Orlando: pas d’amalgame, encore une fois?


Orlando: pas d’amalgame, encore une fois?
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Omar Mateen. (Photo: Sipa. Numéro de reportage : REX40434775_000014)

La tuerie d’Orlando a été revendiquée par l’État islamique – le tueur, Omar Mateen, y avait prêté allégeance avant son carnage. Ses parents auront beau nous dire que son massacre n’a rien à voir avec l’islam, on conviendra, à tout le moins, qu’il n’est pas étranger à l’islamisme. Du moins on devrait en convenir, parce que certains esprits refusent de faire ce lien et préfèrent parler plus généralement de l’intolérance, dont l’islamisme ne serait qu’une manifestation parmi d’autres.

Nommons l’ennemi

Dénoncer l’intolérance : c’est la manière habituelle de noyer le poisson quand on a seulement à l’esprit le slogan officiel de notre époque : pas d’amalgame ! Ou alors, on s’en prendra plus globalement, comme on l’a entendu depuis hier, à l’homophobie de l’ensemble des religions monothéistes et à l’intolérance dont elles feraient preuve sans cesse – alors soudainement, on peut faire un amalgame et accuser par la bande le christianisme et le judaïsme du massacre d’Orlando. De peur de heurter la sensibilité des uns et des autres, on préfère ne pas nommer l’ennemi qui pourtant, nous a déclaré la guerre et n’hésite pas à frapper au cœur des villes du monde occidental. Au nom du refus de la discrimination religieuse, on s’en prend à toutes les religions !

Personne ne sera épargné

Même si les attentats se multiplient dans les villes occidentales, chaque fois, on est horrifié par la barbarie absolue qui se manifeste – comment pourrait-on s’habituer à de tels carnages ? On comprend surtout, sans l’ombre d’un doute, que personne ne sera épargné. L’islamisme peut frapper une salle de rédaction, il peut viser une épicerie casher, une salle de spectacle parisienne, un stade sportif ou une terrasse. Il peut aussi viser la communauté homosexuelle, pour peu qu’il parvienne à l’identifier. Omar Mateen, on le sait, a visé une boîte gay. La place accordée à l’homosexualité dans la société américaine était pour lui un symptôme de sa décadence, de son immoralité et de son éloignement de la vraie foi. Faut-il rappeler que l’État islamique se montre d’une cruauté inimaginable à l’endroit des homosexuels, et veut manifestement les rayer de la surface de la Terre ? C’est une logique d’extermination : tout ce qui ne se plie pas à sa vision du monde doit être détruit. Cette toute puissance que s’accordent les islamistes contre ce qui s’éloigne de leur dogme plaisait manifestement au tueur d’Orlando, qui s’est donné le droit de prendre des dizaines de vies. Inscrivons ce dégoût dans une perspective plus large : ce qui heurtait Omar Mateen, c’était tout simplement une civilisation qui honore et célèbre la liberté de l’individu de mener la vie qu’il souhaite. La liberté de ses compatriotes le rendait fou. Vivre et laisser vivre : Omar Mateen ne l’acceptait tout simplement pas. Dans son esprit, il fallait vivre comme lui ou périr. La communauté homosexuelle a été visée en tant que symbole de la civilisation libérale.

Le procès de l’Occident

Mais encore une fois, on assiste à l’instrumentalisation d’un crime islamiste pour faire le procès de l’Occident, en disant que ce meurtre de masse n’est pas sans lien avec l’homophobie de masse qui régnerait encore dans nos sociétés. Ou alors, comme je le disais plus haut, on en profite pour s’en prendre à l’ensemble des religions, qui seraient coupables par association de l’attentat. Dans les circonstances actuelles, certains en profitent pour attaquer de manière un peu mesquine la frange la plus conservatrice de la société américaine : on nous dit qu’elle est en bien mauvaise position pour dénoncer ce meurtre. On a même pu entendre, ici et là, que le massacre n’est pas lien avec l’ascension de Donald Trump ! Évitons ces associations grotesques. Il y a sans doute aux États-Unis une droite religieuse moralement crispée qui s’obstine à faire de l’homosexualité un problème de civilisation. Mais on fera une petite nuance : aussi détestable soit-elle, cette droite morale inscrit son programme dans les paramètres de la démocratie libérale, proscrit la violence et ne plaide pas pour la persécution des homosexuels. Cela ne devrait pas être considéré comme un détail. Dans la démocratie occidentale contemporaine, même les forces réactionnaires les plus bornées s’inscrivent dans les paramètres de la civilisation libérale. À force de tout mélanger pour se donner bonne conscience et ne pas avoir l’air islamophobe, on en vient à ne plus rien comprendre.

En un mot, on a beau rejeter de toutes ses forces la droite religieuse et son puritanisme insensé, elle n’a, dans les circonstances, rien en commun avec le fanatisme islamiste : on ne les mettra dans la même catégorie que pour occulter le plus possible le second. Surtout, on ne devrait pas, devant une telle tragédie, moquer le réflexe national des Américains de gauche ou de droite qui pleurent tout simplement l’assassinat de leurs compatriotes. C’est normalement l’effet d’une telle agression : elle fait tomber pour quelques heures ou quelques jours les divisions d’un peuple pour lui permettre de se rassembler autour de l’amour du pays. Dans les prochains jours, les Démocrates et les Républicains, les progressistes et les conservateurs, la gauche libérale et la droite religieuse, les hétérosexuels et les homosexuels, les partisans du mariage homosexuel comme ses opposants, communieront dans une même ferveur patriotique et une même répulsion devant cet assassinat de masse : tous dénonceront sans réserve cette agression contre leur pays et leur civilisation. Tous seront d’abord et avant tout Américains. On ne devrait interdire à personne de pleurer les morts pour cause de désaccord idéologique. Pour les Américains, l’heure n’est pas à la mesquinerie mais à la solidarité.

Un rapport morbide aux armes

Évidemment, cette tuerie nous révèle aussi une pathologie spécifiquement américaine – on pense évidemment à l’accès dément aux armes à feu dans ce pays, où chaque citoyen peut théoriquement se procurer un arsenal de guerre. Sans aucun doute, l’Amérique entretient un rapport morbide aux armes. Elles sont érotisées par de grands pans de sa population, qui fait preuve en la matière d’un fanatisme déshonorant – on souhaitera, sans trop se faire d’illusions, que cet attentat provoque un sursaut et un meilleur encadrement des armes. En fait, c’est le génie pervers de l’islamisme excite les pathologies propres à chaque société pour les pousser à la décomposition et à la guerre civile. C’est même la stratégie qu’il privilégie systématiquement en cherchant à fanatiser les déclassés ou les esprits troublés pour les enrôler en offrant à leurs pulsions malades un débouché militant. Chose certaine, l’État islamique vient encore une fois de confirmer qu’il sait faire naître des vocations terroristes. Mais un attentat comme celui-là, quoi qu’on en dise, n’est pas seulement imaginable aux États-Unis. Les terroristes du Bataclan avaient trouvé les armes qu’ils voulaient dans un pays qui officiellement, les proscrits.

On en revient à Orlando. L’EI s’est offert un autre charnier en Occident. Ses victimes ont été ciblées à la fois en tant qu’Occidentaux et en tant qu’homosexuels. Ils ont été condamnés à mort à cause de leur appartenance à une civilisation qui rendait possible la libre expression de leur sexualité et plus fondamentalement, qui permet aux hommes et aux femmes de vivre en paix dans une coexistence paisible et revendiquée. En d’autres mots, nos libertés ne sont pas flottantes, elles s’inscrivent dans une civilisation qui leur permet de se déployer : on devrait assumer, aujourd’hui, une forme de patriotisme de civilisation. Ce qui est effrayant devant un tel attentat, c’est qu’on sait qu’il y en aura d’autres, plusieurs autres. La guerre déclarée par l’islamisme à l’Occident cessera probablement un jour, mais certainement pas demain, ni après-demain. Nous sommes, comme on dit souvent, entrés dans une époque tragique qui bouleverse nos certitudes et nous oblige à penser à nouveaux frais la défense de nos libertés.

Retrouvez la version initiale de cet article sur le site du Journal de Montréal.



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