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L’arithmétique du « dernier » sommet

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Voilà, le sommet européen de tous les dangers est terminé. Il devrait nous assurer des vacances sereines. Il n’empêche, au cas où, on nous annonce la tenue d’un possible huitième « sommet de la dernière chance » avant les fêtes pour que tout le monde digère correctement la dinde de Noël et la cuite du Nouvel an.

Loin d’avoir été triomphal, ce sommet n’en a pas moins été distrayant. Au moins confirme-t-il l’hypothèse « lordonnienne » du comique comme remède à la crise. Et puis, il a fait bouger les lignes, comme on dit.

Les chefs d’Etats et de gouvernements se sont en effet accordés sur l’idée d’une formule à « 17-plus ». Cette solution concerne les 17 membres de l’eurozone, auxquels il convient d’ajouter six pays non-membres, et une poignée d’Etats qui réservent leur réponse. Nous avons donc là un exemple typique de l’équation « 17 + 6 + X », dont on espère qu’elle fera date.

Dans le même temps, la Grande-Bretagne a décidé de faire cavalier seul, nous faisant basculer sans transition de l’ère de « l’ignominie germanophobe », vivement condamnée par les médias mainstream, à celle de « l’anglophobie nauséabonde », condamnée par personne. Pourtant, la « britannophobie » nous rappelle elle aussi quelques unes des « heures les plus sombres de notre histoire ». Mais en l’occurrence, il faut remonter au-delà de 1940 dans l’histoire du continent, ce qui semble provoquer une épidémie de KO techniques jusque chez les commentateurs les plus avertis.

Quoiqu’il en soit, cette fois-ci, la messe est dite : l’épopée des Vingt-sept, c’est fini. Et c’est une Europe à « 27-moins » qui vient de se mettre d’accord sur une solution à « 17-plus ».

N’imaginons surtout pas que l’histoire s’arrête là ! On vient d’apprendre que l’adhésion de la Croatie à l’Union avance à grands pas, et qu’elle devrait bientôt être effective ! Ainsi, l’Europe à « 27-moins » qui vient d’adopter une solution à « »17 + 6 + X » » n’est ni plus ni moins qu’une future Europe à « 26-plus » !

Vous n’avez rien compris ? Bravo : vous êtes normal. Surtout, pas d’inquiétude : de très nombreux « experts » modélisent d’ores et déjà les algorithmes appropriés.

C’est l’Europe à « géométrie variable » que nous voulions. Résultat : nous avons une Europe incurable à géométrie instable !

« Toutes les religions ne sont pas compatibles avec toutes les nations »

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Photo : khalid Albaih.

Daoud Boughezala. Un Européen sur dix a des racines ailleurs, principalement dans le monde arabo-musulman. Selon vous, cette minorité menace-t-elle de « conquérir » le continent et de révolutionner la vie des Européens « de souche » ?

Christopher Caldwell. Dans mon livre , je parle de culture et non pas d’ethnies. Le fait que 99% des Américains aient leurs racines ailleurs n’a pas empêché la construction d’une culture nationale commune. Quant au verbe « conquérir », je le trouve inapproprié, puisqu’il suggère que l’immigration de masse que connaît Europe depuis cinquante ans obéit à une stratégie ou à un plan préétablis, ce qui n’est pas le cas. En revanche, le verbe « déplacer » − terme qu’employait Enoch Powell dans ses discours controversés des années 1960 – me semble mieux qualifier ce phénomène. Les problèmes posés par l’immigration de masse ne constituent pas un crime. Ils sont plutôt une tragédie, pour une bonne part involontaire.

DB. De plus en plus, les critiques de l’immigration se polarisent sur l’islam. Or, vous écrivez que l’immigration de masse et l’islamisation sont deux « problèmes » distincts qui « se recoupent » néanmoins. Quel est le vrai défi posé à l’Europe : l’immigration ou l’islam ?

CC. L’immigration de masse constitue le grand défi pour l’Europe en ce qu’elle pose des problèmes que l’immigration individuelle ne pose pas. Lorsque des individus immigrent, ils ne peuvent retrouver des repères culturels qu’en adoptant la culture de leur pays d’accueil. Lorsqu’il s’agit de masses, elles apportent leur culture d’origine avec elles, sauf si le pays d’arrivée prend des mesures énergiques pour les en empêcher. Or, loin d’adopter de telles mesures, les pays européens ont tout fait pour encourager ces cultures étrangères. Ce fut une erreur terrible. De ce point de vue, aujourd’hui, l’un des principaux obstacles à l’assimilation des immigrés est l’existence de réseaux entiers de restaurants, de coiffeurs, de journaux et de commerces qui permettent d’importer dans le pays d’accueil le mode de vie et les codes culturels du pays d’origine. Et ce phénomène est aggravé par Internet, qui permet à chacun de vivre connecté à la société dont il est issu.

DB. Il aurait été étrange et même fâcheux qu’on accueille des individus en dénigrant leur culture…

CC. Soyons clairs : il ne s’agit pas de déclarer telle ou telle culture « supérieure » ou « inférieure » à une autre. Les cultures étrangères sont problématiques non pas parce qu’elles seraient intrinsèquement « mauvaises » ou « inférieures » mais parce qu’elles se heurtent aux règles de la vie en société, aux droits et aux devoirs de l’individu dans les pays d’accueil. La confusion culturelle qu’elles entraînent mine la démocratie, la cohésion sociale et jusqu’à la légitimité gouvernementale.

DB. Vous n’avez pas répondu sur l’intégration de l’islam qui est pourtant le sujet de votre enquête…

CC. À l’intérieur du phénomène général qu’est l’immigration de masse, l’islam pose un problème particulier car il s’agit d’une religion prosélyte, comme le christianisme. De surcroît l’islam a été, plus encore que les deux autres monothéismes, une religion de conquête.[access capability= »lire_inedits »] Or, une minorité de ses adeptes pense qu’elle devrait le rester, ce qui d’ailleurs ne signifie pas que l’immigration des musulmans vers l’Europe traduise une volonté de conquête. Ce qui a rendu la situation tragique, c’est que l’afflux d’immigrés musulmans est intervenue dans les années 1950-1970, alors qu’une majorité de chrétiens et de musulmans semblaient délaisser leur religion pour devenir « modernes ». Or, ce qui était vrai pour les premiers s’est avéré faux pour les seconds.

DB. Comment pouvez-vous en avoir la certitude ?

CC. Etude après étude (la plus récente étant celle de l’Institut Montaigne), on observe qu’un nombre élevé de musulmans des banlieues privilégient leur allégeance religieuse par rapport à leur appartenance nationale. En réalité, cette hiérarchie des appartenances vaut pour toutes les personnes vraiment religieuses, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes ou juives. Un individu qui croit en Dieu serait idiot d’accorder plus de poids aux choses temporelles qu’au monde éternel. Pour autant, toutes les religions ne sont pas compatibles avec toutes les nations. Ainsi, la France, une République laïque, est aussi − de l’avis unanime des catholiques comme des non-catholiques − la « fille aînée de l’Église ». Il n’y a pas de conflit entre l’identité catholique et l’identité française parce que la France est indéniablement un pays d’histoire et de culture catholiques. En revanche, jusqu’à ces deux dernières décennies, la France n’était absolument pas un pays musulman. Elle a même été en guerre contre des États musulmans, y compris récemment. Au cours du dernier millénaire, les intérêts de la France ayant très rarement convergé avec ceux de l’islam, il n’y a aucune raison de croire, sauf à se bercer d’utopie, qu’ils s’accorderont durablement à l’avenir.

DB. L’Europe n’est-elle pas apte à assimiler les descendants des immigrés musulmans comme les États-Unis l’ont fait avec les Irlandais, très mal vus à l’époque de leur arrivée massive à Ellis Island ?

CC. Peut-être, mais il ne faut pas oublier que les Irlandais ont eu beaucoup du mal à s’assimiler ! Jusqu’à aujourd’hui, beaucoup d’Américains d’origine irlandaise n’ont toujours pas abandonné leurs allégeances ancestrales. Il a fallu plus d’un siècle pour qu’ils cessent d’exprimer violemment leur identité, aux États-Unis et ailleurs. Et il ne s’agit pas d’un simple folklore : pendant la guerre de Sécession, une quinzaine d’années après la famine des années 1840 (dite « de la pomme de terre ») et les premières vagues d’immigration de masse de ce pays, des immigrés Irlandais se sont soulevés contre l’effort de guerre exigé par le Nord. Cinquante ans plus tard, lors de la Première guerre mondiale, un nombre significatif d’Irlando-Américains ont soutenu l’Allemagne, car celle-ci s’opposait à leur ennemi héréditaire britannique, pourtant allié de leur nouvelle patrie… Le même scénario s’est reproduit dans les années 1930. Quant aux terroristes de l’IRA, ils ont été abondamment financés – jusque dans les années 1990 ! − par des fonds en provenance des communautés irlandaises des États-Unis.

DB. Malgré ces vicissitudes, ils sont devenus de « bons Américains ». Est-ce parce que, malgré l’antagonisme entre catholiques et protestants en Irlande, il est plus facile, pour un pays d’histoire chrétienne, d’assimiler des chrétiens ?

CC. Évidemment, cela compte beaucoup. C’est l’occasion de rappeler une chose que l’on ignore souvent en Europe à propos de l’assimilation aux États-Unis : en devenant américain, l’immigré garde sa religion. La plupart des Américains ont conservé la religion de leur arrière-arrière-arrière… grand-mère. Ainsi, le catholicisme des Irlandais n’était pas étranger aux États-Unis de la même manière que l’islam peut l’être à l’Europe occidentale. Le Maryland catholique était l’un des 13 États fondateurs du pays. La Louisiane catholique est entrée dans l’Union en 1812. A contrario, l’Europe occidentale n’a pas connu une présence durable de l’islam sur son sol depuis plus de cinq cent ans. En outre, l’Irlande ne comptant que 3 millions d’habitants, elle n’a connu que des conflits sporadiques et limités. En revanche, le monde musulman abrite 1,3 milliard d’êtres humains, ainsi qu’une large variété de conflits, qui suscitent une forte solidarité confessionnelle. Pour prendre un exemple concret, les passions autour du conflit israélo-palestinien ne se cantonnent pas à la diaspora palestinienne mais concernent l’ensemble des musulmans européens. La conclusion, c’est que, si l’immigration irlandaise a été l’une des plus difficiles à assimiler pour les États-Unis, l’immigration musulmane sera encore bien plus difficile à absorber pour l’Europe.

DB. Pour vous, « la voie de la modernisation européenne passe par la galerie marchande, le piercing de nombril, le jeu en ligne, un taux de divorce de 50% et une forte tendance à l’anomie et au dégoût de soi ». Au fond, l’immigration de masse n’est-elle pas un symptôme de la crise identitaire d’un continent qui n’aspire qu’à s’intégrer au marché mondial et à adopter la culture ultra-consumériste de l’Amérique ?

CC. Absolument ! En réalité, la culture consumériste et l’immigration de masse représentent deux faces d’un phénomène global. Dès lors que le marché nécessite une force de travail souple et bon marché, il ne peut se passer facilement de l’immigration.

DB. Comment voyez-vous l’Europe dans cinquante ans ? Sommes-nous condamnés à devenir les héros d’un Camp des Saints grandeur nature ? Que doit faire l’Europe pour échapper à ce sort peu enviable ?

CC. L’Europe ne ressemblera certainement pas au Camp des Saints, qui offre une vision romanesque intéressante mais datée « XXe siècle ». Je partage l’analyse des théoriciens de gauche, de droite et du centre qui, de plus en plus, voient le XXe siècle comme une parenthèse historique. Il est évidemment risqué de prévoir l’avenir, mais l’Europe de demain pourrait ressembler à ce qu’elle était avant l’unification de l’Allemagne et de l’Italie : un patchwork irrégulier de peuples sur lesquels une autorité politique exerce un pouvoir fondé sur des intérêts de classe. En somme, nous pourrions assister à un retour du féodalisme.[/access]

Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.

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Christopher Caldwell est journaliste. Il vit à Washington et est l’auteur d’Une révolution sous nos yeux, Comment l’islam va transformer la France et l’Europe, préface de Michèle Tribalat, Editions du Toucan

Paris-Berlin, l’Axe du moins bien

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Photo : Jusos de

En 1945, la France avait une dette de 145% du PIB. En 1960, cette dette n’était plus que de 40% du PIB. En 1967, Michel Debré, alors ministre des Finances, s’enorgueillit d’avoir remboursé le dernier franc de la dette française. Comment cet effort sans précédent fut-il possible ?

Réponse : par une politique de croissance soutenue par de grands programmes industriels et infrastructurels, par la possibilité accordée à la Banque de France de faire des avances aux trésor (au prix d’un peu d’inflation) et par plusieurs dévaluations du franc. Notons que cette réduction de la dette ne s’est pas réalisée par la réduction des prestations sociales mais au contraire par leur généralisation (la Sécurité sociale date de 1945).

Qu’en est-il aujourd’hui ? On le sait, la dette française s’élève à 85% du PIB, soit presque la moitié du taux d’endettement de 1945. Logiquement, on se dit qu’en appliquant le programme de l’après-guerre, on devrait rembourser la totalité de la dette en moins de dix ans. Pourtant, aucune politique de croissance n’est aujourd’hui à l’horizon. Et pour cause : l’Europe et la France n’ont ni politique industrielle ni politique d’aménagement du territoire.

Dans le même temps, la Banque centrale européenne n’a pas le droit d’avancer des fonds aux Etats. Au contraire, elle prête aux banques privées qui financent les Etats moyennant une marge conséquente sur les taux. La Banque de France ne possède pas non plus ce pouvoir, d’ailleurs elle n’existe plus que sur le papier.

La monnaie étant unique, la France ne peut la dévaluer pour rétablir sa compétitivité face à l’Allemagne. La politique de l’euro fort maintiendra en outre une parité insoutenable par rapport au dollar. Au rythme où vont les choses, on ne sera pas en situation d’inflation mesurée (qui permet de réduire l’effet de la dette) mais de déflation, une calamité déjà vécue Outre-Rhin.

Sous l’impulsion de l’Allemagne, le gouvernement entérine ainsi une politique diamétralement opposée à celle qui permit à la France de rembourser sa dette entre 1945 et 1967. Nicolas Sarkozy et ses ministres appliquent un programme économique qui ressemble à s’y méprendre à la politique menée par la France et l’Angleterre à partir de 1930 pour remédier aux conséquences de la crise financière de 1929. Avec la suite que l’on connaît. La rigueur réduira les prestations sociales des Français, entraînera la hausse des prélèvements sociaux et créera un climat de profonde affliction peu propice au développement économique.

Le plan européen s’accompagnera d’une restriction démocratique sans précédent puisque les arbitrages budgétaires seront délégués au « cloud » : une nébuleuse composée de technocrates européens, de chefs de gouvernements autodésignés dans leur prérogatives de direction de l’Europe, de juges suprêmes insaisissables, etc. Les parlements nationaux et le Parlement européen ne seront bien évidemment pas parties prenantes de ce « cloud government ».

Et pour la première fois, le contrôle démocratique du budget échappera même à toute souveraineté, qu’elle soit nationale ou européenne…

Captain Brackmard a encore frappé !

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Après l’immense succès virtuel de son tube PQR, le virevoltant Captain Brackmard revient avec J’télécharge si je veux.


J'télécharge si je veux – Captain Brackmard par captainbrackmard

Celui qui jouait le rôle du jeune Kader dans la très oubliable série Seconde B au début des années 1990 signe une charge musclée contre l’hyperpuissance des majors de la musique et leur discours anti-fraude. Comme toujours avec Captain, les paroles valent le détour et se suffisent à elles-mêmes : c’est à coups de rimes riches qu’il se torche avec Hadopi !

Attention, refrain déconseillé aux tympans vierges de toute chanson paillarde : « J’télécharge si je veux/ J’achète des disques si je veux/ T’as pas à me dire ce que je dois faire/ Va n… ta mère/ J’télécharge si je veux/ J’vais au ciné si je veux/ Quant t’as n… ta mère va n… ton père ».

Avec cet hymne à la liberté anticapitaliste, Brackmard dépasse Philippe Poutou sur le terrain de la subversion… que demande le peuple ? Ecoutez : « Quand tu sors un nouveau disque j’en suis tout ému/ J’m’en tape de prendre des risques du moment que je t’enc…./ Clic Clic t’es dégoûté tu pleures sur tes millions/ Moi j’ai la tr…/ J’vais te b… et en douceur et par le fi…  ».

Bon, une fois notre machine à biiiiiiips détraquée, on retient la violence polie de cette diatribe révolutionnaire : « Fuck la FNAC, j’veux pas être dans leurs bacs avec les p… de la Star’Ac/ J’leur pisse dans la ch… ».

Belle leçon d’insoumission aux diktats de la marchandise discographique, fût-elle dématérialisée et sponsorisée par Universal ou TF1. Un esprit de rébellion typiquement hexagonal que ce Captain Brackmard qui clame fièrement « Ouais mec j’suis français ! ».

Tous au charbon !

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Thomas le petit train. Photo : FotoSpawn.

Mon fils Frédéric s’est récemment pris de passion pour une locomotive bleue venue d’outre-Manche : Thomas le Petit Train. Le merchandising indélicat subit par cette série d’historiettes illustrées m’avait d’abord fait hausser mes sourcils de censeur. Mais un examen plus attentif a dissipé toutes mes craintes. Car les nouveaux réacs ont enfin leur dessin animé. Né en 1945 sous la plume du Révérend Wilbert Awdry et constamment remis au goût du jour depuis, les aventures de Thomas et ses amis véhiculent des « valeurs à l’ancienne », de l’aveu même de ses éditeurs.

Jugez plutôt. Thomas est une locomotive à vapeur qui vit sur l’île de Chicalor. Je devrais d’ailleurs dire qu’il travaille sur cette île car je n’ai pas le souvenir d’un seul épisode où un personnage joue, flâne ou se repose. Les amis de Thomas sont tous des engins mécaniques : locomotives, wagons, grues et même un hélicoptère. Notons que cette profusion de machines, moteurs et mécaniques industriels est sans doute ce qui plaît le plus aux enfants. Le principal personnage humain, le Gros Contrôleur, est habillé comme un ministre de Pompidou : jaquette, pantalon milleraies et haut-de-forme. Son parcours est une apologie du mérite et de l’ascension sociale par le travail : « il a gravi les échelons, passant de conducteur à contrôleur », son travail consistant à « s’assurer que les locomotives soient pile à l’heure et toujours utiles ».

Car voilà le sens de la vie dans l’univers merveilleux et productiviste de Thomas le Petit Train : être ponctuel et bien faire son travail. Imaginez donc : le pire qui pourrait arriver aux personnages, ce serait d’être cinq minutes en retard pour prendre un chargement de minerai de fer.
Aucune histoire ne serait intéressante sans péripétie ou conflit. Les Barbapapas passent leur temps à faire la guerre à de vilains pollueurs. Les Bisounours combattent le professeur Coeur-de-Pierre et le sorcier Sans-Coeur. Rien de tel chez Thomas : il n’y a pas de méchant à détruire. Ca ne veut pas dire que tout est rose. Les parents seront surpris de voir des personnages encore plus vaches que les collègues de bureau dans Dilbert : les plus rapides toisent les lents, les beaux snobent les laids, les forts friment devant les petits. L’abondance de blagues, chamailleries, manigances ou rivalités dissimule en fait un univers relationnel assez rare dans les séries pour enfants.

La morale de Thomas le Petit Train, c’est que le mal est principalement en moi et pas dans les autres. Et que je peux me réformer. Chaque épisode tourne autour un défaut propre à un personnage. Hank agace les autres locomotives par sa maladresse, « mais comme il cherche à bien faire, ses défauts sont pardonnés ». James « est si fier qu’il trouve des tâches indignes de lui, ce qui lui vaut des problèmes ». Whiff « adore ramasser les ordures et ne remarque même pas l’air méprisant que prennent certains à son passage ; ne se souciant guère de son allure, elle met un point d’honneur à faire correctement son travail. » Tous les personnages possèdent des travers qui provoquent des péripéties. Et c’est en surmontant leurs propres défauts qu’ils permettent à l’histoire de se dénoues.

Thomas a lui aussi ses tares : « il fait souvent preuve d’un zèle excessif et préfère faire lui-même des travaux qu’il conviendrait de confier à des locomotives plus puissantes et plus expérimentées ». Il n’est ni le plus fort ni le plus rapide. Mais le plus utile. Le monde de Thomas, c’est celui de la diversité des compétences et du travail d’équipe, le monde de la division du travail, de la production et du service, celui de la coopération volontaire, à l’opposé des modèles collectivistes de prédation et de coercition.

Au fond, pourquoi lisons-nous des histoires aux enfants ? Parfois pour qu’ils se taisent, le plus souvent pour leur donner une éducation morale et sentimentale. Celle de Thomas le Petit Train est une célébration sans retenue des valeurs traditionnelles de l’industrie, de la ponctualité et du sérieux. Les néo-réacs devraient donc regarder de plus près cette petite locomotive à charbon, dure à la tâche…et qui crache du CO2 toute la journée !

Bientôt l’épreuve de « genritude » au bac ?

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Judith Butler, professeur de littérature à Berkeley et championne de la lutte queer, vient d’être élevée à la dignité de docteur honoris causa par l’université de Bordeaux, la ville du vin sombre et viril, à la fois fort et doux, des cannelés gourmands aux rebonds sensuels. Et ce qui rend ce sacre encore plus sacrilège, c’est qu’il s’agit de l’université Michel-de-Montaigne, le sage peu épris de « novelletés » qui écrit : « Le fruit du trouble ne demeure guère a celui qui l’a ému, il bat et brouille l’eau pour d’autre pêcheurs. » Hé oui, le « trouble dans le genre », ou encore « trouble dans le sujet, trouble dans les normes », titre du livre que Fabienne Brugère, professeure (tiens, y aurait-il encore des sexes ?) à Bordeaux III a co-écrit sur Judith Butler , vient battre et brouiller l’eau claire de nos idées simples et droites – c’est de là sans doute que vient le problème − sur la connexion statistiquement pertinente entre la configuration de notre entrecuisse et nos choix de vie .

SEXE ! Ce mot qui claque comme un ordre, tel le « Schnell ! » nazi des superproductions bochophobes de notre enfance, a mauvais genre. Le genre, lui, a mauvais sexe, ou plutôt n’en a plus. Du moins pas de déterminé. Marx écrivait dans le Manifeste que la lutte des classes « finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte ». Les tenants de la guerre des sexes ont choisi le cumul : détruire les deux sexes par une transformation révolutionnaire de la société.

Ce processus est à l’œuvre depuis vingt ans, mais les Français peuvent en trouver la preuve tangible dans les nouveaux manuels de Sciences et vie de la Terre pour classes de première. Si vous voulez que votre ado ait une longueur d’avance en SVT à la rentrée prochaine, ce résumé des principales innovations ne sera pas inutile. Si vous ne comprenez pas tout, c’est sans doute que vous êtes encore un peu rétrograde, mais ne vous inquiétez pas : ça finira par rentrer.

Première leçon : un homme et une femme, c’est has-been

Les bébés ne naissent toujours pas dans les choux, mais pas nécessairement non plus de la fécondation d’un sexe par l’autre. Pourtant, c’était encore marqué dans le programme l’année dernière : un homme, une femme, et hop : un enfant ! Mais il faut oublier. Désormais, quand on est deux femmes et qu’on s’aime, on peut avoir un enfant sans homme. C’est simple : il faut aller en Scandinavie. Internet et une carte bleue suffisent. Le sperme est vendu en ligne et on choisit le donneur anonyme en fonction d’une photo de lui enfant. Bien entendu, on peut aussi avoir un bébé sans femme quand on est deux hommes et qu’on s’aime. Sinon, cela serait une rupture grave de l’égalité. Dans ce cas, le contrat organise la location d’utérus : petit meublé, bail de neuf mois non renouvelable. Pour le moment à l’étranger. Peut-être un jour en ligne ?[access capability= »lire_inedits »]

Deuxième leçon: aimer quelqu’un du même sexe, c’est bien

Si, à l’École primaire, votre enfant a raté le stage de sensibilisation à l’homophobie avec la projection du Baiser de la lune, film qui présente l’avantage d’être à la fois zoophile et homophile (dois-je préciser que je ne fais aucun rapprochement ? sans doute, oui), pas de panique, il y en a aussi dans le secondaire. Rassurez-vous, vos ados applaudiront quand Kevin et Martial s’embrasseront à pleine bouche au fond du car lors d’une sortie scolaire.

Troisième leçon : le sexe est mort, vive le genre !

La gender theory, ça c’est classieux. Pour les non-anglophones élevés par des parents obscurantistes qui leur ont fait faire du latin et du grec, voire par des néo-nazis qui les ont obligés à apprendre l’allemand, gender theory veut dire théorie du genre. Pour l’essentiel, celle-ci repose sur deux avancées scientifiques capitales. La première a été magnifiquement formulée par Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. » On doit la seconde à Élisabeth Badinter : « L’un est l’autre. »

Oserai-je rappeler que Brigitte Bardot a donné sa propre formulation, moins scientifique certes, mais plus imagée : « Comme un garçon… moi j’ai un blouson… » C’était dans les temps préhistoriques. La griserie des « garçonnes », conduisant autos et motos, portant pantalons et cheveux courts, pilotant, fumant le cigare et jetant au petit matin leur amant de la veille comme ne le faisaient jadis que les impératrices russes, ne les avait pas conduites à nier le fait aisément constatable, bien que situé un peu loin et en-dessous du cerveau, qu’elles avaient, en lieu et place de l’arme virile, la blessure intime d’où coule chaque mois le sang menstruel. Autrement dit, elles ne cherchaient pas à oublier et à faire oublier qu’elles étaient femmes. Même en moto, même avec un blouson.

Il est vrai que, depuis, la science a remédié à ce constat désolant : comme la grosse dame qu’on montre aux actualités en train d’épouser une autre dame, un homme peut désormais changer de sexe et vice-versa.
Mais ce n’est pas tout. Grâce à la théorie du genre, cette opération coûteuse n’est plus indispensable. Nous voilà enfin délivrés de la biologie, cette science réactionnaire qui accrédite l’idée nauséabonde selon laquelle il y aurait un « donné » naturel, et pas seulement ce « construit » culturel que bâtit de ses mains noires et calleuses le prolétaire socialiste aidé en sous-main par l’intellectuel ouvriériste qui peut ainsi faire oublier la fortune paternelle, la banale situation conjugale et ses mains si blanches de diplômé.

Madame Butler l’a dit : le sexe, c’est dans la tête ! Et ce qui est dans la tête est le produit de l’éducation reçue. Au rancart, les Barbies poitrinues et fessues à cheveux longs et taille de guêpe. Virez-moi ces Rambos à fesses étroites et torse musclé. La coupe « de Haas », le sérieux idoine auront raison des plus agressives féminités. Quant aux ex-futurs machosmachos en puissance, espérons que la privation de pistolets en plastique et de circuits automobiles leur ôtera toute tentation de virilité abusive. Comme ça, dans dix ans, votre fils passera avec succès l’épreuve de « genritude » et il entrera à Sciences Po.[/access]

Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.

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Causeur Magazine 42 : Osez le blasphème !

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Le choix du thème de ce numéro 42 s’est vite imposé à toute l’équipe : on a beaucoup blasphémé cet automne. C’est du moins ce qu’ont voulu nous signifier, dans des registres radicalement différents mais néanmoins fâcheusement concomitants, les jeteurs de boules puantes du Théâtre de la ville, les saboteurs amateurs du Rond-Point et, sauf surprise majeure, les incendiaires de Charlie Hebdo. Ces indignés-là n’avaient pas été conviés au bal par Stéphane Hessel, ils sont venus quand même…

D’où ce paradoxe relevé, avec quelques autres, par Elisabeth Lévy dans son texte introductif : « Si l’identité a mauvaise odeur quand elle est nationale et française, le propre de notre époque est que chacun croit devoir protéger contre les outrages, manquements et moqueries chaque parcelle de son identité particulière, surtout si celle-ci peut se prévaloir de son statut minoritaire.»

Ce come-back du blasphème sera donc exposé, discuté, disputé par nos auteurs et nos invités dans un copieux dossier de 23 pages, elles-mêmes incluses dans un numéro qui, ce mois-ci encore, en comptera 64.

64 pages 100% inédites, où l’on retrouvera une myriade d’invités (Jean-Pierre Chevènement, Hector Obalk, Francis Rapp, de l’Institut et Nicolas Dupont-Aignan), des chroniques, des critiques et bien sûr, des sujets qui fâchent : qu’il s’agisse de Cyril Bennasar sur le vote des étrangers ou Daoud Boughezala sur la dissection à vif du souverainisme, de Gil Mihaely sur Ouvéa vu par Kassovitz ou François Saint-Pierre sur le danger écolo, vous risquez peut-être d’en ressortir énervé, sûrement pas ennuyé.

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Les vieux démons ont le sommeil profond !

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Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Luc Rosenzweig et Pascal Riché débattent de la germanophobie.

S’il est un hommage à rendre aux artisans de la construction européenne, c’est bien celui d’avoir rendu la guerre impossible entre les Etats qui sont entrés dans cette union. Cela relativise singulièrement la portée des propos récemment tenus par quelques grandes gueules socialistes un peu énervés par le comportement de Mme Merkel. Il n’y aura, fort heureusement, pas mort d’homme comme conséquence de ces tirades de comptoir proférées par Arnaud Montebourg ou Jean-Marie Le Guen.

Le seul qui aurait eu une sérieuse raison de s’en offusquer, c’est le défunt Otto von Bismarck : se voir comparer avec Angela Merkel a dû profondément troubler son sommeil éternel. Le « chancelier de fer » a construit une nation, alors que la fille du pasteur de Rügen se contente de la gérer comme une épicière aux doigts crochus.

L’invective, en matière de politique internationale, n’est pas plus condamnable, en soi, que l’hypocrisie consistant à se montrer tout miel devant la galerie, et à s’écharper dans les coulisses. Elle a ses classiques, comme le fameux « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur » lancé par de Gaulle, en 1967, dans les gencives de David Ben Gourion et des Israéliens. Personne, pas même le grand rabbin de France, n’avait osé, à l’époque, accuser le Général de chercher à réveiller les vieux démons antisémites…

Pour qu’une invective politique soit opérante, il faut qu’elle tape juste, et ce n’est, bien évidemment, pas le cas des évocations historiques (la Prusse ou Munich) pratiquées par Montebourg et Le Guen : le type de domination européenne que vise l’Allemagne de Merkel n’a rien de comparable avec celle que visait Bismarck, et encore moins Hitler. C’est l’usage sans états d’âme d’un rapport de force économique dans une perspective prétendument thérapeutique. « Am deutschen Wesen soll die Welt genesen ! » (« L’Etre allemand doit apporter au monde la guérison », ce vers écrit par un obscur poète de l’époque bismarckienne est redevenu programmatique pour une Allemagne ayant retrouvé sa dignité et son unité. En bonne luthérienne, Angela Merkel est persuadée qu’il lui appartient de contribuer au salut de l’âme de ses voisins, y compris par des moyens coercitifs, si ces derniers se comportent de manière à se rendre tout droit en enfer.

L’ennui, pour elle, c’est que l’Europe n’est pas une communauté souabe piétiste, où chacun accepte de bonne grâce le contrôle de tous par chacun et réciproquement. Il est légitime de rappeler, au besoin fermement, à Mme Merkel qu’il ne suffit pas d’avoir économiquement raison (et encore, cela reste à démontrer !), pour se croire autorisé à dicter une ordonnance de potion amère à des pays et des peuples considérés comme mineurs et irresponsables.
Que la dépendance énergétique de son pays du gaz russe peut inquiéter des pays comme la Pologne ou la République tchèque, qui ont une amère expérience des périodes où Berlin et Moscou s’entendaient sur leur dos. Qu’une politique budgétaire relève, comme son nom l’indique, d’une volonté politique, et non de la chicane judiciaire. Et bien d’autres choses encore qu’il serait trop long de détailler dans le cadre de cette « battle ». Au lieu de cela, on continue à nous jouer la douce musique d’une amitié éternelle qui se transmettrait de génération en génération de dirigeants politiques de part et d’autre du Rhin.
Hausser le ton face aux Allemands, ce n’est pas être germanophobe, c’est pratiquer le langage de la vérité des sentiments, en tout cas telle qu’elle est majoritairement perçue en France.

La germanophobie, c’est bien autre chose. On la trouve d’ailleurs plutôt outre-Manche, où elle a tout le loisir de s’étaler dans les tabloïds chaque fois que l’occasion s’en présente, politique, sportive ou autre. Elle se fonde sur l’essentialisation d’un peuple allemand considéré comme n’étant jamais totalement sorti du territoire symbolique d’une barbarie déjà remarquée par Jules César. La littérature germanophobe a connu son apogée en France à la fin du 19ème siècle, et s’efforçait de débusquer le Goth derrière le visage affable des écrivains, poètes et penseurs d’outre-Rhin.
Les germanophobes étaient peut-être détestables, mais au moins ils connaissaient l’Allemagne. Ce qu’il faut reprocher aux imprécateurs d’aujourd’hui, ce n’est pas de « réveiller les vieux démons ». Il en faudrait beaucoup plus pour tirer ces diables de leur profond sommeil. C’est leur méconnaissance crasse des mécanismes de pensée du plus puissant de nos voisins : au fond, il ne nous veut que du bien et s’étonne que nous ne lui en sachions pas gré. Il y a suffisamment de bons procès à faire aux Allemands pour ne pas perdre du temps à lui en faire de mauvais.

L’ivresse des sommets

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Photo : Chesi - Fotos CC.

« Les yeux du monde entier sont tournés vers l’Europe » vient de déclarer Timothy Geithner, secrétaire américain au Trésor.

Il y va un peu fort, Timothy. Au Paraguay par exemple, il y a de bonnes chances que les problèmes de l’Europe ne perturbent pas grand monde. De même, je suis prête à parier que plus de 97 % des habitants de Kuala Lumpur pensent à autre chose qu’au sommet qui s’ouvre aujourd’hui, et qui « se conclura enfin par l’annonce de mesures crédibles de stabilisation de la situation financière de la zone euro », comme l’anticipait un « expert » interrogé cette semaine par Le Parisien. Il faut dire qu’à Kuala Lumpur, on est drôlement inconséquent.

En Norvège aussi, d’ailleurs, comme le laissait récemment entendre le scandinavophobe impénitent Patrick Besson. On savait, depuis longtemps déjà, que l’homme Africain n’est « pas encore entré dans l’histoire ». Mais on savait moins, en revanche, que l’homme Norvégien n’a rien compris au « sens de l’histoire ». Tenez, hier, un sondage publié par le journal Nationen relayé par La Tribune révélait que près de 80% des Norvégiens s’opposent à la perspective de l’entrée de leur pays dans l’Union. Pis, ils semblent décidés à jouir tranquillement des bénéfices que leur procure leur manne pétrolière, sans même envisager de partager avec leurs voisins les aléas d’une crise économique majeure. C’est dire si ces gens-là sont europhobes.

Il n’y a donc guère que Timothy Geithner pour se soucier encore de ce qui se passera jeudi et vendredi entre les membres des vingt-sept, ou des seuls dix-sept, voire du seul couple Merkozy, si tous les autres participants préfèrent aller boire un coup à la cafète pendant qu’Angela et Nicolas se font des politesses devant une poignée de caméras.

Ainsi, les efforts de nos gouvernants pour faire « du comique de répétition une arme possible contre la crise » (Frédéric Lordon) commencent à nous lasser un tantinet. Pourtant, les gentils organisateurs de ces symposiums à répétition ne ménagent pas leurs efforts pour créer la surprise. Tantôt on sauve la Grèce, puis son Premier ministre s’emploie à tout démolir en envisageant un référendum. Tantôt on créée des « mécanismes de sauvegarde », puis les agences de notation viennent nous rire à la barbe en menaçant de dégrader tout le monde. Tantôt, enfin, on nous promet une législation flambant neuve qui gravera la règle d’or dans le marbre des traités et nous fera basculer dans un ordoférédalisme carcéral digne des meilleurs moments de feue l’Union soviétique. Hélas, on s’avise un peu tard que ledit traité ne sera jamais prêt avant le scrutin présidentiel français, ni peut-être même avant les prochaines élections fédérales allemandes….

Pour autant, il ne faut pas forcément désespérer de l’Europe. Il est vrai que le sommet de cette semaine sera le septième en deux ans. Mais, si les six premiers n’étaient que des entraînements, celui-ci devrait faire des étincelles. Comme on dit dans nos armées : « entraînement difficile, guerre facile ».

Et puis, lors des six précédentes rencontres, il faut bien avouer qu’on n’était pas prêt. Les scénaristes étaient mauvais, les réalisateurs vaguement alcoolisés, et les producteurs impécunieux. Le premier sommet, en mai 2010, était un tour de chauffe. On sait combien les premières fois sont souvent décevantes. Le second (novembre 2010) avait déjà meilleure allure. C’est lui qui permit de « sauver » l’Irlande, en lui octroyant 85 milliards d’aide. Le troisième (mars 2011), fut hélas concomitant avec les débats qui divisèrent les européens sur l’affaire libyenne. Lors du quatrième (juillet 2011), il faisait trop chaud, et tout le monde ne songeait qu’à partir en vacances. Quant au dernier en date (27 octobre 2011), tout le monde sait que s’il a raté, c’est de la faute de Papandréou.

Le septième sommet sera donc le bon. A la fin de cette semaine le doux rêve hugolien des Etats-Unis d’Europe sera définitivement ravivé, et l’on pourra se reposer, comme Dieu le fit au septième jour, après avoir accompli son œuvre.

Tiens donc, vous avez des doutes ? C’est vrai, j’allais oublier : « Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia ». Mais le gros inconvénient, c’est qu’après chaque dimanche, se lève un nouveau lundi.

L’armée égyptienne découvre la menace islamiste !

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Les généraux égyptiens n’ont pas l’intention de laisser la démocratie ravager leur pays et entendent bien corriger le tir du suffrage universel. Selon David Kirkpatrick du New York Times, l’un des chefs du Conseil suprême des forces armées, le général Mukhtar al-Mulla, a parlé, fait rarissime, « on the record » avec la presse étrangère, s’engageant à contrôler le processus de rédaction de la nouvelle constitution, mission principale de l’assemblée qui sortira des élections actuellement en cours en Egypte.

Selon le général al-Mulla, les premiers résultats des élections ne sont pas représentatifs de l’électorat égyptien puisque – entre autres raisons – les factions islamistes et notamment les salafistes d’al-Nour, ont bénéficié de leur supériorité en matière d’organisation pour dominer les scrutins.
Il faut rappeler que l’armée a déjà essayé début novembre d’imposer un texte « pré-constitutionnel » visant à graver dans le marbre son propre statut au sein de la nouvelle république, ainsi que d’y inscrire d’emblée certaines libertés fondamentales et tout particulièrement la liberté de culte. Cette manœuvre de l’Armée s’est heurtée à une résistance résolue aussi bien de la part des certains islamistes que des mouvements plutôt laïques et libéraux. Les manifestations organisées pendant le weekend du 18-20 novembre contre la pré-constitution ont été durement réprimées par l’armée et la crise qui s’en est suivie a même menacé la tenue des élections prévues une semaine plus tard, le 28 novembre.

Rassurée dans un premier temps par le taux de participation aux élections (revu depuis à la baisse), les militaires ont vite déchanté avec la percée des salafistes et les scores piteux des démocrates. Vu ce qui s’est passé il y a trois semaines à peine, les déclarations étonnamment audacieuses d’un des vrais dirigeants du pays semblent prouver que l’armée a décidé d’ôter ses gants et de s’attaquer frontalement aux islamistes. C’est pas trop tôt, mais c’est peut-être déjà trop tard…

L’arithmétique du « dernier » sommet

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Voilà, le sommet européen de tous les dangers est terminé. Il devrait nous assurer des vacances sereines. Il n’empêche, au cas où, on nous annonce la tenue d’un possible huitième « sommet de la dernière chance » avant les fêtes pour que tout le monde digère correctement la dinde de Noël et la cuite du Nouvel an.

Loin d’avoir été triomphal, ce sommet n’en a pas moins été distrayant. Au moins confirme-t-il l’hypothèse « lordonnienne » du comique comme remède à la crise. Et puis, il a fait bouger les lignes, comme on dit.

Les chefs d’Etats et de gouvernements se sont en effet accordés sur l’idée d’une formule à « 17-plus ». Cette solution concerne les 17 membres de l’eurozone, auxquels il convient d’ajouter six pays non-membres, et une poignée d’Etats qui réservent leur réponse. Nous avons donc là un exemple typique de l’équation « 17 + 6 + X », dont on espère qu’elle fera date.

Dans le même temps, la Grande-Bretagne a décidé de faire cavalier seul, nous faisant basculer sans transition de l’ère de « l’ignominie germanophobe », vivement condamnée par les médias mainstream, à celle de « l’anglophobie nauséabonde », condamnée par personne. Pourtant, la « britannophobie » nous rappelle elle aussi quelques unes des « heures les plus sombres de notre histoire ». Mais en l’occurrence, il faut remonter au-delà de 1940 dans l’histoire du continent, ce qui semble provoquer une épidémie de KO techniques jusque chez les commentateurs les plus avertis.

Quoiqu’il en soit, cette fois-ci, la messe est dite : l’épopée des Vingt-sept, c’est fini. Et c’est une Europe à « 27-moins » qui vient de se mettre d’accord sur une solution à « 17-plus ».

N’imaginons surtout pas que l’histoire s’arrête là ! On vient d’apprendre que l’adhésion de la Croatie à l’Union avance à grands pas, et qu’elle devrait bientôt être effective ! Ainsi, l’Europe à « 27-moins » qui vient d’adopter une solution à « »17 + 6 + X » » n’est ni plus ni moins qu’une future Europe à « 26-plus » !

Vous n’avez rien compris ? Bravo : vous êtes normal. Surtout, pas d’inquiétude : de très nombreux « experts » modélisent d’ores et déjà les algorithmes appropriés.

C’est l’Europe à « géométrie variable » que nous voulions. Résultat : nous avons une Europe incurable à géométrie instable !

« Toutes les religions ne sont pas compatibles avec toutes les nations »

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Photo : khalid Albaih.

Daoud Boughezala. Un Européen sur dix a des racines ailleurs, principalement dans le monde arabo-musulman. Selon vous, cette minorité menace-t-elle de « conquérir » le continent et de révolutionner la vie des Européens « de souche » ?

Christopher Caldwell. Dans mon livre , je parle de culture et non pas d’ethnies. Le fait que 99% des Américains aient leurs racines ailleurs n’a pas empêché la construction d’une culture nationale commune. Quant au verbe « conquérir », je le trouve inapproprié, puisqu’il suggère que l’immigration de masse que connaît Europe depuis cinquante ans obéit à une stratégie ou à un plan préétablis, ce qui n’est pas le cas. En revanche, le verbe « déplacer » − terme qu’employait Enoch Powell dans ses discours controversés des années 1960 – me semble mieux qualifier ce phénomène. Les problèmes posés par l’immigration de masse ne constituent pas un crime. Ils sont plutôt une tragédie, pour une bonne part involontaire.

DB. De plus en plus, les critiques de l’immigration se polarisent sur l’islam. Or, vous écrivez que l’immigration de masse et l’islamisation sont deux « problèmes » distincts qui « se recoupent » néanmoins. Quel est le vrai défi posé à l’Europe : l’immigration ou l’islam ?

CC. L’immigration de masse constitue le grand défi pour l’Europe en ce qu’elle pose des problèmes que l’immigration individuelle ne pose pas. Lorsque des individus immigrent, ils ne peuvent retrouver des repères culturels qu’en adoptant la culture de leur pays d’accueil. Lorsqu’il s’agit de masses, elles apportent leur culture d’origine avec elles, sauf si le pays d’arrivée prend des mesures énergiques pour les en empêcher. Or, loin d’adopter de telles mesures, les pays européens ont tout fait pour encourager ces cultures étrangères. Ce fut une erreur terrible. De ce point de vue, aujourd’hui, l’un des principaux obstacles à l’assimilation des immigrés est l’existence de réseaux entiers de restaurants, de coiffeurs, de journaux et de commerces qui permettent d’importer dans le pays d’accueil le mode de vie et les codes culturels du pays d’origine. Et ce phénomène est aggravé par Internet, qui permet à chacun de vivre connecté à la société dont il est issu.

DB. Il aurait été étrange et même fâcheux qu’on accueille des individus en dénigrant leur culture…

CC. Soyons clairs : il ne s’agit pas de déclarer telle ou telle culture « supérieure » ou « inférieure » à une autre. Les cultures étrangères sont problématiques non pas parce qu’elles seraient intrinsèquement « mauvaises » ou « inférieures » mais parce qu’elles se heurtent aux règles de la vie en société, aux droits et aux devoirs de l’individu dans les pays d’accueil. La confusion culturelle qu’elles entraînent mine la démocratie, la cohésion sociale et jusqu’à la légitimité gouvernementale.

DB. Vous n’avez pas répondu sur l’intégration de l’islam qui est pourtant le sujet de votre enquête…

CC. À l’intérieur du phénomène général qu’est l’immigration de masse, l’islam pose un problème particulier car il s’agit d’une religion prosélyte, comme le christianisme. De surcroît l’islam a été, plus encore que les deux autres monothéismes, une religion de conquête.[access capability= »lire_inedits »] Or, une minorité de ses adeptes pense qu’elle devrait le rester, ce qui d’ailleurs ne signifie pas que l’immigration des musulmans vers l’Europe traduise une volonté de conquête. Ce qui a rendu la situation tragique, c’est que l’afflux d’immigrés musulmans est intervenue dans les années 1950-1970, alors qu’une majorité de chrétiens et de musulmans semblaient délaisser leur religion pour devenir « modernes ». Or, ce qui était vrai pour les premiers s’est avéré faux pour les seconds.

DB. Comment pouvez-vous en avoir la certitude ?

CC. Etude après étude (la plus récente étant celle de l’Institut Montaigne), on observe qu’un nombre élevé de musulmans des banlieues privilégient leur allégeance religieuse par rapport à leur appartenance nationale. En réalité, cette hiérarchie des appartenances vaut pour toutes les personnes vraiment religieuses, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes ou juives. Un individu qui croit en Dieu serait idiot d’accorder plus de poids aux choses temporelles qu’au monde éternel. Pour autant, toutes les religions ne sont pas compatibles avec toutes les nations. Ainsi, la France, une République laïque, est aussi − de l’avis unanime des catholiques comme des non-catholiques − la « fille aînée de l’Église ». Il n’y a pas de conflit entre l’identité catholique et l’identité française parce que la France est indéniablement un pays d’histoire et de culture catholiques. En revanche, jusqu’à ces deux dernières décennies, la France n’était absolument pas un pays musulman. Elle a même été en guerre contre des États musulmans, y compris récemment. Au cours du dernier millénaire, les intérêts de la France ayant très rarement convergé avec ceux de l’islam, il n’y a aucune raison de croire, sauf à se bercer d’utopie, qu’ils s’accorderont durablement à l’avenir.

DB. L’Europe n’est-elle pas apte à assimiler les descendants des immigrés musulmans comme les États-Unis l’ont fait avec les Irlandais, très mal vus à l’époque de leur arrivée massive à Ellis Island ?

CC. Peut-être, mais il ne faut pas oublier que les Irlandais ont eu beaucoup du mal à s’assimiler ! Jusqu’à aujourd’hui, beaucoup d’Américains d’origine irlandaise n’ont toujours pas abandonné leurs allégeances ancestrales. Il a fallu plus d’un siècle pour qu’ils cessent d’exprimer violemment leur identité, aux États-Unis et ailleurs. Et il ne s’agit pas d’un simple folklore : pendant la guerre de Sécession, une quinzaine d’années après la famine des années 1840 (dite « de la pomme de terre ») et les premières vagues d’immigration de masse de ce pays, des immigrés Irlandais se sont soulevés contre l’effort de guerre exigé par le Nord. Cinquante ans plus tard, lors de la Première guerre mondiale, un nombre significatif d’Irlando-Américains ont soutenu l’Allemagne, car celle-ci s’opposait à leur ennemi héréditaire britannique, pourtant allié de leur nouvelle patrie… Le même scénario s’est reproduit dans les années 1930. Quant aux terroristes de l’IRA, ils ont été abondamment financés – jusque dans les années 1990 ! − par des fonds en provenance des communautés irlandaises des États-Unis.

DB. Malgré ces vicissitudes, ils sont devenus de « bons Américains ». Est-ce parce que, malgré l’antagonisme entre catholiques et protestants en Irlande, il est plus facile, pour un pays d’histoire chrétienne, d’assimiler des chrétiens ?

CC. Évidemment, cela compte beaucoup. C’est l’occasion de rappeler une chose que l’on ignore souvent en Europe à propos de l’assimilation aux États-Unis : en devenant américain, l’immigré garde sa religion. La plupart des Américains ont conservé la religion de leur arrière-arrière-arrière… grand-mère. Ainsi, le catholicisme des Irlandais n’était pas étranger aux États-Unis de la même manière que l’islam peut l’être à l’Europe occidentale. Le Maryland catholique était l’un des 13 États fondateurs du pays. La Louisiane catholique est entrée dans l’Union en 1812. A contrario, l’Europe occidentale n’a pas connu une présence durable de l’islam sur son sol depuis plus de cinq cent ans. En outre, l’Irlande ne comptant que 3 millions d’habitants, elle n’a connu que des conflits sporadiques et limités. En revanche, le monde musulman abrite 1,3 milliard d’êtres humains, ainsi qu’une large variété de conflits, qui suscitent une forte solidarité confessionnelle. Pour prendre un exemple concret, les passions autour du conflit israélo-palestinien ne se cantonnent pas à la diaspora palestinienne mais concernent l’ensemble des musulmans européens. La conclusion, c’est que, si l’immigration irlandaise a été l’une des plus difficiles à assimiler pour les États-Unis, l’immigration musulmane sera encore bien plus difficile à absorber pour l’Europe.

DB. Pour vous, « la voie de la modernisation européenne passe par la galerie marchande, le piercing de nombril, le jeu en ligne, un taux de divorce de 50% et une forte tendance à l’anomie et au dégoût de soi ». Au fond, l’immigration de masse n’est-elle pas un symptôme de la crise identitaire d’un continent qui n’aspire qu’à s’intégrer au marché mondial et à adopter la culture ultra-consumériste de l’Amérique ?

CC. Absolument ! En réalité, la culture consumériste et l’immigration de masse représentent deux faces d’un phénomène global. Dès lors que le marché nécessite une force de travail souple et bon marché, il ne peut se passer facilement de l’immigration.

DB. Comment voyez-vous l’Europe dans cinquante ans ? Sommes-nous condamnés à devenir les héros d’un Camp des Saints grandeur nature ? Que doit faire l’Europe pour échapper à ce sort peu enviable ?

CC. L’Europe ne ressemblera certainement pas au Camp des Saints, qui offre une vision romanesque intéressante mais datée « XXe siècle ». Je partage l’analyse des théoriciens de gauche, de droite et du centre qui, de plus en plus, voient le XXe siècle comme une parenthèse historique. Il est évidemment risqué de prévoir l’avenir, mais l’Europe de demain pourrait ressembler à ce qu’elle était avant l’unification de l’Allemagne et de l’Italie : un patchwork irrégulier de peuples sur lesquels une autorité politique exerce un pouvoir fondé sur des intérêts de classe. En somme, nous pourrions assister à un retour du féodalisme.[/access]

Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.

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Christopher Caldwell est journaliste. Il vit à Washington et est l’auteur d’Une révolution sous nos yeux, Comment l’islam va transformer la France et l’Europe, préface de Michèle Tribalat, Editions du Toucan

Paris-Berlin, l’Axe du moins bien

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Photo : Jusos de

En 1945, la France avait une dette de 145% du PIB. En 1960, cette dette n’était plus que de 40% du PIB. En 1967, Michel Debré, alors ministre des Finances, s’enorgueillit d’avoir remboursé le dernier franc de la dette française. Comment cet effort sans précédent fut-il possible ?

Réponse : par une politique de croissance soutenue par de grands programmes industriels et infrastructurels, par la possibilité accordée à la Banque de France de faire des avances aux trésor (au prix d’un peu d’inflation) et par plusieurs dévaluations du franc. Notons que cette réduction de la dette ne s’est pas réalisée par la réduction des prestations sociales mais au contraire par leur généralisation (la Sécurité sociale date de 1945).

Qu’en est-il aujourd’hui ? On le sait, la dette française s’élève à 85% du PIB, soit presque la moitié du taux d’endettement de 1945. Logiquement, on se dit qu’en appliquant le programme de l’après-guerre, on devrait rembourser la totalité de la dette en moins de dix ans. Pourtant, aucune politique de croissance n’est aujourd’hui à l’horizon. Et pour cause : l’Europe et la France n’ont ni politique industrielle ni politique d’aménagement du territoire.

Dans le même temps, la Banque centrale européenne n’a pas le droit d’avancer des fonds aux Etats. Au contraire, elle prête aux banques privées qui financent les Etats moyennant une marge conséquente sur les taux. La Banque de France ne possède pas non plus ce pouvoir, d’ailleurs elle n’existe plus que sur le papier.

La monnaie étant unique, la France ne peut la dévaluer pour rétablir sa compétitivité face à l’Allemagne. La politique de l’euro fort maintiendra en outre une parité insoutenable par rapport au dollar. Au rythme où vont les choses, on ne sera pas en situation d’inflation mesurée (qui permet de réduire l’effet de la dette) mais de déflation, une calamité déjà vécue Outre-Rhin.

Sous l’impulsion de l’Allemagne, le gouvernement entérine ainsi une politique diamétralement opposée à celle qui permit à la France de rembourser sa dette entre 1945 et 1967. Nicolas Sarkozy et ses ministres appliquent un programme économique qui ressemble à s’y méprendre à la politique menée par la France et l’Angleterre à partir de 1930 pour remédier aux conséquences de la crise financière de 1929. Avec la suite que l’on connaît. La rigueur réduira les prestations sociales des Français, entraînera la hausse des prélèvements sociaux et créera un climat de profonde affliction peu propice au développement économique.

Le plan européen s’accompagnera d’une restriction démocratique sans précédent puisque les arbitrages budgétaires seront délégués au « cloud » : une nébuleuse composée de technocrates européens, de chefs de gouvernements autodésignés dans leur prérogatives de direction de l’Europe, de juges suprêmes insaisissables, etc. Les parlements nationaux et le Parlement européen ne seront bien évidemment pas parties prenantes de ce « cloud government ».

Et pour la première fois, le contrôle démocratique du budget échappera même à toute souveraineté, qu’elle soit nationale ou européenne…

Captain Brackmard a encore frappé !

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Après l’immense succès virtuel de son tube PQR, le virevoltant Captain Brackmard revient avec J’télécharge si je veux.


J'télécharge si je veux – Captain Brackmard par captainbrackmard

Celui qui jouait le rôle du jeune Kader dans la très oubliable série Seconde B au début des années 1990 signe une charge musclée contre l’hyperpuissance des majors de la musique et leur discours anti-fraude. Comme toujours avec Captain, les paroles valent le détour et se suffisent à elles-mêmes : c’est à coups de rimes riches qu’il se torche avec Hadopi !

Attention, refrain déconseillé aux tympans vierges de toute chanson paillarde : « J’télécharge si je veux/ J’achète des disques si je veux/ T’as pas à me dire ce que je dois faire/ Va n… ta mère/ J’télécharge si je veux/ J’vais au ciné si je veux/ Quant t’as n… ta mère va n… ton père ».

Avec cet hymne à la liberté anticapitaliste, Brackmard dépasse Philippe Poutou sur le terrain de la subversion… que demande le peuple ? Ecoutez : « Quand tu sors un nouveau disque j’en suis tout ému/ J’m’en tape de prendre des risques du moment que je t’enc…./ Clic Clic t’es dégoûté tu pleures sur tes millions/ Moi j’ai la tr…/ J’vais te b… et en douceur et par le fi…  ».

Bon, une fois notre machine à biiiiiiips détraquée, on retient la violence polie de cette diatribe révolutionnaire : « Fuck la FNAC, j’veux pas être dans leurs bacs avec les p… de la Star’Ac/ J’leur pisse dans la ch… ».

Belle leçon d’insoumission aux diktats de la marchandise discographique, fût-elle dématérialisée et sponsorisée par Universal ou TF1. Un esprit de rébellion typiquement hexagonal que ce Captain Brackmard qui clame fièrement « Ouais mec j’suis français ! ».

Tous au charbon !

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Thomas le petit train. Photo : FotoSpawn.

Mon fils Frédéric s’est récemment pris de passion pour une locomotive bleue venue d’outre-Manche : Thomas le Petit Train. Le merchandising indélicat subit par cette série d’historiettes illustrées m’avait d’abord fait hausser mes sourcils de censeur. Mais un examen plus attentif a dissipé toutes mes craintes. Car les nouveaux réacs ont enfin leur dessin animé. Né en 1945 sous la plume du Révérend Wilbert Awdry et constamment remis au goût du jour depuis, les aventures de Thomas et ses amis véhiculent des « valeurs à l’ancienne », de l’aveu même de ses éditeurs.

Jugez plutôt. Thomas est une locomotive à vapeur qui vit sur l’île de Chicalor. Je devrais d’ailleurs dire qu’il travaille sur cette île car je n’ai pas le souvenir d’un seul épisode où un personnage joue, flâne ou se repose. Les amis de Thomas sont tous des engins mécaniques : locomotives, wagons, grues et même un hélicoptère. Notons que cette profusion de machines, moteurs et mécaniques industriels est sans doute ce qui plaît le plus aux enfants. Le principal personnage humain, le Gros Contrôleur, est habillé comme un ministre de Pompidou : jaquette, pantalon milleraies et haut-de-forme. Son parcours est une apologie du mérite et de l’ascension sociale par le travail : « il a gravi les échelons, passant de conducteur à contrôleur », son travail consistant à « s’assurer que les locomotives soient pile à l’heure et toujours utiles ».

Car voilà le sens de la vie dans l’univers merveilleux et productiviste de Thomas le Petit Train : être ponctuel et bien faire son travail. Imaginez donc : le pire qui pourrait arriver aux personnages, ce serait d’être cinq minutes en retard pour prendre un chargement de minerai de fer.
Aucune histoire ne serait intéressante sans péripétie ou conflit. Les Barbapapas passent leur temps à faire la guerre à de vilains pollueurs. Les Bisounours combattent le professeur Coeur-de-Pierre et le sorcier Sans-Coeur. Rien de tel chez Thomas : il n’y a pas de méchant à détruire. Ca ne veut pas dire que tout est rose. Les parents seront surpris de voir des personnages encore plus vaches que les collègues de bureau dans Dilbert : les plus rapides toisent les lents, les beaux snobent les laids, les forts friment devant les petits. L’abondance de blagues, chamailleries, manigances ou rivalités dissimule en fait un univers relationnel assez rare dans les séries pour enfants.

La morale de Thomas le Petit Train, c’est que le mal est principalement en moi et pas dans les autres. Et que je peux me réformer. Chaque épisode tourne autour un défaut propre à un personnage. Hank agace les autres locomotives par sa maladresse, « mais comme il cherche à bien faire, ses défauts sont pardonnés ». James « est si fier qu’il trouve des tâches indignes de lui, ce qui lui vaut des problèmes ». Whiff « adore ramasser les ordures et ne remarque même pas l’air méprisant que prennent certains à son passage ; ne se souciant guère de son allure, elle met un point d’honneur à faire correctement son travail. » Tous les personnages possèdent des travers qui provoquent des péripéties. Et c’est en surmontant leurs propres défauts qu’ils permettent à l’histoire de se dénoues.

Thomas a lui aussi ses tares : « il fait souvent preuve d’un zèle excessif et préfère faire lui-même des travaux qu’il conviendrait de confier à des locomotives plus puissantes et plus expérimentées ». Il n’est ni le plus fort ni le plus rapide. Mais le plus utile. Le monde de Thomas, c’est celui de la diversité des compétences et du travail d’équipe, le monde de la division du travail, de la production et du service, celui de la coopération volontaire, à l’opposé des modèles collectivistes de prédation et de coercition.

Au fond, pourquoi lisons-nous des histoires aux enfants ? Parfois pour qu’ils se taisent, le plus souvent pour leur donner une éducation morale et sentimentale. Celle de Thomas le Petit Train est une célébration sans retenue des valeurs traditionnelles de l’industrie, de la ponctualité et du sérieux. Les néo-réacs devraient donc regarder de plus près cette petite locomotive à charbon, dure à la tâche…et qui crache du CO2 toute la journée !

Bientôt l’épreuve de « genritude » au bac ?

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Judith Butler, professeur de littérature à Berkeley et championne de la lutte queer, vient d’être élevée à la dignité de docteur honoris causa par l’université de Bordeaux, la ville du vin sombre et viril, à la fois fort et doux, des cannelés gourmands aux rebonds sensuels. Et ce qui rend ce sacre encore plus sacrilège, c’est qu’il s’agit de l’université Michel-de-Montaigne, le sage peu épris de « novelletés » qui écrit : « Le fruit du trouble ne demeure guère a celui qui l’a ému, il bat et brouille l’eau pour d’autre pêcheurs. » Hé oui, le « trouble dans le genre », ou encore « trouble dans le sujet, trouble dans les normes », titre du livre que Fabienne Brugère, professeure (tiens, y aurait-il encore des sexes ?) à Bordeaux III a co-écrit sur Judith Butler , vient battre et brouiller l’eau claire de nos idées simples et droites – c’est de là sans doute que vient le problème − sur la connexion statistiquement pertinente entre la configuration de notre entrecuisse et nos choix de vie .

SEXE ! Ce mot qui claque comme un ordre, tel le « Schnell ! » nazi des superproductions bochophobes de notre enfance, a mauvais genre. Le genre, lui, a mauvais sexe, ou plutôt n’en a plus. Du moins pas de déterminé. Marx écrivait dans le Manifeste que la lutte des classes « finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte ». Les tenants de la guerre des sexes ont choisi le cumul : détruire les deux sexes par une transformation révolutionnaire de la société.

Ce processus est à l’œuvre depuis vingt ans, mais les Français peuvent en trouver la preuve tangible dans les nouveaux manuels de Sciences et vie de la Terre pour classes de première. Si vous voulez que votre ado ait une longueur d’avance en SVT à la rentrée prochaine, ce résumé des principales innovations ne sera pas inutile. Si vous ne comprenez pas tout, c’est sans doute que vous êtes encore un peu rétrograde, mais ne vous inquiétez pas : ça finira par rentrer.

Première leçon : un homme et une femme, c’est has-been

Les bébés ne naissent toujours pas dans les choux, mais pas nécessairement non plus de la fécondation d’un sexe par l’autre. Pourtant, c’était encore marqué dans le programme l’année dernière : un homme, une femme, et hop : un enfant ! Mais il faut oublier. Désormais, quand on est deux femmes et qu’on s’aime, on peut avoir un enfant sans homme. C’est simple : il faut aller en Scandinavie. Internet et une carte bleue suffisent. Le sperme est vendu en ligne et on choisit le donneur anonyme en fonction d’une photo de lui enfant. Bien entendu, on peut aussi avoir un bébé sans femme quand on est deux hommes et qu’on s’aime. Sinon, cela serait une rupture grave de l’égalité. Dans ce cas, le contrat organise la location d’utérus : petit meublé, bail de neuf mois non renouvelable. Pour le moment à l’étranger. Peut-être un jour en ligne ?[access capability= »lire_inedits »]

Deuxième leçon: aimer quelqu’un du même sexe, c’est bien

Si, à l’École primaire, votre enfant a raté le stage de sensibilisation à l’homophobie avec la projection du Baiser de la lune, film qui présente l’avantage d’être à la fois zoophile et homophile (dois-je préciser que je ne fais aucun rapprochement ? sans doute, oui), pas de panique, il y en a aussi dans le secondaire. Rassurez-vous, vos ados applaudiront quand Kevin et Martial s’embrasseront à pleine bouche au fond du car lors d’une sortie scolaire.

Troisième leçon : le sexe est mort, vive le genre !

La gender theory, ça c’est classieux. Pour les non-anglophones élevés par des parents obscurantistes qui leur ont fait faire du latin et du grec, voire par des néo-nazis qui les ont obligés à apprendre l’allemand, gender theory veut dire théorie du genre. Pour l’essentiel, celle-ci repose sur deux avancées scientifiques capitales. La première a été magnifiquement formulée par Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. » On doit la seconde à Élisabeth Badinter : « L’un est l’autre. »

Oserai-je rappeler que Brigitte Bardot a donné sa propre formulation, moins scientifique certes, mais plus imagée : « Comme un garçon… moi j’ai un blouson… » C’était dans les temps préhistoriques. La griserie des « garçonnes », conduisant autos et motos, portant pantalons et cheveux courts, pilotant, fumant le cigare et jetant au petit matin leur amant de la veille comme ne le faisaient jadis que les impératrices russes, ne les avait pas conduites à nier le fait aisément constatable, bien que situé un peu loin et en-dessous du cerveau, qu’elles avaient, en lieu et place de l’arme virile, la blessure intime d’où coule chaque mois le sang menstruel. Autrement dit, elles ne cherchaient pas à oublier et à faire oublier qu’elles étaient femmes. Même en moto, même avec un blouson.

Il est vrai que, depuis, la science a remédié à ce constat désolant : comme la grosse dame qu’on montre aux actualités en train d’épouser une autre dame, un homme peut désormais changer de sexe et vice-versa.
Mais ce n’est pas tout. Grâce à la théorie du genre, cette opération coûteuse n’est plus indispensable. Nous voilà enfin délivrés de la biologie, cette science réactionnaire qui accrédite l’idée nauséabonde selon laquelle il y aurait un « donné » naturel, et pas seulement ce « construit » culturel que bâtit de ses mains noires et calleuses le prolétaire socialiste aidé en sous-main par l’intellectuel ouvriériste qui peut ainsi faire oublier la fortune paternelle, la banale situation conjugale et ses mains si blanches de diplômé.

Madame Butler l’a dit : le sexe, c’est dans la tête ! Et ce qui est dans la tête est le produit de l’éducation reçue. Au rancart, les Barbies poitrinues et fessues à cheveux longs et taille de guêpe. Virez-moi ces Rambos à fesses étroites et torse musclé. La coupe « de Haas », le sérieux idoine auront raison des plus agressives féminités. Quant aux ex-futurs machosmachos en puissance, espérons que la privation de pistolets en plastique et de circuits automobiles leur ôtera toute tentation de virilité abusive. Comme ça, dans dix ans, votre fils passera avec succès l’épreuve de « genritude » et il entrera à Sciences Po.[/access]

Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.

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Causeur Magazine 42 : Osez le blasphème !

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Le choix du thème de ce numéro 42 s’est vite imposé à toute l’équipe : on a beaucoup blasphémé cet automne. C’est du moins ce qu’ont voulu nous signifier, dans des registres radicalement différents mais néanmoins fâcheusement concomitants, les jeteurs de boules puantes du Théâtre de la ville, les saboteurs amateurs du Rond-Point et, sauf surprise majeure, les incendiaires de Charlie Hebdo. Ces indignés-là n’avaient pas été conviés au bal par Stéphane Hessel, ils sont venus quand même…

D’où ce paradoxe relevé, avec quelques autres, par Elisabeth Lévy dans son texte introductif : « Si l’identité a mauvaise odeur quand elle est nationale et française, le propre de notre époque est que chacun croit devoir protéger contre les outrages, manquements et moqueries chaque parcelle de son identité particulière, surtout si celle-ci peut se prévaloir de son statut minoritaire.»

Ce come-back du blasphème sera donc exposé, discuté, disputé par nos auteurs et nos invités dans un copieux dossier de 23 pages, elles-mêmes incluses dans un numéro qui, ce mois-ci encore, en comptera 64.

64 pages 100% inédites, où l’on retrouvera une myriade d’invités (Jean-Pierre Chevènement, Hector Obalk, Francis Rapp, de l’Institut et Nicolas Dupont-Aignan), des chroniques, des critiques et bien sûr, des sujets qui fâchent : qu’il s’agisse de Cyril Bennasar sur le vote des étrangers ou Daoud Boughezala sur la dissection à vif du souverainisme, de Gil Mihaely sur Ouvéa vu par Kassovitz ou François Saint-Pierre sur le danger écolo, vous risquez peut-être d’en ressortir énervé, sûrement pas ennuyé.

Pour pouvoir profiter de tout cela, vous avez comme chaque mois le choix entre l’achat au numéro (papier ou numérique), la souscription à l’offre Découverte (le dernier n° + les deux prochains pour seulement 12,90 €) ou l’abonnement 1 an (papier ou numérique). Avec tout ça, difficile de ne pas croire au Père Noël, non ?

 

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Les vieux démons ont le sommeil profond !

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Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Luc Rosenzweig et Pascal Riché débattent de la germanophobie.

S’il est un hommage à rendre aux artisans de la construction européenne, c’est bien celui d’avoir rendu la guerre impossible entre les Etats qui sont entrés dans cette union. Cela relativise singulièrement la portée des propos récemment tenus par quelques grandes gueules socialistes un peu énervés par le comportement de Mme Merkel. Il n’y aura, fort heureusement, pas mort d’homme comme conséquence de ces tirades de comptoir proférées par Arnaud Montebourg ou Jean-Marie Le Guen.

Le seul qui aurait eu une sérieuse raison de s’en offusquer, c’est le défunt Otto von Bismarck : se voir comparer avec Angela Merkel a dû profondément troubler son sommeil éternel. Le « chancelier de fer » a construit une nation, alors que la fille du pasteur de Rügen se contente de la gérer comme une épicière aux doigts crochus.

L’invective, en matière de politique internationale, n’est pas plus condamnable, en soi, que l’hypocrisie consistant à se montrer tout miel devant la galerie, et à s’écharper dans les coulisses. Elle a ses classiques, comme le fameux « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur » lancé par de Gaulle, en 1967, dans les gencives de David Ben Gourion et des Israéliens. Personne, pas même le grand rabbin de France, n’avait osé, à l’époque, accuser le Général de chercher à réveiller les vieux démons antisémites…

Pour qu’une invective politique soit opérante, il faut qu’elle tape juste, et ce n’est, bien évidemment, pas le cas des évocations historiques (la Prusse ou Munich) pratiquées par Montebourg et Le Guen : le type de domination européenne que vise l’Allemagne de Merkel n’a rien de comparable avec celle que visait Bismarck, et encore moins Hitler. C’est l’usage sans états d’âme d’un rapport de force économique dans une perspective prétendument thérapeutique. « Am deutschen Wesen soll die Welt genesen ! » (« L’Etre allemand doit apporter au monde la guérison », ce vers écrit par un obscur poète de l’époque bismarckienne est redevenu programmatique pour une Allemagne ayant retrouvé sa dignité et son unité. En bonne luthérienne, Angela Merkel est persuadée qu’il lui appartient de contribuer au salut de l’âme de ses voisins, y compris par des moyens coercitifs, si ces derniers se comportent de manière à se rendre tout droit en enfer.

L’ennui, pour elle, c’est que l’Europe n’est pas une communauté souabe piétiste, où chacun accepte de bonne grâce le contrôle de tous par chacun et réciproquement. Il est légitime de rappeler, au besoin fermement, à Mme Merkel qu’il ne suffit pas d’avoir économiquement raison (et encore, cela reste à démontrer !), pour se croire autorisé à dicter une ordonnance de potion amère à des pays et des peuples considérés comme mineurs et irresponsables.
Que la dépendance énergétique de son pays du gaz russe peut inquiéter des pays comme la Pologne ou la République tchèque, qui ont une amère expérience des périodes où Berlin et Moscou s’entendaient sur leur dos. Qu’une politique budgétaire relève, comme son nom l’indique, d’une volonté politique, et non de la chicane judiciaire. Et bien d’autres choses encore qu’il serait trop long de détailler dans le cadre de cette « battle ». Au lieu de cela, on continue à nous jouer la douce musique d’une amitié éternelle qui se transmettrait de génération en génération de dirigeants politiques de part et d’autre du Rhin.
Hausser le ton face aux Allemands, ce n’est pas être germanophobe, c’est pratiquer le langage de la vérité des sentiments, en tout cas telle qu’elle est majoritairement perçue en France.

La germanophobie, c’est bien autre chose. On la trouve d’ailleurs plutôt outre-Manche, où elle a tout le loisir de s’étaler dans les tabloïds chaque fois que l’occasion s’en présente, politique, sportive ou autre. Elle se fonde sur l’essentialisation d’un peuple allemand considéré comme n’étant jamais totalement sorti du territoire symbolique d’une barbarie déjà remarquée par Jules César. La littérature germanophobe a connu son apogée en France à la fin du 19ème siècle, et s’efforçait de débusquer le Goth derrière le visage affable des écrivains, poètes et penseurs d’outre-Rhin.
Les germanophobes étaient peut-être détestables, mais au moins ils connaissaient l’Allemagne. Ce qu’il faut reprocher aux imprécateurs d’aujourd’hui, ce n’est pas de « réveiller les vieux démons ». Il en faudrait beaucoup plus pour tirer ces diables de leur profond sommeil. C’est leur méconnaissance crasse des mécanismes de pensée du plus puissant de nos voisins : au fond, il ne nous veut que du bien et s’étonne que nous ne lui en sachions pas gré. Il y a suffisamment de bons procès à faire aux Allemands pour ne pas perdre du temps à lui en faire de mauvais.

L’ivresse des sommets

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Photo : Chesi - Fotos CC.

« Les yeux du monde entier sont tournés vers l’Europe » vient de déclarer Timothy Geithner, secrétaire américain au Trésor.

Il y va un peu fort, Timothy. Au Paraguay par exemple, il y a de bonnes chances que les problèmes de l’Europe ne perturbent pas grand monde. De même, je suis prête à parier que plus de 97 % des habitants de Kuala Lumpur pensent à autre chose qu’au sommet qui s’ouvre aujourd’hui, et qui « se conclura enfin par l’annonce de mesures crédibles de stabilisation de la situation financière de la zone euro », comme l’anticipait un « expert » interrogé cette semaine par Le Parisien. Il faut dire qu’à Kuala Lumpur, on est drôlement inconséquent.

En Norvège aussi, d’ailleurs, comme le laissait récemment entendre le scandinavophobe impénitent Patrick Besson. On savait, depuis longtemps déjà, que l’homme Africain n’est « pas encore entré dans l’histoire ». Mais on savait moins, en revanche, que l’homme Norvégien n’a rien compris au « sens de l’histoire ». Tenez, hier, un sondage publié par le journal Nationen relayé par La Tribune révélait que près de 80% des Norvégiens s’opposent à la perspective de l’entrée de leur pays dans l’Union. Pis, ils semblent décidés à jouir tranquillement des bénéfices que leur procure leur manne pétrolière, sans même envisager de partager avec leurs voisins les aléas d’une crise économique majeure. C’est dire si ces gens-là sont europhobes.

Il n’y a donc guère que Timothy Geithner pour se soucier encore de ce qui se passera jeudi et vendredi entre les membres des vingt-sept, ou des seuls dix-sept, voire du seul couple Merkozy, si tous les autres participants préfèrent aller boire un coup à la cafète pendant qu’Angela et Nicolas se font des politesses devant une poignée de caméras.

Ainsi, les efforts de nos gouvernants pour faire « du comique de répétition une arme possible contre la crise » (Frédéric Lordon) commencent à nous lasser un tantinet. Pourtant, les gentils organisateurs de ces symposiums à répétition ne ménagent pas leurs efforts pour créer la surprise. Tantôt on sauve la Grèce, puis son Premier ministre s’emploie à tout démolir en envisageant un référendum. Tantôt on créée des « mécanismes de sauvegarde », puis les agences de notation viennent nous rire à la barbe en menaçant de dégrader tout le monde. Tantôt, enfin, on nous promet une législation flambant neuve qui gravera la règle d’or dans le marbre des traités et nous fera basculer dans un ordoférédalisme carcéral digne des meilleurs moments de feue l’Union soviétique. Hélas, on s’avise un peu tard que ledit traité ne sera jamais prêt avant le scrutin présidentiel français, ni peut-être même avant les prochaines élections fédérales allemandes….

Pour autant, il ne faut pas forcément désespérer de l’Europe. Il est vrai que le sommet de cette semaine sera le septième en deux ans. Mais, si les six premiers n’étaient que des entraînements, celui-ci devrait faire des étincelles. Comme on dit dans nos armées : « entraînement difficile, guerre facile ».

Et puis, lors des six précédentes rencontres, il faut bien avouer qu’on n’était pas prêt. Les scénaristes étaient mauvais, les réalisateurs vaguement alcoolisés, et les producteurs impécunieux. Le premier sommet, en mai 2010, était un tour de chauffe. On sait combien les premières fois sont souvent décevantes. Le second (novembre 2010) avait déjà meilleure allure. C’est lui qui permit de « sauver » l’Irlande, en lui octroyant 85 milliards d’aide. Le troisième (mars 2011), fut hélas concomitant avec les débats qui divisèrent les européens sur l’affaire libyenne. Lors du quatrième (juillet 2011), il faisait trop chaud, et tout le monde ne songeait qu’à partir en vacances. Quant au dernier en date (27 octobre 2011), tout le monde sait que s’il a raté, c’est de la faute de Papandréou.

Le septième sommet sera donc le bon. A la fin de cette semaine le doux rêve hugolien des Etats-Unis d’Europe sera définitivement ravivé, et l’on pourra se reposer, comme Dieu le fit au septième jour, après avoir accompli son œuvre.

Tiens donc, vous avez des doutes ? C’est vrai, j’allais oublier : « Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia ». Mais le gros inconvénient, c’est qu’après chaque dimanche, se lève un nouveau lundi.

L’armée égyptienne découvre la menace islamiste !

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Les généraux égyptiens n’ont pas l’intention de laisser la démocratie ravager leur pays et entendent bien corriger le tir du suffrage universel. Selon David Kirkpatrick du New York Times, l’un des chefs du Conseil suprême des forces armées, le général Mukhtar al-Mulla, a parlé, fait rarissime, « on the record » avec la presse étrangère, s’engageant à contrôler le processus de rédaction de la nouvelle constitution, mission principale de l’assemblée qui sortira des élections actuellement en cours en Egypte.

Selon le général al-Mulla, les premiers résultats des élections ne sont pas représentatifs de l’électorat égyptien puisque – entre autres raisons – les factions islamistes et notamment les salafistes d’al-Nour, ont bénéficié de leur supériorité en matière d’organisation pour dominer les scrutins.
Il faut rappeler que l’armée a déjà essayé début novembre d’imposer un texte « pré-constitutionnel » visant à graver dans le marbre son propre statut au sein de la nouvelle république, ainsi que d’y inscrire d’emblée certaines libertés fondamentales et tout particulièrement la liberté de culte. Cette manœuvre de l’Armée s’est heurtée à une résistance résolue aussi bien de la part des certains islamistes que des mouvements plutôt laïques et libéraux. Les manifestations organisées pendant le weekend du 18-20 novembre contre la pré-constitution ont été durement réprimées par l’armée et la crise qui s’en est suivie a même menacé la tenue des élections prévues une semaine plus tard, le 28 novembre.

Rassurée dans un premier temps par le taux de participation aux élections (revu depuis à la baisse), les militaires ont vite déchanté avec la percée des salafistes et les scores piteux des démocrates. Vu ce qui s’est passé il y a trois semaines à peine, les déclarations étonnamment audacieuses d’un des vrais dirigeants du pays semblent prouver que l’armée a décidé d’ôter ses gants et de s’attaquer frontalement aux islamistes. C’est pas trop tôt, mais c’est peut-être déjà trop tard…