sacrifiait à certains clichés ayant cours sur cette petite péninsule asiatique que l’on appelle encore l’Europe, on dirait que c’est un peu court…

Heureusement que Jean-Pierre Raffarin, grand ami de la Chine, et qui a cosigné il y a peu (avec son épouse) un petit livre en chinois humblement intitulé Ce que la Chine nous a appris joue aux entremetteurs en se livrant en ce moment à une campagne acharnée pour rassurer l’Europe sur les intentions de notre futur partenaire de jeu chinois. Qui toujours à en croire notre apprenti JiPé la saumure « ne recherche pas la domination en Europe ». Aller! Après nous avoir expliqué à nous autres, puceaux de la restructuration de la dette, qu’il ne fallait pas avoir peur, qu’on aurait peut-être un tout petit peu mal au début mais qu’on finirait par aimer ça, explique-leur Jean-Pierre, à ces satanés Chinois que ce n’est pas seulement sur les Nippons que la Chine peut faire pression, chez nous aussi, le SM est à la mode! Avec l’Europe dans le rôle du soumis.

Poppy 1 – Bleuet 0

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Bleuet et poppy. Photo : bpmm.

Si l’envie vous prend de vouloir tirer une leçon de la cérémonie de commémoration du 11 novembre, allez regarder du côté du football. Oui, je dis bien du football. Vendredi 11 novembre, la France a remporté d’un but la victoire face aux Etats-Unis. Samedi 12, c’était au tour de l’Angleterre de gagner le match amical contre l’Espagne.

L’intérêt de ces matchs ne réside ni dans la qualité du jeu ni dans le résultat, mais dans leur dimension symbolique.

Avant le coup d’envoi, le stade de Wembley a observé une minute de silence et le traditionnel poppy (coquelicot) était sur tous les maillots des joueurs de l’équipe d’Angleterre. Rappelons que cette fleur symbolise le sang versé dans les terribles tranchées des Flandres ainsi que le sens du sacrifice et de l’honneur dont firent preuve les anciens combattants. Une semaine auparavant, la Fifa avait néanmoins refusé le port de ce symbole prétextant que le poppy allait à l’encontre des lois internationales du football qui interdisent d’afficher tout signe à caractère politique, religieux ou commercial pendant les matchs internationaux.

Or les Anglais n’apprécient guère qu’on s’en prenne à leurs symboles. Grâce au tollé populaire, au lobbying obstiné du sélectionneur, Fabio Capello, au mécontentement des joueurs diffusant des tweets d’indignation et à l’intervention salutaire de David Cameron et du Prince Williams himself, l’équipe d’Angleterre a finalement obtenu gain de cause.

L’équipe de France de football, elle, a chaussé ses crampons le 11 novembre, mais ce fut comme si elle jouait un match comme les autres. Le timide appel du bleuet lancé par le Député UMP Patrick Beaudouin le 9 novembre n’a visiblement pas été entendu.

Épris d’un patriotisme de la dernière heure, le député du Val-de-Marne, gaulliste de cœur et sarkozyste de raison, avait sollicité le Président de la Fédération Française de Football pour que les joueurs arborent le fameux et trop oublié bleuet lors du match contre les Américains le soir du 11 novembre. En vain. Le député Beaudouin a peut-être cru que l’association de soutien aux victimes de guerre, Bleuet de France, jouissait d’un dynamisme et d’une popularité semblable à la Royal British Legion et que le bleuet, comme le poppy, serait proposé dans tous les magasins et cafés, irait fleurir cravates, écharpes, pulls, déferlerait sur les sites Internet de nos journaux et aurait une page Facebook dédiée.

Bref, le député Beaudouin s’est cru en Angleterre, où la transmission de la mémoire se conjugue au présent, où le 11 novembre ne se commémore pas le jour J, mais est vécu avant et après. Dès la mi-octobre, quelque soit l’âge, le sexe ou le statut social, l’ensemble de la société arbore fièrement le célèbre poppy. Et lorsque la onzième heure du onzième jour du onzième mois sonne, l’agitation de Trafalgar Square cesse, le silence se fait pendant deux longues minutes avant qu’une nappe de milliers de poppies vienne recouvrir l’eau de la fontaine. Chaque année, le Poppy appeal est couronné de succès.

Chez nous, le bleuet, simple fleur sans signification historique, ne fleurit pas nos boutonnières. Ici, le 11 novembre correspond à une commémoration officielle qui fédère le temps d’un rendez-vous cathodique. Chez nous, le lien entre les individus se vit à travers le prisme des luttes sociales, mais n’est pas rattaché à la vision historique d’un passé connu, reconnu, symbolisé, aimé et respecté. La médiasphère arbore bien volontiers le ruban du Sidaction et s’étourdit avec les chiffres du Téléthon, mais n’accorde pas le droit de cité au bleuet. À croire que les 1,4 millions de soldats morts sur le champ de bataille, bilan presque deux fois plus lourd que celui de nos alliés britanniques, ne le méritent pas.

Au lieu de tomber dans l’écueil du patchwork commémoratif, Nicolas Sarkozy aurait peut-être dû remettre au goût du jour le bleuet et faire sienne la phrase du Maréchal Foch :
« Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir… »[1. Pour plus d’infos, comparez le site de la Royal British Legion et celui du Bleuet de France.].

PS : Réjouissons nous mais pas trop vite !
L’appel du Député Patrick Beaudouin a bien été entendu par la FFF. Les joueurs de l’équipe de France ont bien porté le Bleuet lors du match contre les Etats-Unis le soir du 11 novembre.
Néanmoins, la comparaison avec nos amis Anglais reste évidente. Les joueurs de l’équipe d’Angleterre ont porté le « poppy » brodé sur un brassard noir pendant les 90 minutes du match après avoir respecté religieusement une minute de silence, tandis que l’équipe de France a arboré le bleuet seulement pendant les hymne nationaux.

De Wall Street au Caire : nudités variées

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Nous avions déjà marqué ici notre sympathie pour le côté extrêmement sexy du mouvement Occupy Wall Street. S’il peut paraître relativement aisé aux USA de faire de son corps et de sa féminité des arguments révolutionnaires, cela semblait en revanche mission impossible dans les pays en proie au « printemps arabe ». Les Cassandre assermentées nous expliquent en effet que ça y est, les islamistes ont déjà gagné la partie Il est vrai que d’un point de vue esthétique, on pourra regretter les gardeuses du corps de Kadhafi qui, moulées dans leurs impeccables treillis, étaient une vraie publicité pour le régime de l’horrible dictateur lynché et remplacé depuis grâce à notre intervention par des hommes pour qui une femme avec un flingue, c’est hors de question, des fois qu’elle soit moyennement d’accord avec la charia et l’idée de se promener voilée.

En tout cas, cette fois-ci, c’est en Egypte que le corps exulte et que la courageuse Aliaa Elmahdy, une jeune Egyptienne qui a participé à la révolution du 25 janvier, a publié sur son blog une photo d’elle-même nue. C’est visible ici.

Cela fait pas mal de bruit dans le landernau pré-électoral égyptien et surtout si besoin en était, cela prouve que Louis Scutenaire, un des plus aimables surréalistes belges et génial auteur d’aphorismes avait raison quand il disait : « Une femme nue n’a jamais fait de mal à personne. » En revanche, pour renvoyer à leurs névroses sexuelles et autres refoulements les intégristes de tout poil dont le point commun est la grande angoisse du plaisir féminin, il n’y a pas d’arme plus efficace.

Amiante : les victimes sont-elles coupables ?

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Chaque année, en France, 2000 personnes meurent des « cancers de l’amiante ». Ils ne font pas la « une » des médias. Ils ne sont pas reçus à l’Élysée. Leur photo n’est pas placardée dans nos villes. Ce sont des ouvriers ou des retraités de l’industrie, des gens simples dont le seul crime est d’avoir travaillé de longues années et sans protection au contact d’un matériau éminemment toxique, pour des employeurs non pas inconscients mais cyniques.
Notre société se targue d’avoir redonné aux victimes la dignité et le statut qu’elles méritent – au point qu’on a pu dénoncer, et à raison, les ravages de la victimisation et les excès de l’idéologie victimaire. Pourquoi, alors, aujourd’hui, tant d’indifférence pour les malades et pour les morts de l’amiante, qui sont les victimes d’une catastrophe industrielle majeure, d’une ampleur jusque-là inédite dans l’histoire de notre pays ? Est-ce parce qu’ils sont pauvres ? Parce qu’ils sont vieux ? Parce que leur tragédie n’est pas aussi spectaculaire qu’un coup de grisou ou une explosion chimique ?

Oui, l’amiante tue.[access capability= »lire_inedits »] Elle tue silencieusement et elle tue lentement, frappant des années après ceux qui lui ont été exposés, leur infligeant, même quand elle ne leur ôte pas la vie, des souffrances indicibles et des traumatismes irréversibles.
Ces victimes ne demandent pas notre pitié mais notre respect. Elles ont droit à notre humanité, mais plus encore à notre solidarité. Faut-il rappeler que c’est pour construire des écoles, des universités et d’autres bâtiments – qu’il a fallu ensuite « désamianter » pour protéger les citoyens – que ces hommes et quelquefois ces femmes ont perdu la vie ?

Or, au lieu d’honorer ces familles endeuillées et de les assurer du soutien de la collectivité, les autorités de l’État, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) − et la justice de la République viennent de leur infliger un camouflet. C’est le premier mot qui vient à l’esprit pour qualifier la surprenante décision de la cour d’appel de Douai qui, le 27 octobre, a condamné les victimes de l’amiante et leurs familles à restituer une partie des indemnités perçues. La France en est-elle là, à réclamer à des pauvres gens que le malheur n’a pas épargnés les quelques milliers d’euros qui leur ont permis de faire face aux difficultés matérielles, parfois en payant les dernières traites du crédit du pavillon acquis par des années de travail, d’autres fois en leur permettant simplement de joindre les deux bouts, d’autres fois encore en finançant l’achat d’une voiture pour le fils au chômage ou le salaire d’une garde-malade ? Assisterons-nous au spectacle insupportable de familles expulsées de leur logement ou dépouillées par des huissiers de leurs meubles ou de leurs voitures ? Est-ce ainsi que l’on rend la justice « au nom du peuple français » ?

Mais pour que la justice se prononce, il faut qu’elle ait été saisie. Avant même d’interroger la conscience des magistrats, notre devoir, à nous tous citoyens, est d’interpeller les pouvoirs publics. Lorsque le FIVA a été créé, en 2000, les autorités politiques semblaient avoir pris la mesure de la catastrophe industrielle et humaine et paraissaient prêtes à assumer leurs responsabilités. Aujourd’hui, non seulement le FIVA est à l’origine de cette injustice, mais sa directrice ose s’en prendre à ceux qu’elle a reçu mission de défendre, d’aider et d’indemniser. Les voilà présentés comme des fraudeurs, demandant à être indemnisés deux fois pour le même préjudice, encaissant de l’argent qu’ils savent ne pas être le leur pour le faire fructifier.

L’ironie du sort veut que soit la même juridiction (mais évidemment pas les mêmes magistrats), la cour d’appel de Douai, qui, en 1999, avait imposé pour la première fois en France une compensation financière à la hauteur du préjudice subi, qui exige aujourd’hui le remboursement d’une partie des sommes versées. De Douai à Douai : la différence entre ces deux décisions résume-t-elle l’évolution de notre société ? On se refuse à le croire
Pour comprendre ce qui s’est passé, un retour en arrière s’impose.
Lorsqu’il y a douze ans maintenant, le scandale de l’amiante a éclaté et qu’ont été révélées les conséquences dramatiques de l’exploitation de ce matériau dont la dangerosité était connue depuis fort longtemps, les victimes ont enfin pu bénéficier d’une indemnisation décente. Car les industriels de l’amiante savaient ; et non seulement ils n’ont rien dit, mais ils ont au contraire œuvré − y compris sur le plan international − pour dissimuler le plus longtemps possible l’étendue du désastre humain. S’il y a une affaire dans laquelle on ne peut évoquer ni la fatalité ni l’ignorance, c’est bien celle-là. Et pourtant, ces industriels, qui sont les véritables responsables, n’ont pas été sanctionnés.

D’abord parce que notre système de protection sociale a joué avec efficacité le rôle qui lui est imparti par la loi, c’est-à-dire celui d’un assureur qui fait l’avance des indemnisations de telle façon que la victime soit en tout état de cause couverte.
En jouant habilement avec les textes, les employeurs ont réussi à échapper aux recours intentés par la Sécurité sociale, qui a dû supporter seule le poids de l’indemnisation.

Ensuite, aucune conséquence pénale n’est à ce jour intervenue. Les plaintes déposées en 1996 contre les mêmes industriels sont encore aujourd’hui à l’instruction. À ce rythme, les responsables auront tous disparu avant que le procès pénal de l’amiante ait lieu…

Nous sommes donc dans une situation tout à fait saisissante : d’un côté, on prend en compte l’injustice commise, mais de l’autre, les responsables jouissent d’une impunité totale.

À cela s’est ajoutée la nécessaire prise en compte des victimes « environnementales » − au-delà de celles qui avaient contractées des maladies pulmonaires en travaillant le matériau. C’est dans cet esprit et aussi pour permettre une indemnisation extrajudiciaire, donc rapide, qu’à été créé le FIVA.

Il est vrai que l’ampleur du désastre a dépassé toutes les prévisions, entraînant des demandes d’indemnisation bien plus nombreuses que prévu, alors même que des scientifiques évoquaient le chiffre de 100 000 morts en 2020. Aussi a-t-on rapidement eu le sentiment que le seul objectif du FIVA était de faire des économies. Et comment pouvait-il le faire, sinon sur le dos des victimes ?

Au fond, nous observons aujourd’hui une perversion du système mis en place avec les meilleures intentions. En se désintéressant des responsabilités réelles, en défaisant le lien nécessaire entre coupable et payeur, entre faute et réparation, on a favorisé la bureaucratisation du dispositif. À l’arrivée, des drames humains ne sont plus traités qu’en termes de gestion financière et de rentabilité.
Des victimes sommées de rembourser, des industriels jouissant paisiblement de la retraite dont ils ont sciemment privé leurs ouvriers, une représentante de l’État qui montre du doigt ceux qu’elle est chargée d’aider – ce qui devrait justifier sa démission immédiate : que ce scandale ne fasse pas scandale montre que la classe ouvrière est bien, dans notre pays, la grande oubliée de l’Histoire.[/access]

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Le pouvoir n’a plus le pouvoir

68

Il n’est pas interdit d’imaginer qu’on fera bientôt une croix sur les gouvernements démocratiques d’Europe comme on en fit il y a très peu de temps sur les despotes arabes.

Imaginons que Nicolas Sarkozy, lors d’un petit déjeuner avec Jacques Sapir et Claude Guéant, projette vaguement, en suivant le fil de sa pensée tout en palabrant, de virer Fillon à quatre mois de la présidentielle et de nommer Nicolas Dupont-Aignan à Matignon, de faire déguerpir de leurs bureaux vides de pouvoir tous les ministres de paille et de constituer une sorte de gouvernement de guerre, ultra resserré, pour entamer la sortie de l’euro à marche forcée.

Entre le croissant et le deuxième café, Guéant lâche une boutade : « Un référendum sur le retour au Franc, dans un mois, trois mois avant la présidentielle. On l’emporte, Hollande est balayé. Ce référendum, Nicolas, ce sera ton Pont d’Arcole, ton 18 juin ! ». Jacques Sapir sort un peu halluciné du petit déj’ et envoie un texto à son pote Emmanuel Todd : « Putain, Sarko veut organiser un référendum sur le retour au Franc et nommer Dupont-Aignan à Matignon ! ». Todd, qui traîne ce matin-là dans les locaux de France Culture où il tient chronique, fait lire le SMS à Jacques Julliard à 7h39, invité à la causerie, qui lui répond goguenard « je crois que Sapir surchauffe un peu avec la crise ».

Julliard s’ouvre à ses collègues, dans la matinée, du curieux SMS. En un coup de fil à Guéant le malentendu est résolu. « Oui, j’ai invité Sapir pour faire entendre à Nicolas une autre musique, et on a un peu phosphoré, mais rien de plus ». Mais voilà, l’anecdote fait vite le tour des rédactions via twitter, la rumeur d’un référendum se propage et devient une information à la une du site internet de France Soir à 11h32. Reprise illico sur BFMTV elle devient un coup de tonnerre mondial une demi-heure plus tard sur CNN. Panique générale sur les marchés, Fitch qui tenait Sarkozy à l’œil fait dégringoler la note de la France à BB+ par un communiqué laconique. Les bourses sont fermées d’urgence avant un effondrement total. De Tokyo à New York en passant par Londres, tous les indices ont plongé de 20%. Nicolas Sarkozy a eu beau organiser trois conférences de presse dans l’après-midi, rien n’y a fait. Il est obligé d’annoncer dans la soirée qu’il nomme, sur proposition de Barroso, Jacques Delors Premier ministre et décrète l’État d’urgence le temps de la formation du gouvernement. Dans la nuit, il se réfugie, tremblant, au pavillon de la Lanterne, dans le parc du château de Versailles, entouré de 1000 gendarmes mobiles appuyés par cinq hélicoptères. Au petit matin, François Hollande demande aux français de ne pas descendre dans la rue pour éviter d’affoler les marchés et promet que s’il est élu, il appliquera un « État d’urgence juste ».

On s’arrêtera là pour la fiction, mais avouez que si il y a encore deux ans elle n’aurait guère été plausible, aujourd’hui elle apparaît presque crédible… Il n’est qu’à regarder la réaction des « marchés » à n’importe quelle rumeur, l’attitude d’enfants apeurés des gouvernements occidentaux face aux gros yeux des agences de notation et les deux coups d’État qui se sont opérés sous nos yeux distraits dans des pays aussi mineurs que la Grèce et l’Italie. Ok, j’y vais un peu fort avec « coup d’État » ? Admettons que Napoléon n’est pas monté sur son canasson ce matin et que le retour au calendrier géorgien nous évite de tomber un 18 Brumaire. Mais alors, comment appeler ce départ précipité de Berlusconi et Papandréou ? « Une alternance ? » Hum, n’a pas l’audace de Roland Cayrol qui veut, je ne me risquerai donc pas à naviguer dans les eaux vaseuses du commentaire à papy. J’aurai pu écrire « pronunciamiento financier », « putsch de Picsou » ou encore « ordonnance de l’arbitraire libéral de Bruxelles », l’idée est là. En l’espace d’une semaine, deux pays se sont vu imposer un changement de gouvernement pour appliquer « la seule politique possible » au regard des exigences de l’imperium invisible qui a décidé on ne sait où ni quand, mais on sait pourquoi, de liquider les États-providence européens en imposant aux gouvernements dociles (voire traîtres) de rembourser les dettes des États. Bref, une volonté extra-populaire a imposé de l’extérieur un nouveau gouvernement à deux grandes nations démocratiques. Tout parallèle historique avec les agissements yankees en Amérique latine dans les années 70 serait à coup sûr du populisme, non ?

Nous en sommes là. Les gouvernements en Europe n’ont plus le pouvoir, tout juste « restent-ils au pouvoir ». Ils ont remis en 2008 un système caduc à flot, permettant aux très riches de continuer à l’être et aux autres de s’appauvrir. Cette politique qui consiste à creuser toujours de nouveaux trous pour en boucher d’autres aura son terme. L’euro (le mark pour tous) ne rime plus aujourd’hui à grand chose sinon à ruiner les nations qui s’y accrochent à l’exception de l’Allemagne. Peut-être mourra-t-il de sa belle mort, ou sera-t-il sauvé et deviendra-t-il une monnaie de réserve pour les pays qui décideront de rester dans sa zone. Les dettes ne seront pas toutes remboursées, et tant pis pour les plumes perdues, l’Allemagne n’a-t-elle pas fait trois fois défaut au siècle dernier ?[1. Je l’ai lu dans le Spiegel en Septembre]. On nous promet l’apocalypse continentale en ce cas ? Honnêtement, vous connaissez autour de vous quelqu’un de motivé pour la guerre ? La disparition des services militaires nationaux dans les grands pays européens aura au moins eu un mérite : plus personne ne sait tenir un fusil, sauf les chasseurs. Par ailleurs, assistons-nous à une montée des tensions ou à à une quelconque brutalisation des sociétés ? Non, l’Europe est globalement peuplée de gens calmes, habitée de sociétés pacifiées (peut-être, les Balkans…). La construction européenne a fait son œuvre de ce côté-là. Restent nos élites. Si l’euro dans sa forme actuelle est balayé, elles seront discréditées avec lui. Et alors ? Le changement des élites est toujours le moment d’expérimentations politiques qui peuvent être porteuses de nouvelles promesses. Ça ne se fera pas sans douleur ni heurts, mais au point où nous en sommes, avons-nous le choix ?

Nous en sommes donc là. Et ce qui reste somme toute légèrement inquiétant pour l’avenir immédiat est que si Hollande et Sarkozy proposent la même politique (cohérente : on passe à la caisse), la seule à présenter une autre politique cohérente est Marine Le Pen (on sort de l’euro sans autre forme de procès). Aucune de ces deux politiques n’est viable, ni ne se fera. On est dans le flou artistique, le « marché » nous a à l’œil, le peuple s’appauvrit, et Victor Hugo résonne à nos cœurs.

Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire !
Puissance, liberté, vieil honneur militaire,
Principes, droits, pensée, ils font en ce moment
De toute cette gloire un vaste abaissement.
Toute leur confiance est dans leur petitesse.
Ils disent, se sentant d’une chétive espèce :
— Bah ! nous ne pesons rien ! régnons. — Les nobles cœurs !
Ils ne savent donc pas, ces pauvres nains vainqueurs,
Sautés sur le pavois du fond d’une caverne,
Que lorsque c’est un peuple illustre qu’on gouverne,
Un peuple en qui l’honneur résonne et retentit,
On est d’autant plus lourd que l’on est plus petit !
Est-ce qu’ils vont changer, est-ce là notre compte ?
Ce pays de lumière en un pays de honte ?

Victor Hugo, 1849.

Cet article a été initialement publié sur le site de Parti pris.

C’est la faute aux marchés !

57

Je ne suis pas la moitié d’un imbécile et j’ai décroché un bon bac B. J’ai également suivi quelques cours d’économie en première année de droit. Le professeur, Alain Redslob, reconnaissable entre mille, était le seul à officier encore en robe. Ca vous pose une matière. Mais tout ceci ne m’est strictement d’aucune utilité pour comprendre comment les marchés ont pu nommer Mario Monti chef du gouvernement italien.
Je vois bien, pourtant, en lisant la presse qualifiée, comme Marianne, que les marchés nous tiennent par les cojones, qu’ils exigent, imposent, obtiennent. Dans le vrai journal, Le Monde, Philippe Ridet tente une démonstration, pour aboutir à cette conclusion : « une fois encore, les marchés et les institutions ont imposé leur vue » (au singulier, notez).

Avec l’autre Premier Ministropoulos, les marchés hégémoniques, spéculatifs et irrationnels ont réussi leur coup : en lieu et place d’un politique comme on les aime, ils ont imposé des techniciens, connaisseurs des rouages financiers, conscients des enjeux, et emblématiques du retour à la rigueur souhaité de la Grèce et de l’Italie. Nous français, restons d’ailleurs vigilants : le risque n’est pas écarté que les marchés nous réservent le même sort et que l’on se retrouve avec un type qui aurait la carrure, l’expérience, et l’aura de rigueur pour ce temps de crise.

Philippe Ridet le dit très bien : les marchés ont empêché la tenue d’un référendum en Grèce. Le peuple grec porte encore sur la joue la trace de la botte des marchés. Là encore, ils ont empêché la tenue d’une très démocratique consultation fondée sur le reniement de l’engagement pris par un dirigeant démocratiquement désigné. Nous aurions pu attendre plusieurs semaines pour savoir si l’on pouvait dégager un grand élan populaire en Grèce pour souffrir davantage, jauger de l’effet de l’incertitude sur les marchés, sur notre économie et, in fine, peut-être sur notre démocratie. Au lieu de cela, la Grèce va appliquer ses engagements, et a viré un Premier Ministre que tout le monde s’accorde maintenant à présenter comme un incapable. Putain de marchés.

Une fois de plus, mes lacunes en économie m’empêchent de comprendre comment font les marchés pour imposer tout cela. Je n’ai pas les clés. Comment se coordonnent-ils ? Comment la décision se prend-elle entre le marché de Milan, ceux de Paris, de Francfort sous la tutelle nécessaire de New-York ? Dans quelle instance inconnue, dans quelle conf-call transmettent-ils leurs instructions aux gouvernements ? Plus j’y pense et plus Le Monde me convainc de l’existence de l’insigne Main Invisible, organisation aussi secrète qu’en d’autres lieux et temps la redoutée Main Noire.

Tant pis si je ne comprends pas le procédé. Reste la décision. Comment les marchés ont-ils bien pu considérer que, dans cette situation économique, un président du conseil empêtré dans ses partouzes et ses conflits d’intérêts n’était pas la personne requise pour le job ?

Jean-Pierre Jouyet a très bien illustré ce fonctionnement surprenant, en nous prévenant que « les citoyens se révolteront contre la dictature de fait » des marchés. A la question : « Les marchés ont-ils pris le pouvoir ? », il répond : « Ils sont puissants. Il y a un mélange d’irrationalité et de rationalité dans leur démarche. Mais ce que veulent les investisseurs, c’est placer leur argent dans de bonnes conditions. Or, ils s’inquiètent sur l’avenir de certains pays européens tout comme sur l’état de santé de l’économie américaine. Leur message est clair : nous devons sortir d’une économie d’endettement. » Méfions-nous. Des instances qui, comme ça, veulent placer leur agent dans de bonnes conditions et se piquent de penser que nous devrions nous sortir d’une économie d’endettement, on imagine un peu où ça peut nous mener. Va falloir que les peuples se révoltent.
Alors Jean-Luc Mélenchon a raison de fustiger les marchés. Et toute la gauche avec lui. Et plus encore, Bruno Le Maire, qui sonne le tocsin : « nous sommes en guerre contre les marchés (et) il faut choisir son camp ».

J’ai trouvé une note discordante, comme une forme de traîtrise, d’autant plus incompréhensible que le costume libéral sied assez mal à l’homme : « Ce n’est pas seulement pour faire plaisir aux agences de notation qu’il faut entreprendre un effort de redressement collectif. C’est aussi et surtout pour éviter de laisser à nos enfants le poids cumulé de trop de lâchetés gouvernementales bien partagées, hélas, par l’opinion publique et par les partis de tout bord. De la même manière, il est un peu court, voire manipulateur, de dire que ce sont les agences de notation, les institutions européennes ou l’euro qui nous imposent la rigueur. Celle-ci devient inéluctable parce que nous ne pouvons plus nous payer notre mode de vie. Tout simplement. »
Ne feignez pas de lire ce que je n’ai pas écrit : je n’absous pas les marchés de tout péché. Le président de Standard and Poors doit être pendu par les couilles au mât d’artimon.

Mais l’incrimination des marchés a des airs de déjà-vu. Ceux du bouc émissariat. Les politiques en ont besoin. Pour justifier leurs errements passés, leurs indécisions actuelles, les pilules à venir, ils s’appuient sur des entités globales, extérieures, étrangères, au fonctionnement obscur pour le petit peuple et pour moi-même. Ce sont classiquement les étrangers (par l’immigration ou la mondialisation) ou encore l’Europe, si souvent invoquée quand les politiques n’assument pas leurs décisions. Les marchés sont pareillement dotés des attributs qui les désignent aisément au rôle de bouc émissaire.

De mon côté, je ne peux pas m’indigner que les marchés entendent « placer leur argent dans de bonnes conditions », qu’ils ne se satisfassent pas d’une bien contradictoire « économie d’endettement ». Et j’ai encore l’impression qu’un Mario Monti a été nommé pour rassurer des marchés légitimement inquiets que la situation d’endettement de nos économies leur pète au visage, et non que cette nomination a été une concession complaisante aux financiers de tout poil.

Ce bouc émissariat ne doit pas nous détourner des enjeux de la rigueur, à commencer par la simple capacité de l’Etat à assurer ses missions centrales. Armée, Justice, Santé, Éducation et Police sont soumises à des contraintes budgétaires stupéfiantes. Le déficit de moyens de l’Etat dans chacune de ces missions est affolant. Cela donne des soldats envoyés en mission sans l’équipement nécessaire, les juges sans greffières ou les greffières sans ordinateur récent, les fermetures de classes… Un ami capitaine de police me confiait récemment que le développement de la police municipale palliait l’incapacité de la police nationale à s’implanter partout.

Quand on aura fini de jouer autour « des marchés », j’espère que l’on prendra la peine de chercher la réponse à cette question : comment, dans notre pays, par ailleurs cinquième puissance économique mondiale, assurons-nous ces missions centrales de l’Etat ?

Eva Joly va-t-elle ramener les Verts à l’âge de pierre ?

10

On a souvent dit ici tout le bien qu’il fallait penser d’Eva Joly : si comme moi, vous n’êtes partisan ni des couches lavables, ni du vélo obligatoire, ni de l’alignement de la politique étrangère de la France sur celle du Hamas, réjouissez-vous : l’ex-magistrate en bois est en train de purger la question verte.

Dernier exploit en date, la pomme de discorde de l’EPR : Eva a réussi, à force d’ultimatums aux accents encore plus dramatiques que teutoniques à rendre un fieffé service à François Hollande : donner à celui que certains humoristes (mal informés ou mal intentionnés) surnommaient Flamby une stature de dirigeant politique ferme qui ne transige pas avec les principes, même quand il est soumis au chantage de ses supposés plus proches alliés.

Résultat, pas un proche de Hollande qui ne profite du micro pour en remettre une couche, y compris le falot Mosco qui enfoncé le clou ce matin sur France2 : « Nous ferons Flamanville, c’est une décision de François Hollande, c’est un acte de fermeté, c’est une position de principe, à condition bien sûr qu’il n’y ait pas de problème de sécurité ». Michel Rocard, quant à lui, ne s’est pas gêné pour rappeler, qu’en plus d’être plus polluant que l’atome « le charbon tue beaucoup plus de gens ». Même Superbougon Chevènement y est allé d’un compliment appuyé : « Sur la poursuite des travaux de l’EPR, François Hollande a tenu un propos clair et ferme. Et je pense qu’en restant ferme, il acquiert quelque chose qui le rapproche d’une stature de présidentiable ».

D’autres diront les choses encore plus clairement : à chaque fois qu’on tape sur les Verts, on se rapproche du peuple. Merci qui ? Merci Eva Joly.

Francfort über alles

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Ce qui est fascinant chez Jürgen Habermas, c’est sa vertigineuse capacité à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, en l’occurrence à nous présenter comme raison universelle un discours issu des profondeurs de l’âme allemande et conforme aux seuls intérêts de sa patrie germanique. Il nous avait déjà vendu le bobard du « patriotisme constitutionnel », version bisounours d’un nationalisme allemand à jamais guéri de l’ubris qui anima les Reich numéro un, deux et surtout trois. Et selon notre ami Jürgen, comme toujours, ces braves Français englués dans leur rêve passéiste de « Grande Nation »[1. C’est avec cette formule que les journalistes allemands commencent leurs articles cognant sur la France.], n’auraient rien compris à une époque résolument post-nationale.

C’était à la fin des années 1980, et l’on put constater, quelques mois après les leçons du professeur Habermas, que le patriotisme allemand ne présentait pas de différence notable avec celui qui était en vigueur dans d’autres pays comparables. À l’occasion de la réunification du pays, en 1990, ce patriotisme se montra même passablement exalté et romantique, ce dont je ne lui ferai pas reproche, car le peuple allemand est un grand peuple et il avait regagné, au prix d’une longue période de repentance, le droit d’être fier de lui.[access capability= »lire_inedits »]

Aujourd’hui, Habermas nous revient avec un discours « européiste »[2. Le Monde du 25 octobre 2011.] apparemment critique de la politique menée par la chancelière Angela Merkel − clin d’œil à ses amis de gauche −, mais en réalité taillé sur mesure pour servir de support théorique à l’« Europe allemande » du XXIe siècle. Il fait ainsi chorus avec le très nationaliste éditorial de la Frankfurter Allgemeine Zeitung demandant, à l’occasion de la crise de l’euro, « Davantage d’Europe ! » − entendez : « Plus d’Allemagne ! » Habermas dénonce la paralysie des instances européennes et propose que l’UE se constitue en entité démocratique post-nationale (ça le reprend !) : « C’est une perspective engluée dans le XIXe siècle qui impose la réponse connue du demos : il n’existerait pas de peuple européen ; c’est pourquoi une union politique méritant ce nom serait édifiée sur du sable. À cette interprétation, je voudrais en opposer une autre : la fragmentation politique durable dans le monde et en Europe est en contradiction avec la croissance systémique d’une société mondiale multiculturelle, et elle bloque tout progrès dans la civilisation juridique constitutionnelle des relations de puissance étatiques et sociales. […] Après cinquante ans d’immigration du travail, les peuples étatiques européens, au vu de leur croissant pluralisme ethnique, langagier et religieux, ne peuvent plus être imaginés comme des unités culturelles homogènes. Et Internet rend toutes les frontières poreuses. »
Que voilà une dialectique qu’elle est belle ! Le réel, c’est-à-dire la permanence des peuples, la résilience des États-nation face à la multiculturalisation généralisée, n’étant pas conforme à l’idée qu’il se fait du monde en devenir, Habermas le repeint à sa façon et décrète ringards (ou populistes) ceux qui émettraient quelques doutes sur la solidité de l’édifice qu’il propose de construire. Et il brandit un argument supposé donner le coup de grâce à ses contradicteurs : Internet, en rendant toutes les frontières poreuses, serait le vecteur d’une culture mondialisée rendant ces mêmes frontières obsolètes. Ainsi la vieille montagne nationale accoucherait-elle d’une souris post-nationale avant de s’écrouler à jamais.

À ma connaissance, Jürgen Habermas vit à Francfort-sur-le-Main, ville où l’utopie « multiculti » tentée par Cohn-Bendit et ses amis de la coalition municipale rouge-verte dans les années 1980 s’est magistralement plantée. Certes, dans quelques quartiers de la ville, on parle plus le turc que l’allemand, mais visiblement cela ne suffit pas à faire société. Les Turcs restent turcs (très peu se font naturaliser) et les Allemands… allemands. Comme ces derniers sont largement les plus nombreux dans l’État-nation portant le nom de République fédérale d’Allemagne, leur langue et leur culture n’est que marginalement affectée par la présence de cette « immigration du travail ». Le succès éditorial, en 2010, de L’Allemagne court à sa perte, pamphlet identitaire de Thilo Sarrazin diffusé à plus d’un million d’exemplaires outre-Rhin, ne semble pas avoir ébranlé Jürgen Habermas dans ses certitudes : selon ce nouveau saint Paul, il n’existerait aujourd’hui pas plus d’Allemands et de Français qu’il n’existait hier de Juifs et de Grecs aux yeux de Saül de Tarse.

Pourtant, son appel à l’effacement des nations et à leur dissolution dans une démocratie européenne n’est contradictoire qu’en apparence avec la politique de défense intransigeante des intérêts allemands conduite par Angela Merkel. Si on regarde l’Europe avec des lunettes réalistes, on ne peut que constater qu’elle est revenue à un agencement des puissances qui place l’Allemagne en position de leadership continental. C’est, à peu de choses près, le dispositif de l’Europe post-munichoise de 1938 : au sein de l’Eurozone, l’Allemagne fédère autour d’elle des pays qui se soumettent (cette fois-ci volontairement et démocratiquement) à son hégémonie[3. Si l’on ajoute à cela l’alliance énergétique germano-russe, qui rend furieuses la Pologne et la République tchèque, l’analogie est encore plus frappante.]. Il y a les vassaux directs, Autriche, Slovaquie, Finlande, Pays-Bas, et des « vavasseurs », vassaux de deuxième rang : la Slovénie dans le sillage de l’Autriche, l’Estonie dans celui de la Finlande. Ces pays constituent une sorte de « Ligue du Nord » vertueuse dont l’homogénéité idéologique et politique concernant la gestion financière et économique de l’Union européenne tranche singulièrement avec le joyeux bordel régnant au sein du « Club Med », ces pays du Sud « laxistes » : Espagne, Italie, Grèce et Portugal.

Voilà pourquoi le « couple franco-allemand » est largement devenu une fiction. Il n’est plus le duo à peu près équilibré des années 1960-1980, mais un attelage où on trouverait, d’un côté du timon, quelques robustes chevaux conduits par un pur-sang germanique et de l’autre, un âne solitaire[4. Tous ceux qui me connaissent savent l’amour que je porte aux ânes, qui exclut toute intention dépréciatrice dans la métaphore employée.], courageux certes, mais incapable d’influer sur la marche du véhicule. Alors, que cette réalité trouve son cadre institutionnel dans une organisation intergouvernementale, comme c’est le cas aujourd’hui, ou dans la démocratie post-nationale chère à Jürgen Habermas est en définitive secondaire. L’assemblée supposée, dans cette seconde hypothèse, conduire le destin de cette « post-nation » ne saurait être qu’un Bundestag élargi, sinon il y a fort à parier que la « Ligue du Nord » prendrait la poudre d’escampette, avec ou sans l’euro dans sa musette.

De toute façon, quel avenir a un couple qui ne se retrouve que pour discuter de la gestion du compte bancaire commun mais qui s’engueule ou, en tout cas, diverge sur tout le reste, le mode de chauffage de l’immeuble, sa sécurité, les travaux à entreprendre, les relations avec les voisins ? Soit l’un des partenaires se soumet, soit le couple se sépare. Fin octobre, on a assisté à l’une des dernières tentatives de remettre ce choix inéluctable à des jours plus favorables. Par exemple après les prochaines élections.[/access]

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Arrivederci Berlusconi !

6

Berlusconi a donc démissionné. Après une petite décennie de pouvoir, il laisse la place à l’ex-commissaire européen Mario Monti qui dirigera un gouvernement de technos. Puisqu’une page de l’histoire transalpine se tourne, j’aimerais réhabiliter ce grand chêne victime d’une vindicte injustifiée. Je n’ai jamais compris pourquoi le Cavaliere suscitait un tel niveau de haine chez les élites (qui ont fini par lui faire la peau). En y réfléchissant bien, j’ai trouvé la réponse : s’il a toujours été diabolisé et stigmatisé, c’est qu’il était altermondialiste !
Démonstration.

Primo, le fondateur de Forza Italia cède à la pression des marchés financiers et de leur impitoyable aiguillon, les agences de notation. Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch ont désavoué celui que démocrates-chrétiens et sociaux-démocrates dépeignent comme un dangereux populiste, à mi chemin entre Poujade et Mussolini. En cause, l’endettement colossal de l’Italie bien sûr, mais surtout l’incapacité de la coalition gouvernementale Berlusconi-Bossi à couper encore davantage dans les dépenses. Des dépenses sociales, notamment.
C’est là qu’entre en jeu le talent de rassembleur de Berlu, dont la majorité parlementaire allait des sociaux-libéraux héritiers de Craxi (son parrain…politique) aux ex-néo-fascistes de Fini[1. Qui a doublement trahi : le Duce puis Berlusconi], en passant par les séparatistes de la Ligue du Nord. Ces derniers, dirigés d’une main de fer par Umberto Bossi, ont d’ailleurs précipité la chute de Berlusconi en refusant mordicus de relever l’âge de la retraite à 67 ans, prouvant une nouvelle fois la vocation sociale de leur alliance. Les anti-mondialisation adeptes des solidarités régionales sauront aussi gré à la droite italienne d’avoir gouvernementalisé l’extrême droite lombarde, laquelle aime tellement l’Italie qu’elle voudrait qu’il y en eût deux (avec une ligne Maginot censée repousser les masses migrantes tunisiennes…).

Dans sa vie privée, Berlusconi appliquait carrément le programme sociétal de la gauche, comme si lui disputer le terrain du social ne lui suffisait pas. On doit en effet au président du Milan AC une spectaculaire et prodigieuse campagne d’agit prop’ en faveur du droit de vit accordé aux jeunes filles de moins de 18 ans, un acquis féministe autrement plus audacieux que le droit de vote dès 16 ans ! Ruby en sait quelque chose, son initiation à la force virile bunga-bunga valant tous les pass contraception du monde…
Autre signe d’anticonformisme, le tropisme russe de Berlusconi lui a valu le salut de Vladimir Poutine, qui a eu l’élégance de regretter son départ. S’il regardait à l’Ouest, en bon atlantiste, Berlu assumait clairement ses amitiés est-européennes, y compris en conviant le premier ministre tchèque Mirek Topolanek à des parties fines filmées en compagnie de jeunes nymphettes. Comme tout homme de goût, Silvio savait apprécier le charme des belles slaves, qui le lui rendaient bien.

Il y a quelques années, le Président du Conseil italien avait provoqué l’indignation des parlementaires européens en traitant l’eurodéputé allemand Martin Schulz de « kapo ». De quoi défriser la gauche sociale-traîtresse et les bancs de la droite planplan, complices dans 97% des votes à Strasbourg. L’histoire était écrite : l’impétueux et fantasque Silvio devait périr par là où il avait pêché, crucifié par Angela la teutonne, qui met l’euro à feu et à sang en refusant de lâcher son emprise sur la BCE.

Ainsi, la chute de Berlusconi marque le début de la colonisation économique de l’Europe par les anciens de Goldman Sachs, multinationale bancaire qui place ses pions à la tête de la Banque Centrale Européenne (Mario Draghi), des gouvernements grec (Papademos) et italien (Monti). Une telle collusion interpelle les esprits aussi peu complotistes que le mien.
Mais soyons un peu plus optimistes. Viré à soixante-quinze ans comme un malpropre, non sans avoir préparé la prochaine récession transalpine, Berlusconi aura témoigné jusqu’au bout de son attachement secret et indéfectible à la notion de décroissance.

Allez Silvio, abandonne définitivement la politique et prends ta retraite chez Tiqqun, Julien Coupat t’attend !