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Notre ami Kadhafi


Notre ami Kadhafi

C’est une chose étrange que de voir Rama Yade, ci-devant secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme, parader sur les plateaux depuis ce mardi. Elle commente avec une certaine gourmandise, teintée de gravité (faut pas déconner, ya des gens qui sont en train de mourir) la situation en Libye. Et rappelle qu’en 2007, alors que la France et toutes ses autorités accueillaient avec fastes, pompes et tente de bédouin le colonel Kadhafi à Paris, elle avait râlé en jugeant que Paris ne pouvait pas lui faire une telle fête alors qu’il s’essuyait les pieds sur les Droits de l’Homme.

A l’époque, les belles âmes avaient tancé la jeune rebelle, qui s’était pris direct un savon à l’Elysée : la diplomatie, ce ne sont pas de justes paroles, c’est aussi les. Airbus et la realpolitik qui va avec. Notons tout de même que son chef, ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, avait appuyé la visite du Guide suprême, tout en séchant les rendez-vous, pour ne pas salir ses blanches mains humanitaires…

Aujourd’hui, les mêmes crient au loup et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dès qu’une manifestation arabe tient tête à la police. Quoiqu’en la matière, la France ait été plus que raisonnable dans son appui aux peuples-qui-se-libèrent, comme on dit.

Pourtant, sans vouloir être cynique, puisque nous n’avons, comme tout le monde, rien vu venir ; puisque les choses basculent et qu’on ne reviendra sans doute pas vers les autocraties postcoloniales anciennes, autant y aller non ? Renouer avec la France des droits de l’homme, de la liberté des peuples. La « France sera au côté des opprimés du monde. C’est le message de la France, c’est l’identité de la France, c’est l’histoire de la France. » Qui dit ça ? Nicolas Sarkozy au lendemain de son élection à la présidentielle. Cité fort opportunément par François Sureau dans une tribune dans Libération, ou il lui demande la fin de « la prudence de vieillard et de notre diplomatie d’abandon. »

Prudence de vieillard, c’est le silence de la France en Tunisie (Hormis les embrouilles de MAM et les sorties de route de notre nouvel ambassadeur aux abdos de chez Suchard). C’est le silence en Egypte. En Libye, on se hâte de dénoncer. Mais après des massacres et après avoir accueilli le guide suprême en grande pompe. On nous dira, le réalisme oblige à serrer la main des Kadhafi du monde entier. Certes. Mais la diplomatie ne doit sans doute pas se limiter calquer sa parole sur les impératifs commerciaux d’Aréva, de Dassault, de Veolia ou Bouygues. Avec les succès qu’on sait d’ailleurs : contrats fantômes, qui bien souvent coûtent plus cher que ce qu’ils rapportent vraiment.

Et je ne parle pas que de morale. J’imaginais que la diplomatie, c’était tenir subtilement les deux bouts de la chaîne : être ferme sur ses principes et ses valeurs politiques (la liberté, au hasard) et réaliste dans son action (si on peut vendre des avions, faut les vendre), au risque d’une certaine dose d’hypocrisie. Mais imaginer qu’on rate une livraison d’A380 parce qu’on dira aux Chinois qu’en France la liberté a un sens, est une fable pour gogos. La diplomatie du « paillasson » n’améliore pas le commerce extérieur. Voire, quand les choses tournent, elle aurait tendance à être facturée au prix fort par lesdits pays. Alors souvenons-nous des pudeurs de Rama Yade (enfin, elle n’est pas allée jusqu’à la démission, n’est pas Chevènement qui veut) et croisons les doigts pour que les massacres et les révolutions s’arrêtent vite. Ça nous évitera de prendre position.



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est journaliste

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