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Noël pour tous !


Noël pour tous !
Giotto, Nativité.
Giotto, Nativité.
Giotto, Nativité.

Vous avez tenu bon. Bravo ! Vous qui lisez ce texte, vous avez survécu à cette franche joie de Noël et du jour de l’An, au sapin, aux guirlandes, à la belle-mère débarquant encore svelte, tout ça pour faire joli, au salon. Les chocolats. Le foie gras, le vin précieux, et la belle-mère donc, débarquant disais-je, fraîchement décorée des palmes académiques. Au téléphone, j’ai failli lui demander si je pourrais les suspendre au Nordmann acheté pour 45 euros au Rom du coin. Je ne sais pas d’où il sortait ça. Sur l’asphalte, il y en avait tout un wagon. S’il avait voulu, il aurait pu s’en construire, une belle cabane, plutôt que de traîner ses guêtres, tout le reste de l’hiver, à la sortie du métro. Mystère et boule de neige. Pourvu qu’il neige, papa ! On verra bien. Serais-je l’entremetteur du Ciel ?

Les cadeaux, les cadeaux bien sûr. On n’est pas des chiens ! Le père Noël ne voit jamais qu’on n’a pas été sages. Comme Gilbert Montagné à l’UMP, il conduit en aveugle son traîneau façon 4×4. Et puis quand même, quand même, le petit Jésus, ajusté dans sa crèche, avec autour de lui l’âne, les bergers, les rois mages.

Vous avez oublié pour un temps vos peines, vos rancœurs et à Saint Aubin d’Aubigné, la grippe A. Vous avez fait comme moi, mis vos petits souliers sous le séquoia. En attendant le lendemain. Papa, papa, tu crois qui va y avoir dl’a neige, hein ? Tu sais, fiston, il se réchauffe, le climat. Contente-toi des cadeaux.

Avouez que vous les attendiez, ces cadeaux, vous, là, derrière l’écran. Avouez même que vous n’attendiez que ça. Et puis de vous empiffrer, de vous goinfrer de truffes, chocolats, dinde ou je ne sais quoi, jusqu’à l’indigestion. D’en reprendre et d’en reprendre du blanc et du rouge et du champagne. Et d’en reprendre encore. Je me souviens d’une collègue, tiens, appelons-la Fabienne, qui disait que les soirs de réveillon, elle mettait un point d’honneur à choper une crise de foie. Véridique. Si le lendemain, elle quittait son lit sans le moindre signe de nausée, elle se sentait mal, si j’ose dire. Et donc elle remettait ça, toute la journée du 25 et du premier de l’An. Ah, elle finirait par l’avoir sa crise ! Elle les vomirait, ses dix litres de champagne ! On est des Français, ou quoi ?

Je l’aimais bien, moi, Fabienne, cette collègue. Un tempérament comme ça, vous imaginez ce qu’on pouvait en faire. Ah, je lui ai fêté, son identité nationale, pour arroser ma naturalisation toute fraîche ! Mon passeport italien, peut-être qu’il traîne encore quelque part, chez elle. Peut-être qu’elle l’a retrouvé, le 26 décembre, lorsqu’elle a fait le ménage, sous son lit, parmi les cadavres de bouteilles.

Je l’aimais bien. C’est le petit Jésus qui nous a séparés.

Que voulez-vous, ça a fini par m’énerver qu’elle vante ses crises de foie de Noël. Car Noël, pour elle, comme pour vous, là, c’était donc la bouffe façon Gargantua, Pantagruel et puis les fameux cadeaux, sous l’séquoia. Le reste, poubelle ! C’est elle qui a prononcé le mot, elle qui a ouvert les hostilités, donc. Poubelle ? Elle jetait le petit Jésus avec l’eau du bain. Jésus, disait-elle, j’ai jamais pu le lire, moi, l’Ancien Testament. Imaginez ma tête. Professeur de lettres, la donzelle, paraît-il, des diplômes quand même, et elle refaisait l’histoire d’une façon bien cruelle. Dans sa soulographie perpétuelle, elle anachronisait les personnages de la crèche. Jésus, la belle, c’est dans le Nouveau Testament, mets-ça dans ta caboche ! Et elle : mais qu’est-ce que ça peut faire ? Tu y crois à tout ça, toi ? Minute. Ça peut faire par exemple, répondais-je, que si tu confonds tout ça, tu leur répondras quoi, à tes élèves, lorsque, en plein commentaire de Baudelaire ou Victor Hugo, ils te poseront des questions au sujet de la Bible, tu auras l’air bien tarte, eh, mirabelle ! Elle n’a pas aimé la crème. Eût-elle eu une Bible, sous sa main mignonne, qu’elle me l’envoyait presto dans la figure. Au lieu de ça, c’est la trousse de la collègue d’histoire qui a volé, façon obus de Verdun, à travers la salle des profs. Fichu tempérament.

Il y a des jours comme ça.

Je n’en suis pas resté là. J’avais l’anathème facile, à l’époque. Je lui ai servi le couplet de tout à l’heure : toutes les fêtes, pour vous, pour nous, sont devenues prétextes à se goinfrer, à se vautrer dans la mauvaise graisse du commerce, des marchandises perpétuelles. Bon Dieu, mais pourquoi fêtez-vous donc encore Noël, si vous vous fichez de Jésus, si vous ne savez même plus ce que signifie cette crèche que vous placez sous le sapin ? Malgré tout le respect que je leur porte, comme il se doit, à mes amis juifs ou musulmans, est-ce que je fête Kippour, moi, ou l’Aïd, encore ?

Ils ont commencé à s’y mettre, tous. Ils m’ont répondu par les couplets habituels : occasion de se retrouver en famille, de simplement faire la fête, de faire plaisir aux petits nenfants, tout ça. Et d’ailleurs, même les Juifs et les musulmans fêtent Noël, pour les mêmes raisons. Tatitata. Et encore, nous ne savions pas, à l’époque que d’aucuns viendraient à demander bientôt que tout le monde fête toutes les fêtes, question de prouver qu’on est bien tous tolérants. Drôle de conception de la laïcité : croire que respecter les religions, c’est s’inviter à toutes les fêtes ; alors qu’il me semblait plutôt, moi, que les respecter, c’était ne pas les galvauder et laisser chacune d’entre elles communier dans l’intimité.

Ils ont commencé à s’y mettre, tous. On approchait de la fin décembre et je les voyais prêts, soudain, à faire d’une pierre deux coups, à fêter Noël et Pâques en hiver, avec votre serviteur en ragout d’agneau ou de mouton, pardon. C’est que je l’avais un peu cherché : je les ai traités soudain de schizophrènes. Je m’incluais dans le lot, mais ça, ils ne l’ont pas vu : schizophrènes, oui, disais-je ; les mêmes qui prêchaient toute l’année contre la société de consommation et qui se goinfraient à Noël ; les mêmes qui militaient pour l’école publique et qui, à la première occasion, mettraient leur progéniture dans une école privée ; les mêmes qui crachaient à longueur de salle des professeurs sur le christianisme, et qui poussaient les hauts cris dès qu’on se permettait de critiquer le bouddhisme ou l’islam. Schizophrènes, oui, j’y tenais.

J’y tiens toujours, d’ailleurs. Schizophrène, tous.

Deux exemples authentiques, tiens : du temps que j’assurais des formations pour mes collègues, m’appliquant à faire qu’ils deviennent un peu moins ignares, en matière de religions, l’un d’eux, devenu pour l’occasion un de mes stagiaires, comme on dit, n’arrêtait pas de plaisanter, de sortir des blagues à deux euros sur les curés, sur l’église, sur Jésus. Quelques-uns riaient, bien entendu. J’ai voulu rire, moi aussi, et me suis donc mis en tête de faire comme si j’allais faire une blague sur l’islam. Pour rigoler. Juste pour voir la tête qu’il ferait. Il s’est aussitôt arrêté, m’a regardé d’un air drôle et m’a dit : non, on n’a pas le droit de critiquer l’islam. Tiens donc… Ai-je besoin de préciser qu’il n’était pas musulman ?

L’autre exemple ? Un autre collègue, professeur de mathématiques : j’étais dans cette fichue salle des profs, à faire des photocopies, pour préparer un stage prochain sur la Bible et l’islam. Et donc moi de photocopier des passages du Coran. Le collègue s’approche, gentiment. Tiens, tu t’intéresses à l’islam, dit-il. Oui oui, je lui explique l’affaire, les stages, tout ça. Moi, répond-il, ça ne m’intéresse pas du tout, j’avoue – il était français, d’origine algérienne ; je ne suis même pas croyant, ajoute-t-il. Je lui réponds à mon tour que je peux comprendre, que chacun tatatitatata… Et puis le sel de l’histoire : mais, dit-il, tu lis le Coran en français? Ben oui, réponds-je, je maîtrise mal l’arabe. Mais..mais..mais.. tu n’as PAS LE DROIT !!!!

Schizophrènes, vous dis-je, tous, musulmans ou chrétiens, bouddhistes ou auvergnats.

Vous vous êtes goinfrés en moquant le petit Jésus, dans sa crèche. Des blagues à deux balles. Et vous les avez eus vos cadeaux, quand même. Pas eu besoin d’aller à la messe de minuit.

Et pour ceux qui auront été bien sages, du 26 décembre au 15 février, c’est galette à volonté – 30 euros l’unité quand même ! Schizophrènes, vous dis-je, et gogos toute l’année !



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Nunzio Casalaspro est professeur et collabore notamment à la revue <em>L'Atelier du roman.</em>

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