NKM : la révolution s’habille en Prada


NKM : la révolution s’habille en Prada

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Qui a dit que le peuple ne comptait plus ? En période électorale, bien sûr, il est à nouveau au centre de toutes les attentions, il a droit à tous les égards. Jean-Jacques Rousseau le remarquait déjà du temps où les Lumières pré-révolutionnaires prenaient pour modèle l’Angleterre libérale : le peuple est roi durant les élections avant de retomber en esclavage en attendant la prochaine échéance. Le grand rite électoral a indéniablement plus d’un point commun avec le carnaval des temps médiévaux. Pendant quelques heures, on joue à renverser le pouvoir et les puissants s’amusent à faire croire qu’ils se soumettent à la volonté des humbles. Oui mais voilà, le problème c’est que le peuple n’a pas de parole, il parle à travers mille voix, récrimine, se récrie, et ceux qui veulent le séduire sont prêts à enfourcher des tonneaux, à charger des épouvantails et à se grimer de toutes les manières pour le séduire. Mais l’agitation finit par retomber et tout finit par revenir à la normale sous le règne des anciens ou des nouveaux représentants que le carnaval a fait acclamer.

Nathalie Kosciusko-Morizet a montré qu’elle pensait beaucoup au peuple, jusqu’à en faire l’acteur principal de sa victoire, fièrement revendiquée après le premier tour (en politique, tant qu’on n’a pas officiellement perdu, on est toujours potentiellement vainqueur…). L’égérie préraphaélite de la droite moderne et décomplexée a eu le verbe rebelle et belliqueux au soir de l’annonce des résultats du premier tour en appelant le « peuple de Paris libre » à « l’insurrection démocratique », rien moins. « Le peuple de Paris, fidèle à sa tradition libre et rebelle, a fait mentir les pronostics ». Mazette. Serait-il temps de ressortir les fusils de leurs vitrines au musée des Invalides pour bouter les socialistes hors de la mairie de Paris ? Apparemment, le peuple de Paris libre et rebelle a si bien entendu le message qu’il a décidé de prendre les devants en déboulant sur scène pendant l’allocution de Nathalie Kosciusko-Morizet perturbée par l’intervention intempestive d’un ou deux chômeurs et intermittents mal élevés. Anne Hidalgo qui appelait, sur les affiches électorales d’union avec le Front de Gauche, à « arracher Paris aux spéculateurs » s’est vue d’ailleurs quelque peu chahutée elle aussi par des intermittents décidément très remontés en fin de soirée.

Très investie dans son rôle de pasionaria de l’alternance démocratique, NKM a trouvé dans son discours de premier tour des accents guerriers qui rappelaient un autre discours de premier tour : c’était il y a douze ans, au soir du 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen, tombeur de Lionel Jospin et qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle donnait du vibrato populiste pour rendre hommage à tous « les obscurs, les sans-grades, les métallos » qu’il appelait à rassembler leurs voix pour le soutenir. Arrivée en tête du premier tour des élections municipales 2014 à Paris, NKM est loin bien sûr de créer la surprise comme le leader du Front National en 2002. Les enjeux et les personnalités ne sont pas les mêmes, bien entendu, et l’avance de NKM est mince, sinon contestée. Il est intéressant cependant de constater à quel point le positionnement anti-système a pu devenir un élément de langage aussi banal que le déjà défunt front républicain. En plus d’un petit emprunt à la rhétorique hollandienne – « le changement est possible, il est tout proche », promet NKM – la bouillante tête de liste de l’UMP recycle le vocabulaire anti-élitiste qui fait florès tout autant sur les réseaux sociaux que dans les discours des possibles édiles du Front national ou dans la bouche des derniers prophètes de la révolution à la mode : « deux parisiens sur trois ont refusé de se plier aux ordres du pouvoir et de ses relais ». On se croirait presque chez Soral mais le maniérisme faussement décontracté accompagne cette fois la grandiloquence et le verbe haut en lieu et place des poses viriles. Le visage illuminé par un triomphalisme revanchard, NKM en appelle au « peuple, aux classes moyennes, à ceux qui travaillent », comme en son temps Jean-Marie Le Pen interpellait les métallos et les ouvriers abandonnés des partis communiste et socialiste.

Drôle d’animal politique que Nathalie Kociusko-Morizet qui partage visiblement avec Ségolène Royal le goût du travestissement et de la mise en scène. On a reproché à cette dernière de s’être grimée en Marianne et d’avoir caricaturé de façon ridicule le pauvre Delacroix, on oublie que NKM avait posé pour Paris Match, vêtue d’une sorte de toge, la chevelure tombant en cascade sur ses épaules et ses doigts fins effleurant les cordes d’une harpe. Et ce regard…Philippe Muray avait évoqué dans un article splendide le sourire de Ségolène Royal, la seule chose qui, comme le chat de Chester, continue de flotter dans l’immense vacuité et la vastitude du néant généré par la simple parole de l’éternelle candidate. NKM, quant à elle, décoche à qui veut bien la voir des sourires éclatants mais c’est derrière son regard qu’elle semble disparaître ; un regard qui projette comme un fanal l’éclat d’une ambition politique démesurée et qui veut promettre plus encore à tous ceux qui le croisent ; un regard qui se braque soudain en tous sens, presque affolé, et qui s’apaise et s’abîme, perdu en lui-même dans sa propre contemplation, tandis que la bouche souriante continue à promettre aux travailleurs, aux jeunes, aux Parisiens de leur rendre tout ce dont le pouvoir inique les a spoliés, de rétablir la justice fiscale, de redonner à Paris ses nuits blanches qu’un bandit lui a pris et de refaire de la capitale une ville où l’on « monte » pour refaire sa vie plutôt qu’une triste métropole muséifiée que l’on quitte pour aller respirer ailleurs un air plus sain.

Il n’y a rien de surprenant dans les arguments avancés par NKM, dans ses promesses, ses appels à l’union et au peuple. Sa tonalité exagérément guerrière contraste cependant avec l’image extrêmement lisse et travaillée de l’adversaire d’Anne Hidalgo et donne à l’affrontement parisien une irréalité soudaine. Alors que le pays tremble de voir le Front National s’emparer des mairies et venir menacer jusqu’à Martine Aubry en son fief, à Paris, chez NKM mais aussi chez Anne Hidalgo, on pastiche le discours populiste avec élégance, on vitupère avec nonchalance, on harangue avec sensualité et l’on entrecroise les sourires comme des sabres. Après la guerre à la finance de François Hollande qui a fait long feu et la démondialisation d’Arnaud Montebourg qui n’a pas vraiment connu de retentissement mondial, NKM a refait discrètement son 21 avril à elle, dans une version plus rive gauche de l’appel au peuple, avec une sophistication et une nonchalance un peu évaporée visant certainement moins à plaire au populo qu’à capter le charme discret de la bourgeoisie des XIVe et XVe arrondissements. Mao avait tort, la révolution à Paris, c’est bien un dîner de gala.



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